Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/3/4

IV.

Séance du 14 Janvier 1859.


Présidence de M. A. COMBES.

M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, invite la Société à le tenir au courant de toutes les découvertes, de toutes les fondations, de tous les faits qui intéressent, au point de vue de la science, la localité qu’elle habite. Il désirerait recevoir, avec toute la régularité possible, des extraits des procès-verbaux de ses séances, toutes les fois qu’ils contiendront quelque indication utile, et les programmes des prix mis par elle au concours. Il tiendrait également à être informé exactement des mutations qui peuvent avoir lieu dans la composition du bureau ou du conseil d’administration de la Société, des décès et des nominations nouvelles, en un mot de toutes les modifications qui surviennent dans son personnel.

MM. de Quatrefages, membre honoraire, et Tarnier, membre correspondant, remercient la Société de l’envoi de son bulletin.

M. Alfred Crouzat remercie la Société du titre de membre correspondant qu’elle lui a conféré.

M. Tailhades jeune fait don à la Société de deux pièces arabes en argent, et d’un manuscrit qui peut servir à l’histoire religieuse du diocèse de Castres, pendant la révolution.


M. V. CANET analyse ce manuscrit qui ne commence qu’à la 71e page, et qui n’a été arraché que par hasard à la destruction.

Un certain nombre de curés n’avaient pas quitté leur paroisse, même dans les jours les plus mauvais de la révolution. Ils n’avaient pas cessé de se tenir en relation entr’eux, et de recevoir des communications ou de demander des règles de conduite à celui qui, quoique, dans l’exil, était toujours leur chef. Le manuscrit remis commence par un mandement de Mgr de Royère. Cette pièce en latin est incomplète, elle est datée d’un couvent d’Espagne. Les autres lettres sont en français : elles sont datées du Portugal. Elles portent toutes l’empreinte d’une profonde tristesse ; mais aucune ne contient rien que puisse condamner la charité la plus scrupuleuse. Quels que soient les conseils que donne Mgr de Royère, ou fermeté inébranlable, ou soumission temporaire, dans ce qui n’atteint pas directement la foi, ou action publique et courageuse, ou retraite prudente, c’est toujours le même esprit, toujours la même préoccupation, toujours la direction vers un même but. Ces lettres sont un monument qu’il importait de ne pas laisser périr. Remises entre les mains de la Société, elles resteront avec le caractère que leur donnent les circonstances au milieu desquelles elles ont été écrites, comme les dernières preuves, et peut-être les plus touchantes, de l’affection de Mgr de Royère pour son clergé, et de son zèle pour les intérêts spirituels du diocèse dont, pendant un pénible exil, ni sa pensée ni son cœur ne pouvaient se détacher.

Parmi les pièces de toute nature transcrites dans ce volume, par un prêtre desservant aux environs de Castres, avant la révolution, et qui, malgré l’ordre d’exil, resta dans le pays pour remplir les fonctions périlleuses du ministère, on peut citer les quatre suivantes :

1° Lettre en latin, de Mgr Marc de Royère (Espagne, 15 septembre 1792), pleine de résignation, de douleur et de foi. C’est une exhortation à son clergé de rester fidèle à ses principes et à ses devoirs, et de se montrer, quelles que soient les circonstances, ce que doivent être de véritables prêtres ;

2° Lettre de l’évêque de Castres après le décret de tolérance de la Convention, à la date du 21 février 1795, pour leur tracer la conduite à tenir dans le cas où ils rentreraient en France ;

3° Lettre de l’évêque de Castres à ses curés, pour les prémunir contre les dangers d’une trop facile acceptation de l’amnistie (Acobaça, Portugal, 4 juin 1796) ;

4° Réponse de l’évêque de Castres à un curé qui lui avait envoyé le décret rendu par la Convention, le 19 mai 1795, relativement aux conditions faites aux prêtres catholiques qui rentreraient dans leurs églises.

Ce volume renferme encore quelques pièces qui ont un caractère politique.

La Société remercie M. Tailhades de l’hommage de ce manuscrit, qui lui permettra de conserver des lettres et des actes épiscopaux importants pour l’histoire de l’Église de Castres, et qui pourront être utilement consultés.


M. V. CANET rend compte de la collection de la Chronique de la Bigorre, adressée à la Société par M. Charles Dupouey, avocat à Tarbes, l’un des secrétaires de la Société académique des Hautes-Pyrénées.

La Chronique de la Bigorre a vécu un an. Les hommes qui l’avaient fondée avaient voulu en faire un journal exclusivement local. Elle a conservé jusqu’au bout ce caractère qui aurait dû assurer son existence et développer son action. Si l’œuvre n’a pas réussi, elle laisse du moins après elle le souvenir de généreux efforts. Il y a plus : elle laisse un exemple. Sur la proposition et par les soins de M. C. Dupouey, la Chronique de la Bigorre avait commencé la publication de documents historiques inédits, concernant toute la contrée qui environne Tarbes. Cette publication était une très-heureuse pensée, et il est regrettable, pour l’histoire du pays, qui aurait été ainsi préparée et rendue facile, qu’elle ne se soit pas continuée. On ne peut se lasser de le répéter. Tous les jours, des documents nombreux et importants disparaissent encore, parce qu’on n’en connaît pas le prix. Leur destruction n’est pas toujours due à la négligence. Combien de fois n’a-t-on pas vu rejeter comme inutiles certaines pièces qui, au premier abord, ne présentaient aucun intérêt ? Et cependant, ces mêmes pièces étudiées avec soin, fournissaient une indication qui contrôlait un fait, rétablissait une date, révélait un homme, ou donnait à un événement sa véritable signification.

Il est évident que tout ce qui nous vient du passé n’a pas la même importance. Bien des choses doivent être laissées dans l’ombre, parce qu’elles n’apprennent rien. Mais une publication faite après une révision sévère, avec un choix judicieux, dans un ordre méthodique, serait un véritable bienfait. Un journal semble même sous ce rapport infiniment préférable à des bulletins de Société. Le journal est l’unique lecture du plus grand nombre, dans une époque où non seulement les gros livres, mais les livres un peu sérieux font peur. Si, par le journal, on peut faire connaître à un grand nombre de personnes ce qu’elles risqueraient, d’ignorer toujours, si l’on peut conserver des pièces qu’un accident aurait détruites, pourquoi ne s’en servirait-on pas ? Pourquoi ne l’emploierait-on pas pour faire connaître, et souvent pour glorifier un passé que nous voyons le plus souvent à travers des préjugés qui lui ôtent son véritable caractère ? C’est ce qu’on a fait à Tarbes ; et voilà pourquoi la tentative de M. C. Dupouey est une de ces pensées auxquelles on est heureux de rendre hommage, parce qu’elle est inspirée par un amour patriotique raisonnable, et que l’on voudrait voir imiter, parce qu’elle doit être féconde en résultats utiles.


M. DE LARAMBERGUE rend compte d’un mémoire de M. D. Clos, intitulé : Origine des Champignons : la Truffe et sa culture.

M. Clos examine d’abord l’origine des champignons, leur nombre indéfini, la variété de leurs formes et leurs propriétés alimentaires ou malfaisantes. Les anciens botanistes classaient les champignons, tantôt dans le règne végétal, tantôt dans le règne animal. Théophraste, Pline et Dioscoride attribuaient leur formation à certaine viscosité née de la putréfaction des plantes. Le botaniste anglais Morison les regardait comme des excroissances du sol, produites par un mélange de souffre avec la graisse de la terre. En 1719, le botaniste allemand Dillen reproduisait l’opinion qui les attribuait à une fermentation putride. Lamettrie et Médicus les appelaient une cristallisation végétale.

Cependant, Tournefort, Micheli, Haller n’hésitaient pas à voir en eux des végétaux naissant de semences et asservis à la loi générale. Le microscope a depuis dissipé tous les mystères de leur végétation.

« Toutefois, dit M. Clos, il est un genre de champignons cher aux gourmets, qui seul peut-être, parmi tous les êtres organisés, parcourt les phases de la vie, caché dans l’intérieur du sol, et soustrait à l’action de la lumière. Aussi les fables les plus irrationnelles trouvent-elles encore crédit sur son origine ; et cependant, la truffe a été naguère l’objet de magnifiques travaux, après lesquels le doute n’est plus permis. »

Les champignons sont pourvus de deux sortes d’organes : le mycelium ou blanc de champignon, par lequel ils vivent et se nourrissent ; les spores qui sont hors de terre et qui portent les corps propagateurs, les analogues des graines. La truffe a donc les caractères généraux de tous les champignons ; et comme chez tous les autres, le mycelium tient lieu de tige et de racine.

On a expliqué de différentes manières l’origine de la truffe, et l’on s’est jeté dans les suppositions les plus contradictoires. M. Clos fait justice de toutes ces opinions que la science ne peut admettre, et qui semblent n’avoir pu être énoncées que parce qu’elles présentaient le caractère d’une complète nouveauté.

Bien des essais ont été faits pour cultiver la truffe. Cependant, malgré les nombreuses indications données et les exemples éclatants signalés, on peut dire que cette culture est encore un problème. Sans doute, on a réussi dans quelques cas : mais combien de fois n’a-t-on pas complètement échoué ? Mais si l’art n’est pas encore parvenu à faire des semis réguliers de truffes, il a pu cependant en produire par une culture que l’on peut appeler indirecte. Il a suffi de faire naître les conditions dans lesquelles la truffe peut végéter.

La truffe ne se rencontre que dans les terrains graveleux, de formation calcaire ; elle préfère un sol chaud et aride, dans le voisinage des racines les plus déliées du chêne, du charme, du noisetier, du bouleau, du châtaignier, du marronnier, du buis, du lilas, du pin d’Alep, et quelquefois aussi d’autres arbres. En supposant ces conditions réunies, on dépose dans le sol, soit le mycelium des truffes, soit des fragments mûrs, et si l’on ne peut pas compter sur une récolte assurée, on a du moins des chances de succès. Il faut de six à dix ans pour qu’une truffière soit en rapport. Elle conserve sa fertilité pendant vingt ou trente ans, selon le plus ou moins de prospérité du chêne.

La France possède quatre espèces de truffes. L’Algérie en a une qui lui est propre.

L’opuscule de M. D. Clos n’est pas seulement une étude de théorie et de science. Il renferme des idées applicables ; et plusieurs semblent se rapporter avec une étonnante précision au pays Castrais. La truffe s’y rencontre naturellement dans un grand nombre de localités. Il ne serait pas sans intérêt de voir cette récolte se régulariser, et la culture de ce précieux tubercule devenir une source de revenus nouveaux. La brochure de M. Clos renferme de nombreux renseignements qui pourraient être d’une grande utilité : ils sont le résultat d’une comparaison intelligente, et ils ont été contrôlés par un esprit qui a l’habitude de sonder de près et d’étudier, sous toutes leurs formes, les secrets et les mystères de la nature.


M. le vicomte DE CAZES, ancien préfet du Tarn, adresse à M. le président une lettre dans laquelle, après avoir apprécié le caractère et la portée de la Société, il donne sur M. l’abbé Paulhé des renseignements qui contribueront encore à faire ressortir plus vivement cette figure si grande dans sa simplicité, et ce mérite si supérieur dans sa modestie.

Voici un extrait de cette lettre :

« Votre Société a butiné sur le terrain d’Albi, dans le mémoire de M. Alibert. J’ai connu M. l’abbé Paulhé : l’administration ne s’était jamais occupée de lui, lorsque dans une tournée, j’eus l’idée, dont je me félicitai bien, d’aller le chercher dans son vallon solitaire de la Fage. À ma demande, une répétition générale de la classe, c’est-à-dire de toutes les classes, celles de seconde et de rhétorique seules non comprises, me fut donnée. Je pus voir M. Paulhé, l’oreille à tous et à chacun, lancer d’un ton et d’un accent qui n’étaient qu’à lui, reproche, avis ou encouragement, à chacun des groupes qui constituaient les divisions classiques ordinaires, réunies dans l’ancienne bergerie, salle d’étude le jour et dortoir la nuit, quand on y avait rapporté les lits qui ne méritaient guère ce nom.

» De retour, j’offris à M. l’abbé Paulhé de le recommander au conseil général, pour un subside si bien mérité. Sa première réponse fut un refus ; et il me fallut une véritable insistance, pour obtenir qu’il acceptât une allocation annuelle de 600 fr., qu’il sentait même le besoin de se justifier à lui-même, par la circonstance que pareille pension lui avait été autrefois accordée par Mgr de Bernis.

» À mon retour de Strasbourg, cet excellent homme était mort : la Fage se mourait, lorsque heureusement M. l’abbé Mondot entreprit de continuer l’œuvre si bien commencée. Il y réussit, avec le secours de l’abbé Pech élève et collaborateur de l’abbé Paulhé, un de ces hommes modestes dont la mémoire ne saurait être trop honorée. C’était un paysan qui, vers 18 ou 20 ans, fit, dans l’espace de deux ans ou même moins, tout son cours d’études classiques, parcourant aussi rapidement les études théologiques ; et après avoir été un utile associé de M. Paulhé, il fut le bras droit de M. Mondot à Massais. Vous aurez une idée de l’excellente tête de M. Pech (qui plus tard hélas ! n’a pas résisté à la fatigue), quand vous saurez que M. Chabrier, dont la haute position actuelle vous est certainement connue, et qui était alors inspecteur d’académie à Toulouse, se rendait exprès à Massais pour avoir le plaisir de raisonner philosophie avec lui. »

Des témoignages de cette nature sont précieux pour ceux qui en sont l’objet. M. le vicomte de Cazes a eu raison de croire qu’ils pouvaient intéresser la Société. Jalouse de ne rien laisser dans l’ombre, de tout ce qui peut contribuer à faire connaître le pays, et à donner à ses hommes la place à laquelle leur donnent droit leurs vertus, leurs talents ou leurs services, elle ne négligera aucune occasion d’accomplir ce qu’elle regarde comme une mission.


M. V. CANET rend compte d’un ouvrage qui va paraître à Béziers sous ce titre : Biographie Clermontaise, histoire des hommes remarquables de la ville de Clermont-l’Hérault, sous le rapport des talents, des services ou des vertus. L’auteur est M. l’abbé A. Durand, curé-archiprêtre de Saint-Nazaire, à Béziers.

On est toujours heureux d’avoir à signaler des publications entreprises sous l’inspiration d’une haute pensée et d’un sentiment généreux, parce qu’elles sont à la fois un bon exemple et un salutaire encouragement. Si les liens qui rattachent les hommes entre eux, et qui les rapprochent du lieu où se sont passées leurs premières années, semblent de nos jours se relâcher, s’ils paraissent même entièrement rompus, il est utile de concourir, par tous les moyens, à les multiplier, à les réunir et à les resserrer.

Faire connaître son pays, c’est un sûr moyen de le faire aimer. Plus on aime cette petite patrie où les yeux se sont, pour la première fois, ouverts à la lumière ; où se sont écoulés les premiers jours de l’existence, où l’on a éprouvé ces joies et ces douleurs dont se compose la vie, plus on se montre jaloux de sa gloire dans le passé, de sa prospérité dans le présent, et de son bonheur dans l’avenir : plus l’âme s’ouvre à ces douces émotions que l’on éprouve toujours en entendant parler de ce qui réveille tant de souvenirs. Il semble donc que l’on doive accueillir avec joie et saluer comme les bienvenues, toutes les œuvres qui ont pour but de mettre en relief les hommes et les choses que le temps, ou l’indifférence plus cruelle encore, risquait de faire disparaître pour toujours.

À ce seul point de vue, la biographie publiée par M. A. Durand aurait droit à l’attention et à la reconnaissance de tous ceux qui croient que l’on ne doit rien négliger pour élever les esprits et jeter dans le cœur de salutaires inspirations. On ne saurait d’ailleurs méconnaître tout ce que l’histoire générale doit à ces travaux particuliers qui semblent n’intéresser qu’une localité, et ne regarder qu’un homme, et qui pourtant par eux-mêmes, ou par les horizons qu’ils ouvrent, éclairent tant de points obscurs et expliquent tant de faits mal interprétés ou incomplètement connus. Nous ne pouvons pas oublier tout ce que la ville de Castres et les environs ont trouvé d’utile dans la Biographie de M. Nayral, et nous aimons à rappeler qu’il fut des premiers à donner l’exemple des études locales sous cette forme et avec ce caractère, Les autres villes retireront des publications de ce genre les mêmes fruits ; elles y trouveront le même intérêt, et se formeront ainsi une histoire qu’il est toujours heureux de voir se constituer d’éléments épars, pour porter de tout côté ses enseignements.

Sans doute il n’est pas donné à toutes les villes de produire des hommes supérieurs. Mais il n’y a pas une seule localité, quelque restreinte que soit son importance, quelque récente que soit sa constitution, qui n’ait des souvenirs à garder, des actes d’héroïsme modeste à mettre en lumière, des mémoires à glorifier. Si les grands hommes ne sont pas aussi nombreux que voudrait le faire croire un patriotisme local, trop souvent inintelligent et exagéré, ne rencontre-t-on pas toujours et partout, des existences consacrées par des talents réels quoique peu éclatants, des services rendus, des établissements fondés, des institutions créées, des vertus manifestées dans des circonstances exceptionnelles, ou dans une longue carrière ? Non, tout cela n’est pas aussi rare que le suppose le dédain stérile ou l’indifférence coupable de notre temps, pour tout ce qui ne frappe pas vivement les yeux. Sans doute, la gloire offre quelque chose de plus attrayant, et l’on est heureux d’avoir à signaler d’illustres capitaines, de grands politiques, d’éminents littérateurs, des industriels de génie, des artistes vraiment créateurs. Mais ne se sent-on pas doucement ému lorsqu’on peut étudier et glorifier des mérites plus modestes, des personnages qui ont laissé, par le souvenir de leurs vertus, une trace bénie, ou comme témoignage de leurs bienfaits, des créations utiles, ou comme preuve de leur affection pour la petite pairie, vers laquelle s’est toujours tourné leur cœur, des améliorations de toute sorte, réalisées par des actes personnels et par des œuvres qui ont continué leur influence après qu’ils ont eux-mêmes disparu ?

C’est ce qu’a fait pour la ville de Clermont-l’Hérault M. l’abbé A. Durand. Il a écrit, dans un ordre chronologique, depuis 1470 jusqu’à nos jours, la vie de tous ceux que leur naissance, des rapports fréquents ou un long séjour rattachaient à cette ville, et dont les actes lui ont paru se lier intimement à son histoire. Cette publication sera véritablement le Livre d’Or de Clermont.

Des cardinaux, doyens du Sacré-Collége, y ont leur place à côté de pauvres religieux récollets qui grandissent par la vertu dans la solitude et le dévouement. De nobles dames, dont la vie est dévouée à ces œuvres qui soulagent les misères de toute sorte attachées à l’humanité, des religieuses consacrées à la direction de ces maisons qui offrent leurs mortifications et leurs prières comme une compensation pour l’indifférence et les désordres du monde, voient surgir à côté d’elles de modestes ouvrières, de pauvres filles qui se sont en vain réfugiées dans leur humilité, et dont le dévouement long et pénible émeut et transporte. La douce figure d’un pasteur éprouvé par le malheur des temps, et, entouré jusqu’à sa mort de la vénération publique, précède le portrait d’habiles négociants que l’amour de la patrie transforme en audacieux capitaines et qui, dans un autre monde, défendent avec courage une colonie que leur patriotisme ne put conserver à la France. Un homme dont la vie fut consacrée à la pratique la plus obscure, mais la plus dévouée et la plus constante de la charité, qui, pauvre, fut la ressource des pauvres, se place à côté d’un plénipotentiaire du roi de Pologne, chargé des plus grands intérêts, appuyé sur la confiance, et honoré de l’amitié de plusieurs souverains. Deux curés éminents figurent en tête de plusieurs de leurs paroissiens, d’un mérite plus qu’ordinaire ; ce sont de pieux ecclésiastiques, de saintes religieuses, des jeunes gens, des jeunes filles, des mères de famille, modèles de vertu : plusieurs de ces biographies sont de véritables récits hagiographiques. Ces vies édifiantes sont entremêlées d’autres notices moins ascétiques, consacrées à mettre en relief des hommes que leurs services publics ou leurs talents ont fait remarquer parmi leurs concitoyens, dans l’intervalle de cette première moitié du xixe siècle.

Tout cela est raconté simplement, presque sans réflexions. M. l’abbé A. Durand sait que les faits valent mieux que les commentaires dont on peut les entourer. Ce qui est grand et beau par soi-même n’a besoin ni d’interprétations ni d’éloges. Les faits louent mieux que les réflexions, et c’est par là que le livre de M. l’abbé A. Durand renferme un attrait irrésistible ; c’est par là qu’il aura une incontestable utilité. Les âmes pieuses y trouveront surtout un puissant et précieux aliment pour leurs aspirations. Puissent les autres sentir tout ce qu’il y a de sève vivante et de grandeur féconde dans le récit de ces faits qui, par leur nature, semblaient devoir être à tout jamais ensevelis dans une profonde obscurité ! Le monde passe trop souvent indifférent devant eux, ne leur accordant pas même cette attention distraite, qu’il laisse s’égarer sur tant d’objets ou frivoles ou d’un regrettable caractère. Il est bon il est utile de considérer l’homme dans ce qu’il a de beau ; cela relève le courage trop facile à se laisser abattre. On est plus fort en présence de ces héroïsmes cachés qui luttent contre les abaissements de la nature, ou contre la séduction trop souvent irrésistible des passions intérieures et des entraînements du dehors.

Il arrive quelquefois que la vie d’un personnage soulève une question historique, religieuse ou littéraire ; alors le jugement de l’auteur ne se fait pas attendre. Il est net, précis, fortement motivé, et empreint de cette haute impartialité qui révèle une âme supérieure, aux petites passions ou à ces concessions déplorables qui sont toujours une atteinte à la vérité. À ce titre seulement, et en dehors de ses autres mérites et des autres avantages que l’on peut légitimement en attendre, la Biographie Clermontaise est digne d’une attention sérieuse et d’une vive sympathie. Ce n’est pas seulement une œuvre locale dédiée à quelques-uns, écrite pour une satisfaction passagère, c’est un livre solide qui soulève et résout des questions de plus d’une sorte, et qui, inspiré par l’amour du vrai, du beau et du bon, sans la moindre trace de préoccupation personnelle, a droit aux hommages de tous ceux qui croient que la littérature ne doit être ni un misérable jeu d’esprit, ni un piédestal pour la vanité, ni une école de frivolité et de corruption.


M. A. COMBES lit une note sur le livre intitulé : Jean Calas et sa famille, étude historique d’après les documents originaux, par M. Athanase Coquerel fils, pasteur suffragant de l’Église réformée de Paris.

Il n’appartient pas à la Société d’examiner la question soulevée par des recherches nouvelles, sur un procès qui a eu le privilége d’exciter les passions les plus violentes, ni de discuter l’opportunité de la publication de M. Coquerel. De pareils sujets lui sont interdits par son règlement ; et si elle doit compte du livre qui lui a été adressé, elle est tenue de se borner à l’examen de la question littéraire.

Sous le rapport de la forme, ce livre est bien fait. Écrit avec sagesse, prudence, précision, un peu froid, il constitue une remarquable étude historique. Le théâtre de l’événement, les faits généraux, le caractère des principaux acteurs, le rôle que semblent jouer la multitude au commencement, l’opinion publique à la fin, le nom de Voltaire, l’apparition d’une jeune recluse, tout cela se présente avec intérêt, avec des développements plus ou moins heureux, des preuves plus ou moins acceptables ; tout cela peut aider à caractériser une époque mal jugée, et que des études consciencieusement exécutées peuvent seules reconstituer, au milieu des préventions de toute sorte qui l’environnent.

Calas naquit à Lacabarède. Il n’est donc pas étonnant de trouver mêlés à son procès un certain nombre de noms du pays. Celui qui se reproduit le plus souvent, est le nom de Philippe Debrus. Quoique catholique, et proche parent de J.-E. Debrus, lieutenant principal à la sénéchaussée de Castres, il entra en correspondance suivie avec Voltaire, et fut un des promoteurs les plus actifs et les plus constants de la réhabilitation de Calas.


M. CUMENGE rend compte des travaux de la Société académique des Hautes-Pyrénées.

Cette Société existe depuis cinq ans : elle a donné des preuves incontestables du zèle qui animait ses membres, et des résultats auxquels on peut arriver avec de la volonté et de la persévérance. Aussi les encouragements ne lui ont pas manqué. Sa bibliothèque et son musée se sont rapidement enrichis. Il semble qu’elle n’ait plus qu’à continuer.

Cinq rapports ont été faits dans le courant de l’année. Le premier a pour objet un traité en 36 leçons, renfermant tout l’exigé des connaissances agricoles dans l’instruction primaire. Le second porte sur un code-répertoire de l’instruction primaire. Cet opuscule est un traité succint, mais complet sur la matière. Il faut signaler ensuite un discours sur le christianisme dans ses rapports avec les arts. À côté de bonnes pensées et de considérations élevées, se placent des opinions exagérées et qui deviennent injustes. Sans doute, le christianisme par cela même qu’il est la vérité, est la source la plus abondante des hautes inspirations et des conceptions sublimes. Mais est-ce à dire qu’il en soit la source unique ? Pourquoi vouloir nier les chefs-d’œuvre du polythéisme ? Sans doute, ils n’ont pas été produits parce que le polythéisme était une religion fausse, mais indépendamment de ses doctrines et de sa morale. Nier ce qui est évident et incontestable, c’est nuire à la vérité, au lieu de la servir. Plus le niveau moral d’un peuple est élevé, plus il semble y avoir de place pour les chefs-d’œuvre ; mais on le sait, tous les siècles de vertu ne sont pas des siècles de génie. Demander aux créateurs dans toutes les branches des arts, de hautes aspirations, de fortes croyances, c’est certainement relever leur dignité et rendre plus facile leur succès : mais cela ne suffit pas. Si la vie morale épure et perfectionne le génie, elle ne le donne pas ; et, sous ce rapport, ce discours plein d’ailleurs de mouvement, est hors de la vérité.

Après quelques observations sur le coke et les gaz combustibles, la brochure se termine par une étude sur un volume de poésies intitulées : Rosos et pimpanélos. Plusieurs citations permettent de juger de la valeur littéraire d’un certain nombre de pièces. Il y a un charme indéfinissable dans cette langue patoise, si riche, si variée, si éclatante, si harmonieuse ; et quelle que soit la différence des dialectes, il est toujours facile de ressentir les impressions qu’elle interprète, quand elle est au service d’une grande ou d’une gracieuse imagination. Il faut cependant remarquer que la versification patoise avec ses élisions, ses rimes à volonté, ses licences de toute nature, ses hiatus, est bien plus facile que la versification française pour laquelle on se montre avec raison si sévère. Le vers patois ne gagnerait-il pas à être un peu moins libre ? Il y a d’assez illustres exemples à invoquer en faveur d’une plus grande rigueur, et la poésie n’a jamais rien perdu à être rendue par une forme sévère et assujettie à des règles positives.


M. V. CANET rend compte de la deuxième partie du Choix d’expressions latines, adressé à la Société par M. Batiffol, professeur au Lycée de Toulouse.

La première partie de cet ouvrage destiné à l’enseignement, a été l’objet d’une étude spéciale. La pensée de l’auteur est bonne ; l’exécution y répond pleinement. S’il est avantageux de recueillir avec soin, de coordonner et de retenir ce que l’on trouve de plus remarquable dans ses lectures, afin de s’en servir pour soi-même, il est indispensable, pour les élèves qui étudient une langue, d’en connaître les tournures et d’en retrouver le génie dans des locutions particulières. Mais ce choix peut-il être fait avec un discernement assez sûr par l’élève ? Peut-il surtout, être assez étendu, pour lui offrir des ressources considérables, lorsqu’il aura à se servir de la langue qu’il étudie, pour une traduction, ou, ce qui est autrement difficile, pour une composition ? Non sans doute. La bonne volonté la plus constante et la plus éclairée serait insuffisante. Il faut donc un secours à l’élève ; il lui faut des locutions qu’il ne soit pas obligé de chercher, dont la traduction soit sous ses yeux, dont l’emploi puisse, à chaque instant, lui être indiqué.


C’est ce qu’offre le livre de M. Batiffol. À ce point de vue seul, il serait digne d’attention et d’éloges, parce que tout ce qui abrège le travail, ou le rend plus fécond, doit être accueilli avec faveur et reconnaissance.

Mais M. Batiffol a l’expérience de l’enseignement. Il sait qu’il ne faut négliger aucune occasion de jeter dans les esprits et dans les cœurs des connaissances nouvelles, ou des inspirations salutaires. Ses décades sont accompagnées de notes qui contiennent des variantes latines ou françaises, et qui renferment d’utiles et nombreuses observations. Une langue bien comprise représente d’une manière profonde et complète, le génie, les mœurs, les habitudes, la vie intellectuelle et morale du peuple qui la parle. C’est un miroir fidèle qui reproduit jusqu’aux plus fins contours, jusqu’aux plus légères nuances. Aussi, pour quiconque a suivi le développement de l’esprit dans cette étude que l’on trouve trop souvent ingrate et stérile, il résulte évidemment de ce travail qui semble borné au mot, la révélation progressive de ce qui constitue intimement un peuple. Cette révélation, l’élève la provoquerait rarement, en supposant qu’il pût y atteindre avec les ressources dont il dispose habituellement : le professeur ne peut pas la poursuivre, parce que son attention est divisée, et sa pensée appliquée ailleurs. Il est donc avantageux de fournir dans un cadre simple, sous une forme facilement accessible, quelque chose qui supplée à ces lacunes inévitables.

M. Batiffol fait ainsi passer sous les yeux tout ce qui regarde la religion, la politique, la vie publique, l’existence intime, et les usages Romains. Il trouve, dans les étymologies heureusement rappelées, et plus heureusement appliquées, les liens divers de la société Romaine, les rapports inévitables et l’influence positive des croyances ou des pratiques religieuses sur la législation, la discipline militaire, les actes des magistrats et ceux du citoyen. Ce ne sont sans doute que des éléments épars, et ils se présentent sans aucune liaison, car la nature du livre ne permet pas de suivre un ordre méthodique ; et cependant, il résulte, de tous ces enseignements donnés, de toutes ces indications fournies, de ces rapprochements qui se font d’eux-mêmes, un ensemble de connaissances qui embrassent l’état social tout entier d’un peuple si intéressant à étudier.

Il y a sans doute quelques détails qui tiennent à l’érudition et qui ne semblent pas d’une utilité immédiate pour des élèves. Mais ils sont en petit nombre ; et d’ailleurs, n’y a-t-il pas quelques avantages à initier de bonne heure les intelligences qui ne savent pas de quel côté se dirigera leur activité, à cette investigation patiente qui pénètre jusque dans les plus grandes profondeurs, et d’induction en induction arrive aux découvertes les plus positives, et les plus importantes ? Trop étendues, ces notes et ces observations seraient un défaut, par rapport à la destination du livre. Maintenues dans cette mesure, elles offrent un avantage réel.

Le nombre des auteurs que les élèves voient dans leurs classes est nécessairement restreint. Il est donc assez difficile pour eux d’établir ces rapprochements d’où ressort la différence des génies, comme celle des époques. Dans le choix fait par M. Batiffol, les comparaisons s’établissent d’elles-mêmes ; et il reste dans l’esprit, sans qu’on s’en doute, une impression générale qui trompe rarement. C’est une préparation éloignée, mais sûre aux appréciations et aux jugements qui sont l’objet spécial des classes supérieures.

Les étymologies sont en général exactes et très habilement signalées dans les différences que présentent les mots issus d’une même origine. Peut-être quelques-unes paraissent-elles au premier abord un peu recherchées, et il semble qu’elles soient dues à la perspicacité de l’auteur, et à son désir de se rendre compte de tout, plutôt qu’à la vérité. Cependant quand on se rend compte de la liaison intime qui unit entre eux les différents éléments de la langue, quand on sait combien les Romains étaient esclaves des formes, et combien ils tenaient à la tradition, on s’explique bien vite ce qui paraît hasardé et l’on comprend l’importance de ce qui se présente comme puéril. D’ailleurs, la recherche et l’indication des étymologies sont d’un grand avantage dans l’enseignement. L’esprit s’habitue ainsi à une certaine méthode. Il acquiert plus de facilité ; il arrive à une certaine pénétration, en augmentant son étendue et assurant sa rectitude.

Du reste, le livre de M. Batiffol a fait aujourd’hui ses preuves. Une expérience de près de deux ans sur des points différents, et avec des moyens divers, a prouvé tout le parti que l’on peut en tirer pour le progrès des études latines. Ces études sont et seront toujours en honneur en France. Elles ont résisté à ce mouvement qui semblait devoir tout entraîner vers les applications industrielles. Elles n’ont rien à craindre, car elles sont la sauvegarde du bon goût et un moyen puissant de développement intellectuel. Il faut donc remercier les hommes qui contribuent, par leurs travaux, à rendre les voies plus faciles et les résultats plus assurés. M. Batiffol peut s’attendre à cet hommage de la part de tous ceux qui s’intéressent aux bonnes et fortes études. La Société littéraire et scientifique de Castres ne pouvait manquer de le lui rendre, comme à un compatriote, et à l’auteur d’un de ces livres écrits sans prétention et qui laissent partout après eux, de bonnes influences et d’utiles résultats.


M. V. CANET rend compte d’une brochure intitulée : Nouvel éclaircissement d’un fait concernant les Provinciales, pour faire suite aux études sur Pascal, par M. l’abbé Flottes.

Les deux premières Provinciales sont suivies d’une réponse datée du 2 février 1655. On s’est demandé si cette lettre était réelle, et l’on a trouvé ainsi une occasion d’émettre des doutes sur la sincérité de Pascal. Dans une époque où l’industrie littéraire a été portée si loin, il peut paraître extraordinaire d’ajouter une si grande importance à un fait que tant d’exemples contemporains pourraient au besoin justifier. On sait qu’il n’est pas rare de voir les auteurs eux-mêmes, faire dans les revues et les journaux, les appréciations de leurs œuvres : et si c’est une garantie en faveur de la bienveillance des jugements, on peut dire que la vérité n’a rien à y gagner, et que la dignité y perd toujours quelque chose. Cependant, quand on songe à la sévérité des principes de Pascal, à l’austérité de sa vie, et aux obligations que lui imposait son attitude, on ne peut pas croire qu’il se soit permis une pareille supercherie. La probité littéraire était d’ailleurs alors bien plus sévère qu’elle ne l’a été depuis, et un acte pareil eût mérité la censure de tout ce que l’on appelait la république des lettres. Il fallait bien d’ailleurs que l’on ne crût pas pouvoir douter de l’authenticité de la réponse et du billet qu’elle renferme, puisqu’il n’y eut pas de protestation directe pour un fait, qui, s’il eût été vrai, aurait soulevé toutes les colères. Le P. Daniel n’est pas fort affirmatif quand il veut révoquer en doute l’authenticité des deux billets, et Racine qui eut le triste courage de se montrer ingrat envers Port-Royal, à une époque où la reconnaissance pouvait avoir quelque mérite, n’ose pas même tenter une insinuation.

De nos jours, M. Sainte-Beuve, après avoir affirmé à plusieurs reprises que les deux billets sont supposés, reconnaît dans deux articles récents, qu’ils sont l’œuvre de personnages réels. Ainsi, sans entrer dans l’ordre de preuves qui ressort de la contexture des deux billets eux-mêmes, et des inductions à tirer de leur style, on peut conclure que l’opinion généralement admise est en faveur de leur authenticité. Ils ne sont pas évidemment de Pascal ; ils ne sont pas tous les deux de la même main. L’impression qui ressort de leur lecture, comme l’examen des détails, permet de conclure que si, en publiant la réponse aux deux premières Provinciales, Port-Royal a été heureux de constater le succès qu’elles avaient eu dans le monde, il ne s’est pas oublié jusqu’à se louer lui-même.

Mais de qui sont les deux billets ? Il importerait assez peu de le savoir, si la solution de cette question n’entraînait naturellement celle de la première. Il n’y a pas, et il ne peut pas y avoir de preuve définitive. Cependant, M. Flottes arrive à un résultat qui, s’il n’est pas positivement vrai, a du moins tous les caractères d’une grande vraisemblance.

Quel est l’académicien désigné par le billet ? On hésite entre Chapelain et Gomberville. Il est désigné, il est vrai, en des termes qui devraient éloigner de ces deux noms, car le billet le signale comme un de Messieurs de l’académie, des plus illustres entre ces hommes tous illustres. D’après nos opinions sur cette époque (1655) il nous serait bien difficile d’appliquer une pareille qualification à Chapelain que nous ne connaissons guère que par les satires de Boileau, postérieures à cette époque, ou à Gomberville que nous ne connaissons guère. Mais pour bien comprendre et juger avec justice une époque, il faut se transporter au milieu de ses idées et de ses sentiments : il faut se les approprier, et vivre de sa vie. On est malheureux, disait Caton, un jour qu’un jeune homme critiquait un acte de sa jeunesse, d’être jugé par des hommes d’un autre âge. C’est qu’à un point de vue différent, les choses ne paraissent plus les mêmes. Or, bien des hommes voués à l’immortalité par la devise de l’académie, et fort estimés de leurs contemporains, peuvent être fort dédaignés aujourd’hui, et même avec justice, sans que cet hommage rendu au bon goût puisse leur faire perdre la place qu’ils ont occupée pendant leur vie, dans l’estime des hommes. Cette observation est vraie pour Chapelain, que Boileau malgré la raison, malgré sa verve satirique, malgré l’envie qui doit naturellement s’attaquer à un homme qui a longtemps et sans contestation, occupé le premier rang, ne put faire descendre que fort tard de son piédestal. Elle est vraie encore de Gomberville, quoique sa réputation ait été moins haute, et sa chute par conséquent moins éclatante que celle de Chapelain.

M. Flottes ne croit pas Chapelain désigné, quoiqu’il ait eu de longues et fréquentes relations avec Port-Royal. Il est certain que le style du billet ne diffère pas essentiellement du sien. Mais quand on lit avec soin les billets si fort en vogue à cette époque, on ne trouve guère entre eux de différences essentielles. D’ailleurs, Gomberville s’était montré favorable aux Provinciales ; il était ami des solitaires de Port-Royal, au point que l’on avait essayé de mettre les Provinciales sur son compte ; il avait été un des premiers académiciens, il « parlait très-purement sa langue, » et il était en rapports journaliers avec Arnauld. On le voit, ce ne sont que des inductions : mais entre tous les académiciens d’alors, il n’en est pas un à qui la désignation pût s’adresser mieux qu’à Gomberville.

Mlle de Scudéry n’a pas écrit le second billet. Quelque mérite qu’ait eu, surtout aux yeux de son temps, l’auteur de romans longtemps célèbres et réimprimés de nos jours, non sans succès, il n’est pas possible de lui attribuer tous les éloges inspirés par un respect poussé jusqu’à l’admiration. Mlle de Scudéry était remarquable par les qualités de son esprit plutôt que par sa position sociale, ou par ces vertus qui commandent la vénération. Sans doute, nous sommes habitués à ces formules ordinaires aux contemporains, et qui, dans le blâme comme dans l’éloge, ne restent jamais dans une juste mesure : mais nous avons vu que la postérité sait quelquefois les égaler. Certainement, le XVIIe siècle, quoiqu’il eût par dessus tout le respect de lui-même, n’a jamais parlé de Mme de Longueville, de Mme de Sablé et de tant d’autres qui, plus tôt ou plus tard, touchèrent d’assez près à Port-Royal, comme en a parlé M. Cousin, dans une époque qui semble ne plus guère savoir admirer. Or, c’est parmi une de ces femmes remarquables par leur naissance, leur position, leur esprit et leurs vertus, que M. l’abbé Flottes croit avoir trouvé l’auteur du second billet : et il nomme Mme Du Plessis Guénégaud. Sans doute, il n’y a encore rien de positif ; mais combien de faits sont généralement admis sans être entourés d’une pareille probabilité ? Tous les traits se rapportent parfaitement à elle. Elle était, au rapport de Mme de Sévigné, une des femmes les plus distinguées du XVIIe siècle, et elle tenait à Rambouillet. Cette dernière circonstance n’est pas inutile à noter : la manière spirituelle, et l’agrément apprêté du second billet confirment cette supposition.

Après cette double hypothèse, M. l’abbé Flottes conclut : 1° que les deux billets rapportés par le provincial, dans sa réponse, ne sont pas supposés ; 2° que si l’on veut désigner les auteurs, on n’a que des conjectures ; 3° que Mlle de Scudéry n’est pas l’auteur du second billet.

Celle nouvelle étude de M. l’abbé Flottes à propos d’un écrivain qu’il aime, et dont il a vengé éloquemment l’orthodoxie philosophique et religieuse, devait être signalée comme appendice à ses grands travaux. Nous devons être fiers de nos gloires nationales, et tout ce qui les touche a droit à notre attention et à notre sympathie. D’un autre côté, au moment où la province paraît vouloir faire acte de vie intellectuelle, et ne plus consentir à se laisser absorber par la capitale, peut-être y a-t-il devoir, dans des Sociétés comme la nôtre, à signaler les œuvres sérieuses qui se produisent autour d’elle, et à leur rendre un hommage public. M. l’abbé Flottes est de ces esprits justes, impartiaux, fermes dans leurs opinions, mais à l’abri de cette exagération par laquelle des imaginations plus ardentes gâtent les plus belles situations et compromettent les meilleures causes. Il est simple, net, précis ; et lorsqu’on a suivi dans ses cours ou dans ses livres, l’exposition large, mais claire et lumineuse des plus difficiles problèmes de la philosophie, on ne s’étonne pas de lui voir porter les mêmes mérites dans des discussions où se trouve à son aise un esprit droit, nourri des saines traditions de la littérature et de la philosophie, plein des ressources d’une érudition de bon goût, et par dessus tout, ami de la vérité.


M. CALVET, docteur en médecine, adresse à la Société la troisième partie de son travail sur la ville de Castres.

Les observations faites sur l’alimentation des ouvriers, et sur l’influence exercée par la position géographique et les différentes conditions intérieures, amènent à certaines conséquences qui se manifestent dans les caractères des maladies.

Les maladies sont aiguës ou chroniques. Les maladies aiguës sont celles qui, dans le développement, l’accroissement et la gravité des symptômes présentent un degré d’intensité d’après lequel le médecin peut établir qu’elles se termineront, dans une espace de temps relativement court, d’une manière heureuse ou funeste. Les maladies chroniques au contraire, présentent des phénomènes symptômatiques qui apparaissent, se succèdent et se terminent avec lenteur.

Le régime plus spécialement végétal, indépendamment de toute autre cause, prédispose au développement de quelques maladies aiguës : il peut même devenir cause occasionnelle. Cette acuité ne présente pas, en général, un degré d’intensité très-marqué. C’est plutôt un état sub-aigu qui tient le milieu. Les individus qui font presque exclusivement usage d’aliments végétaux sont caractérisés par des signes extérieurs. La peau est pâle ou légèrement rosée ; les chairs sont molles ; quelques-uns acquièrent un embonpoint considérable. Les travaux pénibles les fatiguent, leur résistance vitale est peu marquée, et la maladie les abat rapidement. Ils sont d’ailleurs presque toujours impressionnables sous l’action de causes qui auraient été inoffensives dans d’autres conditions de régime.

La présence d’entozoaires dans le tube intestinal est la conséquence de cette alimentation. Si chez les adultes, elle n’amène pas habituellement de résultats fâcheux, elle fait courir des dangers à l’enfance, et se présente comme complication dans quelques maladies.

Ce régime peut être considéré comme une cause prédisposante à une affection générale, qui se localise le plus souvent sur la membrane muqueuse du tube intestinal, et qui a reçu le nom de fièvre muqueuse. Il en est de même d’un état morbide général, appelé fièvre adynamique. Quelques modernes contestent l’existence de cet état : ils le considèrent plutôt comme une aggravation et une complication d’une maladie quelconque. Quoiqu’il en soit, le principe paraît être le même. On peut encore attribuer à la même cause l’anémie, la chlorose, l’affection scrofuleuse, l’affection tuberculeuse, des dyssenteries chroniques, le diabétès, certaines dyspepsies.

L’anémie se présente le plus souvent chez l’homme ; on la trouve rarement dans la femme. Elle doit être distinguée de la chlorose avec laquelle on la confond trop souvent. La chlorose est très-commune chez les femmes de la classe ouvrière, et particulièrement chez celles qui travaillent dans les fabriques.

Mais de tous les états morbides généraux, chroniques, le plus commun, parmi les ouvriers, est celui qui se présente sous les formes les plus diverses, c’est l’état scrofuleux. Il constitue la plupart des maladies chroniques des classes ouvrières. Les manifestations sont diverses : ophtalmies, tumeurs blanches, maladies de la peau, engorgements, affections de la colonne vertébrale, tout cela doit être attribué à un même principe. Tout cela, indépendamment des prédispositions attachées à l’hérédité, a sa source dans une nourriture en général insuffisante, ou trop exclusivement végétale.

La topographie, et la constitution atmosphérique de notre ville, ont aussi une importance, qu’il ne faut pas méconnaître. L’attention semble aujourd’hui spécialement portée de ce côté, et les nombreuses observations faites sur des points divers, avec une attention minutieuse, indiquent suffisamment quel est le rôle que l’on attribue, dans l’hygiène publique, à ces conditions générales à toute une population, ou particulières à ceux qui vivent de certaines industries.

Les études météorologiques sur Castres amènent à établir que les affections catharrales et rhumatismales doivent se présenter souvent. Elles prennent des formes nombreuses, arrivent à plusieurs degrés d’intensité, selon les saisons, et se compliquent par certaines conditions relatives à l’habitation, au climat, au voisinage des montagnes, à de nombreux cours d’eau, à des pluies fréquentes. Si ces causes agissent pour les maladies aiguës, on comprend quel est leur rôle dans les affections chroniques qu’elles préparent, développent, et déterminent par un travail lent, mais trop souvent irrésistible.