Quelques poëtes français des XVIe et XVIIe siècles à Fontainebleau/Guillaume Colletet

GUILLAUME COLLETET

1596-1659


COLLETET



Le Père Dan a fait un beau livre sur Fontainebleau, un beau livre dont voici, en toute son ampleur, le titre magnifique :

Le Trésor des Merveilles de la Maison Royale de Fontainebleau, Contenant la description de son Antiquité, de sa Fondation, de ses Bastimens, de ses rares Peintures, Tableaux, Emblèmes et Devises : de ses Jardins, de ses Fontaines, et autres singularitez qui s’y voyent. Ensemble les Traictez de Paix, les Assemblées, les Conferences, les Entrées Royales, les Naissances et Ceremonies de Baptesme de quelques Enfans de France ; les Mariages, les Tournoys, et autres magnificences qui s’y sont faictes jusques à present. Par le R. P. F. Pierre Dan, Bachelier en Theologie de la Faculté de Paris, Ministre et Superieur du Couvent de l’Ordre de la S. Trinité, et Redemption des Captifs, fondé au Chasteau dudit Fontainebleau. — A Paris, chez Sebastien Cramoisy, Imprimeur ordinaire du Roy, ruë sainct Jacques, aux Cicognes. M.DC.XLII. Avec Privilege de Sa Majesté.

Ce superbe in-folio de xliv-354 pages et un feuillet pour le Privilege et l’Approbation, orné de quelques remarquables planches gravées d’après les dessins de Francini par Abraham Bosse et Michel Lasne, s’ouvre par une Epistre Dedicatoire, en magistrales italiques, adressée à Monseigneur De Noyers, baron de Dangu, « Conseiller du Roy en ses Conseils, Secretaire des Commandemens de Sa Majesté, Sur-Intendant et Ordonnateur General des Bastimens, Arts et Manufactures de France, Capitaine et Concierge du Chasteau de Fontainebleau. » Puis, après un avis Au Lecteur, vient une Table des Chapitres et de leurs sommaires, où se déploie la belle ordonnance de l’ouvrage. Le Livre premier traite de l’Antiquité et Fondation du Chasteau de Fontainebleau, où il est faict mention des Roys qui s’y sont pleus et qui l’ont amplifié. Le Livre second, des Bastimens en particulier. Le Livre troisiesme contient les Evenemens, et les choses mémorables arrivées en ce Lieu. Le Livre quatriesme traite du Bourg, et de la Forest de Fontainebleau, avec leurs appartenances et dépendances.

Et c’est, en quelque sorte, la Bible et l’Évangile pour quiconque s’inquiète de ce Palais, le plus illustre de France, et le plus longtemps glorieux ; de ce Palais que l’on appela la Maison des Siècles et qui, pendant près de trois cents ans, en effet, fut constamment habité par nos rois ; où s’entassèrent et se superposèrent les Merveilles de tant de règnes et de races, et de tant d’époques d’art. Et c’est là que vinrent d’Italie les souverains artistes, Léonard de Vinci, Andréa del Sarto, le Primatice, le Rosso, Benvenuto Cellini, Francini, Serlio, pour créer notre peinture, notre sculpture et notre archilecture de la grande Renaissance.

Le Père Dan sait tout et voit tout, et décrit, énumère, inventorie tout en détail avec une patience et une minutie inlassables, avec une sûreté parfaite. D’une conscience extrême, il n’erre que très rarement et sur des points d’histoire ou de littérature, en somme, assez peu considérables, assez négligeables. Mais il s’arrête en l’an 1642. Et depuis… !

Pour combler ce desideratum d’une Histoire qui ne soit pas très pleine de dangereuses inexactitudes, je voudrais qu’un bon Imprimeur de Fontainebleau entreprit d’exécuter une réimpression de ce Tresor des Merveilles. Le livre est devenu presque introuvable, et le temps l’a fait incomplet. Des notes, plus copieuses parfois que le texte même, signées de plusieurs que je sais bien et pourrais nommer, et rédigées tant d’après l’abbé Guilbert et les plus récents écrivains que sur des documents nouveaux scrupuleusement vérifiés, rectifieraient quelques défectuosités peu nombreuses, établiraient, après chaque chapitre consacré à une Salle, une Cour, un Jardin, l’état antérieur à celui qu’a vu le Père Dan, puis les transformations successives, souvent fâcheuses, jusqu’à l’état actuel, que nous voyons aujourd’hui. Ce serait mieux, et aurait une autorité plus justifiée que n’importe quel travail personnel bâclé sur des données qui ne peuvent être prises qu’à l’unique source. Et le plus heureux, c’est quand on l’avoue, ou quand le continuateur, gêné par quelque problème, — j’en puis parler savamment, — ne remplace pas ces certitudes par de faciles et néfastes hypothèses ; — le tout noyé d’inutile littérature. Le salut, c’est de ne pas perdre de vue le fidèle et honnête guide que nous avons là. On conserverait ainsi, et l’on rajeunirait le souvenir d’un incomparable passé. Peut-être même faut-il se hâter, — de peur qu’il n’y ait bientôt plus rien à décrire ! Or il faudrait que ce catalogue eût la force d’une revendication, et d’une préservation. À l’œuvre ! Une œuvre pareille réunirait, dès l’abord, dès la seule annonce, un nombre suffisant de souscriptions de l’État, de la Ville, et des Lettrés d’ici, et d’ailleurs. Cela ne fait nul doute !

Peut-être verra-t-on une ironie — mais que cette pensée est loin ! — dans le fait que cet Hommage au Père Dan va se trouver placé en tête de lignes où, précisément, je le prends en faute, en faute bien vénielle, et que le sentiment qui l’a amenée rend sans doute excusable. L’ironie est une malheureuse forme, vaine et stérile. Je demande qu’on veuille plutôt chercher en ce qui suit, élagué et résumé, les éléments d’une de ces notes que je ne crois pas qu’il serait irrévérencieux d’adjoindre au texte du Trésor des Merveilles.


En son quatrième chapitre, le Père Dan reproduit plusieurs « Témoignages et Eloges » de divers écrivains « en faveur de Fontainebleau », et, après quelques autres fragments tant en latin qu’en français, il cite ces vers :


Sacré Pere du jour, beau Soleil, sors de l’onde,
Et viens voir avec moy le plus beau lieu du monde ;
C’est du plus grand des Roys le superbe sejour,
Fontainebleau, nommé les delices d’Amour ;
C’est icy que la gloire établit son empire,
Que tout y luit d’honneur, ou que tout en respire ;
Et quiconque a pu voir ce Palais si charmant,
Ne veut plus avoir d’yeux que pour luy seulement.

Parterres enrichis d’éternelle peinture,
Où les grâces de l’art ont fardé la nature :
Que vostre abord me plaist ! que vos diversitez
Me monstrent à l’envy de naissantes beautez !
C’est avecque plaisir que le Ciel vous éclaire,
Il semble que l’Hyver ait peur de vous déplaire,

L’Esté n’ose ternir vostre aimable verdeur,
Et sa flamme pour vous n’a que de la splendeur.

Vieux chesnes, et vous pins dont les pointes chenuës
S’esloignent de la terre et s’approchent des nuës.
Bois où l’astre du jour confondant ses rayons
Fait naistre cent Soleils pour un que nous voyons ;
Beaux lieux dont la tranquille et plaisante demeure
Ne reçoit point d’ennuy qu’aussy tost il n’y meure ;
Vous voir, vous posséder, est un bien le plus doux,
N’est ce pas vivre heureux que de vivre chez vous ?

Après avoir passé dans une grande allée
D’aulnes et d’ypréaux artistement voilée,
Le favorable Dieu qui préside en ces lieux
Fait voir d’un grand canal l’object tout gracieux,
Où le chant des oiseaux et le bruit des fontaines
Font un concert plus doux que celuy de Syreines :
C’est un plaisir de voir la Nymphe de ces eaux
Couvrir sa nudité d’un crespe de rozeaux,
Friser l’azur flottant de ses tresses humides,
Se couronner le front de ses perles liquides,
Ternir de son éclat les Nymphes d’alentour,
Et paroistre une Reyne au milieu de sa Cour.

C’est un plaisir de voir l’ombre de ces feüillages
Emailler ce cristal de leurs vertes images,
Errer au gré du vent, aussy bien que ses flots,
Et tous ces mouvemens nous donner du repos.

Sur quelque verité que la fable se fonde,
Venus ne prit jamais sa naissance de l’onde,
Car voyant un lict d’or sous ce flot de cristal.
J’ose bien asseurer que c’est son lieu natal :
Il semble que ces bords gardent encor ses traces,
Que le teint de ces fleurs soit celuy de ses grâces,
Que ce Dedale sombre et ses confus détours
Servent d’amusement à ces petits Amours,
Et que l’air de ce lieu qui termine leur course
Inspire des douceurs, dont ils furent la source.


« Un de nos Poëtes égaye ainsi sa Muse en l’honneur de cette Maison Royale » dit le Père Dan ; et il a nommé Le sieur Colletet. Et plus loin, chapitre XVIII du Livre II, lorsqu’il a à parler de la Volière, il rencontre encore huit vers qu’il donne sans juger à propos cette fois de désigner l’auteur, qui est le même Colletet.


Là l’on void des oiseaux de diverse peinture.
Dont le vol est borné d’une riche closture,
Démentir par leur chant ceux qui contre raison
Soustiennent qu’il n’est point d’agreable prison :
Dans le ressentiment de leur bonheur extreme,
Leurs nœuds leur sont plus doux que la liberté mesme ;
Et je crois en effet que ce lieu de plaisir
Ne les retient pas tant que leur propre desir.


Il y a là, surtout dans le premier morceau, d’assez jolies choses et de bonnes descriptions. Et l’on aurait plaisir, évidemment, à ranger cela parmi les Trésors de Fontainebleau.


Seulement, il y a aussi une toute petite difficulté.


C’est que si l’on ouvre les Autres Poesies de Monsieur Colletet — À Paris, chez Augustin Courbé et Antoine de Sommaville, 1642, in 4 — dès la première page, on tombe sur une pièce intitulée :


LES TUILLERIES
Monologue.


Monologue, soit dit en passant, n’a pas le sens actuel du mot ; il faudrait Prologue ; à moins que l’auteur ne veuille faire entendre que c’est un Prologue non dialogué, mais récité par une seule personne. Et indiquons tout de suite que c’est le Prologue de la fameuse Comédie des Thuilleries, commandée par Richelieu aux cinq auteurs : Corneille, Rotrou, L’Estoile, Boisrobert et Colletet, et qui fut représentée au Palais Cardinal le 16 avril 1635. Ces vers n’ont donc point paru la même année que le Trésor, comme on le croirait si l’on ne songeait qu’au recueil annoncé plus haut ; mais ils datent bien de sept ans auparavant.


Monologue ou Prologue, le poème des Tuileries commence ainsi :


Sacré Hère du jour, beau Soleil, sors de l’onde.
Et viens voir avec moy le plus beau lieu du monde ;
C’est du plus grand des Roys le superbe séjour
Et le vray Paradis des délices d’Amour…

Eh ! ma foi, voici le délit ! Fontainebleau

glissé subrepticement en place de Vray Paradis c’est ce que nous appellerons le démarquage par esprit de clocher ! En son amour fervent pour son pays d’adoption, Dan l’aide à adopter ici, ce me semble, des choses qui ressortissent d’ailleurs.


Après le démarquage par esprit de clocher, nous allons avoir le démarquage par grâce d’état.


Que tout y meurt d’Amour ou que tout en souspire…


disait, fort honnêtement, le bon Colletet.


Que tout y luit d’honneur ou que tout en respire…


lui fait dire, plus pudibondement, le Père Supérieur des Trinitaires.


Luit et respire d’honneur plutôt que soupire et meurt d’amour est d’une susceptibilité de chasteté bien monachale !


La pièce se poursuit sans changement de grande importance, sauf qu’après le vingt-quatrième vers qu’il cite. Dan en a supprimé huit.


Mais, ô de ces beaux lieux l’adorable genie,
Et l’invisible autheur de ma joye infinie,
N’offenceroy-je pas les hommes et les Dieux,
Si ma bouche taisoit ce qui ravit mes yeux ?
Les plaisirs trop secrets ont trop de violence
Et n’ont point d’ennemy pire que le silence ;
Ô charmes, ô thresor de graces, et d’appas,
Vous puis-je posseder et ne m’en vanter pas !

Ne sentait-on pas une lacune, une interruption, entre : Vous voir, vous posseder, c’est mon bien le plus doux (leçon de Colletet) N’est-ce pas vivre… et la brusque description : Après avoir passé… ? Au contraire le motif : ô de ces beaux lieux l’adorable génie, et l’invisible autheur… se rattacherait à celui-ci : Le favorable Dieu qui preside… Et ce génie, cet autheur, ce Dieu, c’est Richelieu, — qui vint à Fontainebleau dans sa litière portée sur les épaules de dix-huit hommes, — si vaste qu’on abattait des pans de muraille devant elle, — mais qui n’y laissa pas d’autres traces.

Mais le plus curieux, c’est que Colletet n’avait point du tout mis : Le favorable Dieu qui preside… et que le Père Dan a probablement cru suppléer par cet artifice à l’absence des huit vers retranchés. Colletet avait écrit :


Le favorable sort qui me guide en ces lieux
M’a faict d’un Quarré d’eau voir l’object gracieux.


C’est, de nouveau, au second vers, une variante légère, mais fondamentale et significative. Biffer : Quarré d’eau, et remplacer par : grand Canal, voici encore la manœuvre déjà observée ; et ce qui est remarquable, c’est que notre historien eût pu parfaitement s’en dispenser, car il y a assez de pièces d’eau de toutes formes autour du Château. Et il est étonnant de voir en vérité combien la description pourrait s’applquer indifféremment à l’un ou à l’autre des palais ou des jardins. Parbleu ! c’est bien cela qui a induit en tentation l’excellent Religieux, et l’y a fait vilainement tomber.


Mais, à coup sûr, la correction : grand Canal fournissait un détail d’une particularité plus exclusive.


Si précieux que les vers lui aient paru, le Père Dan s’en lasse assez vite. Ou peut-être craignait-il de ne pouvoir continuer aisément son travail d’adaptation. Colletet n’en est qu’au début de son assez long poëme. Et d’abord il ne se tient pas à son évocation de la Déesse Cyprine. Plus scrupuleux qu’un Trinitaire même, et craignant de s’être lancé dans le paganisme sensuel, il apporte aux galantes images qui sont venues sous sa plume, cette atténuation :


Mais pour joindre l’Amour avec l’honnesteté,
Et monstrer qu’en ces lieux règne la chasteté,
Un Enfant aussy pur que la mesme innocence
Conduit ces belles eaux, et rit à leur naissance ;
Ce liquide cristal sort d’un marbre animé,
Où selon mon désir le temps a consumé
Ce que l’Art qui se plaist d’imiter la Nature
Avoit mis de honteux en sa chaste figure.


Est-ce bien exactement de la figure que Colletet entend parler ici ? L’Art qui se plaist d’imiter la Nature éveille un sous-entendu amusant. Mais nous verrons mieux ! Notons toutefois que ce n’est point Colletet qui parle : il n’est point si prude ! C’est une Dame, une actrice jouant quelque rôle de marquise, soit la Cleonice de la Comédie. Elle s’adjective au féminin :


Errant par les destours de ces nobles vergers
Je me suis rencontrée en un bois d’orangers.


Et dès lors bien des minauderies, et de rétractiles mines de fausse hermine vont s’expliquer.

Après les orangers, la dame voit, dans un antre sauvage, des Tygres, des Lyons, des Ours, des Léopards, une ménagerie ; puis un manège où sont des Chevaux hors d’haleine et des cavaliers qui s’exercent ; puis d’un grand Palais le pompeux édifice (une manchette explique que c’est : Le Pavillon des Tuilleries ou loge Mademoiselle). Puis elle tourne le long d’un mur, et rencontre encore des Paons, et ces autres oiseaux de diverse peinture que nous connaissons déjà et qui ne sont en cage que pour leur plaisir : « La Volière » insiste une indication placée en marge, en regard des vers.


La dame peut rencontrer là des spectacles qui ravissent son tendre cœur :


Ce qui m’a plû surtout, ce sont deux Tourterelles
Qui se faisoient caresse et du bec et des ailes,
Et de chastes baisers…


D’autres succèdent, qui offusquent terriblement son âme délicate :


J’ay veu des Passereaux de nature lascive
Esteindre la chaleur qui bouilloit dans leur sein
Et sans honte accomplir leur amoureux dessein ;
Deshonnestes objects dont ma veuë est blessée
Et dont j’ai destourné mes yeux et ma pensée.


Car cela fait venir de coupables pensées ! Et pourtant on est tenté de se demander où est la différence ? Voici pis :


En mesme temps j’ay veu sur le bord d’un ruisseau
La Cane s’humecter de la bourbe de l’eau,
D’une voix enrouée et d’un battement d’aisle
Animer le Canard qui languit auprès d’elle,
Pour appaiser le feu qu’ils sentent nuict et jour
Dans cette onde plus salle encor que leur amour.

Lors j’ay dict en mon cœur : si l’Amour ne sépare
Ce qu’il a de commun de ce qu’il a de rare.
Le plaisir innocent d’avec l’impureté,
L’Esprit n’y trouve pas ce qu’il a souhaitté.


Hé Dieux ! que cette dernière pensée est donc réjouissante ! li est certes des choses dont on ne saurait supporter l’idée, dirait Gathos à Gorgibus, dans Les Précieuses.


Et que la peinture de ce Canard et de cette Cane est un morceau d’un goût achevé ! Richelieu trouva cela tellement ravissant qu’il fit remettre au poète cent livres pour chacun des vers du couplet, et qu’il ajouta un compliment enthousiaste, par dessus le marché. « Le ministre bel-esprit, tout trépignant d’aise (selon Théophile Gautier qui a peint de main de maître, dans Les Grotesques, un portrait de Guillaume Colletet un peu bien romantique et chargé), le ministre bel-esprit, tout trépignant d’aise et tout hors de lui, lui dit qu’il les lui donnait pour ces six vers là expressément, et que le roi ne serait pas assez riche pour payer le reste. Il aurait voulu seulement une petite correction ; au lieu de : la Cane s’humecter, il eût préféré : la Cane barbotter dans la bourbe… » C’était un Mécène tout à fait éclairé, un protecteur doublé d’un connaisseur ! Il n’obtint d’ailleurs point satisfaction et, chose admirable, ne retira pas son subside.


Colltet empocha, et remercia.


Armand qui, pour six vers, m’a donné six cens livres ;
Que ne puis-je à ce prix luy vendre tous mes livres !


Mais je crois qu’il se moquait. Son Enfant qui, par prétention, n’a plus besoin de feuille de vigne ; ses pudiques Tourterelles et ses Moineaux paillards, et cette Cane et ce Canard, me font l’effet de joyeuses plaisanteries, et je crois assurément qu’il s’amusait. Car ce n’était pas un niais. C’était un homme plein de talent et d’érudition, fort subtil et fort lettré, l’un des fondateurs de l’Académie Française. Il avait écrit les Vies d’un très grand nombre de Poëtes français, depuis les temps les plus reculés jusqu’au sien ; le manuscrit en a péri lors de l’incendie du Louvre en 1871, et seules quelques notices qui avaient été copiées par divers curieux, nous ont été conservées ; elles témoignent encore que l’ouvrage était du plus haut intérêt. Mais aussi ses Epigrammes, ses Divertissemens, son Illustre Beuveur, ne nous cachent pas qu’il aimait parfois à rire. Ici on est inévitablement amené à penser, à supposer qu’il pince sans rire.


Mais voici bien longtemps qu’avec lui, et avec sa Précieuse, nous nous promenons dans le jardin des Tuileries. De tout ce qui précède, et puisqu’il ne serait pas bien de retenir pour nous ce qui d’évidence n’est pas à nous, faut-il donc conclure que nous n’avons plus qu’à ôter Colletet des fastes de Fontainebleau ? Non pas !


Colletet vint à Fontainebleau. Colletet fit des vers sur Fontainebleau. Mais ce ne sont pas ceux que prétendait le Père Dan. Tout juste à la suite au Monologue des Tuilleries, en tournant la page on lira ce sonnet :


L’ABSENCE DU ROY
OU PLAINTE DU GENIE DE FONTAINE-BLEAU


Merveilleuses grandeurs, superbes Edifices,
Vaste et pompeux séjour de cent Divinitez,
D’où vient que dans le sein de vos bois escartez
Je ne voy plus fleurir l’Empire des délices ?

Ces desers innocens se rendent ils complices
Du Destin qui s’oppose à mes félicitez ?
Et ce doux Paradis de mes yeux enchantez,
N’est-il plus pour mon cœur qu’un enfer de supplices ?

Nymphes de ces forests, Nymphes de ces ruisseaux.
Je visite vos bois, je visite vos eaux.
Mais je n’y trouve plus et mon Prince et mon Maistre.

Puisque je perds ma gloire et mon contentement.
Beaux lieux, je veux mourir où mon Roy voulut naistre.
Et veut d’un beau Palais faire un beau monument.


Monument, dans le langage de l’époque, a la force de : monument funéraire, tombeau. Il est heureux toutefois que le Génie familier de ces bois, de ces eaux, de ces palais, ait pu prendre sur lui de survivre à une simple absence de Louis-le-Juste !

Colletet vint à Fontainebleau. Il serait imprudent d’ajouter qu’il s’y plut extrêmement. Colletet était un bon homme peu au fait des belles manières qui ne cachent que perfides sentiments, un brave bourgeois de Paris que la Cour effarouchait. Il n’avait nulle confiance en cette eau, brillante à la surface, trouble au fond, et peu sûre. Et puis, lui qui eut la manie d’épouser toutes ses servantes, il ne devait pas goûter le langage alliciant et décevant des Duchesses. Il met quelque mauvaise humeur à nous avouer ces sentiments divers et ces inavoués malaises en un second Sonnet que nous offre un nouveau recueil : Poésies Diverses de Monsieur Colletet — Paris, Chamhoudry, 1656, in-12.


LES SERAINES DE FONTAINEBLEAU.


Je suis dans un désert pompeux, et magnifique,
Où les Dieux sont mortels, où les peuples sont Roys,
Où l’on void des rochers, des fontaines, des bois,
Et des Divinitez qui n’ont rien de rustique.

Mais quoy que pour flaUer le Soucy qui me pique
D’estre loin de Cloris dont j’adore les loix,
J’oye un concert de luths, j’oye un concert de voix,
Parroy tant de plaisirs je suis mélancolique.

Je voy si peu d’amour, et si peu de bonté,
Que je puis bien ailleurs chercher la volupté
Et l’adoucissement de ma fatale peine.

Fuyons donc un escueil si traistre et si meschaut,
Et nommons cette Cour une lasche Seraine,
Puisqu’elle en a l’humeur, aussy bien que le chant.


Ces mots de « Sirènes de Fontainebleau » m’inquiètent au passage. Déjà Ronsard a fait parler deux Sereines sur le Canal du jardin de Fontainebleau (qui n’est pas le Canal actuel, creusé seulement par Henri IV). Y avait-il, dans quelque coin des parcs, ou près des pièces d’eau, des figures de femmes à queue de poisson qui aient suscité à Ronsard l’idée de les mettre en scène, qui aient fourni à Colletet la velléité de son point de comparaison ? Je ne puis trouver, nulle part, rien de semblable. On en sait cependant quelques-unes peintes dans diverses salles : il y en avait au vingt-sixième des cinquante-huit tableaux racontant l’Odyssée, qui ornaient la Galerie d’Ulysse ; c’étaient des fresques du Primatice, détruites par Louis XV ; et l’abbé Guilbert montre dans la chambre de saint Louis les trois Acheloïdes qui furent métamorphosées en oiseaux. Mais je crois que c’est tout.


Quoi qu’il en soit de cela, — si Ronsard, pour trop se plaire à la Cour, n’allait guère rêver sous les grands arbres, Colletet, pour trop s’y déplaire, n’y va pas non plus.


Et c’est dommage ! D’ordinaire la Forêt ne lui réussissait point si mal :


Vaste et sombre Forest, de qui le haut feuillage
Va chercher le Soleil qu’il aime, et qu’il détruit…


n’est-ce point là un jeu de lumière et d’ombre subtilement rendu ? Ailleurs :


Dans le sein ténébreux d’une Forest profonde,
Pour modérer l’excez de mon embrasement,
J’iuYoquois du Zéphyr l’aimable mouvement
Qui rafraischit des Bois la cime vagabonde…


On cite tant la cime indéterminée des forêts… Pourquoi, sans diminuer la gloire d’un grand Prosateur, n’en pas distraire une minime parcelle en faveur d’un moyen Poëte ? Il dit encore :


Toy qui chéris l’horreur de ce bois escarté,
Le Palais ombrageux de mille belles Fées,
Qui dancent d’un pied libre, et toutes décoiffées.
Quand les rais du Croissant percent l’obscurité…


J’ai transcrit ces vers — non que je veuille en aucune façon insinuer qu’ils furent inspirés par notre Forêt — uniquement pour rehausser l’estime que l’on doit faire de Colletet.



Les œuvres de Guillaume Colletet n’ont pas été rassemblées. Elles comportent cinq ou six volumes de vers dont le moindre est fort difficile à trouver et, trouvé, cause des joies au chercheur, — puis plusieurs pièces volantes qui sont plus rares encore.

L’une de celles-ci, dont j’ignorais même, si je l’avoue, l’existence, m’est venue sous les yeux, un peu tard, — et mérite description. C’est une sorte de grand placard in-folio, imprimé d’un seul côté, que l’on a dû découper de façon à en former une plaquette de quatre feuillets aux versos blancs.

Le feuillet de tête contient un Sonnet offert à Monseigneur le comte de Servient, Surintendant des finances et ministre d’Estat. Remerciement de quelque libéralité, reproduit d’ailleurs dans d’autres livres du poëte. Ce comte n’est que le borgne Abel Servien, interpellé ici d’épithètes flatteuses : Monseigneur Servian,… Incomparable Abel,… Abel, illustre Abel !…


Au second feuillet, il y a trois sixains, après cette rubrique :


Sur la grotte de Meudon ruinée

et sur son antique inscription
Qvieti, et Mvsis Henrici secvndi.
Au repos, et aux Muses de Henry second.

Stances,


Et les Stances sont suivies d’une Epigramme de six vers, sur le même sujet ou, du moins, dans le même esprit.


En bas, à gauche, cette date : 1654 ; à droite, cette signature : G. Colletet.


Mais voici ce qui nous intéresse.


Le troisième feuillet s’ouvre par ce lapidaire ex voto :


OVALIS AVLA

Fontis-Bellæaquæ
facta est
OVANS AVLA
præ sua lætitia lautitia
propter sanitatem régis.
La Cour de L’OVALE
de Fontainebleau
Toute en ioye pour la santé

du Roy.


On voit que la traduction est plus simple que le texte. Elle ne rend pas le jeu de mots latin : La Cour de L’OVALE est devenue la Cour de L’OVATION… Elle renonce aussi, par impuissance sans doute, à l’effet d’allitération : lœtitia lautitia ; l’un de ces vocables assez mal accollés signifiant liesse, l’autre quelque chose comme expansion.


Hélas ! ce titre, en double expédition, recommande peu des vers qui auraient cependant un bon besoin de tel secours :


Comme après ying trois ans d’un Dauphin la Naissance
Mit la joye par tout dont j’ay bien cognoissance :
Ainsi pour d’un grand Roy l’entière guerison,
De nous bien resjouyr n’avon nous pas raison ?

Les membres sont bien mal quand le Chef est malade,
Phœbus attriste tout quand sa splendeur est fade,
Mais si vif est le Chef, si vif est le Soleil,
Et le Corps et le tout sent un effect pareil.

Sus donc, Fontainebleau, délices de la France,
Re » jouyssons nous tous pour telle recouvrance.
De la santé du Chef de la santé du Roy,
Qui met tous tes sujets ses membres hors d’effroy.

Que tous les violons leurs dessus et leurs basses,
Résonnent pour cela des airs à milliasses.
Vous jeunesse dansez, nous vieillesse beuvons.
Et beuvons bien des fois au Roy que nous avons.

Le Roy que nous avons, c’est Louys quatorziesme.
Le plus grand Roy du monde, en Majesté supresme,
Roy supresme en valeur, Roy supresme en bonté.
Aoy Sacré, mais de plus en très-bonne santé.

Benissons en le Ciel puisqu’il l’a redonnée.
Le prians qu’elle soit long-temps continuée.
Suivie de beaux jours, d’un mariage heureux,
Et de gloire et de paix et d’un peuple amoureux.


Il vaut mieux envisager ces semblants de stances à un point de vue autre que littéraire. Louis XIV naquit à Saint-Germain-en-Laye le 5 septembre 1638, la vingt-troisième année du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, en effet ; et en 1654 le Roi suprême allait sur ses seize ans. Mais il ne passa au Château que quelques jours des premières semaines de mai. C’est en octobre 1655, au cours d’une plus longue résidence à Fontainebleau, qu’il y tomba malade. Loret le note en ces rimes, qui ne jurent pas à côté de celles de Colletet.


Une fiévre, à nos vœux contraire,
Audacieuze et téméraire.
Dans le sang du Roy se glissa
Depuis cinq ou six jours en ça.
Mais deux ou trois coups de lancette
Ont fait driller cette indiscrette.
Valot, Médecin sçavant.
Tâche encor mieux qu’auparavant
D’exercer ta noble science,
À conserver FAdolescence
Du plus illustre des Humains,
Nous t’en prions, à jointes mains.


À la fin du mois Loret put revoir, à Paris, le monarque et admirer selon son souhait


Un Roy si haut et si bien-fait,
Lequel n’avoit plus marque aucune
De cette langueur importune,
Qui dix ou douze jours tout-franc,
Avoit altéré son beau sang.


Le chiffre 1654 est donc sans valeur ou n’en a que pour les vers sur la Grotte de Meudon. Et ceci n’est nullement étrange, car un autre opuscule, tout à fait analogue, de Colletet : Aux nobles Chasseurs, à Saint Hubert… présente la même anomalie de trois années distinctes, 1654, 1653, 1651, pour quatre sonnets. Il n’y faut pas voir des dates d’édition.


Arrivons au dernier feuillet. Il débute par douze vers Sur le beau chasteau de Medon.


Allez Messieurs allez au chasteau de Medon
Voir le Sur-intendant et sa belle maison…


Mais vient après :


Le beau Medon
rabattu par l’incomparable Fontainebleau.


Bien autre que Medon paroit Fontainebleau
Bien sans comparaison plus charmant et plus beau,
Fontainebleau vraiment est bien une autre chose,
Comme au prix d’un chardon est une belle rose,
Plustost comme la perle, ou bien le Diamant,
Au prix de quelque strin d’un villageois Amant.
Chantez Fontainebleau merveille des merveilles
De tout cet Univers vos beautez nompareilles.
Vos délicieux Jardins, vos grands pins si bien faits.
Vos Cours vos Pavillons, vos enchantez Palais,
Voslre aymable séjour vos belles galeries,
Vos salles vos billards et vos galanteries,

Vos estangs poissonneux vos riches ornemens
Vostre parc spacieux et tant d’appartemens,
Vos argentines Eaux et vos belles fontaines,
Vostre grande forest ou Cerfs sont à centaines
Enfin tant de plaisirs et tant de passe-temps,
Que prend chez vous la Cour font dire de tout temps.
De mesme qu’est le Roy le plus grand Roy du monde,
De mesme aussi vrayment qu’est la Cour sans seconde,
Asseurement aussi que c’est Fontainebleau
De tous les beaux séjours le séjour le plus beau
Si Medon fait songer au Paradis Terrestre,
Certe à Fontainebleau presqu’au Ciel on semble estre.


Les exécrables vers ! Pour l’honneur de Colletet, on voudrait qu’ils ne fussent pas de lui. Mais il n’y a guère dapparence. Tout au moins l’imprimé offre tant de défectuosités, des fautes d’orthographe, des absences de ponctuation telles qu’elles rendent à peu près incompréhensible le second morceau, — qu’on peut croire que tout cela a été défiguré, infidèlement reproduit sur une mauvaise copie, et que des parties même ont été refaites, malencontreusement. Ce serait de ces publications frauduleuses et fautives dont les auteurs de l’époque se plaignent si souvent.