Problème ou Ballade au nom de la Fortune

Œuvres complètes de François Villon, Texte établi par éd. préparée par La Monnoye, mise à jour, avec notes et glossaire par M. Pierre JannetA. Lemerre éd. (p. 120-121).

PROBLÈME OU BALLADE
AU NOM DE LA FORTUNE.

Fortune fuz par clercz jadis nommée,
Que toy, Françoys, crie et nomme meurtrière.
S’il y a hom d’aucune renommée
Meilleur que toy, faiz user en plastrière,
Par povreté, et fouyr en carrière,
S’a honte viz, te dois tu doncques plaindre ?
Tu n’es pas seul ; si ne te dois complaindre.
Regarde et voy de mes faitz de jadis,
Maints vaillans homs par moy mors et roidiz,
Et n’eusses-tu envers eulx ung soullon,
Appaise-toy, et mectz fin en tes diz :
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !

Contre grans roys je me suis bien armée,
Le temps qui est passé ; car, en arrière,
Priame occis et toute son armée ;
Ne lui valut tour, donjon, ne barrière.
Et Hannibal, demoura-il derrière ?
En Cartaige, par moy, le feiz actaindre ;
Et Scypion l’Affricquain feiz estaindre ;
Julius Cesar au senat je vendiz ;
En Egipte Pompée je perdiz ;

En mer noyay Jazon en ung boullon ;
Et, une fois, Romme et Rommains ardiz…
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !

Alexandre, qui tant fist de hamée,
Qui voulut voir l’estoille poucynière,
Sa personne par moy fut inhumée.
Alphasar roy, en champ, sous la bannière,
Ruay jus mort ; cela est ma manière.
Ainsi l’ay fait, ainsi le maintendray ;
Autre cause ne raison n’en rendray.
Holofernes, l’ydolastre mauldiz,
Qu’occist Judic (et dormoit entandiz !)
De son poignart, dedens son pavillon ;
Absallon, quoy ! en fuyant suspendis…
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !

ENVOI.

Povre Françoys, escoute que tu dis :
Se rien peusse sans Dieu de paradiz,
A toy n’aultre ne demourroit haillon :
Car pour ung mal lors j’en feroye dix :
Par mon conseil prends tout en gré, Villon !