Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/2/10
Séance du 31 mars 1858.
M. le sous-préfet assiste à la séance.
M. A. COMBES communique une lettre du président de la Société archéologique du Midi de la France. Cette lettre contient une décision relative à l’échange des publications entre les deux Sociétés. Elle renferme un hommage rendu à la mémoire de M. Nayral, qui a été pendant plusieurs années membre correspondant de la Société archéologique.
M. CUMENGE écrit relativement à la réunion du Congrès des délégués des Sociétés savantes. Il accepte avec reconnaissance la désignation dont il a été l’objet, et il assistera, autant qu’il lui sera possible, aux séances du Congrès.
M. A. PLAZOLLES fait remettre à la Société une monnaie en argent à l’effigie de Louis XIV, à la date de 1704.
La Société remercie M. Plazolles de l’envoi de cette pièce, qui prend place dans ses collections.
M. V. CANET entretient la Société d’un système destiné à corriger le bégaiement, les fausses articulations et le mutisme incomplet. L’auteur est M. Félix Fabre, instituteur à Béziers.
Ce système n’est pas formulé d’une manière complète et détaillée dans le tableau que M. Fabre a fait remettre à la Société. Ce tableau est un résumé d’un ouvrage considérable qui sera publié peut-être un jour, et dans lequel sont consignées les observations d’une longue et patiente expérience. En attendant, il est possible de se faire une idée des bases principales du système, et des procédés par lesquels il est appliqué ; il est facile surtout de comprendre les avantages qu’on peut en retirer.
Ce n’est pas de nos jours seulement qu’on s’est attaché à corriger le bégaiement, le mutisme incomplet et les fausses articulations. Quelle que soit la cause de ces infirmités, elles sont assez fâcheuses pour que l’on doive savoir gré de leurs efforts, à ceux qui ont tenté de les atténuer ou de les faire disparaître complètement.
Plusieurs méthodes ont été employées, et chacune d’elles peut invoquer, à l’appui de son efficacité divers résultats. C’est que les difficultés dans l’articulation tiennent à des accidents très-variés ; et ce que l’on a vainement tenté par certains procédés, est souvent obtenu par les moyens les plus simples, ou par des méthodes qui jusqu’alors avaient paru stériles. M. Fabre n’a pas cherché à former un système avec ce qu’il a pu trouver chez les autres. Il est probable qu’il n’a rien emprunté à la méthode d’Itard, ni à celle de Mme Leigh, plus connue sous le nom de Méthode américaine, ni au Traité complet de tous les vices de la parole, par M. Colombat. Il a eu, dans l’exercice de sa profession, à combattre des organes rebelles ; il a cherché avec soin, avec dévouement, ce qui pouvait être applicable dans chaque cas particulier ; et, de ces diverses expériences, dont la plupart ont été couronnées d’un succès complet, il a formé le système que la Société voit résumé dans le tableau qui lui est offert.
Les lettres sont prononcées par différents mouvements des lèvres et de la langue. Lorsque ces mouvements ne sont pas libres ni complets, l’articulation est fausse ou inachevée. Pour corriger cette incorrection, il y a donc un double travail à faire. Le premier consiste à indiquer aux yeux la position des lèvres et de la langue ; de manière à produire une imitation physique, d’abord complètement indépendante de toute émission de son.
Lorsque ce premier résultat est obtenu par un exercice souvent répété, qui doit assouplir les organes, on fait pousser le son, et si l’articulation n’est pas encore parfaite, on est sûr du moins qu’elle est plus nette, plus exacte et plus intelligible. Ce procédé est simple, mais il doit être efficace ; il obtient par les yeux ce que l’oreille refuse ; et on sait que le mutisme incomplet est souvent le résultat d’une perception imparfaite du son.
Des figures indiquent la position de la bouche dans l’articulation des diverses consonnes ; des explications très-détaillées permettent de comprendre qu’elle est la nature particulière de gymnastique qu’il faut faire pour chacune d’elles. Tel qu’il est, ce travail de M. Fabre peut être très-utilement employé par tous ceux qui enseignent les enfants. À ce titre, il devrait être signalé. Il serait à désirer qu’il fût connu, car il est facile à chacun de s’en servir, et de corriger ainsi, sans de grandes études et de trop longues tentatives, des imperfections toujours fâcheuses. La publication de l’ouvrage dont le tableau est un extrait pourrait avoir de plus grands avantages.
Il aurait pour résultat immédiat de généraliser des procédés qu’il est important de connaître, et d’appliquer dans toute leur étendue.
La Société remercie M. Fabre de son intéressante communication dont elle reconnaît l’ingénieuse conception, et qu’elle croit appelée à rendre de bons et utiles services. Elle espère que le livre sera publié, et qu’il deviendra pour M. Fabre, un titre à la reconnaissance de tous ceux qui reconnaissent les avantages d’une articulation exacte et complète.
M. V. CANET annonce qu’il a trouvé dans les pièces justificatives de l’histoire du pays Castrais, par M. Marturé, l’inscription tronquée qu’il avait essayé de rétablir. Les expressions ne sont pas partout exactement reproduites, mais le sens général reste le même. Les nombreuses fautes que renferme la citation de M. Marturé sont, sans doute, des erreurs de copie ou d’impression. Il n’en faut pas tenir compte, car si elle avait été ainsi composée, l’inscription n’aurait eu aucun sens.
D’ailleurs, la pierre a été enlevée aujourd’hui de l’escalier dont elle formait la première marche, depuis plus de 60 ans, et il est possible de lire ce qu’il avait fallu d’abord supposer d’après quelques vagues indications.
Voici l’inscription complétée à l’aide de M. Marturé.
IMPIVS HANC ÆDEM DVDVM PROSTRAVERAT HOSTIS.
NVNC STVDIO TVBÆE TVO RENOVATA RESVRGIT.
HÆC PROSTRATA DIV TERRÆQVE ÆQVATA IACEBAT :
JAM PER TE RECREATA TVO CVM STEMMATE FVLGET.
Cette inscription avait été attribuée à l’église dont M. de Tubœuf avait jeté les fondements, ou au palais épiscopal qu’il avait fait construire. M. Marturé constate qu’on la lisait sur la porte principale de ce palais.
Cependant des raisons nombreuses et puissantes pourraient confirmer l’opinion que l’inscription était applicable à l’église de St-Benoît.
Il s’agit d’abord de reconstruction après une destruction violente. Gaches rapporte qu’en 1569, après la démolition d’un beau temple appelé le Petit Paradis, à Lyon, le prince de Condé envoya « commandement à toutes les villes de son parti, de démolir tous les temples des catholiques ; ce qui fut exécuté à Castres. On y travailla, bien qu’on les eût conservés aux premiers et aux seconds troubles. On commença à Villegoudou par le couvent des Religieuses, on continua par St-Jacques : à Castres, par le couvent de la Trinité, des Cordeliers, et les églises de la Platé et St-Benoit. »
Gaches est très-exact dans le récit des faits. Il établit une différence entre les couvents et les églises ; il constate que l’église de St-Benoît fut démolie, et ne parle, ni dans ce passage, ni ailleurs, de la destruction de l’ancien monastère. On sait d’ailleurs que, depuis 1535, époque de la sécularisation, par le pape Paul III, les chanoines ne vécurent plus en commun. Dès lors les bâtiments de l’abbaye ne furent plus affectés qu’à renfermer les produits des terres relevant directement du chapitre, ou les dîmes qu’on lui payait.
Le premier vers de l’inscription ne peut donc pas s’appliquer à l’abbaye, et par conséquent au palais qui s’éleva sur son emplacement. Jusqu’à M. de Tubœuf, les évêques résidèrent dans une immense habitation dont les dernières traces vont disparaître dans la rue du Consulat ; et quoique Claude d’Oraison eût été surpris dans son palais épiscopal, par Guilhot de Ferrières, chef des protestants, aucun document contemporain n’indique une atteinte quelconque portée à son habitation.
Les raisons ne manquèrent pas plus tard à M. de Tubœuf, pour transporter sa résidence, de la rue actuelle du Consulat, qui forme le centre de l’ancienne ville, sur les bords de l’Agoût, dans le voisinage de la campagne et à proximité de son église cathédrale. Si l’inscription qui, d’après M. Marturé, surmontait la porte principale du palais épiscopal, était applicable rigoureusement à un édifice, elle ne pourrait avoir toute sa portée qu’en constatant la part prise par M. de Tubœuf à la construction de l’église actuelle de St-Benoît.
D’un autre côté, le palais épiscopal a été commencé et terminé par M. de Tubœuf. L’église, selon les mémoires du temps, ne s’élevait en 1682, époque de sa mort, qu’à deux cannes au-dessus de terre. Est-il probable qu’il ait songé à constater la part qu’il avait prise à sa construction, au moment où elle n’était encore que commencée, et où il ne pouvait pas prévoir s’il lui serait donné de l’achever ? Enfin, le dernier vers de l’inscription semble se rapporter à un édifice complètement terminé. Il est donc probable, en s’appuyant d’ailleurs sur le fait cité par M. Marturé, que l’inscription surmontait la porte principale du palais épiscopal, et que c’est à tort qu’on l’attribuerait à l’église.
Il reste seulement une observation à faire ; les vers sont corrects et d’une facture facile ; mais la même pensée y est exprimée deux fois en termes presque pareils ; et le souvenir d’une destruction violente, rappelé avec une certaine affectation, ne peut en aucune manière être applicable aux bâtiments sur l’emplacement desquels fut construit le palais épiscopal. C’est une indication fausse qu’une inscription n’aurait pas dû consacrer.
La place serait peut-être facile à déterminer. Les armes de M. de Tubœuf s’élèvent au-dessus de la porte par où l’on entrait autrefois dans la cour intérieure, entre le pavillon de l’officialité, et l’aile qui longe la rivière. Celles du roi surmontaient le fronton de la cour d’honneur. L’inscription n’aurait-elle pas occupé l’espace encadré par des filets de pierre, où a été placé plus tard, le mot Mairie ? Les dimensions semblent se rapporter de manière à ne laisser aucune place au doute.
Il n’est peut-être pas inutile, à propos de l’église de St-Benoît, de signaler un fait qui a causé une confusion et produit des erreurs. L’édifice actuel commencé par M. de Tubœuf en 1670, a été inauguré en 1718, par M. de Beaujeu. Mais des tentatives de reconstruction ou plutôt de restauration de l’ancienne église, détruite en 1569, avaient été faites antérieurement. On sait que l’évêque et le chapitre chassés de Castres à l’époque des troubles religieux, résidèrent successivement à Burlats, à Vielmur et à Lautrec. Ils ne rentrèrent à Castres qu’en 1650, après la paix d’Alais. Il eût été étonnant que les évêques eussent tardé si longtemps à relever leur église cathédrale. Jean X, de Fossé, nommé évêque de Castres en 1584, mort le 12 mai 1652, avait fait restaurer l’ancienne église, ainsi que le constate une inscription qu’on y lisait autrefois sur une plaque de marbre noir.
Anno sal. 1650, Ludovico Justo regn. Joannes de Fosse, theolog. Paris. et episcopus Castrensis, anno œtatis 76, sedis 47, œdem hanc instaurandam curavit, sub D. Benedicti nominc, sui in Deum atque in gregem suum animi, perenne monumentum.
Cette église se prolongeait jusqu’à la rue actuellement appelée Sabatier. Son existence n’a pas été aussi longue que semblaient le promettre les derniers mots de l’inscription, puisqu’elle ne servit aux cérémonies du culte que jusqu’en 1718. Celle qui avait été détruite par les protestants datait de l’époque où les religieux de l’abbaye de St-Benoît, cédèrent aux dominicains, l’église de St-Vincent, et se transportèrent un peu plus bas sur le cours de l’Agoût. L’établissement définitif des Jacobins à Castres, est de 1258.
M. MARIGNAC, membre associé, remet à la Société, au nom de M. J. Roumanille, un recueil de pièces diverses en langue méridionale. Ce recueil porte pour titre : Li Prouvençalo ; il est accompagné d’une introduction par M. Saint-René Taillandier, professeur de littérature française à la faculté des lettres de Montpellier.
M. Roumanille est un véritable poète. Il en a l’inspiration : il en sait la langue. L’idiome provençal dont il se sert, a reconquis les grandes qualités qui lui avaient donné dans le passé un si grand charme, et assuré un rôle si important. M. Roumanille s’en est servi pour propager de bonnes idées et exercer, autour de lui, au sein des classes laborieuses dont il est issu, une influence moralisatrice. Il s’adresse au peuple des campagnes, « pour lui enseigner les joies viriles du travail, les enchantements de la nature, les consolations de la foi chrétienne. »
Il a rassemblé, pour les convier au même but, en employant les mêmes moyens, des hommes pleins de zèle, et dont plusieurs mettent au service de cette belle cause, une âme vraiment poétique.
Il est résulté de cet accord de volontés, et des sympathies qu’il a provoquées, un certain nombre d’ouvrages différents de caractère, d’étendue et de mérite, mais dans lesquels revit tout entière la langue provençale.
Est-ce un mérite que ce retour à une langue dédaignée aujourd’hui ? Est-ce un bienfait, un avantage quelconque du moins ? M. Taillandier répond à ces questions, tout en caractérisant la tentative de M. Roumanille : « Ni la civilisation moderne, ni la langue moderne, ni la langue française, ne sont menacées par ce retour à des traditions particulières. Le culte de la famille ne nuit pas à l’amour de la cité ; la petite patrie ne fait pas oublier la grande. Soit qu’on s’attache seulement à la question littéraire, soit qu’on se préoccupe de la morale sociale, comment refuser une affectueuse sympathie à l’œuvre de M. Roumanille ? Pour les lettrés c’est le réveil d’une langue qui a eu de brillantes et douloureuses destinées, qui a enchanté l’Europe, qui a inspiré Dante et Pétrarque, qui a suscité presque toutes les poésies nationales ; c’est le réveil de cette langue purgée désormais d’un mauvais alliage et rendue à sa dignité première. Pour ceux qui songent surtout à l’amélioration des classes pauvres et au redressement des esprits égarés, c’est un instrument de plus employé déjà par des mains loyales, au défrichement de nos landes. Cette poésie populaire ne propagera que des leçons utiles ou des consolations aimables. »
M. Marignac demande que le titre de membre correspondant de la Société soit conféré à M. Roumanille.
Il sera statué sur cette proposition, après le rapport de MM. A. Combes et Bru, sur le recueil intitulé : Li Prouvençalo.
M. A. COMBES lit une note paléographique sur la Bible manuscrite, signalée dans la séance précédente par M. V. Canet.
Ce manuscrit remarquable sous beaucoup de rapports, est formé de peaux en parchemin, écrites des deux côtés et réunies en cahiers quatre par quatre. Elles n’ont rien perdu de leur blancheur et de leur finesse primitive. L’écriture est gothique, de la même main, d’un bout à l’autre des deux volumes. Elle est un peu haute, encadrée en deux colonnes, dans de grandes marges. Ce manuscrit a conservé toutes ses feuilles. L’encre rouge et noire n’a rien perdu de la vivacité de sa couleur : les enluminures diverses du commencement des livres et les ornements des lettres qui forment la tête des chapitres, ont conservé toute leur fraîcheur.
Ce manuscrit doit remonter au temps de la découverte de l’imprimerie. C’est ce que démontre M. Combes après avoir rappelé quelques règles historiques.
La miniscule Carlovingienne règne en France depuis le IXe siècle jusqu’au XIVe ; alors elle commence à se détériorer. En même temps que l’architecture se modifie complètement, que l’aiguille gothique, les trèfles à jour, les dentelures et les ornements fantastiques, succèdent au plein cintre romain, l’écriture en France, opère aussi sa révolution : elle devient gothique, s’arrondit, se contourne, se décore de tremblements. Ces caractères s’introduisent dans l’usage des livres d’église et les distinguent depuis St-Louis (1270), jusqu’à Henri IV (1595).
Ce genre d’écriture était complètement fixé en 1373. Les premiers cadastres de la ville de Castres, à cette date, en sont un exemple. On y remarque, et c’est un fait capital, l’absence de toute espèce de ponctuation. L’accentuation est complètement nulle : aucun signe n’indique le commencement et la fin des phrases.
Les lignes blanches tracées horizontalement sur toute la largeur de la feuille indiquent un manuscrit remontant au moins au XIIe siècle. Au XIIIe et au XIVe, les lignes sont indiquées par la mine de plomb ; dans les manuscrits plus récents, l’écriture s’appuie souvent sur des lignes rouges.
Les abréviations sont rares dans les plus anciens manuscrits. Elles se multiplient, du VIIIe au XIIIe siècle, et sont même reproduites dans les premiers ouvrages imprimés.
Ces observations peuvent guider dans la détermination de l’époque à laquelle appartient la Bible de Castres.
Elle est en deux volumes, parfaitement pareils, de 0m,59 cent. de long sur 0,40 cent. de large, reliés en pans de bois recouverts d’une peau noire, avec des ornements en rectangle renfermant une croix, une fleur de lys ou un cheval au galop.
Il n’y a pas de pagination ; les chapitres sont numérotés à la marge, en encre rouge. Les lignes au nombre de 28 pour la longueur de la page, sont rangées en deux colonnes, avec des marges très-grandes.
Le premier volume comprend les cinq livres de Moïse, Josué, les Juges et Ruth. Chaque ouvrage est précédé du prologue de St-Jérôme.
Les initiales des chapitres sont ornées d’arabesques à fond d’or ou d’azur, d’une assez grande dimension, avec un développement considérable pour la lettre elle-même. Les majuscules de chaque phrase sont enluminées d’une teinte plate en gomme-gutte. Tous ces ornements sont remarquables par la légèreté, la netteté et la hardiesse des traits. On ne trouve pas la moindre bavure dans le dessein, ou dans la couleur formant le fond destiné à le recevoir.
Le second volume comprend Job, Tobie, Judith, Esther, les Machabées, Ézéchiel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Nahum, Habacuc, Aggée, Zacharie, Malachie. Il a tous les caractères du premier, avec une profusion plus grande de figures humaines, formées par les traits qui ornent les lettres initiales du chapitre ou de la phrase.
Les caractères généraux de ce manuscrit sont : l’écriture gothique dans toute sa perfection, l’emploi de points à la fin des phrases, l’absence des virgules, les abréviations. En tirant des conséquences de la nature des ornements et des enluminures, on pourrait le rapporter au XVe siècle, à l’époque presque correspondante à la découverte de l’imprimerie.