Proverbes dramatiques/Le Diamant
Explication du Proverbe :
LE DIAMANT.
PERSONNAGES
Scène premiere.
Matemoiselle Henriette, parle-vous un peu à moi.
Ah, c’est vous, Monsieur Ikaël ?
Oui, Matemoiselle, j’ai tonne pien à vous le pon chour.
Qu’est-ce qui vous fait venir ici, aujourd’hui ? avez-vous quelque chose de nouveau à vendre ?
Oh, j’ai un marché, c’est pour rien ; c’est plus que un ponheur pour celle qui l’aura.
Qu’est-ce que c’est donc ?
C’est un tiamant qui vaut touze mille francs, & que l’on tonne pour… je vous tis pour rien.
Voyons ?
Tenez, regartez avec ces yeux dont vous êtes connoissante. Il lui donne une bague.
C’est une bague ?
Oui, justement, vous connoissez fort pon, sur la moment.
Elle est belle ; mais le prix fait tout.
C’est un fort pel eau, avec la feu qu’il jette, c’est un grand éclair.
Et combien voulez-vous le vendre ?
C’est un prix te touze mille francs qu’il faut.
Douze mille francs !
Il coûte cela, & je tonne moi, parce que c’est un tame qui a pesoin t’argent, pour moitié.
Six mille francs.
Oui, justement, six mille francs, je porte à vous, pour faire voir à Matame te Gercourt.
Attendez ; elle va venir, vous lui parlerez.
Je veux pien. Je donne aussi à vous Matemoiselle, si je fends ici.
Tenez, je l’entends. Elle lui rend la bague.
Scène II.
Qu’est-ce que c’est que cet homme-là, Mademoiselle ?
C’est Monsieur Ikaël, Madame.
Ah, oui, c’est vrai. Qu’est-ce qu’il veut ? Elle s’assied.
Matame, je marche ici pour fous faire un service fort peau.
Tenez, Madame, c’est un diamant admirable, voyez !
Un diamant ? non, je ne veux pas le voir.
Mais, Matame, le vue, il coûte rien, regarde un peu seulement, comme il prille. Il donne la bague.
Il n’est pas vilain. Elle le regarde avec attention. Mademoiselle, mon diamant du milieu n’est-il pas plus beau que cela ?
Non, vraiment.
Mais vous avez raison, il jette beaucoup de feu !
C’est ce que j’ai vu de mieux dans ce genre-là, & il n’est pas cher.
Non, il est pour un morceau de pain.
Mais c’est que j’en rafolle ! réellement cela feroit un effet !… je ne le garderois pas en bague.
Dites donc à Madame.
S’il faut parler en conscience, je dis à l’heure même. Il vaut touze mille francs ; on n’auroit pas un pareil pour ste prix, je jure.
Douze mille francs ! c’est beaucoup d’argent. Je ne veux plus le voir. Elle le regarde toujours.
Mais dites donc à Madame le dernier mot, Monsieur Ikaël.
Non, je n’en veux plus entendre parler.
Matame, je tis encore un parole, il faut touze mille francs, comme j’ai tit ; mais je tonne à Matame pour six mille ; parce que c’est un personne dont l’affaire est embarrassée ; c’est un Tame qui a joué & qui pesoin d’argent.
Six mille francs : combien cela fait-il de louis ?
Justement teux cent cinquante, comme cela il est vrai.
Deux cent cinquante louis ? Mademoiselle ; cela n’est pas cher, n’est ce pas ?
Non. vraiment, & vous trouveriez bien à vous en défaire à ce prix-là.
Il me fait un plaisir !… que je ne peux pas dire.
Oui, il est fort plaisantement agréable ; Matame, il a raison.
Eh bien, Madame, il faut l’acheter.
Mais, je n’ai pas d’argent, & je n’ai rien à vendre.
Si vous n’avez point d’argent, tonne-moi autre chose, je brend sur la pon prix.
Que je suis malheureuse !
Mais si Monsieur vouloit…
Mon mari ! oui ; c’est bien à lui qu’il faut s’adresser. Allons, reprend ton diamant, je ne veux plus le voir. Elle rend la bague.
Mais il a grand tort, il trouvera jamais un pareil, Matame.
Allons, va-t’en ; cela me donne une humeur épouventable.
Monsieur Ikaël, attendez un moment.
Je reste toujours, encore.
Madame, il me vient une idée ; Monsieur le Comte de Tourmont vous prêteroit bien six mille francs, peut-être ?
Lui ?
Pourquoi pas ? vous lui rendrez quand vous voudrez.
Il est vrai que le Comte… Henriette, tu as bien de l’esprit, au moins.
Madame, c’est mon zele pour vous qui me fait imaginer cela ; ce marché est unique & je ne voudrais pas vous le voir manquer.
Mais c’est que le Comte… Crois-tu qu’il le veuille ?
Sûrement, il n’y a pas assez long-temps qu’il vous connoît pour qu’il ne saisisse pas cette occasion de vous faire plaisir. Et puis Madame lui fera vouloir.
Je lui ferai vouloir ? mais c’est que je ne l’aime pas trop.
Qu’est-ce que cela fait ? vous n’en aimez pas d’autre mieux que lui, à présent.
Non… Écoutes. Tu as raison ; il va sûrement arriver, & je lui ferai une querelle…
J’entends, & le raccommodement se fera par la bague.
Non, je ne veux pas qu’il me la donne.
Sans doute ; mais il vous prêtera l’argent qu’il faut pour l’acheter.
C’est cela même.
Ah ! j’entends un carrosse. Elle va voir à la fenêtre. C’est lui qui arrive. Je vais faire cacher le Juif dans l’anti-chambre, & je reviendrai. Vous me direz quand il faudra le faire entrer.
Oui, c’est fort bien. Henriette emmene le Juif.
Scène III.
Monsieur le Comte de Tourmont.
Quoi ! c’est vous Monsieur le Comte ! Elle se leve.
Que faites-vous donc, Madame ? mais qu’avez-vous, vous me paroissez bien abbatue ?
Je n’ai rien, Monsieur. Mais comment êtes-vous ici aujourd’hui ?
Eh, Madame ! où puis-je être mieux ? si vous saviez avec quelle impatience j’attends le moment de vous voir…
Moi ? celui-là est merveilleux ! je vous jure que je ne m’y attendois pas.
Que voulez-vous donc dite, Madame ? vous me désespérez, réellement.
Voilà, par exemple, ce que je ne saurois croire ; tenez, soyez vrai. Je ne trouve pas que vous ayez tort, vous avez pu penser que je vous aimerois…
Comment ! me serois-je abusé ? vous me faites trembler.
Non, Monsieur, je ne vous fais pas trembler. Laissez-moi dire. Je crois que j’ai pu vous paraître aimable ; mais à la longue, on ne paroît pas toujours la même, il y a tant de femmes qui ont l’art de plaire, qu’il n’est pas difficile d’en trouver qui puissent vous paroître mieux que moi.
Je ne comprends pas…
Cela n’est pas difficile cependant ; quand j’aime, à peine l’exprimai-je, j’ai une façon d’être toute particuliere ; les hommes aiment les femmes vives, je ne le suis pas, ce n’est pas votre faute. Vous trouvez mieux, cela est tout simple.
Mieux, mieux ! mais Madame…
Non, je vous dis vrai, la Présidente vous convient, & si j’étois homme, je sens que je l’aimerois.
La Présidente ! à peine lui ai-je parlé jamais.
Quoi ! hier, pendant le souper, pouvez-vous nier ?
Je ne nie pas qu’elle m’a demandé quand j’irois à Versailles, & que je lui ai répondu que je n’en savois rien.
Mais en répondant cela, on ne regarde pas une femme jusques dans le fond de l’ame, & on ne l’attend pas pour lui donner la main après le souper, quand on n’a pas autre chose à lui dire. Je ne suis pas jalouse au moins, n’allez pas le croire, ce n’est pas un reproche.
Vous seriez bien fâchée que je le crusse ; tant je vous suis indifférent.
Indifférent, non, j’ai de l’amitié pour vous.
Ah, Madame ! cessez ce ton, vous m’accablez, vous me désespérez ; je ne vois que vous au monde, capable de m’attacher, je ne veux vivre que pour vous.
On dit toujours cela.
On peut le dire ; mais on ne le sent pas comme je le sens, & je jure que jamais…
Pourquoi cet empressement pour la Présidente ; car, si vous voulez que je vous l’avoue, cela m’a véritablement fâchée ; une femme qu’à peine vous connoissez.
Eh, Madame ! pourquoi ne me l’avoir pas dit ? je n’ai même rien lu dans vos yeux qui me l’annonçât.
Parce que je voulois…
Scène IV.
Madame a sonné, je crois ?
Non, Mademoiselle. Eh bien, pourquoi donc laisser entrer cet homme-là ?
Monsieur Comte, si vous êtes ami de Matame ; c’est un marché d’or.
Qu’est-ce que c’est ?
Allons, je n’en veux point. Mademoiselle, je vous en prie, faites-le sortir.
Mais, Madame, que Monsieur le Comte juge.
Oui, Monsieur Comte, c’est un tiamant qui n’a pas sa pareil dans tout la monde entier.
Un diamant ? voyons.
Non, ne regardez pas cela, d’ailleurs je n’en ai que faire.
Il est fort beau ! combien veux-tu le vendre ?
Je tirai à Monsieur Comte, il me connoît pien. A Metz, Monsieur Comte, vous savez pien que j’étois connu dans le Régiment ?
Allons, finis.
Monsieur Comte, je dtis ste tiamant, il vaut touze mille francs ; comme je suis moi, un Juif. Eh pien, je tonne à Matame, pour six mille francs.
Six mille francs.
Oui, pas plus.
Je n’en ai que faire.
Est-ce un bon marché, réellement ?
Oui, vraiment, très-bon.
Pourquoi donc ne le prenez-vous pas, Madame ?
Parce que j’en ai assez d’autres.
Je crois deviner. Le trouvez-vous beau ?
Mais je ne l’ai pas trop vu, je ne veux pas être tentée.
Regardez-le : il me paroît très-brillant, & s’il vous convient, il n’y a pas à hésiter.
Il est très-agréable… mais…
Vous n’avez pas d’argent, peut-être ?
Non, je n’en veux point, absolument.
Mais si c’est cela, il ne faut pas laisser échapper cette occasion-ci.
Oh, c’est un pon occasion.
Je me charge de le payer, & vous me le rendrez, quand vous voudrez.
Non, je ne veux pas devoir absolument.
A moi, sans doute ; car qu’est ce qui ne doit pas ?
A vous, ni à personne, que pour des choses indispensables.
Prenez-le toujours : si vous vous en dégoûtez, vous me le rendrez, ou vous me le payerez : vous ferez ce qu’il vous plaira. Toi, Ikaël, attends-moi là-dedans. Je te donnerai ton argent chez moi, où je vais retourner.
Matame, il garde tonc la bague ?
Oui, oui, puisque le Comte le veut. En vérité, Monsieur le Comte, je ne sais pas encore quand je pourrai vous rendre cet argent-là, il faudra que nous prenions des arrangemens.
Je ferai tout ce qu’il vous plaira.
Monsieur Comte, Matame, Matemoiselle, je suis pien pour vous servir.
Attends-moi.
Ah, Monsieur Comte, je suis pas pressé.
Scène V.
Il est véritablement très-beau ce diamant-là, & je crois avoir fait un très-bon marché ; mais, Comte, je crains que cela ne vous dérange.
Moi, Madame, je vous jure que non ; n’ayez donc pas cette crainte-là.
Mademoiselle, ne le trouvez-vous pas beau ?
Oui, Madame, & je suis bien aise que vous l’ayez acheté.
Ah, mon Dieu ! mais je n’y pensois pas ; me voilà dans le plus grand embarras, c’est comme si je ne l’avois pas, ce diamant.
Et pourquoi ?
Parce que je n’en pourrai pas faire usage, je ne pourrai pas le porter.
Comment ?
Mon mari connoît tous mes diamans, & il sait bien qu’il ne me donne pas assez pour que je puisse acheter quelque chose de ce prix-là.
Votre réflexion est embarrassante.
Je suis désespérée. Il faut que je m’en détache absolument, & que le Juif le reprenne.
Madame, il me vient une idée admirable ! il faut que le Juif le reprenne, oui : écoutez, écoutez ; c’est délicieux !
Dires donc ?.
Ikaël le portera à votre mari, il lui donnera pour cent louis, le bon marché le tentera, & il l’achetera pour vous le donner.
Oui, votre idée est plaisante, & je gagnerai même à cela cent louis, que je vous devrai de moins.
Mademoiselle Henriette, faites entrer le Juif.
En vérité, Comte, vous êtes ravissant ! je n’aurois jamais eu l’esprit d’inventer cela.
Croyez-vous encore à la Présidente ?
Allons, ne parlons plus d’elle.
Je vais donc faire entrer le Juif ?
Oui, oui.
Monsieur Ikaël ?
Scène VI.
Ikaël, écoute bien ce que je te vais dire.
Oui, Monsieur Comte.
Voilà la bague, qu’il faut que tu reprennes…
Quoi, Matame, il ne veut plus ; c’est un grand tort, il est un fort pon marché, pour véritablement.
Ce n’est pas cela. Il faut que tu la donne à Monsieur de Gercourt, le mari de Madame, pour cent louis.
Ah, Monsieur Comte, je peux pas moins de six mille francs, en conscience, c’est comme je tis.
On te la payera toujours six mille francs ; mais tu la donneras à Monsieur de Gercourt, pour cent louis…
Mais, Monsieur Comte, il fait un plaisanterie ; cent louis, il fait pas six mille francs.
Non, mais cela fait deux mille quatre cents livres.
Hé pien, Monsieur Comte, sous soyez pien que je ne peux pas pour teux mille quatre cents livres.
Non ; mais je te donnerai trois mille six cents livres, moi, pour le reste du payement.
Ah, je comprends fort rien, vous achetez à vous deux, vous, Monsieur Comte, & Monsieur Gercourt encore.
Oui ; c’est cela.
Mais il ne faut pas qu’il aille dire à mon mari, que vous payerez le reste.
Il faut pas ?
Non, vraiment. Tiens, Henriette te mènera chez lui, ou bien où il sera. Et tu lui diras que cette bague est à vendre pour six mille francs. S’il n’en veut pas pour ce prix-là, tu diminueras jusqu’à cent louis. Pour lors, il la prendra, il te donnera cent louis, & je te donnerai le reste.
Je comprends fort pon ; c’est pour lui faire croire encore un plus pon marché que six mille francs.
Oui ; à tu ne lui parleras pas de moi, ni de Madame.
Oh, laissez faire, je suis assuré à présent avec la tiamant. Où faut-il porter ?
Henriette te le dira, & quand il en sera temps.
Ah, pon, pon.
Madame, je crois que voilà Monsieur.
Mon carrosse doit être au bout du jardin, sur le rempart ?
C’est Monsieur, lui-même.
Hé bien, je m’en vais. Reste ici, il ne saura pas que je serai sortie, il y viendra sûrement. Venez Comte.
Scène VII.
Où est Madame de Gercourt, Mademoiselle ? je la croyois ici.
Monsieur, elle vient de sortir dans l’instant par la porte du rempart.
Et reviendra-t-elle souper ?
Oui, Monsieur, car elle se plaignoit encore ce matin, qu’elle ne vous voyoit presque plus.
Oui, je crois que c’est bien là ce qui l’occupe. Je souperai pourtant ici aujourd’hui.
Cela lui fera grand plaisir.
Mademoiselle… auriez-vous une écritoire ?
Oui, Monsieur, en voilà une.
Mais cela n’écrit non plus ?… c’est bien là une écritoire de femmes ! je vous en prie, dites qu’on me fasse venir mon Caissier, ou Monsieur le Noir ; c’est égal.
Monsieur, ils n’y sont pas.
Comment, il n’y a personne au Bureau ?
Non, parce que Madame a donné sa loge de la Comédie à ces Messieurs, & ils y sont allés.
C’est bien nécessaire que des Commis aillent à la Comédie : mais je sais bien pourquoi ; c’est que cette femme-là n’a jamais le sou & qu’elle se fait avancer ses quartiers par le Caissier.
C’est bien vrai, Monsieur, qu’elle n’a pas d’argent ; si elle en avoit eu, je lui aurois fait faire aujourd’hui un bon marché ; mais je n’ai pas voulu seulement lui en parler.
Vous avez bien fait, & vous devriez, si vous lui êtes attachée, chasser tous ces petits Marchands qui viennent sans cesse, & qui sont une source de ruine pour les femmes.
C’est aussi ce que je fais toujours. Monsieur, si vous vouliez voir le marché dont je vous parle.
Je n’ai point d’argent, Mademoiselle.
Cela ne fait rien, je vais toujours vous l’aller chercher.
Cela est inutile. Henriette sort & va chercher Ikaël.
Scène VIII.
Monsieur, je suis pien pour servir à fous.
Qu’est ce que c’est ? quoi, un Juif ! pourquoi laisse-t-on entrer ces gens-là ici ?
Monsieur, c’est moi qu’il a demandé, c’est l’homme au bon marché dont je vous parlois.
Je n’en ai que faire, allons.
Si Monsieur, il fouloit regarter seulement ste tiamant.
Je te dis que non.
Monsieur, consitérez que je l’apporte ici de préférence, & que ste tiamant qui vale douze mille francs par-tout, on la tonne pour six mille.
S’il valloit douze mille francs, on ne le donneroit pas pour moitié.
Non, cela il est frai, comme il tit Monsieur, mais c’est la pesoin t’argent sur la moment, qui fait cet marché pon.
Laisse-moi en repos.
Mais, Monsieur, voyez-le.
Voyons donc. Oui, il est fort beau ; mais je n’en veux point.
Ehpien, compien, Monsieur, il veut-il tonner.
Rien.
Oh, rien, c’est un patinage, & Monsieur il n’est pas capable s’il ne regarte pas ; mais je puis encore temanter moins, si il veut examiner, je tonne pour teux cents louis.
Ah, Monsieur, deux cents louis ; c’est pour rien.
Que veux-tu que j’en fasse ?
Mais, Monsieur, pour Madame ; c’est bientôt sa fête.
Bon, elle en a assez.
Elle n’en a pas un comme cela.
Oui, Monsieur, regarte encore.
Je vois bien. Allons, pour me débarrasser, je t’en donnerai cent louis.
Ah, Monsieur, ste tiamant-là pour cent louis ! j’ai pas volé, je puis pien tire.
C’est tout ce que j’en peux donner. Allons, laisse-moi donc en repos.
Eh pien, mette cent cinquante ?
Non.
Fous ne foulez pas ?
Je te dis que non.
Eh bien, Monsieur, prentre tonc pour cent louis ; mais je puis pien assurer, que je fends jamais encore pour cet prix-là.
Ils disent toujours cela.
Je crois qu’il a raison. Quel plaisir cela va faire à Madame !
Oh, oui, tu verras. Il faudra que je lui aie encore obligation de le prendre, peut-être. Il écrit un billet.
En vérité, Monsieur, vous ne connoissez pas la bonté de son cœur.
La bonté de son cœur !… Voilà un billet pour les cent louis, tu n’as qu’à attendre que le Caissier soit revenu.
Monsieur, s’il y a encore t’autres sortes pour la service, je viens sur la moment.
Non, non je ne veux plus te voir.
Monsieur, je suis fort obligé. Il sort avec Henriette.
Scène IX.
Monsieur de Mirevault.
Mon frere ? Il se leve. Et par quelle avanture à cette heure-ci ?
Je viens vous dire une nouvelle.
Une nouvelle ?
Oui, nous marions ma fille.
Ah, ah ! asseyez-vous donc. Ils s’asseyent.
J’ai trouvé un parti qui me convient.
Tant mieux ! Est-ce le Trésorier des Etats de…
Non, non ; c’est un Colonel.
Un Colonel ?
Oui, ou du moins qui en a la promesse ; c’est un homme de grande qualité.
Diantre !
Ma fille sera présentée, & il pourroit même arriver, s’il mourroit quelques parens… vous entendez bien… qu’elle auroit le Tabouret.
Et vous & votre femme, qu’est-ce que vous auriez ?
Nous aurons, que nous marions bien notre fille.
Oui, c’est une grande affaire que vous faites-là. Et votre gendre est-il riche ?
Non, pas à présent ; mais il a les plus grandes espérances.
Enfin, vous êtes bien content.
Oui. Je voudrois voir votre femme pour lui en faire part.
Elle est sortie ; mais je me charge de lui dire. Et comment s’appelle…
Quoi ! je ne vous l’ai pas dit ?
Non, vraiment.
C’est le Marquis de Ferville : vous le connoissez.
Sûrement.
Vous voyez bien ?
Oui, c’est une très-bonne affaire.
Je suis bien aise que vous l’approuviez. Ah-ça, je m’en vais, car j’ai mille choses à acheter, des étoffes, des diamants.
Est-ce que vous vous connoissez en diamants ?
Oui, vraiment, & très-bien même.
Tenez, voyez un peu cela.
Ah, ah ! c’est fort beau !
Qu’est-ce que cela vaut ?
Mais attendez. Cela vaut douze mille francs, & au meilleur marché dix.
Vous le croyez ?
Je vous dis que je m’y connois très-bien.
Devinez combien il m’a coûté ; c’est un hasard.
Huit mille francs ?
Pas tant.
Si vous l’avez eu pour six c’est pour rien.
Il ne me coûte que cent louis.
C’est inconcevable ; car il est admirable.
Je vous dis vrai.
Pardi, vous devriez bien me le céder ; c’est un hasard unique.
Je ne le peux pas, je l’ai acheté pour Madame de Gercourt.
Elle en a tant, & vous me feriez le plus grand plaisir du monde.
Hé bien, écoutez, arrangeons nous.
Je ne demande pas mieux.
Vous l’avez estimé dix mille francs ?
Oui, est-ce que vous voulez me le vendre cela ?
Fi donc ! voici ce que je veux dire ; vous mariez ma niece, je serai obligé de lui faire un présent.
Eh bien, vous lui donnez ce diamant ?
Oui ; mais vous me rendrez mes cent louis.
Mais, vous ne lui donnerez rien par cet arrangement-là.
Je vous demande pardon, & l’excédent des cent louis ?
Cela ne se peut pas, & vous vous moquez de moi.
Non, je ne le cède qu’à cette condition.
C’est un peu vilain, ce que vous faites-là.
Vilain ou non, voyez si cela vous convient.
Allons, comme vous voudrez.
Vous me rendrez mes cent louis à votre aise, pourvu que je les aie demain avant midi.
Oui, oui. Il s’en va.
Scène X.
Et par quel hasard, Monsieur, êtes-vous établi ici ?
Je suis venu vous y chercher, j’y suis resté.
C’est bien honnête à vous. Je me plaignois tantôt, de ce que je ne vous vois jamais que des instans.
Comment donc, ceci est nouveau !
Mais, point du tout, il semble à vous entendre, que je ne vous aime pas ; vous savez bien le contraire.
Moi ? point du tout.
Oh, laissez donc là vos écritures.
Si vous voulez, je m’en irai chez moi.
C’est bien répondre à tout ce que je vous dis de tendre.
De tendre ! Sûrement ce que je fais vaut mieux que de la tendresse pour vous. Je suis occupé de recueillir quand vous ne faites que songer à répandre, à dépenser.
L’un est plus honnête que l’autre. Répondez-moi donc. N’avez-vous vu personne depuis que vous êtes rentré ?
Non. Ah ! j’ai vu mon frere. Il marie sa fille ; il est enchanté.
Je le crois.
Au Marquis de Ferville.
Au Marquis de serville ! c’est bien fait à eux : c’est ma belle-sœur qui aura fait ce mariage-là ; car c’est la plus ridicule créature avec la vanité…
Je me suis chargé de vous le dire.
A la bonne heure, comme ils voudront. Mais vous avez vu quelqu’un encore ?
Je vous dis que non.
Pour cela vous dites que vous venez me chercher, & vous êtes bien peu occupé de moi : comment voulez-vous qu’on cause avec vous, pendant que vous écrivez ? Dites-moi donc, on m’a dit que vous aviez vu quelqu’un encore.
Ah, un Juif ?
Un Juif ? Quoi vous auriez acheté quelque chose pour moi ! je vous reconnois bien là : il y a long-tems que vous ne m’aviez rien donné, & vous vous en êtes souvenu : qu’est-ce que c’est ?
J’avois acheté un diamant.
Pour moi ?
Oui.
Laissez donc cela. Hé bien, où est-il ? donnez-le-moi, il est sûrement beau ?
Oui, il est fort beau.
Voyons-le donc.
Ecoutez-moi.
Mais, que voulez-vous dire ? Voyons le diamant.
Laissez-moi vous expliquer ceci.
Mais, quelle explication faut-il ? donnez-le-moi.
Attendez ; c’est un marché admirable que j’ai fait. Mon frere l’a estimé dix mille francs.
Il doit être beau.
Oui, vraiment ; il est beau, & je ne l’ai acheté que cent louis.
Voyons-le donc.
Voici bien le meilleur ; mon frere l’a trouvé charmant, il en a eu envie.
Vous ne lui avez pas donné ?
Je n’ai pas été si sot.
Vous avez bien su tout le plaisir que vous me feriez.
Ecoutez jusqu’au bout, il vouloit que je lui cédât pour cent louis.
Mais, point du tout.
Sans doute ; voici ce que j’ai fait. J’ai dit, puisqu’il marie sa fille, je serai obligé de lui faire un présent.
Hé bien ?
Je lui ai dit : Vous trouvez qu’il vaut dix mille francs, en vous le cédant pour cent louis…
Comment ?
Voyez mon calcul ; c’est comme si je donnois à ma nièce sept mille six cents livres.
Hé bien, vous lui avez donné ?
Oui, mais il me rendra mes cent louis ; voilà ce qu’on appelle saisir l’occasion.
Allez, vous êtes odieux ; c’est une vilainie abominable !
Voilà bien comme sont les femmes ; elles n’entendent rien aux affaires.
Mais, si c’est un bon marché, pourquoi n’en aurois-je pas profité ?
Mais songez donc que c’est sept mille six cents livres que je donne, sans qu’il m’en coûte un sol.
Je songe que vous ne savez ce que c’est de rien faire qui puisse me faire plaisir ; non, Monsieur, jamais ; j’étois bien sotte de l’imaginer.
Mais…
Non, je ne veux rien entendre.
On ne peut donc jamais avoir d’agrément dans sa maison, en cherchant même à faire de son mieux. J’étois revenu ici pour souper avec vous, & je m’en vais.
Allez, allez, Monsieur, chercher à gagner sur un Juif. Voilà comme sont ces Messieurs les maris, & ils veulent qu’on les aime après cela.
Scène XI.
Eh bien, Madame, cela a-t-il bien réussi ?
Oui, Monsieur, très-bien.
Ah, j’en suis enchanté !
Oui, vous avez eu là une belle idée ! il a acheté le diamant cent louis, & il l’a cédé à son frere, pour le même prix.
Quoi ! vous ne l’avez pas ?
Non, Monsieur, non ; faut-il vous le répéter cent fois ? voilà le fruit de votre belle imagination.
Mais, Madame, j’ai cru…
Monsieur, il falloit me laisser faire ; mais vous vous croyez toujours plus d’esprit que nous.
Je suis bien loin de le penser, & je vous ai toujours trouvé supérieure en tout à tout ce que je connois.
Toutes ces fadeurs-là sont hors de saison, & vous me ferez plaisir de vous retirer.
Parlez-vous sérieusement ?
Oui, Monsieur, & très-sérieusement ; je sens que je ne vous dirois que des choses désagréables.
J’espère que demain vous ne penserez pas comme cela.
Demain, comme aujourd’hui, je ne veux plus vous revoir. Ne me suivez point, c’est un parti pris ; c’est inutile. (Elle s’en va avec Henriette).
Amour, soins, argent, rien ne peut vaincre leurs caprices, & nous avons toujours tort.
17. Les battus payent l’amende.