Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/11

Séance du 16 avril 1858.


Présidence de M. A. COMBES.


M. le sous-préfet assiste à la séance.

M. V. CANET dépose les manuscrits qu’il a reçus pour le concours de 1858.

M. CUMENGE écrit pour rendre compte des premiers travaux du Congrès tenu à Paris par les délégués des Sociétés savantes.


M. le sous-préfet appelle l’attention de la Société sur un arrêté de M. le ministre de l’instruction publique et des cultes, relatif à l’organisation du comité des travaux historiques et des Sociétés savantes.

Il est possible de se faire d’avance une idée des résultats que prépare cette réorganisation. Tout ce qui est isolé tend à s’affaiblir par le découragement, ou à s’agiter dans un mouvement stérile. Les travaux les plus consciencieux, les efforts les plus persévérants sont inutiles, s’ils ne sont pas reliés entre eux, si surtout, ils ne s’inspirent pas d’une pensée commune, pour arriver à un même but.

Certes, aucune époque, plus que la nôtre, n’a demandé au passé les secrets de toute nature qu’il cache dans ses ténèbres. Jamais il n’y a eu un mouvement aussi prononcé vers les études que l’on regarde trop souvent comme inutiles, parce qu’on n’en connaît pas la portée, ou qu’on n’est pas capable d’en sentir le charme. Ces préoccupations sont glorieuses pour notre siècle, et les études de toute sorte sur lesquelles porte et s’arrête l’activité humaine, en retireront des lumières nouvelles qui éclaireront les mystères des arts, des lettres, des sciences, et féconderont cet ensemble d’efforts sociaux d’où ressort, avec des caractères si divers, ce que nous appelons la civilisation.

Mais pour que ces efforts isolés forment une œuvre commune, il faut un centre où ils viennent aboutir ; il faut surtout une direction qui prévienne les écarts et proscrive les travaux de pure fantaisie ou de mesquine satisfaction pour une curiosité puérile. Le moyen le plus sûr de ne rien faire, c’est de prétendre à tout, et de tout subordonner à un caprice passager. La nouvelle organisation du comité ne supprimera sans doute aucun de ces travers, mais elle offre l’immense avantage de rapprocher ce qui était isolé, et de diriger ce qui marchait au hasard.

Les Sociétés savantes comprennent déjà tout ce qu’elles ont à gagner dans la position nouvelle qui leur est faite ; elles comprennent aussi les devoirs qui résultent pour elles d’une sollicitude dont elles ont pour la plupart éprouvé les effets. Elles seront encouragées à rester dans la voie qu’elles se sont tracée avec sagesse, et où elles ont marché avec une résolution qui ne sera peut-être pas stérile.

Par la nature de leur composition, formées d’éléments divers, incapables de se borner à une spécialité, elles sont obligées d’accepter des travaux de toute sorte, qui donnent satisfaction aux études représentées dans leur sein. Cette variété est, en elle-même, un avantage considérable. Elle étend le cercle des connaissances particulières et peut donner naissance à des aptitudes trop longtemps ignorées. Elle multiplie autour d’elles les sympathies dont elles ont besoin, et qui sont si précieuses par le courage qu’elles donnent, la confiance qu’elles conservent, et les moyens d’action qu’elles procurent.

Mais cette variété, si elle ne se rattachait pas à une idée générale serait un danger. Elle rendrait impossible toute direction, et laisserait dominer une vague et indécise aspiration qui serait inévitablement stérile. L’organisation nouvelle, en divisant le comité en trois sections spéciales, en fixant des prix annuels pour les meilleures productions des Sociétés savantes, sur des questions proposées sous l’approbation du ministre, en assurant l’attention à tous les travaux qui ont un caractère d’utilité incontestable, devient un encouragement efficace pour les Sociétés savantes, et dirige leur activité vers des études fécondes.

Un sentiment trop répandu pour n’être pas naturel, nous porte à dédaigner le milieu où nous vivons, pour aller chercher ailleurs des motifs d’intérêt et des objets d’attention. C’est que nous avons toujours besoin de nouveauté, et que ce qui frappe habituellement nos regards nous paraît peu digne d’être étudié. Aussi, connait-on moins ordinairement, l’histoire de la ville que l’on habite, les ressources actuelles dont elle dispose, à tous les points de vue, que ce qui regarde d’autres cités. Et pourtant, c’est par ceux-là seulement qui vivent d’une manière constante dans un même lieu, que les traditions peuvent être recueillies, les monuments décrits, les titres découverts, les témoignages historiques conservés et mis en lumière.

Voilà le rôle important des Sociétés savantes, voilà le travail d’où résulteront, pour elles, de fécondes découvertes et d’utiles enseignements. C’est ce que leur demandera le comité historique ; c’est ce qu’elles tiendront à honneur de faire, jalouses, tout en conservant la variété de leurs travaux, et en respectant la diversité des aptitudes, de concourir à cette œuvre d’ensemble, d’où doit sortir pour la France, une plus ample et plus profonde connaissance d’elle-même, de ses institutions, de ses monument, de ses hommes, c’est-à-dire de sa grandeur et de sa gloire.


M. M. de BARRAU rend compte des publications de la Société académique des Hautes-Pyrénées.

Cette institution fondée le 3 décembre 1853, s’est imposée un vaste programme qui peut donner aux aptitudes les plus diverses, l’occasion de se produire, et aux travaux les plus variés le moyen de porter leurs fruits. Elle embrasse l’histoire, la littérature, les sciences, les arts, l’agriculture et l’industrie.

Les bulletins renferment les procès-verbaux des séances tenues à des intervalles irréguliers, plusieurs discours ou comptes-rendus, des vers et des travaux intéressants, sur les diverses questions posées par le programme. Parmi ces travaux on peut signaler d’une manière particulière une remarquable étude botanique sur la flore cryptogamique des Pyrénées.

Une publication à part contient une notice légendaire sur les Pyrénées, par M. le baron Taylor, une étude archéologique par M. Dartiguenave, dont le nom avait été déjà remarqué pour une épître en vers, et des observations sur la culture du maïs, enfin des travaux minéralogiques et géologiques par M. Daguilard.

La Société académique des Hautes-Pyrénées a déjà prouvé qu’elle était fidèle à son programme, et qu’elle était en mesure de le remplir dans toute son étendue. Les objets divers sur lesquels elle appelle l’attention de ses membres, les préférences auxquelles elle donne satisfaction seront pour elle des moyens assurés de succès. La Société littéraire et scientifique de Castres ne peut qu’applaudir aux résultats déjà obtenus. Elle y trouvera de nombreux motifs d’émulation, et des encouragements qu’elle essaiera de ne pas laisser perdre. Elle remercie la Société académique des Hautes-Pyrénées, et attend de bons résultats de ces échanges, qui permettent aux Sociétés de s’éclairer par une expérience mutuelle, et de s’aider par la direction des efforts vers un même but.


M. PARAYRE rend compte de diverses publications adressées à la Société par M. A. Chevallier, chimiste, membre de l’académie impériale de médecine.

Onze brochures embrassant une période de dix années, ont été d’une manière spéciale, l’objet de l’attention de M. Parayre. Ces brochures se rapportent, pour la plupart, aux falsifications des substances alimentaires, ou aux dangers qui résultent pour l’homme, de son contact avec certains corps qui ont des propriétés toxiques.

On sait jusqu’où va de nos jours la falsification. Il semble que toutes les ressources de la chimie et de ses nombreuses découvertes au XIXe siècle, n’aient eu pour résultat que de fournir des moyens nouveaux de tromperie. Ces falsifications, si elles ne sont pas toujours dangereuses pour la santé publique, portent inévitablement avec elles des inconvénients graves. Il y a donc utilité à les signaler, afin que chacun puisse se mettre en garde contre ces abus de confiance, et les combattre autant qu’il dépend de lui.

Les poursuites de la justice qui montre tant de sollicitude sous ce rapport, sont efficaces comme répression. Il importe de les aider, en découvrant les procédés sous lesquels s’abritent des fraudes peu loyales, quand elles ne sont pas coupables. C’est ce que fait depuis longtemps M. Chevallier, et c’est là ce qui donne à ses publications un intérêt réel, en même temps qu’une grande et utile portée.

Les falsifications que l’on fait subir au lait, au vin, au café, au chocolat, sont étudiées avec un soin minutieux, décrites avec la plus grande exactitude, et dénoncées avec une énergie dont on sait gré à M. Chevallier. Il démontre par des expériences concluantes, tout ce que le corps de l’homme doit perdre par l’emploi de substances dénaturées, ou mêlées à des substances étrangères, qui en vicient les principes ou en affaiblissent les vertus. Il indique les moyens de reconnaître ces falsifications, par des procédés rapides et faciles, et il rend par conséquent la tromperie plus timide et la vigilance plus efficace.

La question des logements pour les ouvriers est traitée par M. Chevallier, avec un certain développement et d’une manière éminemment pratique. Il est certain que les conditions dans lesquelles se trouvent les habitations, entrent pour une proportion fort large, dans l’état, sanitaire des familles. On néglige trop en général ces questions, parce qu’on ne soupçonne pas le rôle qu’elles jouent dans l’économie de la vie humaine. Les traiter, les développer, les présenter sous plusieurs aspects, de manière à les entourer d’une attention sérieuse, c’est rendre un service réel, car c’est assurer le bonheur de bien des familles, et la conservation d’un grand nombre d’individus.

On a parlé souvent de cas d’empoisonnement par le phosphore. Dans une société où s’agitent tant de passions, où se heurtent tant d’intérêts, il serait dangereux de laisser trop facilement à la disposition de la perversité, des moyens de destruction. Le phosphore blanc est un danger. Employé communément pour les allumettes, mis à vil prix entre toutes mains, il pourrait rendre les crimes plus faciles, et dans certains cas, presque inévitables. Le phosphore rouge qui a les mêmes propriétés, ne présente pas les mêmes dangers. Il devrait donc être employé, non pas de préférence, mais d’une manière exclusive. Si des mesures ont été prises dans ce sens, la persévérance de M. Chevallier n’y est peut-être pas étrangère, car il n’a négligé aucune occasion de signaler des dangers dont des faits coupables ou des imprudences, ont malheureusement depuis, démontré l’évidence d’une manière trop incontestable.

La dernière brochure de M. Chevallier, est relative à la conservation des substances alimentaires, végétales et animales.

Les recherches qu’elle renferme sont d’un très-grand intérêt, et permettent de suivre les tentatives renouvelées tous les jours pour arriver à des résultats complets.

Ainsi, le caractère général des travaux de M. Chevallier, manifeste une préoccupation honorable pour son caractère, et qui deviendra féconde, sans aucun doute, — si ce n’est pas déjà un fait accompli, — pour les intérêts de la société au milieu de laquelle elle se produit.

M. Parayre demande pour M. Chevallier le titre de membre correspondant.

Il sera statué sur cette proposition dans la séance suivante.


M. V. CANET entretient la Société d’une pierre tumulaire qui vient d’être trouvée dans l’église de Vielmur, et qui lui a été transmise par les soins de M. Bernadou, maire de Castres.

Cette église avait servi primitivement au couvent de religieuses bénédictines fondé en 1028, par les seigneurs de Lautrec, sous le nom de Notre-Dame de la Sanhe. Ce dernier nom vient des marais qui entouraient, à cette époque, l’église et le monastère. L’abbaye a toujours été dépendante de la vicomté de Lautrec, et ses premières dignitaires appartiennent toutes à cette maison. Plusieurs seigneurs de Lautrec avaient désigné l’église comme lieu de leur sépulture, et de nombreuses inscriptions tumulaires témoignaient autrefois que ce désir avait été rempli.

Vers le commencement du XIIe siècle, une grande partie des murs du cloître qui environnait l’église s’écroula, et l’église elle-même faillit être entraînée dans leur ruine. Ce fait est constaté dans une lettre du 30 décembre 1249, d’Izarn de la maison de Lautrec, évêque de Toulouse. Il exhorte tous les fidèles de son diocèse, à contribuer, par leurs aumônes, à la réédification de cette église.

Autour de l’abbaye était venu se fixer une population qui devait trouver une existence facile dans la protection et par les bienfaits des religieuses. Une église fut bâtie. Elle devint insuffisante pour les habitants du village de Vielmur, et l’abbaye leur céda le droit d’assister aux offices dans sa chapelle, à certaines conditions, et avec la réserve qu’elle serait exclusivement affectée, à des heures déterminées, aux exercices des religieuses.

Alors fut bâti, sur l’un des côtés, un portail architectural, qui existe encore aujourd’hui, et qui sert d’entrée à l’église. La porte des religieuses, située au fond fut fermée : un double chœur fut bâti, l’un auprès du sanctuaire, l’autre au fond de l’église. Ce dernier reposait sur un double mur d’une grande épaisseur, dont une partie paraissait appartenir à l’église elle-même, l’autre au cloître extérieur.

Dans l’épaisseur du mur qui vient d’être démoli, pour agrandir l’église, les travaux ont mis à découvert deux tombeaux qui remontent à une assez haute antiquité. À la hauteur du sol, sur l’un des côtés de l’ancienne porte, apparut d’abord un grand vide qui se prolongeait dans la longueur du mur. Le fond était formé de grandes dalles. Les parois latérales étaient bâties d’une manière assez régulière, mais en pierres non travaillées et d’inégale dimension. Deux retraits se présentaient à l’entrée même. Ils contenaient deux vases ouverts, entourés d’étoffes dont quelques lambeaux ont été recueillis. Ils renfermaient un peu de poussière. L’intérieur de l’excavation était occupé par des ossements desséchés. Sur les deux côtés, se trouvaient dans un état parfait de conservation, une pintade et un moineau. L’un des doigts de la main droite du corps contenu dans ce tombeau était entouré d’un anneau d’or, à chaton formé par une turquoise dépolie.

Au-dessus de l’excavation, sous l’ancienne porte, on découvrit une pierre carrée de 22 centimètres, entourée d’un filet. Elle porte l’inscription suivante :

 ANNO. AB. INCARNATIO
NE DNI. M. CC. XXX
VIII. VII KAL. AUGUSTI
EPACTA. III. LUNA. I. OB
IIT. POCIA. VENERABI
LIS. ABBATISSA. VETIS. MI.

Le Gallia Christiana contient, relativement à cette abbesse, la quatrième dont le nom a été conservé, dans la liste du monastère de Vielmur, l’indication suivante :

IV. Pontia offertur benedicenda Guillelmo Petri Albiensi episcopo, eique promittit obedientiam, anno 1218, ut produnt tabulœ eccelesiœ Albiensis. Obiit anno 1238, vii cal. Augusti, epacta iii, luna i, ex inscriptione sepulcrali.

Le mur qui vient d’être démoli appartenait à l’église reconstruite après l’appel fait par l’évêque de Toulouse à la charité des fidèles. Ce mur est resté debout malgré tous les changements subis par cet édifice, car il est facile de reconnaître aujourd’hui que ses différentes parties n’appartiennent pas à la même époque. La conservation de ce tombeau qui est d’une date antérieure à la première reconstruction, est une preuve suffisante.

Au pied de ce premier tombeau, et au-dessous d’une figurine de pierre, représentant une tête recouverte d’un voile de religieuse, fut trouvé un second tombeau en tout semblable à l’autre, par la forme et les objets qu’il contenait. Seulement, il n’y avait ni inscription, ni anneau abbatial.

Il serait regrettable que les divers objets mis au jour par la réparation faîte dans l’église, fussent dispersés ; ils sont respectables en eux-mêmes, et dignes, par leur antiquité et le lieu où ils ont été trouvés, d’une attention sérieuse. Tous les registres, actes et cartulaires de l’abbaye de Vielmur ont été publiquement brûlés pendant la révolution. Bien des documents qui auraient aujourd’hui une importance réelle pour l’histoire de Vielmur, de la maison de Lautrec et de notre contrée tout entière, ont disparu pour toujours. Il serait à désirer que les témoignages du passé, que la main de l’homme a dû respecter ou n’a pu atteindre, fussent recueillis avec soin, et gardés comme des débris précieux d’une existence qui a eu sa grandeur et son utilité. On s’honore en se montrant jaloux du passé, autant que l’on se condamne soi-même, en se laissant aller à l’indifférence ou au dédain, pour des souvenirs qui relient entre elles les diverses parties de la durée, et sont une satisfaction à la fois pour l’esprit, et pour le cœur de l’homme.


M. A. COMBES rend compte, de concert avec M. BRU, du livre intitulé Li Prouvençalo, offert à la Société par M. Roumanille.

La langue d’oc ne semble nullement exposée à disparaître, malgré l’envahissement de plus en plus sensible du français. Outre les raisons que l’on pourrait trouver dans la construction même de la langue, dans son rapport parfait avec les populations qui la parlent, dans cet attachement natif que l’homme porte toujours aux premiers sons qui ont frappé son oreille, il y a dans certains travaux de nos jours, dans des œuvres capitales, dans des associations pleines de vie et d’activité, des symptômes de conservation, et, en quelques endroits, de restauration éclatante, ou plutôt de résurrection glorieuse.

Au nombre de ces associations, destinées à exercer une influence réelle, il faut placer le groupe qui s’est formé sous l’inspiration et par les soins de M. Roumanille. Le but de ces nouveaux troubadours est de relever la langue provençale, de la mettre au service d’une poésie populaire, de la faire l’interprète des grandes convictions religieuses, et des sentiments moraux par lesquels vivent, se fortifient et se perfectionnent les sociétés. Chacun d’eux a porté son tribut dans le livre intitulé Li Prouvençalo ; chacun d’eux tient à honneur de contribuer à la conservation de la langue, et à la propagation des principes qui élèvent l’âme, en même temps qu’ils la fécondent et la purifient.

Celui de ces troubadours du XIXe siècle qui occupe la plus grande place dans le recueil, et dont la physionomie a pu être appréciée de la manière la plus précise, est M. Roumanille. Né jardinier, devenu ouvrier imprimeur, il est aujourd’hui libraire à Avignon. Il se fait remarquer par une grande pureté, de style, et il a su éviter un défaut trop commun aujourd’hui, où l’on écrit le plus souvent dans les langues méridionales, avec le génie propre, les tournures et les expressions du français. On trouve en lui des pensées fines, d’heureux aperçus, des sentiments délicats, de la poésie dans les images, de l’harmonie dans le vers. N’est-ce pas suffisant pour attirer l’attention, et créer des droits nombreux et incontestables au titre de poète, si facilement prodigué aujourd’hui, et souvent si peu mérité ?

M. Roumanille est un véritable poète. On n’a qu’à lire, pour s’en convaincre, une délicieuse élégie intitulée : li Crécho ; l’Avaro, fable correcte et substantielle, vive dans son allure, terminée par un trait d’une piquante vérité et d’une observation profonde ; Se n’en fasien un abouca, conte destiné à combattre l’ambition toujours honorable dans son principe, presque toujours funeste dans ses conséquences, qui porte les familles à désirer pour leurs enfants, une position autre que celle où elles ont vécu ; l’Aiglo et lou Quinsoun, sonnet ; la Roso et la Margaridéto, fable ; lou Mounié, soun drolé et l’asé, traduction fine et presque toujours heureuse de l’apologue charmant où La Fontaine donne une leçon si utile, et pourtant si peu écoutée, à ceux qui veulent tenter quelque chose, et que, trop souvent, arrêtent ou découragent les opinions et les railleries de ceux qui ne font rien.

Les autres pièces ne sont pas inférieures. Elles portent l’empreinte d’une âme honnête, aimant le bien, poursuivant le vrai, exaltant le beau, semant, dans un langage populaire et d’une richesse inépuisable, des vérités utiles, de salutaires inspirations. M. Roumanille est un beau talent mis au service d’une bonne pensée, et qui s’est imposé à lui-même, la grande mission de faire pénétrer au sein des populations, les vérités morales et les sentiments religieux. Le but et les moyens sont assez beaux pour qu’on puisse y applaudir de grand cœur. On veut aller plus loin, et l’on s’estime heureux de pouvoir témoigner hautement de l’intérêt que l’on attache au succès d’une pareille œuvre, et de la sympathie que l’on éprouve pour le poète qui le poursuit avec tant de persévérance et de talent.

Sur la proposition de MM. A. Combes et Bru, la Société décerne à M. J. Roumanille, le titre de membre correspondant.


M. R. DUCROS lit la seconde partie d’un travail sur l’art céramique.

Les belles poteries grecques et romaines avaient disparu depuis longtemps et rien n’était venu les remplacer. On se contentait de ce qu’exigeaient les besoins ordinaires de la vie. Aussi l’art céramique ne donne aucun signe de vie jusqu’à la Renaissance. Une découverte importante avait eu lieu toutefois dans le XIIe siècle ; le vernis plombeux avait été trouvé à Schélestadt, en Alsace, ou à Pezzaro, en Italie. Cette découverte amenait un immense progrès, puisque les poteries acquéraient ainsi le brillant et l’imperméabilité.

Les Arabes firent connaître plus tard l’émail blanc à base de plomb et d’étain, dont Lucca della Robbia se servit pour décorer ses statues en 1420. Pezzaro en couvrit ses poteries vers 1500, et alors se fondèrent, sous la protection des princes italiens, des manufactures, dont les produits décorés par les peintres les plus célèbres, sont placés à côté des toiles de cette époque.

Bernard Palissy, peintre sur verre, géomètre, savant par l’observation des phénomènes de la nature, voit, vers 1550, une coupe sortie des manufactures italiennes. Son imagination s’exalte, et sa volonté s’applique à la recherche des procédés de fabrication de cette poterie qui provoque son admiration. Il travaille 25 ans, et réussit, après avoir dépensé sa fortune entière et son énergie à ce labeur. Il est le père des manufactures françaises. Cette faïence blanche, décorée de peinture brillante, a perdu peu à peu de son mérite réel et de cette vogue dont la raison n’est pas facile à signaler. D’autres produits, ou plus beaux en eux-mêmes, ou plus agréables à la vue, ont bientôt pris sa place.

En même temps, on découvrait les procédés de fabrication du grès. C’est une poterie d’une argile, très-pure, mélangée d’un peu de sable, dans laquelle une très-forte cuisson a déterminé un commencement de fusion, qui rend son imperméabilité complète. Les cruchons à bière en sont le produit le plus commun.

De nombreuses recherches n’avaient pu amener à la fabrication d’un genre de poterie que l’extrême Orient nous faisait connaître, et envier : la porcelaine de Chine. Aucun voyageur ne s’était trouvé en état de donner des procédés exacts, ou même des indications utiles. Des matières première envoyées en Europe, dans un état avancé de préparation, n’avaient pu mettre sur la voie de la fabrication qui donnait de si beaux produits. En 1700, Bættger de Berlin, se livrait à des recherches sur la transmutation des métaux, dans le laboratoire d’un autre adepte, Tchernauss de Dresde. Ses efforts n’aboutirent pas ; mais en voulant fabriquer des creusets pour ses expériences, il trouva la porcelaine. Un jour sa tête lui paraissait lourde ; au lieu de farine de froment pour poudrer sa perruque, on avait employé une terre triturée ; il l’examine, la travaille, la soumet à certaines épreuves : c’était de la terre à porcelaine. La manufacture royale de Meissen fut fondée ; elle appartient encore aux rois de Saxe. En France, les essais de fabrication de porcelaine avaient réussi, mais d’une toute autre manière : au lieu d’une terre, on avait trouvé un composé de diverses pierres et alkalis, qui, fondus ensemble par une forte chaleur, et triturés ensuite, avaient formé des pièces de poterie, qu’on appela porcelaine, à cause de sa translucidité. Elle est connue sous le nom de Vieux-Sèvres, parce que c’est dans cette manufacture qu’elle s’est fabriquée longtemps. Lorsqu’on eut découvert le gisement de terre à porcelaines, autrement dit kaolin, de St-Yrieix, près de Limoges, la fabrication de la porcelaine artificielle fut abandonnée pour celle de la porcelaine naturelle, qui se fait encore aujourd’hui avec tant de perfection dans cet établissement national. La porcelaine est dure, translucide, très-blanche, mais fort chère, à cause des frais de cuisson.

L’Angleterre a continué la fabrication de la porcelaine artificielle, dont le vernis est moins dur que celui de la porcelaine naturelle. Ce pays a créé ou plutôt perfectionné, un autre produit céramique, la faïence fine, appelée porcelaine opaque. Le silex calciné et réduit en poudre, introduit dans l’argile, lui procure plus de blancheur et de ténacité ; l’emploi du borax dans le vernis, assure son éclat. Josias Wedgwood, né en 1730, simple ouvrier, s’éleva au faite de la fortune et des honneurs, par le perfectionnement qu’il sut apporter à l’industrie de la faïence fine. L’essor qu’il lui donna s’est communiqué plus tard de l’Angleterre à la France, et d’importantes manufactures près de Paris, à Bordeaux, à Valentine près de St-Gaudens, en produisent de grandes quantités.

Les décorations des porcelaines et des faïences fines sont obtenues d’une manière différente. La peinture sur porcelaine se fait après coup ; elle subit l’action du feu dans un petit four spécial, qu’on réchauffe à l’extérieur seulement. C’est le même procédé de cuisson appliqué à la peinture sur verre. Les faïences fines, reçoivent des impressions en décalque, après avoir été soumises à une première cuisson. On recouvre ces impressions de vernis, et la pièce est remise au four, où elle se cuit complètement.