Proverbes dramatiques/La Queue du chien

Explication du Proverbe :

Proverbes dramatiquestome VIII (p. 95-131).


LA
QUEUE DU CHIEN.

QUATRE-VINGT-SEIZIEME PROVERBE.


PERSONNAGES.


M. DE MONTRICHARD, Bourgeois, Seigneur du village.

M. DE MALINVAL, Bourgeois, Seigneur voisin.

LA MERE BABOLEIN, Paysanne de Montrichard.

GENEVIEVE, Fille de la mere Babolein.

LA FORET, Concierge de Monsieur de Montrichard.

BLUTEAU, Garde-moulin de Monsieur de Malinval.


La Scene est à Montrichard, proche du Château.

Scène premiere.

GENEVIEVE, BLUTEAU.
(Ils courent tous deux, se rencontrent & pensent tomber.)
GENEVIEVE.

Sais-tu bien que tu as pensé me faire tomber, Bluteau ?

BLUTEAU.

Oh que nenin, j’estois bien sûr de te retenir ; mais pourquoi courois-tu si fort ?

GENEVIEVE.

Parce que je t’avions vu arriver de l’autre côté du petit bois, & que je voulions te rencontrer quand tu serois au bout, pour voir la surprise ; mais tu es arrivé trop tôt.

BLUTEAU.

Ah ! je ne croyons pas ça.

GENEVIEVE.

Tu ne le crois pas ?

BLUTEAU.

Je dis, que je ne croyons pas pouvoir arriver trop tôt auprès de toi.

GENEVIEVE.

Ah ! bon comme ça.

BLUTEAU.

Tiens, Genevieve, si tu savois en courant de chez nous ici, il me semblions que je galopions après le bonheur.

GENEVIEVE.

Et moi, je croyons aller au devant.

BLUTEAU.

Eh bien, je ne nous trompions pas, pisque nous velà ensemble.

GENEVIEVE.

C’est bien dit ; mais nous parlerons de cela après.

BLUTEAU.

Et de quoi que veux-tu donc que je parlions en attendant ?

GENEVIEVE.

De notre mariage.

BLUTEAU.

Ah bain, c’est là ce que je voulions dire.

GENEVIEVE.

Mais c’est que ma mere dit comme ça, que ça ne se fera peut être pas.

BLUTEAU.

Mais tu sais bien de quoi ce que je sommes convenu.

GENEVIEVE.

C’est que notre Seigneur d’ici…

BLUTEAU.

Monsieur de Montrichard ?

GENEVIEVE.

Oui, il ne voudra peut-être pas y consentir, & ça ne peut pas se faire sans ly, à ce que dit ma mère.

BLUTEAU.

S’il ne tient qu’à ça, je le prierons de la nôce ; moi j’en ai déjà prié le Seigneur de cheux nous, & il va venir ici pour ly en toucher une parole ; il est son ancien ami, Monsieur de Malinval.

GENEVIEVE.

Il t’a promis de parler pour nous ?

BLUTEAU.

Sûrement, & pis y ne sont ni nos parents, ni nos amis, au bout du compte, y ne sont que nos maîtres ; & cet autre Monsieur que vous avez ici au château qui est là… comment que ça s’appelle ?

GENEVIEVE.

Le concierge ?

BLUTEAU.

Oui, velà ce que c’est.

GENEVIEVE.

Il s’appelle Monsieur de la Forêt, il aimoit bain défunt mon pere, il parlera aussi.

BLUTEAU.

Allons, c’est bon, le velà justement qui venont par ici.

GENEVIEVE.

Monsieur de la Forêt ?

BLUTEAU.

Oui, regarde.

GENEVIEVE.

Ah ! c’est vrai.

Séparateur

Scène II.

GENEVIEVE, LA FORET, BLUTEAU.
LA FORET.

Bon jour, mes enfants ; eh bien, comment va l’amour ? vous me paroissez tristes.

BLUTEAU.

L’amour va bain, Monsieur de la Forêt, mais le mariage n’avance pas, & Genevieve craint qu’il ne soit embourbé.

LA FORET.

Est-ce que Monsieur de Malinval n’arrive pas ?

BLUTEAU.

Oh, je me fions à sa parole, il va venir.

LA FORET.

Eh bien, c’est bon. Ne vous aime-t-il pas ?

BLUTEAU.

Oui, car il m’a dit comme ça que si je faisions un bon ménage, il en seroit fort aise. Vous voyez bien qu’il compte que je serons mariés.

LA FORET.

Cela n’est pas douteux. Et votre mere, où est-elle, Genevieve ?

GENEVIEVE.

Elle est allé à la commune voir si l’on a bain soin de not vache ; car elle l’aime presque autant que moi, Monsieur de la Forêt.

LA FORET.

Et elle viendra ici ?

GENEVIEVE.

Voilà ce que je craignons.

LA FORET.

Comment ?

GENEVIEVE.

Dame, c’est que quand elle parlera, ça gâtera peut-être tout.

LA FORET.

Laissez, laissez nous faire, qu’elle ne dise rien que Monsieur de Malinval n’ait parlé à Monsieur de Montrichard.

BLUTEAU.

Ils sont bain bons amis, à ce que l’on dit.

LA FORET.

Ils se connoissent depuis long-temps, ils se sont toujours fait quelques tours, & ils se moquent toujours l’un de l’autre.

BLUTEAU.

Eh bain, voilà ce que j’appelle de l’amitié ; an ne se moque jamais de quelqu’un qu’on n’aime pas. On ne se moque que pour rire, & non pas pour se fâcher.

GENEVIEVE.

Il a raison Bluteau, n’est-ce pas, Monsieur de la Forêt ?

LA FORET.

Oui, oui, Genevieve.

BLUTEAU.

Ah ! velà Monsieur de Malinval.

LA FORET.

Eh bien, laissez moi avec lui, je vais savoir s’il a de bonnes intentions pour vous, & vous reviendrez avec votre mere, Genevieve, vous entendez ?

GENEVIEVE.

Oui, oui, Monsieur de la Forêt.

Séparateur

Scène III.

M. DE MALINVAL, LA FORET.
M. DE MALINVAL.

Voilà donc nos amoureux qui s’en vont ensemble ; sont-ils contents au moins ?

LA FORET.

Il me paroît qu’ils espérent que vous parlerez pour eux.

M. DE MALINVAL.

Je l’ai promis, & puis j’aime Bluteau. Mon meunier, parce qu’il est trop riche, commence à faire l’insolent ; à la fin de son bail je le renverrai.

LA FORET.

Et vous donnerez votre moulin à Bluteau ?

M. DE MALINVAL.

Voilà ce que je compte faire.

LA FORET.

Il faudra le dire à notre Monsieur ; car la mere Babolein craint qu’il ne veuille pas que sa fille se marie.

M. DE MALINVAL.

Les vieilles gens ont toujours peur, & ils veulent toujours se plaindre. Est-il chez lui Montrichard ?

LA FORET.

Non, il est ici près à faire enclore plusieurs arpents qu’il vient d’acheter.

M. DE MALINVAL.

Il est donc toujours agriculteur ?

LA FORET.

Plus que jamais. Croyez-vous que depuis trois mois que vous ne l’avez vu il aura changé ?

M. DE MALINVAL.

Je ne le trouve plus si gai qu’il étoit.

LA FORET.

Il fait pourtant toujours les mêmes choses, je ne sais pas pourquoi.

M. DE MALINVAL.

Nous nous sommes faits de bons tours, n’est ce pas, la Forêt ?

LA FORET.

Oui, cela n’alloit pas mal, celui de il y a deux ans sur-tout.

M. DE MALINVAL.

Ah ! de son chien Loulou ? il m’en a coûté dix louis ; mais je le méritois bien.

LA FORET.

Vous le méritiez ?

M. DE MALINVAL.

Oui, il l’a su, je crois, voilà pourquoi nous avons parié.

LA FORET.

J’étois allé à mon pays dans ce temps-là, je n’ai pas su tout cela.

M. DE MALINVAL.

Tu ne sais pas que Madame de Marisin, qui demeure ici tout près, nous avoit donné à chacun un petit chien Loup ?

LA FORET.

Pardonnez moi.

M. DE MALINVAL.

Il vint en fantaisie à Montrichard de parier contre moi que son chien auroit la queue plus belle que le mien.

LA FORET.

Quelle idée !

M. DE MALINVAL.

Je m’informai de ce que je pourrois faire pour empêcher le poil de la queue du sien de grandir, & je la fis frotter avec une drogue qu’on me donna, ensuite je lui offris de parier dix louis que la queue du mien seroit plus belle.

LA FORET.

Cela n’étoit pas de bonne foi.

M. DE MALINVAL.

On me dit que le poil tomboit, & je m’en allai passer deux mois à Paris.

LA FORET.

Lorsque vous revîntes, la queue de Loulou étoit superbe ?

M. DE MALINVAL.

Je ne pus disconvenir au moins qu’elle etoit plus belle que celle du mien.

LA FORET.

Oh ! le tour de notre Monsieur valoit bien le vôtre.

M. DE MALINVAL, à part.

Le tour !

LA FORET.

J’en ai bien ri toujours, quand on m’a conté cela à mon retour. Ah, ah, ah, ah ! je ne peux pas m’empêcher d’en rire encore ; pardonnez le moi. Il rit.

M. DE MALINVAL.

J’en ris moi-même aussi quand j’y pense. (à part.) Tachons de savoir (haut.) Cette idée étoit fort bonne.

LA FORET.

Oui ; mais le pari une fois gagné, je ne vois pas pourquoi il a continué de faire toujours la même chose ; c’est moi qui en ai la peine, & c’est à recommencer quelquefois deux ou trois fois par jour, & depuis un an & demi que j’en suis chargé, je m’en ennuie.

M. DE MALINVAL.

Cela est un peu long.

LA FORET.

Je ne sais pas où va se fourrer ce diable de chien, on ne peut pas le lâcher que sa queue ne soit perdue, il faut lui en remettre une tout de suite.

M. DE MALINVAL.

Oui. Il faut que vous en ayiez beaucoup de toutes prêtes ? Vous les faites avec de la…

LA FORET.

De la filasse ; j’en ai plein ma chambre : quand je n’ai rien à faire, c’est à quoi je m’amuse, & personne n’en sait rien que vous & moi.

M. DE MALINVAL.

Je l’ai su tout de suite.

LA FORET.

Je le comprends bien. N’en parlez à personne.

M. DE MALINVAL.

Je n’ai pas dit à Montrichard que je le savois ; il ne s’en doute pas.

LA FORET.

Non ? il ne vous a donc pas rendu vos dix louis ?

M. DE MALINVAL.

Pas encore, je ne suis pas pressé, je veux attendre le moment.

LA FORET.

Le voici, ne dites pas que nous avons parlé de cela.

M. DE MALINVAL.

J’ai bien d’autres choses à lui dire.

LA FORET.

Ah ! oui, le mariage de Bluteau & de Genevieve.

Séparateur

Scène IV.

M. DE MONTRICHARD, M. DE MALINVAL, LA FORET.
M. DE MONTRICHARD.

Eh ! bon jour, Malinval, bonjour, mon ami.

M. DE MALINVAL.

Il n’y a que deux jours que je suis ici ; pendant que je suis seul, je suis venu vous voir.

M. DE MONTRICHARD.

Vous coucherez ici ?

M. DE MALINVAL.

Sûrement.

M. DE MONTRICHARD.

Allons, tant mieux ! j’attends des Dames de Paris, nous rirons un peu.

M. DE MALINVAL.

Nous verrons aussi Loulou ; a-t-il toujours sa belle queue ?

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! je vous en réponds. La Forêt ? Il lui fait signe d’aller voir si le chien a la queue.

LA FORET.

Oui, oui, Monsieur, j’entends, j’y vais.

Séparateur

Scène V.

M. DE MALINVAL, M. DE MONTRICHARD.
M. DE MALINVAL.

Il me semble que la Forêt entend à demi-mot.

M. DE MONTRICHARD.

Oui, je l’ai accoutumé à cela. Je n’aime pas les domestiques à qui il faut tout expliquer devant le monde.

M. DE MALINVAL.

Vous avez bien raison, parce qu’il y a bien des choses qu’on ne veut pas dire tout haut.

M. DE MONTRICHARD.

C’est cela même.

M. DE MALINVAL.

Vous voyez que je vous ai deviné.

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! pas tout-à-fait.

M. DE MALINVAL.

Je vous le prouverai dans un autre moment.

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! je parie bien que non.

M. DE MALINVAL.

Eh bien, voulez-vous me donner ma revanche de mes dix louis ?

M. DE MONTRICHARD.

Je ne suis pas en humeur de parier aujourd’hui.

M. DE MALINVAL.

Comme vous voudrez. La Forêt m’a dit…

M. DE MONTRICHARD.

Quoi donc ?

M. DE MALINVAL.

Que vous vous occupiez toujours de l’agriculture.

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! c’est cela ?

M. DE MALINVAL.

Oui. De quoi croyiez-vous donc qu’il m’avoit parlé ?

M. DE MONTRICHARD.

De rien, c’étoit d’agriculture. Je fais entourer un champ assez considérable.

M. DE MALINVAL.

Pourquoi faire ?

M. DE MONTRICHARD.

C’est là mon secret.

M. DE MALINVAL.

Mais si c’est une entreprise considérable, je serai de moitié avec vous.

M. DE MONTRICHARD.

De frais ?

M. DE MALINVAL.

Et de rapport. Vous savez bien que, lorsque nous étions dans les vivres tous les deux…

M. DE MONTRICHARD.

Cela étoit bien différent. Ce que je veux faire c’est du salpêtre.

M. DE MALINVAL.

Et avez-vous de la graine ?

M. DE MONTRICHARD.

De la graine ?

M. DE MALINVAL.

Oui, j’en ai moi ; cela vient comme des champignons ; c’est sur des couches.

M. DE MONTRICHARD.

Il est vrai. Diable ! vous savez donc le secret ?

M. DE MALINVAL.

Je vous en réponds ; c’est un Juif Allemand qui m’a instruit ; cela rapporte des millions.

M. DE MONTRICHARD.

Et il faut de la graine ?

M. DE MALINVAL.

Sans doute.

M. DE MONTRICHARD.

Eh bien, venez voir si mes couches sont bien préparées.

M. DE MALINVAL.

Je le veux bien. Chemin faisant, je vous parlerai d’une affaire qui regarde la fille de la mère Babolein.

M. DE MONTRICHARD.

Eh bien, allons…

M. DE MALINVAL.

Et vous me ferez voir, en revenant, Loulou ?

M. DE MONTRICHARD.

Tant que vous le voudrez.

M. DE MALINVAL.

Et nous reviendrons ici.

M. DE MONTRICHARD.

Ou chez moi.

M. DE MALINVAL.

Non, ici.

M. DE MONTRICHARD.

Je le veux bien, partons. (Il s’en va.)

Séparateur

Scène VI.

M. DE MALINVAL, BLUTEAU.
BLUTEAU.

Eh bien, Monsieur, avez-vous parlé pour nous à Monsieur de Montrichard ?

M. DE MALINVAL.

Non pas encore ; mais nous allons revenir ici, cela sera fait, vous n’aurez qu’à vous y trouver tous. (Il s’en va.)

BLUTEAU.

Allons, j’ons bonne espérance. Je m’en vais chercher Genevieve & sa mere. (Il s’en va.)

Séparateur

Scène VII.

LA MERE BABOLEIN, GENEVIEVE,
arrivant du côte opposé par où Bluteau s’en est allé.
LA MERE BABOLEIN.

Ce que je te dis, Genevieve, c’est parce qu’il faut que les honnêtes gens ne fassent de tort à personne, premiérement & d’un.

GENEVIEVE.

Vous avez raison, ma mère ; je ne comprenons pourtant rien à tout cela.

LA MERE BABOLEIN.

Vraiment, je le croyons bain, pisque je ne te l’avons pas dit.

GENEVIEVE.

Mais, est-ce que mon pere, qui étoit jardinier de Monsieur de Montrichard, lui auroit volé son fruit pour le vendre ?

LA MERE BABOLEIN.

Comment ! vous parlez comme çà de votre pere !

GENEVIEVE.

Mais, Dame, moi je ne fais qu’imaginer.

LA MERE BABOLEIN.

Tredame, je sommes pauvres ; mais j’ons toujours eu de l’honneur.

GENEVIEVE.

Eh bain, il ne faut pas vous fâcher pour ça.

LA MERE BABOLEIN.

Je me fâche, parce que j’ai raison. Est-ce que si j’avions été des coquins une fois, je ne le serions pas encore ? Tiens, mon enfant, quand on a pris goût au bien d’autrui, cela est si commode, qu’on ne s’en corrige jamais.

GENEVIEVE.

Et qu’est-ce que vous avez donc à dire à Monsieur de Montrichard ?

LA MERE BABOLEIN.

Velà ce que tu sauras quand je lui en parlerons ; car je ne me cacherons pas, je le dirons devant tout le monde.

GENEVIEVE.

Et ça nous empêchera de nous marier ?

LA MERE BABOLEIN.

Ah ! dame, j’en ons bain peur ; c’est selon qu’il s’avisera.

GENEVIEVE.

Et s’il va mal s’aviser ?

LA MERE BABOLEIN.

Tant pis pour toi, mon enfant.

GENEVIEVE.

Mais si vous vouliez le dire à Bluteau tant seulement, il vous détourneroit peut-être de cette mauvaise pensée-là, voyez-vous.

LA MERE BABOLEIN.

Voilà pourquoi je veux m’en taire à vous autres.

GENEVIEVE.

Mais enfin, si, malgré tout ça, Bluteau veut toujours bain de moi, est-ce que vous ne voudrez pu de lui ?

LA MERE BABOLEIN.

Mais c’est qu’il n’en voudra pu de toi.

GENEVIEVE.

Je ne crois pas ça.

LA MERE BABOLEIN.

C’est que tu ne sais pas comme les hommes sont intéressés, mon enfant. T’as beau être bain jolie, le fond du sac gâte tout.

GENEVIEVE.

Le fond du sac ?

LA MERE BABOLEIN.

Oui, quand on le voit, c’est qu’il n’y a rien dedans.

GENEVIEVE.

Il est meunier, il le remplira. Je suis sûre qu’il vous diroit ça s’il étoit ici.

LA MERE BABOLEIN.

Je te défends de l’y en ouvrir la bouche avant que j’ayions parlé à notre Monsieur, entends-tu ?

GENEVIEVE.

Je n’en dirons rien. Mais cherchons-le ; car j’ai besoin de le voir pour me consoler de tout le chagrin que vous venez de me donner.

LA MERE BABOLEIN.

A la bonne heure, aussi bain velà du monde qui vient de ce côté-ci.

GENEVIEVE.

C’est ce Monsieur de Malinval, avec Monsieur de la Forêt.

LA MERE BABOLEIN.

C’est la raison pourquoi il faut nous en aller ; Bluteau nous dira quand il faudra que je revenions.

Séparateur

Scène VIII.

M. DE MALINVAL, LA FORET.
M. DE MALINVAL.

La Forêt ; elle est belle aujourd’hui la queue de Loulou.

LA FORET.

Je le crois bien, je l’avois choisie exprès.

M. DE MALINVAL.

Je l’ai bien vu tantôt te faire signe, quand j’ai parlé de lui.

LA FORET.

Je craignois que vous n’en disiez quelque chose.

M. DE MALINVAL.

Je t’avois promis que non. Qu’est-ce que c’est que cet homme noir avec qui nous l’avons laissé ?

LA FORET.

C’est celui qui fait apprêter le nouvel enclos.

M. DE MALINVAL.

Pour faire du salpêtre ?

LA FORET.

Oui, c’est comme cela qu’il l’appelle.

M. DE MALINVAL.

Diable ! il va lui dire que je me suis moqué de lui avec la graine que je lui avois promise ; mais le voici qui vient, allez chercher Bluteau, Genevieve & sa mere.

LA FORET.

Je vais vous les amener.

Séparateur

Scène IX.

M. DE MALINVAL, M. DE MONTRICHARD.
M. DE MALINVAL.

Que diable avois-tu donc à faire à cet homme ?

M. DE MONTRICHARD.

Oh ! rien.

M. DE MALINVAL.

Rien ? je le connois.

M. DE MONTRICHARD.

Je parie que non.

M. DE MALINVAL.

C’est ton faiseur de salpêtre.

M. DE MONTRICHARD.

Il est vrai. Comment as-tu découvert cela ?

M. DE MALINVAL.

Je suis aussi fin que toi.

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! pas tout-à-fait ; car tu as voulu m’attraper tantôt.

M. DE MALINVAL.

Comment ?

M. DE MONTRICHARD.

Je m’entends bien, je n’ai pas été ta dupe.

M. DE MALINVAL.

Explique-moi donc…

M. DE MONTRICHARD.

Je ne me servirai pas de ta graine de salpêtre.

M. DE MALINVAL.

Pourquoi cela ?

M. DE MONTRICHARD.

J’en aurai de meilleure.

M. DE MALINVAL.

Ah ! cela est bien fin ! On t’a désabusé.

M. DE MONTRICHARD.

Point du tout ; je me suis moqué de toi en faisant semblant de le croire.

M. DE MALINVAL.

Ah ! il fait bon battre glorieux.

M. DE MONTRICHARD.

Mais si j’avois été ta dupe, je serois fâché à présent, & je ne consentirois pas au mariage de Genevieve avec Bluteau, pour me venger de toi.

M. DE MALINVAL.

A propos, donne-moi ta parole que, quelque chose que te dise la mere de Genevieve, le mariage aura toujours lieu.

M. DE MONTRICHARD.

Je te le promets.

M. DE MALINVAL.

Ils vont venir, la Forêt est allé les chercher.

M. DE MONTRICHARD.

Les voici.

Séparateur

Scène derniere.

M. DE MONTRICHARD, GENEVIEVE, LA MERE BABOLEIN, M. DE MALINVAL, LA FORET, BLUTEAU.
M. DE MONTRICHARD.

Bon jour, la mère Babolein ; je suis bien aise que vous mariez Genevieve, j’aimois fort son pere, Pierre Babolein ; il étoit bon jardinier, & honnête homme.

LA MERE BABOLEIN.

Monsieur a bien de la bonté ; mais ce qu’il dit là de notre homme étoit bien vrai. Vois-tu, Genevieve, c’est toujours par où il faut commencer, par être honnêtes gens ; je te le disois tantôt.

GENEVIEVE.

J’ai toujours dit comme vous, ma mere.

LA MERE BABOLEIN.

Monsieur, comme je vous regardons toujours comme notre ancien maître, je n’ons pas voulu marier cette enfant sans vot permission, parce que c’est notre devoir.

M. DE MONTRICHARD.

Eh bien, j’y consens ; Malinval & moi nous aurons soin de leurs affaires. Bluteau est un bon garçon, & s’il veut travailler…

BLUTEAU.

Ah ! Monsieur, je travaillerons le jour & la nuit.

LA MERE BABOLEIN.

Bluteau convient bien à ma fille, il me convient bien à moi ; mais écoutez donc la raison de ça.

M. DE MONTRICHARD.

Je vous devine, vous avez peur de rester toute seule ; ils n’ont qu’à vous prendre avec eux.

M. DE MALINVAL.

Oui ; mais, Montrichard, tu leur donneras quelque chose pour la nourrir ?

M. DE MONTRICHARD.

Sans doute, & puis ils pourront louer la maison que j’avois donné à la mere Babolein.

M. DE MALINVAL.

Allons, mes enfants, vous devez être tous contents.

BLUTEAU

Ah ! pour cela oui, je le sommes ; n’est-ce pas, Genevieve ?

GENEVIEVE.

Oui, Bluteau ; mais je voudrois bien que ma mere le fût autant que nous.

M. DE MALINVAL.

Qu’avez-vous donc, bonne femme ?

LA MERE BABOLEIN.

Ah ! Monsieur, c’est que ce mariage-là n’est pas encore fait.

M. DE MONTRICHARD.

Pourquoi n’est-il pas fait ?

LA MERE BABOLEIN.

C’est que vous ne savez pas tout, Monsieur.

M. DE MONTRICHARD.

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

LA MERE BABOLEIN.

Ah ! Monsieur, il ne dépend que de vous qu’il soit fait ; parce que je n’avons pas tant de bien qu’on le croit.

M. DE MONTRICHARD.

Mais vous avez votre maison.

LA MERE BABOLEIN.

Nous avons aussi la vache.

M. DE MONTRICHARD.

Et ce que je donnerai pour votre nourriture.

LA MERE BABOLEIN.

Cela est bien vrai, Monsieur ; mais voilà tout.

BLUTEAU.

Allons donc, la mere, vous ne comptez pas le trousseau de votre fille qu’elle a filé elle-même, nous aurons de quoi faire de la toile pour bien long-temps.

LA MERE BABOLEIN.

Eh bain, voilà ce que je voulons dire qui n’est pas à nous ; & depuis qu’il est question de vot mariage, ça me donne bien du chagrin, je n’en dors ni jour, ni nuit.

M. DE MONTRICHARD.

Pourquoi donc cela, la mere, expliquez-vous.

LA MERE BABOLEIN.

Ah ! Monsieur, quand on a toujours eu une bonne réputation, il est bien malheureux…

M. DE MONTRICHARD.

Ne pleurez pas, & achevez…

LA MERE BABOLEIN.

C’est que Bluteau ne voudra peut-être plus de ma fille, quand il saura que ce trousseau n’est pas à elle ?

M. DE MONTRICHARD.

Et à qui est-il ?

LA MERE BABOLEIN.

A vous, Monsieur.

M. DE MONTRICHARD.

Quoi ! vous m’auriez volé ?

LA MERE BABOLEIN.

Non, Monsieur, nous ne l’avons pas été chercher ; mais ce qu’elle a filé…

M. DE MONTRICHARD.

Eh bien ?

LA MERE BABOLEIN.

C’est la queue de votre chien Loulou.

M. DE MALINVAL.

Qu’est-ce qu’elle veut donc dire, Montrichard ?

M. DE MONTRICHARD.

Elle est folle.

LA MERE BABOLEIN.

Non, Monsieur, mais je suis honnête femme.

M. DE MONTRICHARD.

Allons, allez-vous-en.

LA MERE BABOLEIN.

Monsieur, que je vous dise : la premiere fois que le chien est venu, il se tourmentoit, & Geneviève lui a ôté la filasse qui étoit à sa queue ; il l’a bien caressé, & depuis il est venu tous les jours, quelquefois deux fois, pour la prier de lui ôter cette filasse.

M. DE MALINVAL.

Quoi ! la queue de Loulou est de filasse ?

LA MERE BABOLEIN.

Quand j’en avons eu un peu, Genevieve s’est mise à la filer, & cela a augmenté, & puis velà que cela lui a fait un trousseau.

LA FORET, bas à Monsieur de Montrichard.

Nous avions beau chercher dans les haies.

M. DE MONTRICHARD.

Veux-tu te taire ?

M. DE MALINVAL.

Montrichard, tu me rendras mes dix louis.

M. DE MONTRICHARD, bas à part.

La peste soit de la femme !

LA MERE BABOLEIN.

Vous voyez bien que ce trousseau n’est pas à Genevieve, à moins que Monsieur n’ait la bonté de lui donner toutes ces queues de chien qu’elle a filées.

M. DE MALINVAL.

Allons, Montrichard, tu ne peux pas les lui refuser ; & puis je les ai bien payées.

M. DE MONTRICHARD.

Oui, ris, ris, tu en as toujours été la dupe, conviens-en.

M. DE MALINVAL.

Tu crois que je ne le savois pas. Allons, finis donc tout cela, ne laisse pas plus long-temps ces bonnes gens dans l’inquiétude.

M. DE MONTRICHARD.

Oui, je vais le finir ; & pour leur prouver que je ne prétends pas qu’ils m’aient volé, je vais leur donner tes dix louis, qui ne sont pas plus à moi qu’à eux.

M. DE MALINVAL.

J’y consens de bon cœur.

LA FORET.

Et vous faites bien, Monsieur ; car sans cela j’aurois dit que vous aviez toujours perdu.

M. DE MONTRICHARD.

Perdu ?

M. DE MALINVAL.

La Forêt…

LA FORET.

Eh bien, Monsieur, dites-le vous-même.

M. DE MALINVAL.

A présent je le peux ; je t’avois attrapé le premier, Montrichard. (Il rit.)

M. DE MONTRICHARD.

Et comment ?

M. DE MALINVAL.

J’avois fais frotter la queue de ton chien avec une drogue qui empêche le poil de revenir. (Il rit.)

M. DE MONTRICHARD.

Il faut avouer que tu es un grand coquin !

M. DE MALINVAL.

A-peu-près comme toi.

M. DE MONTRICHARD.

Oui ; mais ma supercherie a fait du bien à ces gens-là, la tienne n’enrichit personne.

M. DE MALINVAL.

Et mes dix louis donc, les auroient-ils eus sens cela ?

M. DE MONTRICHARD.

Ah ! tu as raison. Allez, mes enfants, je souhaite que vous soyez toujours heureux. (Il donne les dix louis.)

BLUTEAU.

Ah ! Monsieur, je le sommes déjà, n’est-ce pas Genevieve ?

GENEVIEVE.

Sûrement, puisque rien ne nous empêchera plus de nous épouser, & que ma mere sera contente. (Elle l’embrasse.)

LA MERE BABOLEIN.

Monsieur, je ne pouvons assez vous remercier.

M. DE MONTRICHARD.

Soyez toujours aussi honnêtes gens, & vous n’aurez rien à vous reprocher.

M. DE MALINVAL.

Oui ; mais soyez toujours joyeux, la gaieté est le premier bien de la vie.

Séparateur


96. Ce qui tombe dans le fossé, c’est pour le soldat.