Procès verbaux des séances de la Société littéraire et scientifique de Castres/1/1

SOCIÉTÉ
LITTÉRAIRE ET SCIENTIFIQUE
DE
Castres (Tarn.)

L’initiative de quelques personnes répondant aux désirs de tous ceux qui, à Castres, s’occupent des travaux de l’esprit, avait provoqué une réunion dans le but de former une Société littéraire et scientifique. Chacun des membres présents avait d’avance reçu communication du projet de règlement et des mesures qui seraient proposées pour arriver à une constitution définitive. La date du 26 novembre rappelait un souvenir local d’un certain intérêt. À pareil jour, l’académie de Castres fondée par Pélisson avait tenu sa première séance. Les fondateurs de la Société littéraire et scientifique avaient saisi avec empressement l’occasion de rattacher l’œuvre nouvelle à un corps dont l’influence n’avait pas été inutile dans notre cité.

Séance du 26 Novembre 1856.


Présidence de M. le marquis GRIMALDI DES BAUX,
Sous-Préfet de Castres.


La séance s’ouvre à huit heures du soir, dans la salle des délibérations du conseil municipal.

M. Miquel, président du tribunal de première instance ; M. Bernadou, maire de Castres et les membres fondateurs de la Société sont présents.

M. le sous-préfet prononce l’allocution suivante :


Messieurs,

Deux jeunes professeurs de cette ville que leurs fonctions dans l’enseignement préparaient mieux que d’autres à l’étude et au culte des œuvres de l’intelligence, ont eu la pensée de fonder à Castres une Société scientifique et littéraire. Conduite avec discrétion et sagacité, cette entreprise peut être comptée dès à présent parmi les entreprises heureuses, puisque vous vous y êtes associés avec empressement, et, en prenant part à la fondation nouvelle, et, en promettant votre concours pour l’avenir. Les actions de la Société naissante ont été souscrites avec une rapidité qui prouve que le capital intellectuel ne fera pas défaut, lorsqu’il faudra passer de la promesse à l’œuvre. Je vous en félicite, car je suis persuadé qu’en répondant à l’appel qui vous a été adressé, vous obéissez à une pensée qui est dès aujourd’hui digne d’estime, et qui peut devenir digne de louange. En effet, Messieurs, à côté de la France politique et militaire, de la France agricole et industrielle, il existe, et il a existé de tout temps, une France littéraire et scientifique, qui s’est fait connaître au monde par assez d’œuvres et de découvertes ; de cette France comme de l’autre, il n’est pas plus permis de laisser périr les traditions que de méconnaître le rôle et l’influence dans la glorieuse fondation de l’unité nationale. Mais pour que ces traditions se perpétuent, pour que le goût des observations dans les sciences, des compositions dans l’histoire et dans les lettres, se propage de plus en plus, il faut que les communautés littéraires, se multiplient, comme autrefois les communautés religieuses se liguaient, pour arracher à la barbarie les précieux trésors que le fer et le feu se disputaient et que de pieuses mains nous ont conservés ; il faut enfin que chacun, suivant sa force et son inspiration, apporte sa pierre à l’édifice commun.

Je connais cependant, et vous connaissez comme moi, les objections qui s’élèvent, les critiques protectrices qui s’adressent d’avance aux entreprises de la nature de celle que vous voulez former. On dit, et je n’y contredis pas, qu’il n’existe en France qu’un véritable centre scientifique et littéraire, et qu’ailleurs, les amis des lettres ne sauraient sentir que des efforts impuissants, ne sauraient produire que des germes avortés. Nous pouvons cependant répondre humblement, qu’à côté des grands génies qui conçoivent les grandes œuvres, et qui, pour les exécuter, ont besoin des épreuves, des ressources et des inspirations de la grande ville, il faut laisser quelque place aux esprits laborieux et patients, inventifs même quelquefois, qui n’ont ni le pouvoir ni la volonté de s’exiler du sol natal, pour le doter plus tard des fruits de leur exil. Paris sera donc l’astre unique ; les Sociétés comme la vôtre aspireront seulement à devenir les rayons de cet astre dominateur, rayons voilés parfois, qui n’éblouissent pas le regard, mais qui peuvent l’éclairer d’une lueur paisible et modeste.

Voilà le rôle qui vous appartient ; et il est encore assez beau, parce qu’il est utile. Dans la carrière, bornée qui vous semble tracée d’avance, vous trouverez d’ailleurs des exemples qui portent avec eux et leur leçon et leur encouragement. Pendant les vingt dernières années, les Sociétés de province, mieux inspirées et mieux dirigées, renonçant à la muse légère et trop docile du vieux Parnasse, sont entrées résolument dans la voie sérieuse de l’érudition. De patientes recherches ont été faites, les bibliothèques publiques et privées ont été interrogées séparément, les archives des villes et des communes, celles des familles ont été explorées, et, de toutes parts, des œuvres dignes d’estime, des mémoires instructifs, des monographies précieuses sont venus attester ce que renferme de trésors la poussière des temps passés quand elle est secouée par des mains savantes et habiles. En un mot, les richesses locales ont été exploitées par des Sociétés locales ; et l’art, les lettres et les sciences n’y ont rien perdu. Sans doute ces Sociétés ou savantes, ou littéraires ont découvert peu d’étoiles, ont donné le jour à peu de poèmes épiques. Mais dans la nouvelle carrière ouverte à leur activité, elles ont montré qu’elles vivaient et qu’elles savaient faire revivre ce qui était sous leurs mains. Ces travaux scientifiques, ces mémoires historiques, ces chants nationaux exhumés par leurs soins, ne sont pas l’histoire, ne sont pas la poésie, ne sont pas la science ; mais on y trouve des éléments précieux qui serviront plus tard et qui ont déjà servi à éclairer et quelquefois à écrire l’histoire du pays, à recomposer la poésie française.

Les hommes qui se livraient à ces utiles travaux, ces nouveaux explorateurs de la terre commune, ont été récompensés de leurs efforts, recueillis et signalés dans des publications sérieuses ; leurs recherches ont pris une place honorable dans le travail intellectuel qui recommande notre époque ; et plus d’un écrivain célèbre, plus d’un savant illustre, ont su y puiser pour leurs œuvres des documents utiles et hautement avoués.

Je vous propose de suivre ces exemples. Autant qu’aucune autre, votre province renferme des traditions historiques, littéraires et poétiques ; quelques monuments en sont encore debout, d’autres peuvent être reconstruits par de fécondes recherches. Vous interrogerez ce qui reste des patients Bénédictins, dont la retraite si voisine de vous vient de se rouvrir et de revivre sous une inspiration nouvelle. Enfin ces guerres de religion dont, grâce au ciel, le souvenir seul et le deuil patriotique survivent parmi nous, vous fourniront encore d’utiles leçons pour éclairer les générations présentes. Que chacun de vous, suivant ses études et sa vocation, s’attache à un point encore inexploré de ces divers sujets, et vous pourrez, dans peu d’années, apporter votre part à l’œuvre commune. En coordonnant vos forces, en réunissant le résultat de vos travaux individuels, vous justifierez, je n’en doute pas, la pensée qui a donné naissance à cette Société ; et, renouant, comme on vous l’a dit, la chaîne interrompue du temps, montrez que les graves préoccupations de notre époque si féconde en désastreuses distractions n’ont pas tari en vous la source des nobles et aimables distractions de l’esprit.

Telles sont, Messieurs, les simples réflexions que vient de m’inspirer le dessein qui vous réunit, et que je vous communique pour obéir au désir qui m’a été exprimé. Je suis heureux de répéter devant vous ce que j’ai dit aux premiers auteurs de la pensée que vous avez adoptée et que vous saurez rendre féconde ; c’est, qu’après avoir assisté à la fondation de la Société littéraire de Castres, je désire ne pas rester étranger à ses progrès, et, je l’espère, à ses légitimes succès. J’ai accepté avec empressement l’offre qui m’était faite d’être compté au nombre de ses premiers membres. Je remercie ceux qui me l’ont offert d’avoir pensé que l’administration pouvait prendre part aux choses de l’intelligence, et même être jugée digne de poser la première pierre de l’édifice littéraire et scientifique dont vous voulez doter votre ville. Je voudrais par reconnaissance faire mieux que des vœux pour le succès de votre œuvre et lui donner un plus utile concours ; mais je ne m’en reconnais pas capable ; car si j’ai beaucoup de respect pour la science, et un sincère amour des lettres, je ne suis, comme vous le voyez, ni un savant ni un littérateur.


M. V. Canet donne ensuite lecture du projet de règlement général et du préambule qui en contient l’esprit, en indique le but et en signale l’application :

Le 26 novembre 1648 avait lieu à Castres la première réunion d’une Société fondée à l’imitation de l’Académie française. Elle avait pour but de centraliser les efforts de tous ceux qui aimaient l’étude et de favoriser dans Castres le goût des nobles occupations de l’esprit. Des circonstances exceptionnelles affaiblirent cette institution qui avait déjà porté d’heureux fruits, et la firent disparaître après une existence de 22 années (15 avril 1670).

Il a paru à quelques personnes qu’il pouvait y avoir avantage à ressusciter, après un intervalle de près de deux siècles, un corps dont l’utilité ne fut pas alors contestée. Elles ont compté pour le succès, sur des désirs plusieurs fois exprimés, sur des dispositions non équivoques, et sur la promesse d’un concours qui ne peut manquer, parmi nous, à ce qui est bon dans son principe et peut devenir fécond dans ses applications.

Rattacher le présent au passé, renouer des traditions interrompues et presque oubliées, tenir compte dans ce travail de restauration des exigences actuelles, réunir dans une pensée commune, diriger vers un même but les forces vives de l’intelligence, dans une cité importante, donner une impulsion vigoureuse aux occupations qui élèvent l’âme, recueillir les documents historiques intéressants pour notre contrée, étudier et faire connaître les monuments anciens au double point de vue de la langue et de l’art, vulgariser les théories, les applications et les découvertes des sciences mathématiques, physiques et naturelles ; tel est le but, tel est le programme de la Société littéraire et scientifique de Castres.

Les associations formées dans le but de donner un centre aux efforts de tous ceux qui aiment l’étude se sont multipliées dans ces dernières années. Un travail ministériel récemment publié permet d’apprécier l’esprit de ces institutions et de reconnaître les résultats auxquels elles sont parvenues. Quoique le but ne soit pas partout le même, quoique le programme varie, il y a pourtant des traits de ressemblance entre ces associations ; et, s’il en ressort une utilité générale, il en résulte aussi des motifs de confiance nombreux et puissants pour les derniers venus.

C’est ce qu’on a compris à Castres. C’est sous cette inspiration et avec ces espérances que vient de se fonder aujourd’hui la Société littéraire et scientifique, dont la constitution est renfermée dans les articles suivants :

Article 1er . — Il est créé une Association qui prendra le titre de Société littéraire et scientifique de Castres (Tarn.)

Art. 2. — Son but est de favoriser autour d’elle l’amour de l’étude, et de développer le mouvement intellectuel en s’occupant de travaux relatifs :

1° À la littérature ;
2° À l’histoire et à la philosophie ;
3° À l’archéologie et aux beaux arts ;
4° Aux mathématiques pures et appliquées ;
5° Aux sciences physiques et naturelles.

Art. 3. — Elle se compose de trente membres au plus.

Si ces membres cessent de résider à Castres, ils prennent le titre d’associés et sont remplacés.

Art. 4. — L’élection a lieu à la majorité absolue des membres présents, pourvu qu’il y ait vingt suffrages exprimés.

Art. 5. — Des membres honoraires et correspondants peuvent être nommés dans différentes parties de la France et de l’étranger.

Art. 6. — Un bureau dirige la Société. Il se compose d’un président, d’un vice-président et de deux secrétaires.

Ces membres sont nommés pour un an.

Ils sont rééligibles.

Art. 7. — La Société se réunit au moins deux fois par mois.

Art. 8. — Il y a tous les ans une séance solennelle et publique.

Art. 9. — Dans cette séance, la Société distribue des prix pour des travaux sur des questions posées ou des sujets indiqués par elle.

Elle récompense aussi les auteurs d’ouvrages utiles publiés dans le département.

La valeur et le nombre de ces prix sont fixés tous les ans.

Art. 10. — Les discussions religieuses dogmatiques et les appréciations ou actes politiques sont interdits.

Art. 11. — Le sous-préfet de l’arrondissement, le président du tribunal de première instance, le maire de Castres et l’inspecteur d’académie en résidence à Albi sont de droit membres de la Société.

Art. 12. — La cotisation à payer pour les membres ordinaires peut être élevée jusqu’à vingt francs par an.

Art. 13. — Il sera publié tous les six mois, si c’est possible, un bulletin contenant le procès-verbal des séances, et résumant ou renfermant dans toute leur étendue les travaux les plus importants de la Société.

Art. 14. — La Société restera propriétaire du mobilier, des livres, recueils, collections, mémoires. Dans le cas de dissolution, tous ces objets deviendraient la propriété de la ville de Castres.

Art. 15. — Un règlement intérieur fixera l’ordre et la tenue des séances, l’objet des travaux et tout ce qui est relatif à l’organisation de la Société.


Le règlement discuté article par article est adopté à l’unanimité.

Sur l’invitation de M. le sous-préfet, il est procédé au scrutin secret à la nomination du bureau pour l’année 1856—57.

M. Anacharsis Combes est nommé président, M. Maurice de Barrau, vice-président, MM. J. Tillol et V. Canet, secrétaires.

M. le sous-préfet proclame la constitution du bureau. Il invite la Société à se pourvoir auprès de M. le ministre de l’instruction publique, pour en obtenir l’autorisation qui est la vie légale et la condition la plus nécessaire, comme la garantie la plus sûre de l’existence des Sociétés savantes.