Projets de trente fontaines pour l’embellissement de la ville de Paris/Tableau des eaux de Paris et de leur distribution


TABLEAU
historique
DES EAUX DE PARIS
et
de leur distribution.



Tant que Paris resta renfermé dans les deux bras de la Seine qui forment l’île de la Cité, l’eau du fleuve suffisait aux besoins de ses habitants ; mais lorsque les Romains l’eurent fait sortir de ses premières limites, et triplé sa superficie en y réunissant plusieurs bourgs environnants, qui portèrent à 113 arpents les 44 de sa première enceinte, il devint nécessaire d’amener l’eau des plateaux élevés qui la dominent, pour alimenter plusieurs de ses quartiers. Alors fut construit, vers 357, par l’empereur Julien, l’aquéduc d’Arcueil, qui amenait au Palais des Thermes les eaux de Rungis. Au IXe siècle ce premier aquéduc fut ruiné par les Normands, aussi bien que cette partie de la ville qui occupait le mont Lucotitius, aujourd’hui Sainte-Geneviève, et les nombreuses habitations qui s’étendaient, à droite de la Seine, depuis où est notre Pont-au-Change jusqu’à la Grève.

Les deux aquéducs souterrains des Prés-Saint-Gervais et de Belleville remontent aussi à une antiquité reculée. L’un lut construit au vie siècle par les moines de l’abbaye de Saint-Laurent, l’autre, au ixe siècle, par ceux de Saint-Martin-des-Champs, pour les besoins de leur monastère et des nombreuses populations qui s’étaient établies auprès d’eux. Quand Philippe-Auguste, de 1190 à 1211, eut réuni dans une même enceinte les bourgs Saint-Germain-l’Auxerrois, l’Abbé, Thiboust, Beaubourg, situés au nord, et celui de Sainte-Geneviève, au midi, la ville offrait alors une superficie de 739 arpents et une population d’environ 28,000 ames, et les quatre quartiers primitifs dits la Cité, Saint-Jacques-la-Boucherie, Saint-Avoye, la Grève, se trouvèrent augmentés de ceux de Saint-Opportune, Saint-Germain-l’Auxerrois, Saint-André-des-Arts, de la place Maubert. On voit, par la position de ces divers quartiers sur les confins de la Seine, que le besoin d’eau amenée de loin n’était pas encore impérieux, et qu’ainsi les fontaines publiques ne durent pas être nombreuses. On en compte néanmoins trois dues à la munificence du prince : celle Maubuée, dont le nom indique une eau peu propre au lavage du linge, celle des Halles, celle des Innocents, devenue si célèbre après que, trois cents ans plus tard, Lescot et J. Goujon l’eurent reconstruite et embellie. La première était alimentée par les eaux de Belleville ; les deux autres par celle de la fontaine Saint-Lazare, c’est-à-dire des Prés-Saint-Gervais.

En 1367, date de l’enceinte de Charles VI, qui réunit à la ville les huit quartiers de Saint-Antoine, de Saint-Paul, du Temple, de Saint-Martin, de Saint-Denis, des Halles, de Saint-Eustache, de Saint-Honoré, il en dut être autrement ; une superficie de 1,284 arpents, qui contenait 50,000 hommes en état de porter les armes, ce qui suppose une population de 150,000 à 200,000 ames, parmi lesquels on comptait 5,955 imposés, c’est-à-dire chefs de famille, car les deux tiers des habitants étaient exempts d’impôts, ne pouvait plus être alimentée d’eau par la Seine seulement. On peut donc reporter à cette époque de l’histoire de Paris, l’érection des fontaines de la rue Salle-au-Comte, qui a long-temps porté le nom de Henry de Marle, chancelier de France sous Charles VI, de celles Saint-Avoye, de la rue Bar-du-Bec, de la Porte-Beaudoyer, de Saint-Julien, qui étaient alimentées par les eaux de Belleville, et celles des Cinq-Diamants, du Ponceau, de la Trinité, de la Reine, rue Grenéta, qui l’étaient des Prés-Saint-Gervais. Cette conjecture prendra le caractère de la vérité aux yeux de ceux qui savent que les registres de la ville de Paris, tenus régulièrement à partir du 25 octobre 1499, ne parlent de la fondation d’aucun de ces divers monuments hydrauliques. Aux douze fontaines de l’intérieur de la ville déjà citées, si l’on ajoute celles des Lazaristes, des Filles-Dieu, des Frères-Saint-Laurent, de Saint-Maur, alors hors de l’enceinte, on aura seize fontaines alimentées par les seules eaux de Belleville et des Prés-Saint-Gervais. Maintenant, si l’on admet que le service des maisons royales, celui des concessions particulières, accordées, soit par les moines, soit par le prince, à divers seigneurs et grands dignitaires, à des communautés religieuses, à de riches particuliers, ait pu absorber la moitié de l’eau donnée par les deux aquéducs, on arrivera naturellement à cette conséquence que, des 20 pouces d’eau qu’ils produisaient alors, comme aujourd’hui sans doute, 10 pouces seulement étaient répartis entre les seize fontaines destinées à l’approvisionnement d’une population de trois cent mille ames. Cette évaluation de la population de Paris, toute problématique qu’elle puisse paraître, repose sur un document digne de foi, fourni par les historiens du temps qui s’accordent à dire qu’à la revue passée par Louis XI, en 1474, des Parisiens en armes, c’est-a-dire des hommes de 16 à 60 ans, l’effectif était de 80 à 100,000. Or le pouce de fontainier, qu’on suppose donner 72 muids en 24 heures, étant la quantité nécessaire à la consommation de 1,000 habitants, sans qu’il y ait rien de donné au luxe ni à la propreté, on peut juger de la pénurie dans laquelle fut tenue cette partie de la ville qui était trop éloignée du fleuve pour pouvoir y aller puiser l’eau nécessaire à ses besoins. Pendant longues années, les paroisses Saint-Nicolas-des-Champs et Saint-Merry, qui ensemble ne comptaient pas moins de 10,000 ames, et celle de Saint-Eustache, dont la population, dès 1313, s’élevait à elle seule à près de 8,000 ames, durent se suffire chacune avec une fontaine qui répandait à peine un pouce d’eau. Aussi cet état de choses occasionna-t-il à diverses époques des plaintes tellement énergiques, que les rois durent interposer leur autorité pour les faire cesser, en révoquant, ou limitant du moins, les concessions d’eau faites à des particuliers. Comme il en est de tous les abus qui tendent à renaître d’eux-mêmes, celui-ci se renouvela constamment ; gagnait-on quelques pouces d’un côté, la faveur du prince ou des magistrats en disposait de l’autre. Plus d’une fois on augmenta le nombre des fontaines ; mais la masse d’eau à répartir restant la même, on ne subvenait pas à tous les besoins. Ainsi les fontaines de Birague, rue Saint-Antoine, élevées aux frais du cardinal de ce nom, en 1579 ; celle du Palais-de-Justice, érigée en 1606 par F. Miron, la première que l’on ait vue dans la Cité, ne furent des bienfaits que parce qu’elles diminuaient le trajet du transport de l’eau à bras, et non parce qu’elles augmentaient cette ressource des classes inférieures. Il est donc constant que le Paris de François Ier, augmenté de 130 arpents en superficie et de 100,000 ames en population sur celui de Charles VI, dut vivre avec une quantité d’eau égale à celle déjà insuffisante des règnes précédents. Comme ses prédécesseurs, François Ier fonda plusieurs fontaines ; celle de la Croix-du-Trahoir, dite de l’Arbre-Sec, fut érigée pour la première fois en 1529, on la reconstruisit en 1636, et, de nouveau, en 1776 ; elle tirait ses eaux du réservoir des Halles. Sous Henri IV, les Parisiens éprouvèrent une véritable amélioration dans la répartition des eaux. L’abus des concessions particulières fut réprimé, et la construction, en 1608, de la machine hydraulique du Pont-Neuf, destinée à l’approvisionnement du Louvre et des Tuileries, jusqu’alors alimentés par les eaux des aquéducs, permit de rendre plus abondante la distribution aux fontaines publiques. Constamment occupé du bien-être de sa bonne ville, ce généreux prince voulut faire relever l’aquéduc de Julien, afin que les eaux de Rungis vinssent de nouveau pourvoir aux besoins des Parisiens ; mais une main fanatique, en privant la France du meilleur de ses rois, laissa à Marie de Médicis le soin d’exécuter ce projet. L’aquéduc d’Arcueil fut construit de 1612 à 1624, autant pour l’usage du palais du Luxembourg, bâti pour cette princesse, que pour les besoins de la partie de la ville située au midi, qui jusque là avait été privée de fontaines. On en compta bientôt quatorze, répandant chacune un pouce d’eau ; elles furent réparties à la place de Grève, à la place Royale, au Parvis-Notre-Dame, rue de Bussy, porte Saint-Michel, rue Saint-Victor, carrefour Saint-Séverin, cour du Palais-de-Justice, au pont Saint-Michel, à Saint-Benoît, à Saint-Côme, à Notre-Dame-des-Champs, à la Croix-des-Carmes, et carrefour Sainte-Geneviève. L’aquéduc amenant environ 30 pouces d’eau dans les temps moyens, non-seulement le service des fontaines que nous venons de mentionner fut régulièrement assuré, mais encore celui du château de la Reine et d’un grand nombre de concessions faites à des communautés religieuses et à de riches particuliers. Quoi qu’il en soit, les avantages procurés par l’aquéduc d’Arcueil étaient encore loin de répondre aux besoins d’une population toujours croissante ; la superficie de la ville, qui, sous Henri IV, en 1595, était de 1,660 arpents, et la population de 400,000 ames, se trouva être de 3,228 arpents et 510,000 ames sous Louis XIV, en 1605, et de 3,919 arpents et 580,000 ames, en 1728, date de l’enceinte tracée sous Louis XV.

Divers établissements hydrauliques à l’instar de la machine du Pont-Neuf furent proposés pendant cette période de l’histoire de Paris ; de ceux adoptés, il n’y eut d’exécuté que les deux machines du Pont-Notre-Dame, conçues l’une par Jolly, l’autre par Jacques Demance, et construites au même instant, en 1671 ; elles produisirent à elles seules autant que toutes les conduites précédentes. On en profita pour porter à un pouce le mince filet d’eau auquel il avait fallu limiter les fontaines publiques, et les quinze suivantes furent élevées presque au même instant à la place du Palais-Royal, aux Petits-Pères, près les Capucins de la rue Saint-Honoré, rue de Richelieu, rue des Cordeliers, près la Charité, au couvent des Carmélites, place Dauphine, devant la Bastille, rue Boucherat, rue Saint-Louis, à l’angle formé par les rues de Poitou et du Temple, et une au bas de la rue Saint-Martin. Les hauts quartiers du midi durent à cette munificence de Louis XIV deux fontaines publiques, l’une à l’angle arrondi des rues Pot-de-Fer et Mouffetard, l’autre au coin des rues Saint-Victor et de Seine ; la plupart furent décorées de sculptures et de tables de marbre, sur lesquelles on grava des distiques latins composés par Santeul, et qui sont restés célèbres. L’état de demi-prospérité dans lequel se trouva la ville ne dura qu’un moment ; l’imperfection des machines, qu’il fallait souvent réparer en suspendant leur fonction, et que la baisse ou l’augmentation des eaux du fleuve paralysaient à leur tour selon les saisons, rendaient de plus en plus incertaine et problématique la distribution journalière aux fontaines publiques ; on vit qu’il fallait avoir recours à d’autres moyens d’assurer le service. De 1689 à 1706, plusieurs savants proposèrent des projets aux autorités administratives ; un seul reçut leur sanction ; ce fut celui de la machine hydraulique qui exista au pont de la Tournelle de 1695 à 1707. Les machines à peu près semblables qui devaient être placées, l’une au Pont-Royal, l’autre dans ; un des pavillons de l’Arsenal, furent abandonnées, et l’on se borna à reconstruire et perfectionner les pompes du Pont-Notre-Dame.

De 1706 à 1737, les eaux de Paris éprouvèrent peu de changements ; le nombre des fontaines augmenta de dix-sept qui furent élevées : celle de Louis-le-Grand, près le carrefour Saint-Augustin, en 1707 ; celle d’Antin en 1712 (elle vient d’être réédifiée sur les dessins de Visconti) ; celle de l’encoignure des rues Saint-Martin et du Vertbois aussi en 1712 ; celle de Desmarets, au haut de la rue Montmartre, en 1715, ainsi qu’une autre rue Colbert ; celles de la rue Garencière et de l’Abbaye-Saint-Germain, en 1716 ; celle du marché Saint-Jean, en 1717, ainsi que celle de Vendôme, vis-à-vis la rue Meslay ; celle de Chaudron, faubourg Saint-Martin en 1718 ; celle des Blancs-Manteaux, en 1719, en même temps que le Château-d’Eau de la place du Palais-Royal ; enfin les cinq que, le 1er juin de cette même année 1719, il fut arrêté, dans le conseil présidé par le roi, que l’on élèverait dans le faubourg Saint-Antoine qui n’en avait encore aucune. Ces cinq fontaines sont celles Basfrois, Trogneux, de la Petite-Halle, du coin de la rue des Tournelles, et une rue de Charenton, près les Anglaises. Le manque de moyens de les alimenter fit différer leur construction ; du moins, en 1724, trois seulement étaient alors livrées au public. Vers cette même époque on refit ou répara quelques-unes des anciennes fontaines qui menaçaient ruine, entre autres, celle dite de Sainte-Catherine, en 1707, et celle Maubuée, rue Saint-Martin, en 1734 ; toutefois la masse d’eau destinée aux besoins des habitants resta la même, quoique la ville se fût singulièrement accrue en superficie et en population. Sous Louis XIV, comme on l’a dit, son enceinte renfermait 3,228 arpents et l’on évaluait le nombre de ses habitants à 510,000 ames. Pour le strict besoin d’une telle ville, il aurait fallu 510 pouces d’eau et toutes les ressources en produisaient à peine 100. Cette pénurie devint plus grande encore par l’emploi qu’on dut faire, en 1737, des eaux de Belleville au lavage d’un grand égoût qui traversait les marais du Temple, les faubourgs Saint-Denis, Montmartre, la Chaussée-d’Antin, la Ville-l’Évêque, les Champs-Élysées, etc., etc., et recevait sur son passage les cloaques de la plupart des autres quartiers de la ville. Cet égoût répandait une odeur si infecte que déjà, cent ans auparavant, le roi s’était vu obligé d’abandonner le Palais des Tournelles pour aller habiter les Tuileries. Il fallut suppléer à cette privation des eaux de Belleville par de nouvelles machines propres à tirer de la Seine de nouvelles ressources ; c’est alors que Bellidor perfectionna les pompes du Pont-Notre-Dame, qui, de 80 pouces qu’elles avaient fourni, étaient réduites à n’en plus donner que 27 ; ce savant ingénieur parvint à rendre, pendant quelque temps, leur produit journalier de 150 pouces. Parmi les nombreux projets présentés à cette époque aux magistrats de la ville pour augmenter le bienfait du lavage des égoûts, celui d’une pompe à feu, au moyen de laquelle on promettait de faire arriver 300 pouces d’eau de la Seine sur la place de l’Estrapade, mérita d’être distingué ; mais le système des machines à vapeur était trop peu connu encore pour être mis cette fois à l’épreuve ; on n’ordonna pas même la construction d’une autre machine qui devait donner un semblable résultat au moyen d’un manége mû par des animaux. Ainsi, la disette d’eau resta la même ; elle s’accrut même par suite du dépérissement des machines de Bellidor et l’augmentation de la population, qui était alors (1761) de près de 600,000 ames. Il s’ensuit donc que les fontaines érigées sous Louis XV et sur lesquelles se trouvent recommandés à la reconnaissance publique les magistrats qui les firent élever, comme dans d’autres temps, ne furent pas de véritables bienfaits. Les fontaines de cette époque sont celles de la rue de Grenelle-Saint-Germain, élevée en 1739, de la Halle aux Blés, en 1765, de la place Cambray et des Audriettes, en 1770.

Pour assurer le service public devenu de plus en plus précaire, M. de Parcieux proposa, dans un mémoire lu à l’Académie le 13 novembre 1762, d’amener à Paris les eaux de l’Yvette ; la dépense d’une telle entreprise la fit rejeter. La question des pompes à feu, agitée de nouveau par M. d’Auxiron en 1769, fut soutenue par Lavoisier en 1771, mais sans qu’il s’ensuivît aucune détermination. Enfin arriva la compagnie Perrier, qui, en 1777, leva tous les doutes, aplanit toutes les difficultés par l’établissement, à ses frais, des pompes à feu de Chaillot et du Gros-Caillou, qui fournissent régulièrement à elles seules 320 pouces d’eau, environ le double de ce que tous les moyens employés jusqu’alors, à grands frais et d’une manière si peu assurée, avaient jamais pu donner.

Afin de distribuer ces eaux nouvelles dans la ville que Louis XV venait de faire clore d’une muraille, qui englobait dans son enceinte 3,919 arpents, 23,565 maisons et 500,000 ames, on pourrait croire qu’un grand nombre de fontaines publiques auraient dû être érigées ; mais sous ce rapport l’état des choses resta le même ; ces eaux étant le fruit d’une spéculation particulière, elles furent vendues pouce à pouce à des concessionnaires. Les quatre premières fontaines marchandes, dites à tonneaux, établies par la compagnie Perrier, datent de 1782, ce sont celles de la Porte-Saint-Honoré, de la Chaussée-d’Antin, de la Porte-Saint-Denis, de l’entrée de la rue du Temple ; un peu plus tard, lorsque la Pompe à Feu du Gros-Caillou fonctionna, l’on établit dans le quartier Saint-Germain deux autres fontaines semblables, l’une rue de l’Université, et l’autre rue de Sèvres. Les dépenses de l’établissement de ces pompes et de leurs conduits souterrains ayant dépassé toutes les prévisions, et le produit de la vente publique, réuni à celui des concessions à domicile, ne pouvant suffire aux engagements contractés par la compagnie, les actionnaires se pressèrent de trafiquer et de se défaire de leurs titres qui, par un fait assez difficile à expliquer aujourd’hui, vinrent s’amonceler au trésor royal. C’est ainsi que le gouvernement se vit en peu de temps propriétaire unique d’une entreprise que lui seul pouvait soutenir et faire prospérer.

L’abondance d’eau potable étant désormais assurée pour la grande cité par les 466 pouces du produit moyen de toutes ses ressources hydrauliques, mais non celle qui aurait dû pourvoir à sa salubrité en lavant ses rues, ses places, ses marchés, ses égoûts, et procurer à ses habitants des bains, des lavoirs, des abreuvoirs publics, fournir aux besoins de son industrie manufacturière et permettre enfin de donner quelque chose au luxe, de 1782 à 1786, M. Defer de la Nouerre renouvela ses démarches pour obtenir la permission d’amener à Paris les eaux de l’Yvette et de la Bièvre. Il y fut autorisé en 1787 ; mais la Ville l’ayant abandonné à ses seuls moyens et s’étant abstenue de le soutenir contre les prétentions exagérées des propriétaires des terrains que le canal devait traverser, il dut renoncer à sa spéculation, après qu’un commencement d’exécution l’eut mis à découvert de 250,000 francs. Peu après, en 1791, l’Assemblée Constituante adopta le projet, déjà exposé à l’Académie des Sciences, en 1785, par Brullé, d’amener à Paris, par un canal navigable, les eaux de la Beuvronne, augmentées d’une partie de celles de la Marne, à laquelle on faisait une saignée à peu de distance de Lysy. Adopté, mais ajourné comme tant d’autres par la difficulté d’exécution, ce projet eut au moins le mérite d’éclairer la question lorsqu’il s’agit de prendre une détermination à l’égard du canal de l’Ourcq qui lui a succédé, et dont l’exécution, quoique incomplète, fournit enfin à la ville de Paris une masse d’eau d’une véritable importance.

Suivant ce projet, présenté au Premier Consul, en 1800, par MM. Solages et Bossu, il était question de dériver de la Beuvronne, de la Thérouenne et de l’Ourcq un volume d’eau de 120,000 kilolitres (6250 pouces), dont une moitié aurait été distribuée dans Paris et l’autre moitié employée à alimenter un canal de navigation de Paris à Pontoise, Deux ans après rien n’était encore résolu ; on se demanda même s’il ne conviendrait pas de se borner à la dérivation de la Beuvronne par un aquéduc fermé qui aurait amené 30,000 kilolitres en 24 heures ; mais des travaux de nivellement réitérés, dirigés par M. Bruyère, ingénieur, ayant démontré que l’eau de l’Ourcq prise à Crouy, au lieu de l’être à Lysy, pourrait arriver au bassin de la Villette, le Corps Législatif rendit en mai 1802 le décret d’exécution du canal. Le plan de MM. Solages et Bossu, indiqué ci-dessus, éprouva toutefois plus d’une modification : l’eau de la rivière de l’Ourcq dut être prise au-dessus du moulin de Mareuil, à 18 kilomètres de son embouchure dans la Marne ; on se proposait d’y joindre les eaux de la Colliance, du ruisseau de May, de la Thérouenne, de la Beuvronne, devant produire ensemble, dans les plus basses eaux, 13,500 pouces de fontainier, et cette masse devait arriver au bassin de la Villette, dont l’élévation est de 27 mètres au-dessus de l’étiage de la Seine, par un canal de 93,922 mètres de développement et de 10 mètres environ de pente totale. Ce projet, digne par son importance et son utilité du règne qui l’a vu éclore, et que la volonté ferme et inébranlable de l’homme qui ne recula jamais devant la difficulté aurait pu faire exécuter dans toute sa teneur, a été restreint et modifié pendant l’exécution ; ainsi, au lieu de 13,500 pouces promis à la ville dans les temps les moins favorables de l’année par le projet arrêté par Napoléon, il ne lui en arrive aujourd’hui que 8,500, dont 4,000 seulement sont affectés à ses besoins. Le surplus alimente les canaux Saint-Martin et Saint-Denis qui, joignant la Seine à la Seine, abrègent la navigation si longue et si dangereuse du fleuve, de Saint-Denis à Paris, quand on doit suivre ses nombreuses sinuosités et passer sous ses ponts.

La distribution dans Paris des eaux de l’Ourcq donna lieu à l’érection de nouvelles fontaines. Quinze furent ordonnées par un décret de l’empereur, daté du 2 mai 1806, et leur emplacement arrêté comme il suit : marche des Jacobins, château d’eau de la place du Palais-Royal, quai de l’École, place du Châtelet, au pied des Regards Saint-Jean-le-Rond et des Lions-Saint-Paul, près les casernes de Popincourt et de la rue Saint-Dominique du Gros-Caillou, place de l’Institut, près les Incurables de la rue de Sèvres, carrefour des rues de Vaugirard, d’Assas et de l’Ouest, place Saint-Sulpice, au collège de la rue de Caumartin, rue Mouffetard, entre les rues Censier et Fer-à-Moulin, finalement au carrefour qui termine la rue du Jardin-des-Plantes. Aux termes du décret, le premier établissement de ces fontaines devait être fait des deniers de l’État, à la condition que la Ville de Paris prendrait leur entretien à sa charge. Comme cela était arrivé dans d’autres temps, en pareille circonstance, le décret de Napoléon ne fut suivi exactement ni pour le nombre, ni pour l’emplacement des fontaines. Ceci n’est point un blâme adressé à l’autorité, mais une excuse pour moi, si, sur la foi de documents de même nature que le décret de 1806, il m’est arrivé de citer comme ayant existé en tel ou tel lieu des monuments qui n’ont peut-être jamais été qu’ordonnés. Soit meilleure convenance, soit que des difficultés élevées par des propriétaires de terrains privés l’aient voulu ainsi, plusieurs des fontaines dénommées occupent un autre lieu que celui désigné ; soit aussi que la Ville, interprétant largement le décret de l’empereur, n’ait pas cru que la simple addition d’un filet d’eau à un réservoir déjà existant constituât un monument nouveau, elle ajouta plusieurs fontaines nouvelles à celles prescrites, et l’on vit s’élever, presque au même instant, le château d’eau du Boulevard Bondy, l’abreuvoir qui occupait l’angle de l’équerre formé par la rue du Ponceau, la gerbe de la Place-Royale, au lieu qu’occupe aujourd’hui la statue réédifiée de Louis XIII, les fontaines de la rue de la Tixeranderie, du quai aux Fleurs, de l’École de Médecine, du Pilori, à la Halle ; elle commença celle, non encore achevée, dite de l’Éléphant, à la place de la Bastille, et reconstruisit et répara plusieurs des anciennes fontaines, au nombre desquelles sont celles de la Pointe-Saint-Eustache et de la place Maubert ; enfin elle montra, dans cette circonstance comme toujours, que le bien public est son seul guide, son unique moteur.

Pour compléter la nomenclature des fontaines dues au règne de Napoléon et que l’ordre des matières n’a pas permis de citer plus tôt, je ne dois pas oublier celle à la mémoire de Desaix élevée au milieu de la place Dauphine, celle devant le palais du Temple, et celle du marché Lenoir, faubourg Saint-Antoine. C’est peut-être aussi le lieu d’avertir le lecteur qu’il ne doit point chercher dans cet écrit certaines fontaines anciennes qui, privées d’abord, ne sont devenues publiques que long-temps après leur fondation, et qu’il serait dans l’erreur s’il considérait comme double emploi les citations, quelquefois répétées, de monuments élevés, détruits, puis réédifiés au même lieu dans différents siècles.

Les fontaines des Enfants-Rouges, de Sainte-Catherine, du Val des Écoliers, au Marais, des Récollets, au faubourg Saint-Martin, qui ont appartenu primitivement en propre à des communautés religieuses, sont du nombre de celles dont je n’ai pu indiquer l’époque de la fondation. Il en est d’autres, comme celle du Diable, rue de l’Échelle, de la butte Saint-Roch et de la rue des Fossés-Saint-Bernard, dont il ne m’a pas été possible de trouver l’origine ; quant à celle Beaujon, omise involontairement, elle est, comme l’hospice du même nom, de 1784.

De 1815 à 1830, où Paris fut circonscrit dans une limite de 10,060 arpents, 34,395 hectares, et constaté renfermer (en 1827) 890,431 habitants par un recensement régulier ordonné par l’autorité, de nouvelles fontaines furent construites, d’autres réparées ou réédifiées. Celles des marchés aux Chevaux, Saint-Martin, des Carmes, de Saint-Jacques-la-Boucherie, aux Herbes, aux Poissons, les quatre fontaines jaillissantes de la Place-Royale, celles des places Saint-Georges et François Ier, sont du nombre des premières ; celle de l’Esplanade des Invalides, en remplacement d’une élevée en 1804 pour recevoir le fameux lion de Saint-Marc et que les alliés ont ruinée en 1815, celle du centre du marché Saint-Germain, transportée là de la place Saint-Sulpice où elle était auparavant, et celle du carrefour Gaillon, au lieu qu’occupait celle dite d’Antin, sont les plus remarquables parmi les dernières. Au bienfait de leurs eaux on ajouta celui d’un nombre considérable de bornes-fontaines qui servent à l’assainissement de l’air, à l’irrigation des rues et au lavage des égoûts. À ces nouveaux et utiles établissements hydrauliques ajoutés aux anciens, le Corps municipal de Paris se propose d’élever sur plusieurs places et promenades publiques des fontaines monumentales dignes de la grande ville qu’elles doivent embellir ; faisons des vœux pour que leur érection soit prochaine, et réponde à ce qu’on est en droit d’attendre d’une administration riche et éclairée.