Prostitués/IX/Émile Gebhardt

(p. 259-261).

Émile Gebhardt faillit être académicien. Il fut battu par René Bazin à qui son catholicisme fait pardonner un talent d’ailleurs discret et qui n’a rien de blessant, un joli talent horizontal. M. Gebhardt est aussi un commerçant souriant ; mais les articles qu’il tient sont d’un catholicisme moins actuel. Il n’ose pas tout à fait nous vendre les contes de Boccace ; il nous détaille des analyses chatouilleuses, encore que critiques, de toutes sortes de nouvelles florentines. Comme un commis de librairie finit par écrire ses réminiscences, M. Gebhardt nous offrit même un recueil de « contes héroï-comiques » qu’il croyait peut-être de lui.

Ça s’appelle d’Ulysse à Panurge et ça contient : une suite de l’Odyssée ; une suite du Pantagruel ; un conte franciscain imité moins des Fioretti que du Paul Arène qui signait Alphonse Daudet son joyeux Élixir du révérend père Gaucher. Tout cela banal comme, depuis le succès d’Anatole France, le pédantisme souriant. Quelques pages semblent plus intéressantes à une lecture rapide. Ce n’est pas que, par lui-même, Le roi Trimalchion vaille grand chose. C’est que — l’obscure clarté d’un entresol réjouit au sortir d’une cave — il rappelle en mieux une si plate rapsodie, le plus triomphant feuilleton de je ne sais quel Dumas polonais.

Les « suites » des ouvrages célèbres ne valent jamais rien. Quel intérêt offriront-elles quand, au lieu de venir d’un contemporain, elles sortiront d’un professeur, vague apparence qui n’appartient à aucun temps et qui ne saurait néanmoins sans s’évanouir, fantôme dispersé par la lumière, être considéré sous un aspect d’éternité ? Même quand le pastiche est adroit — et c’est le cas de ceux de M. le professeur Gebhart — il reste un bien pauvre et facile jeu de société, — de mauvaise société.

Le sourire de M. Gebhart a toujours quelque chose d’équivoque et qui rappelle plusieurs figures à la fois. Ses malices semblent traduites des conteurs florentins et en même temps imitées d’Anatole France ou de Voltaire. Mais le rire de Voltaire ou de France est une arme. Gebhart est un automate qui tire au mur et, s’il rit, c’est qu’on a fait rire quelqu’un dans le phonographe qui lui sert de cerveau.