Prostitués/II. — Filles à soldats

(p. 16-35).


II

Filles à soldats


Nul effort ne parviendrait à mettre dans la revue que je commence un ordre réel. Au hasard, sans essayer d’établir une juste hiérarchie ou une classification naturelle, je parquerai dans telle ou telle partie du troupeau mes porcs, mes truies et mes ânes. On rencontrera ensemble les gras et les maigres ; le même grouillement offrira ceux qui se roulent sur le dos et ceux qui se vautrent sur le ventre. Il se peut encore qu’on aperçoive ici, rarement, parmi tant de basses attitudes, l’allure noble et simple d’un homme.

Toutefois, je tiens à commencer la visite par une de nos garces les plus indéniables. Dans la boue stendhalienne je ramasse d’abord la fille qui a écrit cyniquement : « Sous un succès, il y a toujours une vertu » et qui a osé, raccrocheuse sans vergogne, l’appel au soldat.

Maurice Barrès débuta par je ne sais quel individualisme bas, raffiné et onanique, quelque chose qui ressemble aux noblesses simples du stoïcisme ou de l’épicurisme comme les fantaisies d’un Baudelaire ressemblent à une religion directement sincère. Malgré ses recherches vaniteuses et ses perversités naïves, ce Charlot intellectuel ne réussit pas longtemps à se satisfaire lui-même. Bientôt il sortit de sa tour de sperme pour aller à l’agitation incohérente qu’il nommait l’Action. Le hasard des dates et des rencontres l’enrégimenta dans le boulangisme. Il demandera plus tard au nationalisme de sang et de boue la chère « petite secousse ».

Son cas est intéressant comme tous les cas — bien communs d’ailleurs — faits d’une contradiction apparente ; comme toutes les attractions de vertige. Des vieillards frémissent d’amour depuis qu’ils se sentent impuissants. Barrès aime l’action, ou plutôt le rêve de l’action, parce qu’au moment du geste — il en est trop sûr — la peur le serrera comme une paralysie. Barrès, c’est quelquefois Sosie qui chante. C’est plus souvent quelqu’un qui se force à de lointaines et peu dangereuses bravoures, pour se donner la joie des lâches raffinés, la joie de trembler et de conchier son pantalon.

Cette intelligence valétudinaire, préoccupée uniquement de ses petits malaises et des petits plaisirs paradoxaux que lui procurera son mal, est exactement, dans sa sécheresse, dans l’étriqué de ses gestes courts, pauvres, rapaces et frileux, le contraire de la large et généreuse intelligence créatrice. Il mendie partout des toniques. Il emprunte à tous un peu de pensée incertaine et de branlante énergie. Il est bien loin de pouvoir dresser avec sa force et animer avec son souffle des êtres étrangers. Il n’est pas de ceux qui enrichissent l’état civil. Il est de ceux qui l’appauvrissent.

Ses personnages inventés ne vivent pas. Les héros de sa taille qu’il embrasse ou combat dans la boue politique ne vivent plus en nous que grâce à des souvenirs anciens et tenaces. Qu’il veuille chanter « le culte du moi » ou « l’énergie nationale », il jette toujours, en des romans mal faits et exsangues, quelques pages d’autobiographie ou d’histoire où ne frémit plus, passionnante, la vie multiforme. Ici comme là, on ne trouve que l’auteur, ses basses passions grossières, ses basses passions raffinées. Le coassement de l’écœurante grenouille, avant de demander un roi, réclamait qu’un peu de plaisir lui grattât le ventre. Aujourd’hui Barrès précocement vieilli ne paraît plus pouvoir goûter que la vengeance. Mais quelle grossièreté jusque dans ses derniers raffinements ! Cet Arlequin fait de bile verte et de jalousie jaune ne trouve, pour crier sa haine, que des mots abstraits et gris. Ou bien ce sont quelques laides métaphores culinaires, beaucoup de lâches métaphores pathologiques. Voyez-vous ses lèvres de sale cruauté et de sale gourmandise, toutes dégoûtantes d’une sauce infâme, quand il vante « le bon plat de vengeance qui se mange froid » ?

Il n’est pas seulement un vaincu sournois et rancunier qui se venge après dix ans. Il est surtout un mercenaire amoureux de bénéfice. Il veut, à n’importe quel prix, quelle que soit sa nature, trempé dans n’importe quels excréments, le succès. Ce vantard de raffinements pense, devant la réussite, aussi grossièrement que feu Sarcey et — selon le mot que je citais tout à l’heure, mais qu’on ne saurait trop répéter — il se garde bien de « méconnaître que, sous un succès, il y a toujours une vertu. »

Eh ! bien, non, M. Barrès, sous un succès il y a rarement une vertu. Je défie un lecteur sincère et intelligent d’expliquer, d’après votre maxime, votre succès à vous. Des imbéciles incapables de saisir directement une pensée originale ; des imbéciles dont l’oreille fermée aux hommes est faite pour recueillir avec joie les échos, les bavardages des perroquets, les bafouillements des phonographes, vous appellent penseur, comme ils appellent astronome M. Camille Flammarion. Mais vous savez bien, vous, élève de tous les Renan, de tous les Taine, de tous les Maurras et de tous les Amouretti rencontrés, que votre pensée est empruntée ; vous n’avez d’autre esprit que « l’esprit de suite » et votre seule vertu intellectuelle se nomme docilité.

D’autres disent que vous écrivez bien. En effet, Monsieur, vous écrivez, d’ordinaire, comme un excellent élève de philosophie, en phrases soignées, lentes, grises : des platitudes bien rabotées. Quelquefois aussi vous décalquez, ouvrier patient, un rythme de Michelet et vous faites d’un mouvement de torrent je ne sais quelle stagnation décevante. On cherche la « petite secousse, » n’est-ce pas, partout où on espère la trouver. Il vous arrive pourtant de travailler sans conscience et de déclarer, étourdi : « Nous sommes nés originairement… » Il vous arrive aussi, stendhalien infidèle, de vous égarer vers des métaphores où nul guide ne vous conduit. Vos indépendances sont heureuses et vous font découvrir des choses bien imprévues, ces « bagatelles », par exemple, qui vous paraissent « fades auprès des alcools d’une conspiration. » À la prochaine foire électorale de Neuilly ou du Quatrième, j’espère vous admirer, à côté de quelque avaleur de sabres, dans vos intéressants exercices de buveur de bagatelles.

Volontiers, comme tous les lâches cruels, vous empruntez vos comparaisons au plus cruel et au plus lâche des jeux, à la chasse. Vous nous montrez des gens qui courent. « Leurs Arrêtez-le ! leurs cannes levées, leur expression épouvantable de fureur donnaient évidemment la chasse à un gibier. » M’attarderai-je, hilare, à cette étourdissante expression qui donne la chasse ? Non, monsieur. Je suis autant que vous « un amateur d’âmes » et vos métaphores coutumières m’intéressent parce qu’elles m’apportent, intolérable mais si révélatrice, l’odeur de votre pourriture intérieure.

Lâche tremblant, toujours préoccupé de sa chère guenille et qui aime sa santé et sa maladie comme on aimerait deux filles, vous êtes entraîné, pour vous rendre les faits extérieurs intéressants, à les traduire, sadique inconscient, en phénomènes pathologiques. Vous saurez trouver vous-même dans chacune de vos pages quelques-uns de ces réflexes de style qui grincent la couardise. J’en prends deux, au hasard, dans Leurs figures : « Dans cette plaie panamiste, si mal soignée par des médecins en querelle, les sanies accumulées mettaient de l’inflammation. » L’autre phrase est particulièrement basse et, joyeux d’une joie de latrines, vous avez souligné vous-même deux fois le mot qui en aggrave l’ignominie : « Resté seul, cet homme de valeur, subitement chassé de son cadre, fit de la poésie sentimentale, tel un influenzé eût fait de l’albumine. »

Je vous souhaite, Monsieur, de ne jamais faire de poésie sentimentale et d’albumine. Si j’osais — mais votre fumier se vend et il serait indiscret de vous demander du désintéressement — je vous supplierais même, le nez bouché, de ne plus rien faire en public.

Paul Margueritte dessina jadis des grisailles aimables et Jours d’épreuve par exemple ne m’a pas laissé un trop mauvais souvenir. Un charme triste se cachait dans ses livres, fait de conscience qui s’efforce et d’impuissance qui s’avoue presque. La probité et la modestie de l’auteur touchaient ; on souffrait de voir un ouvrier si appliqué ne réaliser qu’à demi ; on l’aidait d’un rêve sympathique et l’esprit du lecteur achevait l’œuvre. Malgré tout, l’insuffisance éclatait ; mais on souriait à ce qu’il restait dans l’auteur d’enfance persistante et, d’une espérance qui s’obstine, on attendait encore quelque chose de lui après dix volumes manqués. Hélas ! les dix volumes sont devenus trente volumes. Le talent est resté une montagne inaccessible aux efforts répétés, mais les marécages du succès sont conquis, enfin. On multiplie rapidement des produits qui ont maintenant un débouché certain.

Même le commerce s’est élargi, on a pris un associé fraternel et la maison, dont le chiffre d’affaires va augmentant, est avantageusement connue sur la place de Paris sous la raison sociale Paul et Victor Margueritte.

La maison tient divers articles : on y trouve des aventures enfantines de petits garçons, de petites filles ou de grandes personnes ; on y fournit aussi le roman-pétition contre les lois mal faites (car, pour ces braves gens, il y a des lois qui sont bien faites.) Mais le triomphe de la maison, ce sont les chromos de la guerre franco-allemande (Voyez rayons 1870 et 1871). C’est cet article seul que je consens à prendre en main aujourd’hui. Parmi les divers livres qui composent la série intitulée une époque, mon boniment doit vous conseiller surtout Les tronçons du glaive. Regardez-moi ça, si c’est bien conditionné : joli cadre doré, papier de première qualité ; et l’article est avantageux comme ceux de la maison Zola. Le client qui aime que ça dure en a pour son argent. Il n’y manque que peu de choses : la couleur et la vie. Mais la couleur, c’est de bien mauvais goût ; et les livres vivants, vous savez, le grand public n’en veut pas : il trouve que ça fait peur.

Donc Paris bloqué essaie en vain de trouer les lignes allemandes et la Province tente en vain de secourir Paris. Les frères Margueritte nous content, d’un accent triste et vaillant, ces efforts malheureux. Ils s’indignent contre Bourbaki et Trochu qui ne surent pas vouloir. Ils s’enthousiasment pour Gambetta, pour Chanzy et pour Faidherbe qui voulaient et qui, semble-t-il, auraient réussi si leur don complet et leur tenace énergie n’avaient été rendus inutiles par la faiblesse résignée des deux autres.

Le sujet, fort complexe, tout de détails et d’épisodes, était difficile à grouper en livre. Vue du côté français, cette guerre de 1870 est une tragédie mal faite dont l’action multiple se dissémine insaisissable sur dix théâtres à la fois. Au lieu de dresser un héros unique, les auteurs, élevés au collège naturaliste, ont voulu nous intéresser à toute une famille et, sur chacun des lieux où doit se passer quelque chose, ils ont placé, témoin ému, un membre de cette famille. Hélas ! l’artifice naïf, au lieu de donner au récit quelque unité même apparente, en fait sentir plus cruellement la dispersion. Pas plus que les tronçons du glaive de la France, les tronçons du livre ne se rejoindront. On sent l’impuissance dès les premières pages ; il n’y a plus qu’à se résigner, à s’intéresser aux divers fragments comme à une série de nouvelles sur « une époque ».

On peut aussi créer soi-même l’unité : en choisissant Paris comme centre et en traduisant le récit direct des efforts de la Province par l’émotion qu’ils apportent aux assiégés ; ou en s’attachant à la pensée de Gambetta et en regardant les événements se refléter vibrants dans cette âme. Il est regrettable que les auteurs n’aient pas fait, par un de ces deux moyens ou par quelque autre, le travail d’unification qui, après tout, leur incombait. Une belle ordonnance synthétique grandirait singulièrement la valeur littéraire du volume.

La valeur littéraire du volume est médiocre : non-seulement nous n’avons pas un livre, mais encore, parmi les nombreux personnages inventés, aucun ne montre la solidité organique d’un caractère. Chacun est une succession de gestes qui restent épars — je ne dis pas contradictoires. La marionnette qui a commis un geste lâche répétera des gestes lâches ; celle qui une fois s’est dressée héroïque continuera son héroïsme. Mais rien ne sera fortement caractéristique, rien ne jaillira d’une profondeur vivante. Quand on aura dit de celle-ci qu’elle est héroïque, de celle-là qu’elle est lâche, on n’aura rien à ajouter. Cependant, certaines pages du roman valent par le mouvement ému du style, celles surtout qui disent, souriantes ou élégiaques, quelque fragment d’idylle.

Les frères Margueritte ont mieux dessiné les personnages historiques. Leur Gambetta, leur Chanzy, leur Trochu, leur Bourbaki, leur Thiers sont d’une ligne autrement précise et marchent d’une allure autrement vivante que toute leur raide ou fantomatique famille des Réal. Leurs observations valent mieux que leurs tentatives de création et ces romanciers manqués réussissent parfois à se manifester historiens appliqués et intelligents.

Le style, d’un mouvement toujours lent, souvent incertain, mérite cependant quelques éloges — même en dehors des pages idylliques, — par sa gravité triste et vaillante. L’écriture[1] est malheureusement très inférieure. Au début elle est détestable, comme chez la plupart des contemporains quand ils s’appliquent. C’est une insupportable accumulation d’images scientifiques ou industrielles : « Hier, aujourd’hui, demain, bouillonnant dans le creuset de l’heure trouble. » — « L’or venait de circuler par mille voies nouvelles, les chemins de fer, les chemins vicinaux, tout un réseau artériel et veineux. Privée de son cœur, ce Paris de qui elle était accoutumée à recevoir le sang vivace, l’impulsion des idées… » Diable, diable ! si c’est l’or qui circule dans le « réseau artériel et veineux », comment se fait-il que les idées soient le « sang vivace » lancé par le « cœur » ? Mais plus encore que leur incohérence et leur banalité, il faut condamner la nature même de ces métaphores. Elles appartiennent à cette préciosité scientifique qui sera un des ridicules européens de notre époque comme la préciosité sentimentale est le grand ridicule européen de la longue époque des Gongora, des Marini et des Voiture. Heureusement les auteurs, vite fatigués, ne soutiennent ce grand effort littéraire qu’aux trois ou quatre premières pages. Ensuite l’écriture, grise, quelconque, ne se fait plus remarquer, sauf à longs intervalles par quelque gauche impropriété, trop souvent aussi par l’équivoque d’un même mot prononcé une seule fois et étourdiment employé dans deux significations voisines.

La philosophie des frères Margueritte, guère moins hésitante que les caractères qu’ils essaient de créer, reste aussi banalement moyenne que leur écriture. Eugène Réal, qu’ils chargent plus particulièrement d’exprimer leurs opinions, est un pauvre garçon flottant : tantôt il condamne la guerre, « vaste et criminel assassinat » ; tantôt il s’affirme qu’il fait, en assassinant, « son devoir de soldat, de Français ». Car la guerre devient « le premier, le plus beau des devoirs, aussitôt qu’elle défend les champs, les villes, la race même, les trésors et le passé d’un peuple. » Les frères Margueritte déclarent que leur but est d’inspirer au lecteur « l’horreur de la guerre » , Parfois, en effet, ils nous font songer « aux dessous répugnants et affreux, à cette insanité du meurtre, à cette exaltation de la force et des instincts sauvages, à toute la basse animalité lâchée ». Mais il leur arrive aussi, pauvres fils de soldat, d’écrire des énormités telles : « Comme aux tirs de foires autrefois, sur le mail, avec un plaisir d’enfant, fouetté d’un âpre vertige, il charge, épaule, tire. Il ne se rend pas compte qu’il tue. Il accomplit un acte très simple, il fait sans réflexion son devoir » !!! Je ne sais pas, même dans La Force de l’infâme Paul Adam, de phrase plus puante et plus coulante de sanie morale. Néanmoins les Margueritte et Eugène Réal reprennent bientôt leur demi-noblesse faite de tristesse incertaine. Ils se demandent « comment concilier l’implacable antinomie » du devoir français et du devoir humain. Et ils se désolent : « Problème insoluble, doute affreux ! »

Non, le problème n’est pas insoluble. « Tu ne tueras point » est un précepte naturel et éternel. L’Allemagne, la France, la Russie, sont des constructions artificielles, variables, périssables. Il n’y a pas de devoir d’Allemand, de devoir de Français, de devoir de Russe ; il n’y a que des devoirs d’homme. France ! Allemagne ! Russie ! vains mots qui n’existiez pas il y a deux mille ans et qui, dans deux mille ans, ne serez plus que des noms historiques : les vents de folie qui soulèvent ici ou là votre poussière d’une heure ne peuvent faire douter du soleil moral que ceux qui sont esclaves de leur temps et des mouvements de foule ou ceux chez qui les persistants instincts de la brute triomphent de l’homme à peine commencé. Ni Jésus ni Épictète certes ne confondraient le son ivre du clairon avec la voix de la conscience et ne consentiraient à tuer pour les néants que vous êtes : France ! Allemagne ! Russie !

L’ancien officier de marine qui signe Olivier Saylor n’a pas plus de talent naturel que les frères Margueritte et il sait moins son métier d’écrivain. Aussi banal et ennuyeux, il nous fait bâiller devant un travail moins correct. Dans Le Tout-Pourri, par exemple, où il touche à des choses qu’il ne connaît pas mieux que nous, il se manifeste un des mille maladroits qui, d’un geste avide et ridicule, cherchent le scandale.

Mais son premier essai, les Maritimes, mérite de nous arrêter un instant par sa valeur documentaire et révélatrice. L’auteur nous y montre en acte « l’effroyable stupidité des maritimes », leur caractère avili par « de longues années passées dans la servitude » et par « les galons acquis un à un et payés d’obéissance anéantie ». Il ne ménage pas tous ces infâmes galonnés que l’idée d’une « campagne possible grassement payée de croix et de propositions » unit en une émotion commune « comme l’espoir d’un bon coup assemble des rôdeurs au coin d’un bois ». Nous voyons ici « la prostitution des attitudes triomphales au profit d’alphonses nationaux », Et, sous les attitudes triomphales, nous distinguons la lâcheté blêmissante de la plupart des gradés, je ne dis point seulement toutes les fois qu’il s’agit de se tenir debout devant un chef, mais souvent aussi quand il faut ne point reculer devant un simple danger matériel. Ce volume est une bonne arme de guerre.

Ce volume n’est pas une œuvre d’art, n’est pas un livre. Les documents sont jetés au hasard — ceux qui sont intéressants et ceux qui ne le sont pas — dans le vieux moule naturaliste. Olivier Saylor, très mauvais élève de Zola, remplace la composition par un gauche entassement. L’écriture lourde, pénible, avance lentement, écœurante, en un tangage perpétuel.

Et ces pages sont d’une philosophie insuffisante. L’auteur est — en tant que penseur — un naïf. Il croit nous montrer, par exemple, « les faces diverses que la marine n’uniformise pas comme d’autres collectivités ». Il affirme : « Partout ailleurs, les gens sont honnêtes ou canailles à peu près de la même façon. Tandis que, chez nous, quelles nuances, quels degrés de l’un à l’autre des états ». Il ne soupçonne jamais que, s’il distingue les différences ici et non ailleurs, c’est qu’ici il connaît et ailleurs il ignore. « Plus on est intelligent, dit à peu près Pascal, et plus on voit les différences ». Olivier Seylor l’a trop montré dans ses autres romans : dès qu’il ne s’agit plus de marine, il n’est pas intelligent.

Mais si ses théories ne sont pas intelligentes, en pratique, il se manifeste habile, hélas ! et patient comme ses chers camarades. Il subit une préface de Paul Adam avec le même respect ébloui qu’une sottise d’amiral. Dans ces Maritimes où s’étalent tant d’exemples de couardise et le continuel besoin de paraître sans être, le Paul Adam qui, depuis quelques années, flagorne toutes les puissances, prétend, avec l’incompréhension la plus voulue et la plus lâche, rencontrer je ne sais quel « héroïsme des idées et des actes ». Un homme aurait refusé la préface menteuse et déformatrice ; un officier l’a acceptée avec reconnaissance comme un galon accompagné de mépris.


  1. Sur la différence de sens qu’il convient d’établir entre les mots style et écriture voir, au chapitre XI, la fin de l’étude consacrée à Remy de Gourmont.