Principes de philosophie zoologique/Rapport fait à l’Académie royale des sciences sur l’organisation des mollusques

RAPPORT

FAIT À L’ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES,

SUR

L’ORGANISATION DES MOLLUSQUES,

(séance du 15 février 1830.)

1o  Sur ce Rapport, comme ayant fait naître la controverse.

Ai-je vraiment commencé les hostilités ? et dans quelle mesure ? Ce point de fait m’a paru exciter quelque curiosité ; une explication est donc désirée. Je la vais donner en publiant textuellement l’écrit dont s’offensa la susceptibilité de M. le baron Cuvier, et qui fut, de sa part, le 15 février, suivi d’une improvisation ardente autant qu’amère.

Deux anatomistes, MM. Laurencet et Meyranx, étaient depuis six mois inscrits pour une lecture à faire à l’Académie. Afin que je m’employasse à leur faire obtenir un tour de faveur, ils avaient désiré que je prisse connaissance du sujet et de l’intérêt de leur mémoire ; mais, lassés d’attendre, ils finirent par prier le président de l’Académie de faire examiner leur écrit. M. Latreille et moi, nous en fûmes chargés. Dès le lendemain, le 9 février, les auteurs voient un de leurs commissaires : ils sont charmés d’apprendre que j’ai terminé un assez long travail, et que, me trouvant libre de passer à un autre, j’ai loisir pour prendre connaissance de leurs recherches. Les jours suivant, nous observons, nous disséquons ensemble ; et, pour n’avoir point à y revenir plus tard quand je serais livré à d’autres soins, j’écrivis de suite le rapport, dont je venais de recueillir les idées. Par conséquent si ce rapport fut fait dans l’intervalle d’une séance à l’autre, il n’y eût pas précipitation en ce qui me concerne, mais convenance relativement aux heures que je pouvais consacrer à ces travaux.

Pour expliquer comment les recherches de MM. Laurencet et Meyranx arrivaient à heure marquée, selon les besoins de notre époque, je dis historiquement ce qui avait été autrefois et avec bonheur établi, quant aux faits en question. Où j’avais cru placer les élémens d’un éloge, M. le baron Cuvier vit une allusion et l’intention de le blesser. Non moins surpris qu’affligé de sa remarque, je protestai que cela avait été bien loin de ma pensée ; et, en ce moment, je mets toute la sincérité dont je suis capable, à le déclarer de nouveau. J’offris avec amitié à mon savant confrère de supprimer ou tout le Rapport on quelques parties à son choix. Il accepta mes offres pour un folio que je fis aussitôt disparaître ; et M. le baron Cuvier fut le premier à réclamer la mise aux voix du Rapport.

Voici ce Rapport, tel que l’Académie l’a adopté. On y apercevra peut-être de la chaleur tenant à l’entraînement de la conviction ; mais nulle part, je m’en flatte, nulle part, on n’y pourra découvrir d’hostilité envieuse.

2o  Parties du Rapport mises en délibération, et adoptées par l’Académie.

Lundi dernier, vous avez reçu de MM. Laurencet et Meyranx un premier mémoire sur les mollusques, portant pour titre : Quelques considérations sur l’organisation des mollusques. MM. Latreille et moi, que vous avez commis à ce soin, allons vous en rendre compte. Quelques considérations ; titre vague, mais sans couleur probablement par excès de modestie, puisque, ne promettant guère que de nouveaux efforts à la suite d’anciennes recherches, ce titre ne contraste que davantage avec les résultats que les auteurs se flattent d’avoir obtenus. Effectivement, si les prétentions avouées sont fondées, ce que ces auteurs auraient trouvé, c’est de l’ordre, où leurs devanciers n’auraient, de l’aveu même de ceux-ci, aperçu que de la confusion : c’est la clef d’une organisation décrite, mais non encore comprise dans sa composition ; c’est la ressemblance philosophique d’organismes ramenés à une mesure commune, et que jusqu’ici les maîtres de la science avaient seulement signalés comme hors de rang, comme insaisissables : ce qui, dans ce cas, revenait à dire que la loi de ces existences paradoxales reposait sur un état constant de monstruosités encore inexpliquées.

Cependant, si telles étaient les difficultés du sujet, comment MM. Laurencet et Meyranx, après tant d’essais stériles, de méditations infructueuses, se sont-ils décidés même à aborder de telles questions ? Les découvertes, quelles qu’elles soient, pour être comprises et appréciées, exigent des explications préliminaires : aussi devient-il nécessaire de donner toutes les voies, de dire les idées intermédiaires dans lesquelles il arrive que l’esprit vienne à s’engager. C’est, de la part de l’inventeur, prendre le soin de mettre chacun dans la confidence de ses nouveaux procédés ; c’est, par une sorte de remise des pièces, s’adresser à la sagacité et aux lumières du véritable juge en toutes choses, le Public.

L’importance de la question traitée, encore plus que le devoir que vous nous avez imposé, prescrit à vos commissaires d’agir dans cette circonstance de la même manière.

En effet, quels précédens étaient favorables aux auteurs, pour que nous leur accordassions notre confiance, dans le point qu’ils annonçaient avoir examiné ? En quoi consistent de premiers travaux qu’ils auraient déjà publiés ? dans de simples essais, il faut le dire, mais qui, à la vérité, portent sur les plus importans systèmes de l’organisation ; comme le cerveau et la moëlle épinière. Toutefois ces essais, s’ils ont un moment fixé l’attention publique, ne l’auraient-ils point occupée beaucoup plus par la singularité qui les caractérise que par leur véritable originalité ?

Mais, tel n’était cependant pas leur unique point de départ. Nous avons vu, dans les mains de MM. Laurencet et Meyranx, un grand nombre de dessins déjà lithographiés et prêts pour une prochaine publication ; lesquels représentent des faits nouveaux d’anatomie. Ces messieurs les estiment au nombre de 3,000 figures, et cette énumération n’est pas sans doute exagérée. Or ces dessins portent sur les difficultés de la science : car ils donnent la zootomie de beaucoup d’animaux du milieu et des derniers rangs de la série zoologique ; tels que salamandres, poissons, crustacés, insectes, mais surtout l’anatomie de quelques mollusques.

Qu’une autre réflexion nous dispose de même favorablement. Dans tous les travaux de l’esprit, il est une heure propice pour qu’ils soient conçus, développés et mûris. Avant nos jeunes auteurs, on n’agissait guères qu’instinctivement. Le talent du zootomiste, quelle qu’en fût la puissance, n’avait sous les yeux que des formes bizarres ; il en était obsédé et de telles causes d’inspiration l’entraînaient nécessairement.

Ainsi, par exemple, l’un des céphalopodes, une seiche, avait-elle son manteau vivement coloré, et les autres parties du corps blanchâtres et comme privées d’insolation ; pour un observateur sans doctrine, là était le dos, ici le ventre. C’était avoir peut-être justement prononcé quant à la situation de l’animal se mouvant dans son monde extérieur. Cependant qui aurait garanti cette détermination, eu égard à la superposition et au rapport des parties organiques de l’être en lui-même ? Mais cela ne faisait pas même autrefois l’objet d’une question.

Ce l’est devenu plus tard en particulier pour MM. Laurencet et Meyranx. Ils ont pris confiance dans un guide qui était dans la science, dans une méthode de détermination qui offre ses principes pour produire les inspirations et les révélations désirables, qui promet l’autorité de ses succès passés pour bien diriger dans les jugemens à intervenir ; de sorte qu’à la faveur de la marche prescrite par la nouvelle méthode, les recherches sont instantanément scientifiques.

Autrefois on voyait, on anatomisait un animal puis un autre, puis un troisième, etc. ; et le seul a priori, qui servait l’esprit, c’était l’idée de chercher, d’observer, de comparer ; heureux alors si quelques points communs sortaient de ces efforts, étant nettement acquis. On courait, au hasard, la chance de s’élever au caractère d’une proposition générale ; mais présentement avec le secours de la nouvelle méthode de détermination, ces importans résultats de la science arrivent en même temps que se poursuit la recherche des faits générateurs. Ainsi c’était autrefois une bonne fortune que de rencontrer des procédés d’une plus grande efficacité, quand aujourd’hui on arrive sans hésiter sur le fond même des questions.

Par les réflexions qui précèdent, nous n’avons pas eu en vue de rabaisser le mérite du travail que nous sommes chargés d’examiner ; mais bien en rappelant comment les auteurs se sont aidés de tout ce qui est actuellement dans la science, de faire naître dans les esprits une prévention qui leur soit favorable.

Nous leur devons d’autant mieux cet appui, que l’un de nous, M. Latreille, avait en 1823 cherché de son côté à soulever aussi le voile, ayant jusqu’à ce jour caché les rapports qu’ont certains mollusques avec quelques animaux des classes supérieures ; et en effet M. Latreille a placé un travail, qui paraît ignoré de MM. Laurencet et Meyranx, dans le premier volume des Mémoires de la Société d’histoire naturelle de Paris. Ce travail lu le 14 mars 1823, a pour titre : De l’organisation extérieure des céphalopodes comparée avec celle de divers poissons. Dans des propositions bien résumées sont contenues quatre vues de rapport.

Ceci exposé, nous passons aux considérations contenues dans le mémoire de MM. Laurencet et Meyranx. Ces habiles anatomistes, se croyant suffisamment préparés et informés par les recherches qu’attestent les nombreuses figures dont nous avons parlé, et qu’ils considèrent comme formant déjà une sorte de rédaction de leurs vues, se sont donné comme faits généraux les propositions suivantes :

1o  Tout mollusque présente, sous une enveloppe plus ou moins dépourvue de parties solides et d’appareils sensitifs qui s’y rattachent, un système végétatif rappelant celui d’un seul ou de plusieurs animaux supérieurs.

2o  Les viscères qui composent ces appareils sont placés dans les mêmes connexions que chez les animaux supérieurs, et leurs fonctions s’y exécutent par un mécanisme et des organes moteurs semblables.

3o  Les connexions signalées comme interverties ne le sont qu’en apparence ; la clef pour en faire retrouver l’invariable persistance, est fournie par la considération que les mollusques dont le tronc, gardant ailleurs une situation longitudinale, se trouve au contraire ployé vers sa moitié, et que les deux portions en retour, soudées l’une à l’autre, sont renversées tantôt sur ce qu’on appelle la face ventrale et tantôt sur la face dite dorsale.

4o  Les orifices dont il s’agit se révèlent à l’extérieur par la position respective des orifices.

5o  Enfin, qu’en cas de parties résistantes et engagées dans le derme, ces masses terreuses sont encore comparables à de certaines portions osseuses chez les animaux vertébrés.

Voulant donner la justification de ces vues théoriques, MM. Laurencet et Meyranx en font l’application à l’ordre des céphalopodes, et même, pour rendre plus nettement leur pensée, à l’une des espèces en particulier, à la seiche, sepia officinalis.

Chacun, connaît la seiche ; il faut, imitant en cela MM. Laurencet et Meyranx, éviter de la décrire avec des termes empruntés de l’organisation des autres familles, si ces termes donnent lieu à de fausses acceptions. Un grand sac aplati, à fond circulaire, présentant une large entrée à bords découpés, et composé de deux surfaces, l’une vivement teintée et légèrement convexe, et l’autre blanche et méplate, forme la principale partie de cet animal. De l’entrée du grand sac, et comme du fond d’un entonnoir, sort une masse arrondie, laquelle commence par un col rétréci et est terminée par huit tentacules charnus. C’est dans le centre de ces appendices qu’est l’orifice buccal, armé d’un bec comme le bec des perroquets ; puis en arrière et sur les flancs sont deux gros yeux. La partie arrondie sortant de la troncature du sac est déterminée, par tous les savans, comme formant la tête de l’animal ; et attendu que les moyens de locomotion, consistant principalement dans les tentacules dont nous venons de parler, sont distribués autour de la bouche, et conséquemment vers la partie terminale de la tête, la seiche et ses analogues qui ont le même mode de progression et qui se trouvent caractérisés par cette singularité, sont nommés céphalopodes, ou pieds en tête ; dénomination qui est due à M. le baron Cuvier, et qu’il imposa à cette famille, alors qu’il jeta les premiers fondemens de sa gloire zoologique, c’est-à-dire quand il fit sortir d’un chaos informe les classifications des mollusques, si justement admirées et tout aussitôt adoptées par l’Europe savante.

Cependant, ce qui caractérise, comme spécialité et singularité, la seiche, est, ce point de fait, que c’est un animal mou, ou, autrement, que c’est un être appartenant à ce degré des formations organiques, qu’un arrêt de développement aurait restreint à ce premier taux de puissance vitale. Toutes ces circonstances ont pour effet que les sécrétions ne produisent point, ou peu du moins, de molécules salines, pour devenir, par suite des arrangemens de l’organisation animale, autant de molécules osseuses : peu du moins, avons-nous dit ; car on connaît l’os de la seiche. Cela posé, la plicature, annoncée par nos auteurs, peut être considérée comme possible.

Mais cette plicature, quant à sa disposition propre, serait-elle heureusement expliquée par une pensée de nos auteurs rendue comme il suit ? « La première idée que fait naître la situation bizarre et anormale des céphalopodes qui ont le cloaque appliqué sur la nuque, est que ces animaux marchent et nagent, en présentant le vertex soit à la terre, soit vers le fond des eaux, et que tous leurs organes qui présentent des analogies avec ceux des animaux supérieurs, sont disposés sur un plan que nous croyons pouvoir traduire par cette formule fort simple : Figurons-nous un animal vertébré, marchant sur la tête ; ce serait absolument la position d’un de ces bateleurs qui renversent leurs épaules et leur tête en arrière pour marcher sur leurs mains et leurs pieds ; car, alors l’extrémité du bassin de l’animal, dans ce renversement, se trouverait appliquée sur la partie postérieure du cou.

Ne prenons ceci que pour une image produisant une première et grossière explication ; car, autrement, cette comparaison nous pousserait, par une conséquence toute naturelle, vers de fausses analogies. Ainsi, par exemple, à cause d’une fonction toute semblable, nous serions portés à croire ramenés aux mêmes rapports, à la même essence d’organisation, les tentacules de la seiche et les membres des animaux supérieurs, quand ces tentacules ne représentent, suivant la détermination qu’en a donnée l’un de nous, M. Latreille, dans son mémoire précité, que les barbillons entourant la bouche des silures. Ce ne serait par conséquent chez la seiche que ce même appareil, porté au maximum de leur développement possible, et acquérant, par le bénéfice de leur plus grand volume, de plus nombreuses, et de plus importantes fonctions.

Un point sur lequel nos auteurs se sont sagement fixés, c’est d’avoir préféré à la considération des formes, fugitives d’un animal à l’autre, et mauvaises conseillères pour des comparaisons philosophiques, les indications du principe des connexions ; et, en effet, c’est dans l’esprit de cette philosophie que MM. Laurencet et Meyranx ont donné une grande attention à la situation du diaphragme. Ils nomment ainsi une lame musculaire étendue, quadrangulaire, placée parallèlement au manteau, attachée sur les flancs ; laquelle occupe la région centrale des viscères. Suivant ces auteurs, les viscères contournent le bord postérieur du diaphragme, et sont ainsi répandus sur les deux surfaces, qu’ils nomment, en raison de cette circonstance, l’une, face gastrique, et l’autre, face branchiale. Ils ont ajouté : « les piliers de ce muscle central sont promptement reconnus, longeant l’œsophage, peut-être même les muscles psoas, qui seraient retrouvés dans deux forts cordons musculeux, au fond du grand sac, où ils occupent une position latérale et postérieure. »

C’était déjà une chose bien utile que cette étude du diaphragme, mais on pouvait et sans doute on devait faire davantage ; car ce muscle, s’il était, comme détermination, véritablement acquis avec exactitude, il fallait que seul d’abord il devînt un point de départ pour toutes les autres déterminations désirables ; il fallait, en employant le fil usuel et si heureusement directeur, le principe des connexions, en venir à reconnaître et à grouper méthodiquement autour du diaphragme tous les autres appareils qui s’y rattachent par leur superposition et le concert de leurs fonctions.

Nos auteurs n’auraient-ils donc point encore assez fait, pour l’établissement de leur thèse ? Peut-être, Mais du moins sachons leur gré de s’y être aussi habilement engagés : leur travail ramène les mâchoires à leur position naturelle ; on les avait dites posées sens dessus dessous. Ils voient dans l’anneau cartilagineux du cou, les élémens d’un hyoïde, et ceux d’un bassin, dans de certains stylets aussi cartilagineux qui bordent la base de l’entonnoir.

Nous ne suivrons pas davantage MM. Laurencet et Meyranx dans leurs essais de détermination : il nous appartient, dans une matière aussi grave, de rester sur la réserve, et de n’insister, dans un premier rapport, que sur le degré plus ou moins probable de la justesse de leurs vues.

Et en effet, comment ne pas croire à quelque similitude d’organisation, quand l’on rencontre renfermés dans les mêmes tégumens, des organes aussi élevés par leur structure que le sont deux cœurs veineux et un troisième artériel, un ensemble parfaitement régulier de branchies, de la matière médullaire principalement concentrée en avant du cou, un foie très étendu, peut-être une rate, si l’on admet la conjecture de Meckel, mais plus vraisemblablement, au dire des auteurs, un appareil de vaisseaux secrétant de l’urine ; lesquels consisteraient, continuent-ils, dans un tissu spongieux servi par un canal excréteur, prolongé et ouvert dans le cloaque ? L’on trouve en outre également associés et logés ensemble tout un appareil intestinal, un bec construit comme celui des perroquets, l’œsophage, tous les organes de la génération, répétant, à peu de chose près, ceux des poissons ; peut-on dire de tant de choses que c’est un ensemble tout autrement entrelacé, tout autrement combiné ? Pour prouver cette proposition, c’est-à-dire pour démontrer que c’est là seulement un fait de grande, de très surprenante anomalie, il y aurait plus à faire que pour soutenir la thèse contraire. Car il faudrait admettre que ces organes, qui ne peuvent exister qu’engendrés les uns par les autres, et à cause de la convenance réciproque des actions nerveuses et circulatoires, renonceraient à s’appartenir, à être ensemble d’accord. Or, une telle hypothèse n’est point admissible : dès que, s’il n’est plus d’harmonie entre les organes, la vie cesse : alors point d’animal, plus d’animal. Mais si au contraire la vie persiste, c’est que tous ces organes sont restés dans leurs habituelles et inévitables relations, qu’ils jouent entr’eux comme à l’ordinaire ; puis, de conséquence en conséquence, c’est qu’ils sont enchaînés par le même ordre de formation, assujettis à la même règle, et que, comme tout ce qui est composition animale, ils ne sauraient échapper aux conséquences de l’universelle loi de la nature, l’unité de composition organique.

MM. Laurencet et Meyranx ont su apprécier les besoins de la science, puisqu’ils ont essayé de diminuer l’hiatus remarqué entre les céphalopodes et les animaux supérieurs. Ils n’ont sans doute point espéré d’arriver tout d’abord à un résultat complètement satisfaisant ; mais on leur doit du moins la justice de dire qu’ils tentent avec bonheur de frayer la route, et qu’ils l’ont même parcourue dans quelques uns de ses sentiers. Leur idée mère est ingénieuse : et si l’on s’accorde à ne considérer leur travail que comme d’intéressantes études pour servir à l’histoire naturelle des animaux mollusques, à ce titre, leur mémoire nous paraît digne d’être inséré dans le Recueil des savans étrangers. Nous avons l’honneur d’en faire la proposition à l’Académie.

Signé Latreille, Geoffroy Saint-Hilaire, rapporteur.

3o  Partie du Rapport lue, retirée, mais présentement littéralement reproduite.

L’altercation au sujet de ce Rapport avait paru à l’Académie, aux assistans, et à M. Cuvier lui-même, épuisée par mes explications amicales, par ma facile concession et par la suppression acceptée d’une partie de mon écrit. Quelques conseils ont fait plus tard changer ces premières dispositions.

M. Cuvier, par son argumentation du 22 février, est donc revenu sur ses premières impressions. « M. Geoffroy-Saint-Hilaire, a-t-il dit, a saisi avidement les vues nouvelles de MM. Laurencet et Meyranx ; il a annoncé qu’elles réfutent complètement tout ce que j’avais dit sur la distance qui sépare les mollusques et les vertébrés, etc. »

L’on n’a pas, sans doute, trouvé les élémens d’un sentiment aussi aigre dans mon Rapport imprimé ci-dessus : on ne les trouvera pas davantage dans le morceau de ce même Rapport que j’avais lu, et dont je m’étais empressé d’admettre la suppression. Cependant il m’importe qu’on en soit bien convaincu ; ce qui m’oblige de recourir à ce morceau que j’avais conservé, et que je donne littéralement, comme il suit.

Cette partie supprimée du Rapport était placée à la suite des mots L’unité de composition organique.


« Cependant, on a pu, et dû sans doute, produire au commencement du 19e siècle, une philosophie toute contraire. Dans un morceau riche de faits, puissant et éclatant de savoir et de sagacité, on énumère tous les cas de différence, caractéristiques des céphalopodes, que l’on considère comme menant à la conséquence qu’à leur égard il n’est point de ressemblance, il n’est pas d’analogie de disposition dans la répétition des mêmes organes. Cet écrit est ainsi terminé : En un mot, nous voyons ici, quoiqu’en aient dit Bonnet et ses sectateurs, la Nature passer d’un plan à un autre, faire un tout, laisser entre ses productions un hiatus manifeste. Les céphalopodes ne sont le passage de rien : ils ne sont pas résultés du développement d’autres animaux, et leur propre développement n’a rien produit de supérieur à eux. »

« Qu’on ne se méprenne point sur le sens de ces paroles, principalement sur le motif qui nous a fait recourir à cette citation. La science était alors déjà ce qu’il lui appartient d’être à toute époque de sa culture, philosophique, large, progressive ; mais elle ne visait encore qu’au seul but d’une zoologie à fonder ou du moins à perfectionner ; et c’est précisément parce qu’elle a, de 1795 à 1800, si heureusement atteint ce but, que, toujours fidèle au caractère de son essence, à ses besoins de s’étendre et d’acquérir par des perfectionnemens, elle poursuit présentement un autre but ; lequel se trouve placé au delà du premier. Effectivement, son objet aujourd’hui, ses plus grands besoins maintenant, en raison de l’entraînement des esprits, sont la connaissance de la ressemblance philosophique des êtres.

« Ainsi la zoologie aura d’abord exigé la plus grande rigueur dans les classifications : elle a dû commencer au profit de celles-ci, par peser sur les faits dissemblables d’une main assurée. Effectivement, tenter d’introduire plus de précision dans les distinctions caractéristiques, c’était entreprendre de présenter avec plus d’éclat et de bonheur le Tableau du règne animal, tout ce qu’ont produit de plus grand et de plus imposant pour la philosophie le dénombrement et l’enregistrement des productions de la nature. Nous ajouterons que ce n’est point devant cette Académie qu’il est nécessaire de rappeler qu’une telle entreprise est à la fois devenue une œuvre française et l’un des plus grands succès de notre époque. Mais toujours est-il vrai que le commencement du 19e siècle restera remarquable par cette tendance dans les études, par la préférence qui fut alors donnée à la recherche des différences. »


Maintenant j’engage le lecteur de prendre la peine de peser la valeur de ces expressions que j’ai rappelées sans les modifier, et de prononcer.

Cette phrase, transcrite d’un ancien écrit, et où les opinions de Bonnet et de ses sectateurs sont rappelées avec défaveur, a causé toute l’irritation ressentie. Je n’eusse pas dû la reproduire ; l’on a même été jusqu’à établir que je n’en avais pas eu le droit. Voilà ce qui a fait dire que je m’étais exprimé sans prendre le ton modéré que les sciences réclament, et en manquant à la politesse qui appartient à tout homme bien élevé.

J’ai eu aussi à faire droit à d’autres réclamations. Aurais-je, en parlant de l’Œuvre française, véritablement dépassé les convenances, par une mesure excessive dans l’éloge ?