À l’heure des mains jointes (1906)/Psappha revit


PSAPPHA REVIT


La lune se levait autrefois à Lesbos
Sur le verger nocturne où veillaient les amantes.
L’amour rassasié montait des eaux dormantes
Et sanglotait au cœur profond du sarbitos.

Psappha ceignait son front d’auguste violettes
Et célébrait l’Érôs qui s’abat comme un vent
Sur les chênes… Atthis l’écoutait en rêvant,
Et la torche avivait l’éclat des bandelettes.


Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d’or…
Les vierges enseignaient aux belles étrangères
Combien l’ombre est propice aux caresses légères,
Et le ciel et la mer déployaient leur décor.

… Certaines d’entre nous ont conservé les rites
De ce brûlant Lesbos doré comme un autel.
Nous savons que l’amour est puissant et cruel,
Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites.

Nos corps sont pour leur corps un fraternel miroir.
Nos compagnes, aux seins de neige printanière,
Savent de quelle étrange et suave manière
Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir.

Nous adorons avec des candeurs infinies,
En l’émerveillement d’un enfant étonné
À qui l’or éternel des mondes fut donné…
Psappha revit, par la vertu des harmonies.


Nous savons effleurer d’un baiser de velours,
Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes ;
Nos caresses sont nos mélodieux poèmes…
Notre amour est plus grand que toutes les amours.

Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes
Rêveuses sous un ciel illuminé d’argent :
« Ô belles, envers vous mon cœur n’est point changeant… »
Celles que nous aimons ont méprisé les hommes.

Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs,
Nos doigts ne froissent point le duvet d’une joue,
Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue,
Être tout à la fois des amants et des sœurs.

Le désir est en nous moins fort que la tendresse.
Et cependant l’amour d’une enfant nous dompta
Selon la volonté de l’âpre Aphrodita,
Et chacune de nous demeure sa prêtresse.


Psappha revit et règne en nos corps frémissants ;
Comme elle, nous avons écouté la sirène,
Comme elle encore, nous avons l’âme sereine,
Nous qui n’entendons point l’insulte des passants.

Ferventes, nous prions : « Que la nuit soit doublée
Pour nous dont le baiser craint l’aurore, pour nous
Dont l’Érôs mortel a délié les genoux,
Qui sommes une chair éblouie et troublée… »

Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir,
Puisque c’est l’infini que nous aimons en elles…
Et puisque leurs baisers nous rendent éternelles,
Nous ne redoutons point l’oubli dans l’Hadès noir.

Ainsi, nous les chantons, l’âme sonore et pleine.
Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords,
Se déroulent, ainsi que de larges accords,
Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène.