Traduction par Saint-Germain-Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (2p. 380-418).


CHAPITRE XXXIV.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.


V. — Du mode de banque en Angleterre.

§ 1. — Importance d’une étude soigneuse de la banque d’Angleterre, — car elle est l’institution qui exerce aujourd’hui la plus grande somme de pouvoir.

La tendance à la stabilité, dans le monde matériel, est en raison directe du rapprochement de la forme pyramidale ; c’est une vérité aussi exacte appliquée aux ouvrages de l’homme qu’elle l’est dans les œuvres de la nature. Ainsi, de fait, — les masses immenses de maçonnerie élevée par les rois d’Égypte se montrent presque aussi durables que les monts de l’Atlas et de l’Himalaya. Il en est ainsi dans le monde du négoce : — l’homme dont les affaires ont une large base, et qui a un petit passif et un actif considérable, reste debout au milieu de tourmentes qui font naufrager par milliers ceux de ses confrères dont les opérations sont basées sur le capital d’autrui, et dont, par conséquent, le passif est en proportion très forte à ce qu’ils peuvent réclamer sur ceux avec qui ils font des affaires. Il en est de même encore dans le monde financier. La banque, qui négocie sur son propre capital, est en état de traverser sûrement l’orage le plus rude et le plus prolongé, tandis que sa voisine, dont les débets sont considérables, comparés à ses crédits, peut à peine rester immobile sous une brise un peu vive d’été.

Cherchons-nous des banques de la première espèce, nous devons nous adresser aux États de New-England. Voulons-nous les exemples les plus frappants de la seconde espèce, nous devons nous adresser à l’Angleterre elle-même, et surtout à la Banque d’Angleterre, basée, comme le fut cette institution, sur une pure annuité payable par le gouvernement, — et négociant, comme elle a toujours fait, presque entièrement sur les moyens d’autrui, et non sur ses moyens propres. Le marchand qui commencerait ses opérations par précipiter son capital dans une annuité fixe, — dans la confiance d’obtenir à crédit tous les articles qu’il désire vendre, — trouverait sa situation très-instable ; et comme ce fut là précisément la manière de débuter de ce grand établissement, rien d’étonnant que sa marche se soit distinguée par le manque de solidité et de régularité. Contenant en elle tous les éléments qui, dans le cas d’un particulier, eussent amené de tels résultats, et exerçant un pouvoir auprès duquel celui des Plantagenets et des Lancastres eût passé pour tout à fait insignifiant, elle a produit des oscillations plus grandes, en une année, qu’ils eussent pu faire en une suite de siècles.

Réduire la valeur réelle de la livre de 20 sh. à 6 sh. 8 d., tout en conservant le nom primitif, — faisant ainsi passer une seule once pour trois, — c’était un mouvement constant dans la même direction, — tout restant tranquille à partir de la date de la réduction jusqu’à la venue de la période, où une réduction plus forte devenait nécessaire. Dans le cas de la banque en question, tout est différent ; — la valeur de la monnaie, montant en un instant pour retomber tout à coup, et les oscillations allant jusqu’à 50 ou 60 % à de si faibles intervalles, qu’on les peut compter par semaines ou par mois. La grande institution profite de cette instabilité d’opération ; — moins on accorde de crédit aux particuliers ou à d’autres banques, plus s’accroît la nécessité de la regarder comme la seule place de sûr dépôt, — plus augmente la quantité de monnaie mise à sa disposition, — et plus grossissent les dividendes sur son stock. Les intérêts de la banque et ceux de la communauté se trouvent ainsi en antagonisme ; et pourtant c’est à la première qu’est confiée la direction de la grande machine, du bon maniement de laquelle dépendent entièrement la continuité et la vitesse de circulation de l’autre, comme la circulation du sang dépend d’une fourniture convenable d’aliment et d’air. C’est là un très-étrange système, — un système qui non-seulement a exercé, mais exerce encore une immense influence, — aussi allons-nous consacrer à son examen un temps quelque peu en rapport avec son importance.

§ 2. — Les opérations de banque n’existaient point en Angleterre à la date de la Restauration. Sous Charles II, les joailliers deviennent banquiers. Il en résulte augmentation dans l’utilité de la monnaie. Établissement de la banque d’Angleterre.

« Sous le règne de Guillaume, dit Macaulay, il y avait encore des vieillards qui se souvenaient du temps où ne l’on ne voyait pas dans la cité de Londres une seule maison de banque. Jusqu’à la Restauration, chaque commerçant avait son coffre-fort dans sa maison, et quand on lui présentait une acceptation, il comptait lui-même sur son comptoir les couronnes et les carolus. Mais l’accroissement de la richesse avait produit son effet naturel, la division du travail. Avant la fin du règne de Charles II, une nouvelle manière de payer et de recevoir l’argent s’était introduite parmi les marchands de la capitale. Il s’éleva une classe d’agents dont l’office fut de tenir la caisse des maisons de commerce. Cette nouvelle branche d’affaires tomba naturellement entre les mains des orfèvres qui étaient accoutumés à trafiquer sur une large échelle des métaux précieux, et qui avaient des caveaux où l’on pouvait déposer des masses de lingots considérables à l’abri du feu et des voleurs. C’était dans les boutiques des orfèvres de Lombard Street que se faisaient tous les payements en espèces. D’autres commerçants ne donnaient et ne recevaient que du papier. — Ce grand changement ne s’accomplit pas sans une forte opposition et sans de vives clameurs. Des marchands attachés à la vieille routine se plaignirent amèrement qu’une classe de gens qui, trente ans auparavant, s’étaient renfermés dans le cercle de leurs fonctions propres et qui avaient réalisé de beaux bénéfices en bosselant des coupes et des plats d’argent, en montant des bijoux pour de grandes dames, en vendant des pistoles et des dollars aux gentilshommes qui allaient en voyage sur le continent, que ces gens-là, disons-nous, fussent devenus les trésoriers et tendissent rapidement à devenir les maîtres de la cité tout entière. — Ces usuriers, disait-on, jouaient aux jeux de hasard ce que les autres avaient gagné par leur industrie et amassé par leur économie. Si les dés leur étaient favorables, le fripon qui tenait la caisse devenait alderman ; s’ils leur étaient contraires, la dupe qui avait fourni la caisse faisait banqueroute. — D’un autre côté, on exposait dans un langage animé les avantages d’un nouveau système. Ce système disait-on, économisait à la fois le travail et l’argent. Deux commis, dans une seule maison de banque, faisaient ce qui, sous l’ancien système, aurait occupé vingt commis dans vingt établissements différents. Le billet d’un orfèvre pouvait passer en une matinée dans dix mains différentes. De cette façon, leurs guinées, enfermées dans son coffre fort, près de la Bourse, faisaient ce qui aurait exigé autrefois mille guinées dispersées dans autant de caisses, celles-ci à Ludgate-Hill, celles-là à Austin-Friarsou à Tower-Street[1]. »

Le numéraire ayant de la sorte reçu utilité, et la circulation sociétaire s’étant accélérée, rien d’étonnant qu’on ait bientôt jugé à propos de faire un plus grand pas en avant, d’établir une institution analogue à celles qui existaient déjà à Amsterdam et dans d’autres villes. La dernière décade du XVIIe siècle vit donc la création de la Banque d’Angleterre, — qui différa cependant de ses aînées en ce point, qu’au lieu que celles-ci avaient été fondées dans les intérêts publics seulement, et dans la vue d’entretenir un étalon invariable auquel rapporter la valeur des autres utilités, elle fut une pure corporation négociante, ayant pour objet unique et exclusif de réaliser des profits pour les parties intéressées dans sa direction. Les premières délivraient des certificats en échange de l’or et de l’argent déposé chez elles, et toutes les parties par les mains de qui ces certificats passaient se sentaient parfaitement assurés que les métaux ainsi représentés étaient présentement dans les caves. La quantité de monnaie en apparence à la disposition de la communauté était donc exactement celle existante réellement sous sa main, — sans qu’il y eût la moindre différence entre elle et la garantie du certificat. La dernière banque, de même, délivre des certificats en échange des métaux précieux ; mais, au lieu de les tenir dans ses caves, elle les prête. Le pouvoir du propriétaire sur son numéraire ne subissant point de diminution, en même temps qu’un pouvoir nouveau et additionnel était ainsi créé, la quantité apparente de numéraire en circulation se trouva donc doublée, tandis que la quantité réelle restait la même. Le système anglais, — tendant, comme il fait, — à ajouter à l’utilité de la monnaie, — était beaucoup plus parfait que celui du continent. Par la raison même cependant qu’il était plus puissant pour le bien, il l’était aussi beaucoup plus pour le mal ; — car plus la forme d’un navire est parfaite, plus il est fin marcheur, plus il se brise avec force sur les écueils lorsqu’il est mal conduit. La forme adoptée ici étant meilleure qu’aucune autre encore connue, tout ce qu’il y avait à faire, c’était d’étendre à tous autres particuliers, désireux de s’associer pour le négoce de monnaie, la faculté d’exercer des droits semblables à ceux accordés aux propriétaires de la Banque d’Angleterre. On ne le fit pas ; et il s’en est suivi qu’une institution capable de rendre tant de services à l’humanité a produit un si énorme préjudice.

De son histoire, il nous suffira de dire qu’au début de sa fondation, la jouissance de privilèges exclusifs ne lui était point assurée. Par degrés, cependant, son capital nominal fut augmenté, jusqu’à ce que, en 1708, il fut porté au triple ; en même temps que son influence s’était accrue au point de lui permettre d’obtenir du parlement un acte qui interdisait l’application du principe d’association dans le négoce de monnaie, dans tout cas où les partenaires seraient au nombre de plus de six. C’était centraliser le pouvoir au grand avantage de quelques actionnaires, — avec préjudice correspondant, cependant, pour le reste de la population anglaise, chacun se trouvant ainsi dépouillé du droit de décider par soi-même de son mode d’action au sujet du maniement du plus important des instruments d’échange en usage chez l’humanité. Les moyens d’autorité sur la circulation ainsi assurés, les dividendes, nonobstant l’enfouissement du capital nominal dans une annuité au taux de trois pour cent, s’élevèrent par degrés jusqu’au moins dix pour cent, — la différence tout entière s’obtenant en faisant du crédit tel usage qui pût faire croire le montant apparent à la disposition de la communauté beaucoup plus considérable que n’était le montant réel.

§ 3. — Mouvements de la banque de 1797 à 1815.

Négociant ainsi tout à fait sur son passif, et sauf ses excédants de profit, n’employant point de capital à elle en propre, pour mieux faire comprendre les mouvements de la banque, nous placerons — dans le résumé suivant de ses opérations pour les dernières soixante années, — à l’article doit, le montant de sa circulation et des crédits sur ses livres, et, en regard, la quantité de métal dans ses caves, — cette dernière représentant le montant total de capital qu’elle a emprunté et qu’elle n’a point prêté.

Au 3 août 1796, le montant de sa dette était 15.903.110 liv. — Le tout avait trouvé placement, sauf la petite somme de 2.122.950 liv. Peu après, diverses circonstances survinrent, tendant à diminuer la confiance dans l’institution ; et, en février suivant, alors que le stock en lingot dépassait à peine un million, un ordre du conseil fut rendu, autorisant la banque à suspendre le payement de sa dette. Depuis lors, pendant près d’un quart de siècle, son papier constitua la seule circulation légale du pays ; et les chiffres suivants montrent comment cette circulation fut administrée :

  Dette.   Lingot.
Août 1797 18,879,470 4,089,620
1804 26,869,420 5,879,190
1810 34,875,790 3,099,270
1814 43,218,230 2,097,680
1815 39,944,670 3,409,040

La circulation ayant monté dans cette dernière année à 26.000.000 livres, il suit que des billets et effets qu’elle avait alors, il n’y avait pas moins de 10.000.000 livres, représentant la propriété d’autrui déposée dans ses caves. Recevant intérêt pour l’usage et n’en payant aucun, la banque était en mesure de donner à ses actionnaires un taux double d’intérêts, — toujours un indice d’erreur dans le système[2]. Les possesseurs réels de ces millions étaient, et se sentaient être en pleine possession du pouvoir d’acheter, comme ils l’auraient fait s’ils avaient eu l’or lui-même dans les mains ; et pourtant l’or n’était ni en leur possession, ni dans celle de la banque, mais en celle d’une troisième classe d’individus à qui la dernière l’avait prêté. Ces 10.000.000 livres ont eu le même effet sur le prix que si ce chiffre eût été doublé, — étant devenus, pour le moment, pour tous projets et opérations, 20.000.000 livres. Cette double action était une conséquence de la cupidité de la banque elle-même, cherchant à accaparer les valeurs et empêchant ainsi le libre placement du capital particulier. Mieux cet objet s’atteint, plus la dette de l’institution s’étend, et plus gros seront les dividendes ; mais plus son action doit être instable, comme on en eut bientôt la preuve.

§ 4. — Changements qui surviennent après la fin de la guerre. Reprise des payements en espèces. Elle amène une large ruine. Les classes productrices sont approuvées tandis que celles purement consommatrices s’enrichissent.

En 1817, le lingot s’élevait à 11.668.,000 livres, tandis que les obligations étaient tombées à 38.600.000 livres. Les emprunts de capital prêté n’étaient donc que 27.000.000, ou moins de 2.000.000 que le montant de sa circulation, qui s’était élevée à 29.000.000. Par l’opération très-simple de faire rentrer son actif, d’une part, et de réduire ses obligations, de l’autre, elle réduisit la quantité apparente de monnaie à la disposition de la communauté, à 12.000.000. En ce qui regardait les opérations de la société, c’était l’équivalent d’une annihilation totale de cette somme considérable, et une contraction correspondante de l’étalon auquel la communauté doit rapporter la valeur de toutes les autres utilités et choses. Doubler la longueur de l’aune ou le poids de la livre, au bénéfice de tous les individus qui ont contracté pour acheter du drap ou du blé, eut été un préjudice insignifiant comparé à la révolution ainsi accomplie. Comparée avec la propriété de la population de la Grande-Bretagne, la somme était tout à fait insignifiante, pourtant sa disparition causa un arrêt de circulation presque aussi complet que celui que produirait dans un corps physique l’arrêt d’alimentation, fermiers et marchands furent partout ruinés. Des banques de provinces, il n’y en eut pas moins de deux cent quarante, — c’est-à-dire une sur quatre, — qui suspendirent leurs payements, tandis qu’une sur dix et demi firent faillite. — Des milliers de milliers d’individus, dit Mac-Culloch, qui, en 1812, se considéraient comme riches, se trouvèrent dénués de toute propriété réelle, et tombèrent comme par enchantement et sans qu’il y eût faute quelconque de leur part, dans l’abîme de la pauvreté. Il y eut par le pays, pour se servir de l’expression de M. Francis Horner, une universalité de dénuement et de misère dont on n’avait point eu d’exemple, si ce n’est peut-être la débâcle en France du projet du Mississippi[3]. Au milieu de toute cette ruine, cependant, la Banque prospéra plus que jamais, car la destruction du crédit privé rendait ses caves et ses billets plus nécessaire à la communauté.

Le terrain étant ainsi préparé par la banque, le Parlement passa, en 1819, un acte qui pourvut à la reprise des payements en espèces, et par là rétablit, comme loi du pays, l’étalon qui existait en 1797, — une des mesures des confiscation le plus remarquables qui se puissent trouver dans les annales de législation. Pour plus de vingt ans, toutes les transactions du Royaume-Uni avaient été basées sur une circulation moindre en valeur que celle qui avait existé en 1796. Dans le cours de cette longue période, on avait vendu de la terre, pris des hypothèques, formé des établissements, fait d’autres contrats de nature permanente, pour des milliers de millions de livres et il en fallait aujourd’hui changer les termes au bénéfice des receveurs de revenus fixés, et au préjudice de ceux qui avaient à vendre terre, travail, ou les produits de l’un ou de l’autre. Comme conséquence infaillible, le prix de la terre tomba énormément, et partout les créanciers hypothécaires entrèrent en possession. Les bras surabondèrent, et le travailleur souffrit faute de subsistances. Les machines de toute sorte cessèrent de marcher et les fabricants furent ruinés. Les produits fabriqués se trouvant en excès sur la demande furent forcés sur les marchés étrangers, à la ruine des capitalistes et des ouvriers, des mineurs et des mécaniciens de tous pays du monde.

La paix amena avec elle une ruine immense, mais elle enrichit partout le prêteur de monnaie, — son article montant tandis que la terre tombait au point qu’il la pouvait acheter pour moitié du prix précédent. L’homme vivant d’annuité, — l’homme en place, profitèrent ; — leurs dividendes et salaires étant devenus payables en espèces qui pouvaient acheter le double de la quantité de subsistances et de vêtements pour laquelle ils avaient contracté. Fermiers et travailleurs, artisans et marchands s’appauvrirent, — leurs taxes restant les mêmes, tandis que leur travail et ses produits commandaient moins que la moitié de la monnaie pour laquelle ils les auraient vendus auparavant.

§ 5. L’effet de ces mesures fut de donner au capitaliste de monnaie plus d’autorité sur la terre et le travail, — ce qui est toujours une preuve de civilisation en déclin.

Quelques écrivains anglais ont beaucoup vanté cette suite de mesures ; d’autres les ont fortement condamnées. Lesquels avaient raison ? Le lecteur en décidera après avoir considéré :

Que le progrès de l’homme vers la civilisation est invariablement suivi d’un accroissement du pouvoir du travail du présent sur les accumulations du passé ;

Que son progrès vers la barbarie est dans le sens inverse, — le capital accumulé dans le passé obtenant alors invariablement plus de pouvoir sur le travail du présent.

Lequel des deux effets s’est-il produit ? La marche du gouvernement[4] tend-elle à alléger le fardeau de la rente, des taxes, ou de l’intérêt ? S’il le fait, il tend à la civilisation. Ce qui nous montre qu’il ne le fait pas, ce sont les fermiers ruinés par les demandes d’énormes rentes dont le payement fut consenti précédemment ; ce sont les taxes qui n’ont point changé, tandis que les prix des subsistances et du travail ont diminué ; c’est l’intérêt hypothécaire qui reste aussi fort lorsqu’il faut le payer en espèces que lorsqu’il fut contracté à l’époque du papier. Les charges à supporter par la terre et le travail ont doublé, au bénéfice des classes, et des classes seules qui vivent du pouvoir d’appropriation ; et c’est toujours là la voie qui mène à la barbarie. Il s’ensuivit que le retour de la paix qui eût dû être salué comme une bénédiction, fut généralement regardé comme une malédiction.

§ 6. — Succession constante d’expansions, de contractions et de crises financières, — dont chacune tend successivement à augmenter le pouvoir de la monnaie sur le propriétaire foncier et le travailleur.

Les opérations de la société cessaient à peine de se ressentir de cette mesure désastreuse, que la banque se mit à recommencer la tentative d’augmenter la quantité apparente du numéraire, et ainsi de raccourcir l’étalon qui mesure les valeurs, tentative préparatoire à un autre retour semblable à la quantité réelle, et ainsi à rallonger l’étalon. Avec la substitution de l’or aux billets d’une livre et avec le rétablissement graduel du crédit des banques de province, sa circulation était tombée de 29.000.000 liv., en 1827, rien qu’à 17.000.000 en 1822. Ici commença un système d’expansion au moyen duquel la partie de sa dette appelée « les dépôts » fut presque doublée, — ayant monté de 5.840.000 liv. à 10.316.000 en 1824. Il y eut donc une apparence générale de prospérité ; et cela continua jusqu’au jour où les propriétaires du capital ainsi rendu stérile, eussent pourvu pour eux-mêmes à de nouveaux placements. Aussitôt la scène change, — l’adversité succède à la prospérité, — la propriété perd partout sa valeur, — les bras surabondent et ne trouvent plus d’emploi, — et la banque elle-même n’est sauvée d’une suspension que par l’heureuse découverte d’un paquet de billets d’une livre dont elle peut se servir au lieu d’or[5].

Quelques années après, nous avons une autre répétition de la même opération. Le montant des débets de la banque, appelé les dépôts, qui, en mars 1832, était de 9.318.000 livres, fut, en 1835, de 20.370.000, — ayant ainsi plus que doublé. Alors vint la crise, — la banque jetant de nouveau les valeurs sur le marché et par là détruisant la valeur de la propriété, au point de lui permettre, dans l’année suivante, de réduire les crédits sur ses livres à 13.330.000 livres.

Au bout de deux ans seulement, la manœuvre se répéta. Cette fois il ne fallut qu’une seule année pour amener l’oscillation, — le mois d’octobre 1837, ayant montré l’établissement dans une situation si difficile qu’il ne fut sauvé de la banqueroute que grâce à la banque de France qui vint à son aide. Le commerce fut à peu près suspendu ; la détresse fut presque universelle ; manufacturiers et marchands furent ruinés ; mais la banque fit ses dividendes ordinaires, en même temps que les prêteurs de monnaie et les propriétaires d’annuités s’enrichirent. Cet effet régulier de tous les mouvements de cette banque nous donne ainsi la clef des oscillations extraordinaires de la possession de propriété dans la Grande-Bretagne, — oscillations dont le résultat a été de réduire le nombre des propriétaires fonciers au sixième de ce qu’il était à l’époque d’Adam Smith. Stabilité et régularité tendent à produire division de la terre et élévation du travailleur agricole. Instabilité tend à la consolidation de l’une et à l’abaissement de l’autre ; et ce sont les résultats obtenus ici.

§ 7. — Acte de la banque de sir Robert Peel. Son objet est de produire fermeté dans le mouvement monétaire. Son effet a été d’accroître le pouvoir qu’a la banque de ralentir le mouvement sociétaire. Il a échoué complètement.

La fréquence et l’étendue prodigieuse de ces oscillations ayant conduit à mettre en doute la capacité de ceux à qui avait été confié le maniement de la circulation, on désira fortement constater par quelles lois, s’il en était aucune, l’établissement se gouvernait. Le Parlement nomma une commission d’enquête qui entendit de nombreux déposants ; mais, comme les documents par eux fournis n’indiquaient qu’une faible connaissance des lois du négoce, la commission ne réussit point à découvrir les lois qu’elle cherchait. Les seules conclusions auxquelles elle put arriver, furent que l’institution était administrée sans aucun principe quelconque, — prenant invariablement pour règle de ses mouvements la nécessité du moment — et que les dangers et difficultés qui venaient de se présenter se reproduiraient probablement à la première occasion. Cela bien démontré, on jugea nécessaire lors du renouvellement de la Charte, d’essayer de soumettre son action à certaines lois, — ce qui la rendrait apte à devenir le régulateur de l’action des autres. Voilà comment nous avons aujourd’hui l’acte de restriction de la banque de sir Robert Peel, dont le nom se trouve ainsi associé à deux des actes les plus remarquables dans l’histoire du système monétaire anglais, bien qu’aucun des deux ne puisse être regardé comme indiquant aucunement qu’il ait donné au sujet toute l’attention que méritait sa grande importance.

Moins de trois ans après, les scènes de 1825 se reproduisaient encore, — un esprit sauvage de spéculation provoqué par la banque, ayant amené une panique universelle ; les consolidés tombèrent à 80, tandis que les actions de chemins de fer tombaient à moitié de leur valeur précédente. Le taux d’intérêt monta à dix pour cent — Le gouvernement lui-même dut emprunter à 5 % pour pourvoir à ses besoins journaliers. Les acheteurs en blé, coton et lingot furent de nouveau proscrits ; et ainsi se répétèrent une fois de plus les phénomènes de 1816, 25 et 37. Des députations de différentes villes réclamèrent du ministre une suspension de sa loi, — l’assurant que des ordres considérables restaient non remplis faute des moyens nécessaires pour leur exécution ; tandis que les ouvriers, par milliers, étaient réduits à l’inaction faute de trouver à vendre leur travail. La banque elle-même, en face de la banqueroute menaçante, était forcée d’élargir ses prêts alors qu’elle désirait les resserrer, — donnant ainsi, et pour la troisième fois dans une simple décade, le spectacle d’une grande institution qui aspire à régler le négoce du monde et qui est tout à fait incapable de se conduire elle-même. Un ordre du conseil finalement rappelle la loi pour le moment, — fournissant ainsi la preuve du manque de savoir des hommes à qui était due l’influence du nouveau système.

Telle est la condition du peuple anglais sous l’autorité de sa grande institution de monopole. Il dépend des mesures chanceuses d’un corps de gentlemen, dont pas un n’a jamais été en état d’expliquer les principes sur lesquels il se règle dans l’administration du puissant instrument qu’il concourt à manier. Tous, parmi eux, en leur capacité de propriétaires et de directeurs, ont un intérêt direct à produire des changements dans la circulation, parce qu’en le faisant, ils diminuent la confiance publique et augmentent ainsi la nécessité de s’adresser à leurs caves comme le seul lieu de sûr dépôt.

§ 8. — La cause d’insuccès est dans ce fait qu’il se propose de régler la circulation en usage, — sans s’occuper aucunement de l’action de la banque affectant la circulation qui cherche emploi.

Le nouveau système n’a point réussi à produire l’effet désiré, — n’ayant donné fermeté, ni dans la quantité de numéraire, ni dans sa valeur. Quelques-uns en ont accusé la loi elle-même ; sur quoi son auteur a prétendu que si la banque eût agi dans l’esprit de la loi de 1844, de pareilles difficultés ne fussent jamais survenues. Disposé à trouver la cause des difficultés « dans l’esprit anormal de spéculation, » il avait bonne disposition à fermer les yeux sur la cause réelle, — le défaut radical de sa propre mesure qui prétendait régler l’action de la grande machine, mais manquait à le faire. Si elle l’eût fait, les directeurs se fussent trouvés eux-mêmes forcés d’agir d’accord à la fois avec la lettre et l’esprit, et il n’y eût pas eu autant de spéculations que l’on vient d’en voir ; si elle l’eût fait, les difficultés qui accompagnent naturellement les mauvaises récoltes n’eussent point été aggravées, comme elles le furent, par la prostration totale du négoce, le renvoi des ouvriers et l’impossibilité d’obtenir des salaires à employer à l’achat à tout prix, des nécessités de la vie.

Le négoce en numéraire n’a pas plus besoin de lois que le négoce en chaussures. Il demande au contraire liberté complète, — car son montant est tellement plus considérable, qu’une intervention qui l’affecte rien que d’un demi pour cent, cause plus de préjudice qu’une intervention qui affecterait de cent pour cent le prix des chaussures[6].

Néanmoins les pénalités, prohibitions, et obligations imposées à ceux qui désirent s’associer dans le but de donner utilité aux méprécieux sont telles, et il y a tant de monopoles investis d’autorité sur le négoce de monnaie, que de tous les articles c’est le plus sujet à de brusques altérations de valeur. Régler la circulation est regardé comme une des fonctions du gouvernement ; et, comme nous avons vu, par la raison que cela a toujours fourni aux hommes qui sont au pouvoir le mode de taxation le plus simple et le plus convenable. Le gouvernement de la Grande-Bretagne a transmis la fonction à la banque, — une institution qui s’en acquitte de telle sorte qu’un jour la monnaie est à meilleur marché, ce qui permet au gouvernement de réduire le taux d’intérêt sur la dette, et qu’un autre jour elle renchérit, et que ceux qui ont accepté un nouveau stock en échange de l’ancien, se trouvent s’être départis d’une portion considérable de leur propriété, — sans recevoir rien en échange. N’importe quelle soit la perte, les propriétaires de la banque sont toujours sûrs de recevoir de gros dividendes ; en même temps que ses directeurs sont toujours prêts à fournir ce qu’ils pensent devoir être accepté comme de bonnes et suffisantes raisons d’oscillation aussi désastreuses. Un jour c’est une importation énorme de fonds venant du continent, un autre jour c’est l’influence des actions et des fonds américains, un troisième jour d’énormes prêts aux États-Unis, et un quatrième jour un déficit dans les récoltes ; mais les fonds ne viendraient pas si la banque ne paralysait pas l’action des capitalistes privés, en prêtant au dehors sa monnaie et faisant monter les prix, et la récolte de blé pourrait manquer sans produire aucun changement matériel dans la valeur de la monnaie, sauf dans son rapport avec le blé lui-même. Si l’offre du sucre est faible, le prix du sucre lui-même montera et il restera quelque peu moins de monnaie à échanger contre du drap dont le prix baissera légèrement ; et de même si l’offre du grain est faible, il restera moins de monnaie à échanger contre du sucre ; mais dans aucun cas le déficit, dans un article, n’affecte matériellement les prix de tout autre, là où la circulation monétaire n’est point travaillée.

La vraie cause d’embarras se trouve dans le fait que la tâche de régulateur est confiée à une grande institution dont les mouvements ne sont nullement réglés. En monopolisant les valeurs à un certain jour, elle produit un excès apparent et par conséquent un bon marché de la monnaie — avec baisse des prix. En les jetant de nouveau sur le marché lorsque la plus grande partie de cet excès apparent a trouvé placement dans de nouvelles entreprises, la pénurie devient alors aussi grande que l’avait été l’abondance précédente. C’est la marche d’un grand volant au milieu d’un nombre infini de petites roues, qui sont forcées de marcher vite ou lentement selon l’impulsion du grand volant. Les petites roues sont les banquiers, marchands et manufacturiers de la Grande-Bretagne, tous engagés plus ou moins depuis un demi-siècle, à étudier la loi qui régit le mouvement de la maîtresse roue, mais, jusqu’alors, avec si peu de succès, que nous pouvons à peu près affirmer qu’il n’y a point en Angleterre d’homme, dans la banque ou en dehors de la banque, qui pût confier cette loi au papier, et parier sa fortune qu’il prouvera qu’elle a fonctionné, rien même qu’un seul jour, dans le dernier demi-siècle. Désespérant de parvenir à saisir la moindre chose des lois de son action, tous se résignent aveuglément à son influence, — sociétés par actions et banques privées, faisant de l’extension, quand elle en fait, et se resserrant quand elle se resserre, une erreur d’un simple million dans Threadneedle Street, produisant de la sorte une erreur jusqu’à des centaines de millions dans les transactions monétaires du royaume. De là la nécessité de la soumettre à des règlements fixes et positifs.

La circulation n’a pas besoin d’un tel régulateur, mais s’il en doit exister un, son action devrait être rendue parfaitement automatique, — laissant aux propriétaires des petites roues à user des dispositions qui leur permettent d’obtenir le plus ou moins de vitesse qui peut leur être nécessaire. C’est la communauté qui doit avoir action sur lui, au lieu de lui ayant action sur elles ; et alors on le pourra consulter avec la même confiance que le thermomètre. La loi qui produira cet effet ne sera pas celle de 1844, qui, avec son mécanisme incommode, — et réellement ridicule, — de département de banque et de département d’émission, a été tout à fait impropre à répondre à la fin proposée. Elle fut élaborée en vue des oscillations du montant de la circulation en usage, qui sont toujours lentes et d’un chiffre peu élevé ; et ne se rapporte point aux oscillations dans la circulation qui cherche emploi, lesquelles sont toujours rapides et d’un montant considérable[7]. L’un est d’usage constant parmi le grand corps de la population, et ne peut matériellement être augmenté ou diminué sans un grand changement dans l’état du négoce ou dans les opinions de la communauté. L’autre représente le capital non employé, la propriété du petit nombre sujet à augmenter ou diminuer à chaque changement de temps ou au moindre nuage qui paraît à l’horizon politique ou commercial.

§ 9. — La circulation en usage est toujours une quantité constante. Changements dans son montant de 1832 à 1847.

D’après la dernière charte, il doit se trouver, dans les caves de la banque, un souverain, ou, jusqu’à un certain point, son équivalent en argent pour chaque livre de ses billets dans les mains du public, au-delà de 14.000.000 livres. La circulation étant une quantité à peu près constante, — montant à 20.000.000 livres, — c’est donc 6.000.000 livres en lingots qui doivent rester à la banque, sans être employés, dans quelque circonstance que ce soit ; et ayant autant de valeur pour la communauté, tant qu’ils restent là, qu’en aurait un poids égal de cailloux. Voyons maintenant jusqu’à quel point la circulation peut, en principe, être traitée comme une quantité constante. Rappelons-nous d’abord que le commerce est plus actif à certaines saisons de l’année, et que, comme il y a plus d’échanges à faire, il faut aussi plus de l’instrument d’échange dans la saison active que dans la saison morte ; et qu’en comparant une année à une autre, nous devons par conséquent prendre, dans tous les cas, les mêmes parties de l’année. D’après quoi, voici quelle a été la circulation du printemps et de l’automne, dans les années à partir de 1832 à 1840 :

________ Avril. Octobre.
1832 18.449.000 liv. sterl.   18.200.000 liv.
1833 17.912.000 19.823.000
1834 18.007.000 19.107.000
1835 18.507.000 18.21., 000
1836 17.985.000 18.136.000
1837 18.365.000 18.876.000
1838 18.872.000 19.636.000
1839 18.326.000 17.906.000
1840 16.818.000 17.221.000

L’année 1840 fut une année de prostration complète. Dans cette année et dans la suivante, le commerce était à bout, autant que la ruine des chalands de l’Angleterre, au dehors et à l’intérieur, résultat des mouvements extraordinaires de la banque, puisse accomplir la chose[8]. Néanmoins, dans ces circonstances fâcheuses, la circulation se maintient au-dessus de 16.000.000 ; et nous la trouvons, dès lors, atteignant un point plus haut qu’elle ne l’avait fait pour plusieurs années.

    Avril.   Octobre.
1841 16.533.700 17.592.000
1842 16.952.000 20.004.000
1843 20.239.000 19.561.000
1844 21.246.000
Nouvelle Loi.
Avril. Octobre.
1844 21.152.000
1845 20.099.000 21.260.000
1846 19.865.000 21.550.000
1847 19.854.000

Dans la première période, embrassant les neuf années, de 1832 à 1840, les deux inclusivement, — et contenant la crise de 1836-37, la variation, dans le mois d’avril, au-dessus et au-dessous de la moyenne de 18.500.000 livres, est au-dessous de 3 %. Celle d’octobre, au-dessus et au-dessous de 18.900.000, n’est que peu au-dessus de 4 %, jusqu’à ce que nous atteignons la fin de 1839 et le commencement de 1840, époque à laquelle la banque fut forcée de fouler dans la poussière tout ce qui, de toute manière, était dépendant d’elle, — anéantissant presque le négoce du pays et celui de tous les autres pays intimement liés à lui.

Dans la seconde, la circulation atteint un plus haut point que dans la première. Les banques privées et les sociétés par actions ayant été ruinées par la révulsion extraordinaire de 1839, et la confiance dans leurs notes ayant souffert, la banque profite alors de la ruine qu’elle a elle-même causée.

A partir de 1844, les variations sont au-dessous de 2 %. Il y a cependant une différence sensible entre le montant moyen de la première et de la troisième période ; — on voit qu’il s’est effectué un accroissement soutenu. Dans le temps qui s’est écoulé, il y a eu grand surcroît de population et de richesse, et on eût bien pu aviser à une augmentation de l’instrument de commerce ; et cependant il n’y a pas eu augmentation réelle, — le changement n’étant qu’apparent, tendant à prouver la règle que la circulation réelle est une quantité presque constante. Avant 1844, comme il n’y avait point de limites à la circulation des banques privées, des sociétés par actions, des banques d’Irlande et d’Écosse, elles présentèrent une moyenne, entre 1833 et 1839, d’environ 20.000.000 livres. La nouvelle loi vint la limiter à environ 17.800.000 livres. Le vide ainsi créé dut être rempli par des notes de la banque anglaise, lesquelles, par là s’élevèrent de 18.000.000 à 20.000.000. La moyenne de la circulation totale, de 1833 à 1839, fut de 37.838.000, — un montant à peine différent de celui existant dans le semestre qui précède la crise de 1847.

Toutes faibles que soient les variations que nous venons de voir, elles ne sont encore, en très-grande partie, qu’apparentes. Quand la monnaie est abondante et à bon marché, les banques et les banquiers retiennent un montant plus considérable de leurs notes mutuelles que lorsqu’elle est rare et en hausse ; et une note, dans leurs caisses, est tout aussi en dehors de la circulation que si elle fût restée dans celle de la banque qui l’a émise. Dans le tableau ci-dessus, le mois d’avril, le plus haut, est celui de 1835, où le lingot, à la banque, était de 10.673.000 livres, et les valeurs étaient au-dessous de 26.000.000 livres, — le prix courant de la monnaie n’étant que de 3 %. Le mois d’octobre le plus haut a été celui de 1833, alors que le lingot était 11.000.000 livres, les valeurs 24.000.000, et le taux d’intérêt 3 %. Ce fut une période où l’on se remit de l’excitation récente, qui avait été suivie d’une grande dépression et d’une lourde perte. Le mois d’octobre, après celui-ci le plus haut, fut celui de 1838, alors que le commerce fut paralysé et qu’il y eut beaucoup de capital sans emploi. Le stock de lingot était de près de 10.000.000, et le taux d’intérêt était 3 %. En 1842-43-44, la circulation apparente fut plus considérable que dans aucune des années précédentes, et pourtant la banque fut hors d’état d’étendre ses prêts, qui alors égalaient à peine le montant de sa circulation et de son surplus. Dans tous ces cas, nous trouvons précisément les circonstances calculées pour produire une accumulation de notes de la banque d’Angleterre dans les caves et dans les caisses des banquiers particuliers et des compagnies par actions ; tandis que les plus bas retours, tant pour le printemps que pour l’automne, jusqu’à ce que nous arrivions à la prostration totale de 1839-40, sont ceux de 1836, alors que les prêts de la banque ont atteint leur plus haut point, et lorsque, selon la théorie de l’acte de restriction de la banque, la circulation aurait dû être la plus considérable.

Sous la nouvelle loi, le plus haut mois d’avril fut celui de 1845, alors que le lingot avait atteint la somme énorme de 16.000.000 livres ; et le plus haut octobre, celui de 1846, alors qu’il avait de nouveau atteint juste ce montant. En présence de ces faits, on peut fort bien mettre en doute si la variation au-dessus ou au-dessous du point médium de 1833 à 1839 a dépassé de beaucoup 1 %, — une proportion si faible, qu’à presque tous les points de vue la circulation réelle peut être regardée comme une quantité constante[9].

§ 10. — La circulation qui cherche emploi est une quantité constamment oscillante. Comment l’action de la banque tend à produire ces oscillations.

La preuve que la tendance à fermeté manifestée ci-dessus ne fut pas due à l’action de la banque elle-même, se trouve dans les faits suivants : — Entre 1832 et 1839, elle augmente ses valeurs de 22.000.000 à 31.000.000, — forçant ainsi le montant du capital sans emploi au crédit de ses clients, pour lequel capital en entier ils avaient titre à demander des notes, de 8.000.000 à 18.000.000 ; et elle diminue ses placements de 31.000.000 à 21.000.000, — mettant les propriétaires de capital sans emploi à même de placera bas prix, et produisant ainsi une réduction de dépôts de 18.000.000 à 7.000.000, et pourtant la circulation n’en est pas affectée. Sous la nouvelle loi, on la voit de nouveau élargir ses placements de 22.000.000 à 36.000.000, — accroissant ainsi ses débets de 12.000.000 à 24.000.000 ; alors resserrer de nouveau les premiers à 25.000.000, et les derniers à 16.000.000 ; et pourtant la circulation, le lecteur le voit, est à peine affectée au degré le plus minime.

§ 11. — Phénomènes de la période de 1852 à 1855.

Venant maintenant aux années récentes, nous trouvons un état de choses précisément semblable, — le montant de la circulation ayant été ainsi qu’il suit :

Juillet 1852     21.346.000
1853 22.847.000
1854 20.100.000
1855 20.166.000
1856 19.957.000

Dans la première de ces années, la monnaie était abondante et à bon marché, — précisément l’état de choses nécessaire pour induire les banques et les banquiers à permettre aux notes de la banque d’Angleterre de rester oisives et hors de la circulation dans leurs caves ou caisses. La retenue, par chacune des banques particulières ou compagnies par actions, d’un simple millier de livres de notes, de plus qu’elles n’en retenaient lorsque la monnaie était rare et chère, et qu’elles étaient assiégées par des gens qui demandent accommodement, — comme ce fut le cas dans la dernière des années ci-dessus, — produirait toute la différence apparente qui se montre ici ; et cela aussi, sans tenir le moindre compte de la différence dans la quantité de monnaie requise pour le payement des salaires et l’achat des marchandises à une saison où le négoce est actif, comparée à celle qui suffit lorsque la demande de travail est faible et le négoce peu actif.

D’après tous ces faits, la circulation peut être regardée comme une quantité constante, ou au moins variant tellement peu, qu’on peut en sécurité l’accepter comme telle. Elle est réglée par les besoins de la population, qui se passent de l’assistance de la loi, laquelle n’est pas plus utile que si son auteur eût songé à fixer le nombre de chaussures, chapeaux ou habits que doivent tenir les fabricants de ces articles, — pour pourvoir à ce que ceux qui achètent des chapeaux soient sûrs d’en trouver. Sous une telle loi, on trouverait beaucoup de gens allant sans chapeaux, chaussures ou habits, — la quantité de ces articles devenant alors très instable, et leurs prix aussi variables que l’est aujourd’hui celui de la monnaie.

§ 12. — Comment les provisions de la présente Charte tendent à amener l’expulsion des métaux précieux.

Les billets de circulation, ou billets au porteur, tendent à augmenter l’utilité de la monnaie en facilitant le transfert de la propriété qu’ils contiennent. Tous les articles tendent vers les lieux où ils acquièrent le plus haut degré d’utilité ; et c’est pourquoi nous voyons les métaux précieux se frayer toujours leur voie vers les lieux où de tels billets sont en usage.

L’achat de valeurs avec les capitaux d’autrui sans emploi, placés dans une banque pour sûre garde, tend, pour un temps, à rendre la quantité apparente de monnaie plus grande que n’est la réelle, et ainsi à affaiblir l’utilité de la monnaie dans les mains de ses possesseurs actuels. Tous les articles tendent à quitter les lieux où ils ont le degré moindre d’utilité ; et c’est pourquoi nous voyons toujours l’exportation la plus considérable de métaux précieux, alors que ces dettes de la banque, appelées « dépôts, » sont à leur plus haut point.

La charte actuelle restreint le pouvoir de fournir des notes de circulation, tandis qu’elle laisse intact le pouvoir de la banque, d’étendre la circulation en monopolisant les valeurs, et rendant par là improductif le capital des particuliers. Après ce grand pas fait pour diminuer l’utilité de la monnaie, elle paralyse ensuite la somme considérable de 6.000.000 livres, en prenant, comme la mesure du lingot à retenir, la circulation presque invariable, sur laquelle les directeurs peuvent à peine exercer le plus léger pouvoir, au lieu des crédits sur ses livres, dont le montant dépend directement de l’exercice de leurs volonté. Il en résulte que les métaux précieux tendent aujourd’hui à s’écouler de la Grande-Bretagne, et non à couler vers elle ; et que le taux d’intérêt a, pour les trois dernières années, varié entre 5 et 8 %. On ne vit jamais tentative plus malheureuse de remédier au mal existant. Le pouvoir de la banque, de dominer et de diriger la circulation, est plus grand aujourd’hui que par le passé, tandis que celui du gouvernement, de donner force à la loi, n’existe pas.[10]

— Le remède aux maux présents se cherche dans la permission d’élever le taux d’intérêt. Il tend cependant à offrir à la banque de nouvelles inductions d’agir de manière à causer des oscillations dans la quantité et la valeur de cette circulation.

§ 13. — Le remède aux maux présents se cherche dans la permission d’élever le taux d’intérêt. Il tend cependant à offrir à la banque de nouvelles inductions d’agir de manière à causer des oscillations dans la quantité et la valeur de cette circulation.

Le remède à tous les maux d’une circulation instable se trouve aujourd’hui, nous en avons la conviction, dans la permission qui a été accordée à la banque d’élever le taux d’intérêt ; et comme l’exemple ainsi établi a été recommandé aux autres nations comme bon à suivre, nous allons, en quelques mots, chercher jusqu’à quel point il tend à redresser le mal dont l’Angleterre a si fort à se plaindre[11].

L’expérience a prouvé que l’excès d’affaires par les banques, aussi bien que par les particuliers, est toujours suivi d’une nécessité de réaction en déficit d’affaires, — le profit excessif sur l’un étant généralement perdu par l’autre. Il en a été ainsi pour la banque d’Angleterre. Quelle que puisse être sa détresse, et à quelque point qu’elle soit obligée de circonscrire ses prêts, elle ne peut exiger au-delà du taux d’intérêt légal. Elle peut donc perdre dans une période ce qu’elle a gagné dans une autre. Aujourd’hui, cependant, ce frein a cessé d’exister. La limitation de ses prêts étant accompagnée d’une augmentation du prix à payer pour l’usage de la monnaie, plus on peut faire que son action contribue à produire ces excitations qui doivent être suivies de resserrements, plus ses dividendes doivent grossir. Sous l’ancien système, ses intérêts et ceux de la communauté étaient toujours en opposition ; aujourd’hui ils le sont doublement. La centralisation est donc en progrès soutenu, et dans cette direction nous trouvons l’esclavage et la mort.

On pourrait presque voir, dans l’octroi de cette permission, l’intention d’offrir à la banque une prime pour l’induire à produire des oscillations dans la circulation, et, par la raison que plus elles se répètent et plus elle fait de profits. Étant une corporation particulière, les intérêts de ses propriétaires exigent des directeurs qu’ils la dirigent de manière à donner le revenu le plus considérable. D’après quoi, quel meilleur système à adopter que celui qui, en enflant les dépôts aux jours où la monnaie va être rendue abondante, permet ensuite à la banque de faire profit, en chargeant intérêt double ou triple, lorsqu’elle a été rendue rare ? On n’a jamais imaginé système mieux calculé pour produire des révulsions, que celui qui a donné à une simple corporation particulière le privilège de régler la circulation, — en même temps qu’elle la force à dépendre entièrement de l’argent emprunté pour remplir sa fonction.

§ 14. — Sur les banques privées d’Angleterre. Leur existence est due au monopole de la banque. Leurs nombreuses faillites.

La politique anglaise, en règle générale, a été opposée à l’extension du principe d’association. Tandis que de grands corps, comme la banque d’Angleterre et la Compagnie des Indes orientales pouvaient obtenir des exemptions des provisions de la loi de société commerciale, non-seulement on les refusa en ce qui touchait les autres associations moins importantes, mais des lois spéciales interdirent la formation de compagnies par actions transférables, ou comptant plus d’un certain nombre de partenaires, quand il s’agissait de négoce de monnaie. De là vint que les affaires de monnaie ont été tellement limitées à des banquiers particuliers, à qui les gens furent forcés de se confier, tandis qu’ils auraient préféré une banque publique dirigée par eux-mêmes. Les transactions de celle-ci eussent été probablement ouvertes à l’examen du monde entier. Celles des particuliers sont, au contraire, tout à fait secrètes, et le résultat a prouvé qu’elles n’ont que bien rarement eu droit à réclamer la plus légère confiance. Dans la seule année 1792, les faillites parmi elles s’élevèrent au moins à cent. De 1814 à 1816, on en compta 240 ; de 1824 à 1839, les suspensions furent encore plus nombreuses, et les cas de faillite complète s’élevèrent à 118. De 1839 à 1848, le nombre des faillites fut 82, dont 46 ne donnèrent rien aux créanciers. — Le dividende moyen, du reste, fut au-dessous de 35 %. La crise de 1847 fut fatale à beaucoup de banquiers, dont plusieurs occupaient les plus hauts rangs dans la considération publique. La liquidation de leurs affaires prouva néanmoins, et presque invariablement, qu’ils n’étaient que de vrais joueurs, et depuis plusieurs années d’une insolvabilité désespérée, — vivant de rapines sur le public comme la chose a été tout récemment prouvée pour l’éminente maison Strahan et Cie[12].

§ 15. — Banques par actions. La responsabilité illimitée des partners est un reste de barbarie. La responsabilité limitée est une preuve de civilisation en avance.

La débâcle de 1825 donna lieu à un acte pour autoriser la création de banques par actions, lié cependant à tant de restrictions et à de tels règlements, qu’il exclut l’idée que quelqu’une se puisse former qui vaille beaucoup mieux que les banques privées. L’acte permit de s’associer, mais seulement sous la condition que chaque associé, quelque insignifiant ou de quelque courte durée que pût être son intérêt, serait responsable pour toutes les dettes de l’entreprise ; — maintenant ainsi dans toute sa force, le système barbare d’une responsabilité illimitée,— solidarité — qui est venue des anciens temps. Ceci entraînait un millier d’autres articles réglementaires, et il s’ensuivit la nécessité d’autres lois déterminant le rapport réciproque des parties. Ce rapport, toutefois, était si peu satisfaisant, que les individus désireux de s’associer furent forcés d’adopter des arrangements spéciaux, en vue de se ménager quelque chose qui approchât de la sécurité, tant dans les affaires avec le public que vis-à-vis les uns des autres. Les gens prudents, cependant, se gardèrent de prendre part à de tels établissements. Déposant leurs fonds pour sûre garde et recevant peu ou point d’intérêt pour l’usage, ils avaient au moins de la sécurité ; tandis que les actionnaires obtenaient de gros dividendes au coût d’une lourde responsabilité, — qui, généralement, se terminait par la ruine[13].

L’idée de limitation de responsabilité étant communément associée avec celle de monopole, par suite de la monopolisation du droit au négoce, a été attaquée par plusieurs économistes qui ont combattu fortement pour le système de responsabilité parfaite, illimitée. Quand nous voyons cependant des hommes animés du désir d’améliorer leur condition adopter fréquemment un certain mode d’opérer, nous pouvons tenir pour certain qu’il y a pour cela bonne raison, bien qu’elle ne soit pas saisissable au premier abord. L’un des premiers objets que les hommes ont en vue en s’associant, est celui de gouvernement ; désirant sécurité pour eux-mêmes, ils ont vouloir que les autres en jouissent ; aussi les voyons-nous adopter le principe de responsabilité limitée. Chacun s’engage à contribuer pour sa part, et pour sa part seulement, au payement des dépenses qui se rapportent au maintien de l’ordre. S’il en était autrement, —et que l’on pût prendre pour répondre de cet objet tout ce que possède un individu, — il n’y aurait nulle sécurité. Personne ne voudrait se transporter d’Europe aux États-Unis, s’il n’avait croyance que sa propriété sera taxée en proportion convenable pour le maintien du gouvernement, et s’il ne sentait la confiance que l’acquittement de cette quote proportionnelle l’exempte de toute responsabilité ultérieure.

Le même principe est partout introduit dans les associations pour assurance mutuelle contre les dangers de feu et d’eau, — preuve que cette limitation de responsabilité se produit naturellement dans la marche des opérations des hommes qui cherchent à améliorer leur condition[14]. C’est de cette manière que se sont formés quelques-uns des premiers offices d’assurance aux États-Unis, plusieurs des premières banques ; et même aujourd’hui on trouve un petit nombre d’établissements qui continuent le négoce sous de telles conventions. On peut supposer raisonnablement que les individus qui placent ainsi leur capital, et ceux qui font des affaires avec eux, entendent leurs propres intérêts, et que ces intérêts seront ménagés pour le mieux s’il n’y a point d’intervention de la part de la communauté en masse. Comme cependant on a soumis le droit d’association à des règlements et que le droit de former des compagnies avec un stock transférable a été refusé à tous, sauf à quelques individus favorisés, on a pensé qu’il était du devoir des cours anglaises autant que possible de décourager l’association et de s’opposer à la limitation de responsabilité. Un sentiment d’insécurité au sujet de la formation de telles associations s’est donc produit, — sur ce qu’on comprenait fort bien qu’en cas de procès, les cours écarteraient la limitation dans tous les cas où elles le pourraient, — changeant ainsi les conventions entre les parties en un contrat, à la destruction entière de sécurité.

Toute mesure qui produit limitation tend à établir le droit de chacun de décider par soi-même dans quel mode il entretiendra commerce mutuel avec autrui. La marche contraire tendit à aug- — le pouvoir du souverain, en lui permettant de conférer à quelques-uns comme un privilège, ce qui aurait dû être possédé comme un droit par tous ; et c’est pourquoi il arrive que les juges ne négligent aucune occasion de donner force à l’idée barbare de responsabilité entière.

Les actes d’incorporation, au lieu d’être des octrois de privilège, ne sont que de pures réintégrations d’un droit dont l’exercice a été interdit dans des vues de monopole. C’est parce que la sécurité de la propriété a été altérée par l’interdiction aux possesseurs d’en user de la manière par eux jugée la plus avantageuse, dans le but de faire regarder l’exercice de ce droit comme un privilège, et de faire payer en conséquence, c’est pour cela, disons-nous, que les hommes ont été et sont encore forcés de s’adresser aux souverains ou aux législateurs pour obtenir la permission de l’exercer. Cette interdiction est en accord parfait avec le système de monopole, de restriction et d’exclusion qui a si longtemps existé. Avec accroissement de population et richesse, il y a tendance croissante à la combinaison d’action, accompagnée du développement croissant des facultés individuelles, et tendance constante au retrait des restrictions imposées dans les âges primitifs et moins éclairés, — laissant les hommes déterminer eux-mêmes dans quels termes ils veulent s’associer entre eux, et aussi dans quels termes ils veulent entretenir commerce avec le monde. Dans cette direction se trouve la civilisation.

§ 16. — Difficultés de faire fonctionner le système de responsabilité illimitée.

En Angleterre jusqu’ici le seul changement a consisté à abolir l’interdiction d’association. On peut aujourd’hui former des banques par actions (joint-stocks banks), mais le capitaliste se trouve restreint par une loi, qui lui refuse expressément le droit de négocier avec d’autres autrement que sur le pied de responsabilité illimitée pour toutes les dettes de l’association. Et de plus, les embarras intérieurs résultant de la sujétion à la loi de société sont tels, que n’importe avec quelle habileté l’acte d’association sera dressé, — quelques minutieuses que soient ses prévisions, — si un co-actionnaire vient à discuter les faits qui se lient à une opération quelconque, « lui et eux, d’après les opinions d’un éminent conseil, se trouveront tout autant à la mer que si l’acte avait été mal préparé. »

Ces difficultés ne sont que les résultats naturels de lois eu désuétude, par lesquelles on a essayé de déterminer de quelle manière les hommes entretiendraient commerce entre eux. Dans les temps où ceux qui travaillaient étaient serfs, ou très-peu mieux, l’exercice du droit d’association était un privilège limité par les maîtres, comme c’est encore le cas dans les États du sud de l’Union américaine. La limitation de responsabilité parmi les travailleurs y serait accueillie, avec aussi peu de faveur qu’elle fut reçue par le parlement qui passa la loi de formation de banque par actions, — laquelle impose aux banquiers des obligations si lourdes qu’elles écartent du négoce tout homme qui a la dose ordinaire de prudence.

Sur quel motif une communauté peut-elle refuser à ses membres le libre exercice du droit d’association ? C’est excessivement difficile à comprendre. Il ne l’est pas moins de comprendre pourquoi il peut être interdit à une association d’hommes de déclarer au monde dans quels termes ils veulent négocier avec ceux qui cherchent à négocier avec eux, — après quoi des deux parts on se trouverait engagé par les termes ainsi déclarés. Un homme qui emprunte sur gage, et qui limite expressément sa responsabilité à la valeur de la propriété engagée, ne peut être responsable pour plus, ni tenu de l’être par aucune cour de justice. Dix, vingt, cent ou des milliers d’hommes ont ouvert une place pour les affaires, et ont annoncé publiquement que chacun a placé une certaine somme en livres ou dollars, laquelle somme et non plus, doit répondre pour les dettes de l’association, les parties qui traitent avec eux le font les yeux ouverts et sont liées par les termes de la convention. Nier à des individus ou à une association le droit de prendre engagement de cette manière, c’est un déni aussi formel d’un droit que le serait l’interdiction à eux faite d’échanger leur travail avec ceux qui leur donneraient le plus de coton, de chaussures ou de chapeaux ; et c’est tout aussi peu soutenable.

Afin de protéger les imprudents contre la fraude, la communauté peut très-convenablement déterminer les conditions nécessaires pour la jouissance de ce droit. Ainsi, elle peut demander que chaque association place au-dessus de sa porte un tableau avec ces mots : « Responsabilité limitée, » en caractères d’une certaine dimension ; ou exiger que l’avertissement du fait de limitation soit inséré dans un ou plusieurs journaux chaque jour de l’année ; ou insister sur un accomplissement de certaines autres formes, ainsi qu’il est fait dans les actes actuels d’incorporation, formes qui déterminent purement les termes dans lesquels les parties y nommées entreront en jouissance d’un droit précédemment existant, que la politique de ceux qui ont exercé le pouvoir a fait regarder comme un privilège. Une loi générale, déterminant les termes dans lesquels ce droit s’exercerait, corrigerait beaucoup plusieurs des maux qui ont résulté d’un désir d’en confiner la jouissance entre quelques individus, et permettrait à tous les membres de la communauté de combiner entre eux les termes qu’ils trouveraient à leur avantage réciproque d’une responsabilité, soit limitée, soit illimitée[15].

§ 17. — Son effet direct est d’augmenter les risques pour le public, tout en prétendant les diminuer.

Plus le montant de responsabilité à encourir sera faible, moindre sera la compensation demandée. Le capitaliste aime mieux placer son numéraire dans les caves de la banque d’Angleterre, qui ne paye pas d’intérêt, que de le laisser à un banquier particulier, qui lui servirait volontiers 2 ou 3 %, et cela parce qu’il croit qu’il y a plus de sécurité dans le premier cas que dans l’autre. Si le banquier lui sert 5 %, il pourra accepter un risque qu’autrement il rejetterait. Il en a toujours été ainsi avec les propriétaires des banques par actions, forcés qu’ils ont été d’assumer les responsabilités les plus lourdes, en retour desquelles ils demandent des profits énormes. Il en est ainsi aujourd’hui avec toutes les banques qui doivent leur existence à la loi de 1825, comme on le voit dans le cas de la banque royale d’Angleterre, dont la faillite ne date que de deux mois[16]. Dans une occasion, et ce n’est qu’un exemple de ce qui, depuis, a eu lieu dans beaucoup de cas, la banque d’Angleterre obtint un jugement contre la banque du Nord et centrale, pour un million de livres, sur laquelle elle avait un droit de saisir la propriété entière d’un, de dix ou de vingt actionnaires. Comme il s’agissait de toute leur fortune, aucun d’eux ne pouvait vendre une acre de terre jusqu’à l’acquittement. Des risques aussi immenses demandent naturellement qu’on les paye, et, en conséquence, les possesseurs d’actions, dans de telles circonstances, se contentent rarement de moins d’un double ou triple intérêt, comme on le voit par la liste suivante des prix d’actions dans les banques par actions, et des dividendes reçus[17].

Actions Versement ___ Prix ___ Dividendes
Londres et Westminster 100 liv. 20 21 1/4   5 1/2
Manchester et Liverpool 100 15 19 1/2   7 1/2
Manchester 100 25 27   7
Monmouthsire 20 10 13 1/2 12
Northamptonshire 25 5 11 14

Moyenne d’intérêt sur le prix de vente, 6 1/4 %, avec privilège de payer la balance des actions au pair chaque fois qu’il en serait nécessité. Le dividende moyen, sur toutes les banques par actions, a été, à cette époque, 8 1/2 %, en addition à un fond d’excédant d’environ 1 % par année.

De tels profits sont toujours reçus comme récompense de chances folles et de spéculation déréglée. Là où les affaires sont sûres, la concurrence vient réduire le taux du profit. La preuve qu’elles ne sont pas sûres, c’est que ces établissements font d’immenses affaires avec de faibles capitaux, — que leurs dettes sont énormes, — que, pour se mettre à même de rester si fort en dette envers la communauté, ils couvrent le pays de succursales, émettant des notes, contre lesquelles on ne paye d’argent qu’à la banque-mère, qui se trouve à cent ou cent cinquante milles de distance, — et que leurs dépenses absorbent presque tout l’intérêt de leur capital, — ne leur laissant de profit, pour aviser aux dividendes, que sur leur circulation et les dépôts. Dans une liste publiée il y a quelques années, il y en avait peu dont le capital dépassât 70.000 livres, tandis qu’une, rien qu’avec un capital de 28.000 livres, avait, en trois ans, divisé 28 % entre ses actionnaires.

§ 18. — Énorme excès de trafic des banques de Londres.

Voici la situation donnée récemment de six des banques par actions de Londres, auxquelles aucune ne doit d’émettre des notes.

Capital. Dettes.   Dividendes
moyens.
  Prix de vente
du stock.
2,817,085 liv.   29,376,410 17 % 6,922,000[18]

Les dividendes moyens, comme nous voyons, ne sont pas moins de 17%, et cela encore dans un pays où l’excès de capital et la difficulté de lui trouver emploi profitable, sont des sujets constants de plainte. Les actions, comme on voit, se vendent avec une avance d’un peu moins que 150 */„ et même, à ces hauts prix, donnent un intérêt de près de 7 "/„. D’où vient cela ? Pourquoi les quelques individus intéressés dans ces établissements obtiennent-ils de si énormes dividendes ? Parce qu’il y a dans la communauté tellement de gens qui aiment mieux accepter un taux peu élevé d’intérêt libre de risque, comme ils le supposent, que pren- dre les risques et les profits plus grands. Ces établissements sont de pures maisons de jeu, avec un passif dix fois plus considérable que ce qu’ils possèdent en propre. Pris ensemble, ils forment une grande pyramide renversée, sujette, à tout moment de crise financière, à culbuter et à ensevelir les actionnaires sous ses ruines.

Personne, à moins d’avoir l’instinct du vrai joueur, n’eût pensé que 8, 10, ou même 12 % ne fût une compensation suffisante pour les risques que, sous la loi de 1825, il lui fallait courir. Le capitaliste prudent ne prit point d’actions, — jugeant plus sage de laisser son capital inactif dans une banque non incorporée qui ne lui servît point intérêt, mais qu’il jugeait parfaitement sûre. Il ne pourrait cependant découvrir une bonne raison pourquoi lui et dix ou vingt de ses voisins ne placeraient pas chacun 5.000 livres dans les mains d’un agent, qui les emploierait, sous la convention, avec tous ceux qui feraient affaire avec lui : que la responsabilité, pour chacun, serait limitée à sa part du capital ainsi constitué. Sachant fort bien qu’une telle association, négociant dans ces termes, inspirera plus de confiance publique que ne le peuvent faire un, deux ou trois individus qui négocient séparément, il aura peine à comprendre pourquoi, si ceux qui veulent faire des affaires avec lui se contentent d’accepter la responsabilité du capital souscrit, la communauté pourrait les empêcher de le faire, — les requérant de retenir le privilège de s’adresser à la propriété particulière des parties[19]. Il dirait fort raisonnablement : « Je prendrai volontiers 4 % pour l’usage de mon capital, s’il m’est permis d’en user à ma guise ; mais du moment qu’il me faut assumer la responsabilité d’une banque ordinaire par actions, je dois avoir 6 ou 7 %. » Il était ainsi forcé d’assumer de grands risques, pour lesquels il demandait une large quote-part comme intérêt, ou de placer son capital à la banque d’Angleterre, et l’y laisser inactif, ne rapportant rien pour son usage, — en attendant l’occasion de quelque autre mode de placement, au dehors ou à l’intérieur, moyennant lequel il pût obtenir 4 ou 5 %, sans courir risque, au-delà du montant du capital employé.

§ 19. — Acte récent du Parlement limitant la responsabilité des actionnaires. Pourquoi il a manqué à produire l’effet désiré.

Dans les deux dernières années, le système a été changé, et beaucoup en mieux, par un acte du Parlement qui reconnaît pleinement la limitation de responsabilité. On peut donc former des associations pour négocier en monnaie, ou pour à peu près tout genre d’opérations, sans courir risque de perdre au-delà du capital placé. Comme cependant le système d’Angleterre tend vers la centralisation, cette mesure, bien que dans un sens droit, n’aura que peu d’effet, tant que la politique générale anglaise restera la même, — visant exclusivement à nourrir le négoce aux dépens du commerce, — exportant les hommes par centaines de mille à des colonies lointaines, et par là diminuant le pouvoir d’association, — bâtissant Londres aux dépens des parties rurales du royaume, — regardant les exportations et les importations comme le critérium unique de prospérité ; — et augmentant ainsi, à chaque mouvement le nombre et le pouvoir de ceux qui vivent rien que d’appropriation, et aux frais de ceux qui cherchent à vivre du travail. Comme le système a sa base, ainsi que l’avait Carthage, « dans la poussière d’or et le sable, » une modification dans l’édifice ne peut produire beaucoup d’effet tant que la condition principale n’aura pas changé. Le petit propriétaire et le petit fabricant disparaissent graduellement de la terre[20], et à chaque pas, dans ce sens, la difficulté de placement profitable pour les petits capitaux va croissant[21]. D’année en année, les services des hommes intermédiaires sont de plus en plus nécessaires ; et c’est pourquoi la modification en question parait avoir produit peu d’effet, — la proportion entre le capital et les prêts n’ayant nullement changé, comme on le voit par les chiffres suivants, qui représentent la situation de huit des principales banques de Londres dans l’été de 1856.

Capital.     Dettes.   Moyenne des dividendes.
3.661.000 36.832.000 13,9 %

Plus le capital d’un individu ou d’une banque est en proportion forte à ses obligations, plus il y a tendance à stabilité et régularité ; plus est forte la proportion du passif à l’actif, moindre est la stabilité. Nous avons ici tous les éléments d’instabilité : — prêts considérables, — obligations considérables, — petits capitaux, — et gros dividendes.

§ 20. — Du système de banque en Écosse. Sa supériorité sur celui d’Angleterre.

Le mode de banque en Écosse a toujours été de beaucoup supérieur à celui d’Angleterre, et par la raison qu’il y a là plus de localisation et de liberté. La charte de la banque d’Écosse date de 1695 ; celle de la banque royale d’Écosse de 1727 ; celle de la compagnie de l’emprunt anglais de 1746 ; celle de la banque commerciale de 1810, et celle de la nationale de 1825. Au lieu donc d’une grande corporation, avec des obligations considérables et point de capital effectif, nous en avons ici cinq plus petites, avec un capital effectif et versé, qui monte à environ 5.000.000 liv., — ce qui donne un, au moins, des éléments de stabilité. De plus, la population d’Écosse a toujours été libre d’établir des banques par actions sur la base de la loi de société ; — le monopole de la banque d’Angleterre a sa limite au Tweed. Il en est résulté que les banques avec nombreux actionnaires, ont surgi graduellement dans tout le royaume, et ont agi comme de plus grandes caisses d’épargnes, — offrant placement facile à qui a de la monnaie, et prêt facile à qui en a besoin. Cette liberté plus grande a donné plus grande fermeté, la preuve en est dans le fait que les banques d’Écosse ont traversé saines et sauves les tempêtes de 1793 et 1825, dans lesquelles tant de banques anglaises ont fait naufrage.

Les obligations sous la forme de circulation ne dépassent que peu 3.000.000 liv., tandis que celles sous la forme de dépôts, sujets à être retirés à courte date, sont évaluées à 30.000.000. En mettant le capital total à 8.000.000 et les placements à 40.000.000, comme ils le sont probablement, les proportions sont de cinq à un, tandis que celles de Londres, nous l’avons vu, ne sont pas moins que dix à un.

Un tel montant d’affaires, basé sur un si faible capital, causerait néanmoins plus d’instabilité qu’il n’en existe, n’étaient des circonstances qui font contrepoids. La première est qu’une proportion très-considérable des crédits inscrits sont ceux de petits dépositaires, — des individus dont les crédits sont de 10, 20, 50 ou 100 livres, et qui reçoivent intérêt pour leur usage. La seconde est que les banques écossaises négocient beaucoup avec la London Exchange, — prêtant monnaie dans les moments d’excitation, et de la sorte enflant la marée de spéculation, et puis la retirant brusquement à la première apparence de danger. — L’Écosse, pour la plupart des cas, s’échappe intacte, mais l’effet est rudement senti en Angleterre. Le remède serait dans l’adoption de mesures qui tendissent constamment à fixer le large montant de capital flottant existant sous la forme de dépôts, — en le convertissant en stock et le mettant ainsi sur le pied de celui placé dans la banque d’Écosse. La mesure de 1844, cependant, n’a envisagé que la circulation, qui est une quantité presque fixe de 3,000,000, laissant, sans aucunement y toucher, les dépôts qui sont une quantité toujours variable plusieurs fois aussi considérable[22].

§ 21. — La tendance à la fermeté dans l’action sociétaire se trouve toujours exister en raison directe de la rapidité avec laquelle la consommation et la production se succèdent. Le système anglais vise à séparer, dans le monde entier, les consommateurs et les producteurs, et il arrête ainsi le mouvement sociétaire. L’instabilité et l’irrégularité en sont les conséquences.

Le capital total employé dans les affaires de banque en Angleterre ne peut se préciser ; — les banquiers particuliers ne faisant aucun rapport quelconque. La banque d’Angleterre, nous le savons, n’a aucun capital, — ce qui est appelé capital n’étant uniquement qu’un droit d’exiger du gouvernement le payement d’une certaine annuité. Huit banques par actions de Londres font 40.000.000 d’affaires sur une base de moins de 4.000.000. Les banques de provinces font des affaires en proportion moindre avec leur capital nominal, mais souvent en proportion semblable avec leurs capitaux réels. L’expérience a prouvé que, pour l’ordinaire, les banquiers particuliers possèdent très-peu en propre. Le mon tant placé dans les banques d’Écosse est à leurs affaires, comme environ un à cinq. En prenant toutes ces quantités, le capital employé semble pouvoir être de 20.000.000 à 30.000.000, tandis que le montant total des sécurités va probablement à moins de 150.000.000. Le système entier prend précisément la forme d’une pyramide renversée, et de là sa constante instabilité.

Le grand mérite qui recommande les métaux précieux pour servir à mesurer la valeur des autres utilités, c’est la tendance à stabilité en eux-mêmes ; c’est-à-dire en la quantité de l’effort humain nécessaire pour leur reproduction. Ce mérite fait complètement défaut dans la circulation anglaise, — la valeur d’une livre venant à doubler dans certaines années et dans d’autres à tomber à moitié ; et ces oscillations se répétant au point qu’aujourd’hui on s’y attend avec presque autant de certitude qu’on s’attend au retour des saisons. À quelles causes les attribuer ? À l’usage des billets de circulation, dit sir Robert Peel et ses disciples. Dans tout autre cas, cependant, où le degré d’utilité d’un article s’élève, l’offre prend plus de fermeté et le prix plus de régularité. À cette règle, il n’y a point et il ne peut y avoir d’exception : vraie pour tous les autres articles, elle doit l’être pour celui-ci. D’après quoi, l’usage des notes, billets de circulation, — tendant comme il le fait, à ajouter utilité à la monnaie, — doit tendre à produire fermeté dans son offre et régularité dans sa valeur. Et la preuve qu’il en est ainsi, c’est qu’à la fois l’offre et le prix sont plus réguliers dans la Nouvelle-Angleterre que dans le Texas et Mississippi, — dans l’Angleterre que dans l’Inde, — en Allemagne qu’en Turquie, — en France qu’au Brésil et en Portugal.

La tendance à fermeté de valeur est en raison de la vitesse avec laquelle la production suit la consommation. Cette vitesse augmente à mesure que le consommateur et le producteur se rapprochent l’un de l’autre, — à mesure que le commerce se développe — et que l’homme intermédiaire ou le négociant est de plus en plus éliminé. De là vient que le numéraire coule d’année en année plus fermement en France, Allemagne et généralement dans le nord de l’Europe, et que sa valeur en autres articles, va se régularisant. De là vient aussi que le même phénomène se montre aux États-Unis chaque fois qu’ils marchent dans ce sens, celui d’une politique tendant à augmenter le pouvoir d’association et à agrandir le domaine du commerce.

L’inverse se voit toujours à mesure que le consommateur et le producteur sont plus séparés, — que le négoce prend autorité sur le commerce — et que le négociant devient de plus en plus un pouvoir dans l’État. De là vient que l’offre de numéraire et sa valeur deviennent de plus en plus irréguliers dans l’Inde, le Portugal et autres pays qui suivent dans la voie de l’Angleterre — y compris les États-Unis, dans toutes ces périodes, où leur politique est celle enseignée dans les livres anglais.

La politique de l’Angleterre, au dedans et au dehors, tend toujours à séparer les producteurs et les consommateurs du monde — et à augmenter ainsi le pouvoir du trafic et rendre plus forte la proportion de la classe intermédiaire à la population qui produit. À chaque pas dans ce sens, la circulation sociétaire se ralentit, — la consommation suit plus lentement dans le sillage de la production, — des masses de propriétés tendent de plus en plus à s’accumuler dans les caves et les magasins, — la quote part du négociant tend de plus en plus à s’élever, tandis que celle du producteur décline — et les classes trafiquantes deviennent de plus en plus un pouvoir dans l’État. C’est là la centralisation — qui conduit toujours à soumettre les hommes qui travaillent à la domination de ceux qui vivent de l’exercice des pouvoirs d’appropriation. C’est la voie où tend aujourd’hui l’Angleterre, et parmi les mesures qui ont le plus contribué à tourner le vaisseau dans ce sens, il faut compter celles de 1819 et 1844, — dont la première a changé l’étalon de valeur, et l’autre a augmenté le pouvoir de la banque d’Angleterre.

§ 22. — Le libre-échange a pour partisans les opposants les plus décidés à la liberté de commerce.

La condition plus saine du système de banque écossais, lui donne une force qui lui a permis de tenir tête à l’opposition contre les notes d’une livre, malgré les manifestations réitérées du gouvernement de forcer le peuple écossais à renoncer à leur usage. Celui-ci comprend ce que n’a point compris sir Robert Peel, la différence entre le transport de monnaie et sa circulation. Les petites notes facilitent la circulation de l’or, dont elles sont les représentants, — lui permettant de rester tranquillement dans les caves de la banque qui les émet et soulageant la communauté de toute perte qui résulte du frai. L’usage de la note permet à une simple pièce d’or, en restant ainsi au repos, de faire plus de besogne que n’en feraient cent, quand la propriété monétaire se transfère uniquement par une livraison réelle d’espèces. Il est à remarquer que les plus ardents champions de la liberté de négoce en coton, drap et sucre, sont les opposants les plus opiniâtres à ce que la population décide par elle-même, de quelle sorte d’instrument elle veut se servir lorsqu’elle désire entretenir commerce parmi ses membres.

§ 23. — Les autres communautés du monde prospèrent en raison directe de leur indépendance du système anglais.

L’instabilité est la suivante infaillible du système en question, et de là vient que les pertes annuelles par faillites s’élèvent à l’énorme chiffre de 50.000.000 liv. Tout considérable qu’il soit, il n’est presque rien comparé avec la perte infligée aux nations étrangères par les oscillations incessantes auxquelles elles sont soumises. La débâcle de 1815, et celles de 1825, 1836, 1839 et 1847 ont là leur origine ; et leur effet a été de causer aux fermiers et planteurs du monde, un préjudice qui se compte par des millions de millions. De toutes les institutions monétaires aujourd’hui existantes, la banque d’Angleterre contient en elle-même le moins des éléments nécessaires pour produire stabilité et régularité, et c’est pourquoi les nations qui sont le plus dans sa dépendance sont les moins prospères. La centralisation négociante, néanmoins, cherche à faire de la circulation anglaise, — toujours variable comme elle l’est, — la mesure des valeurs pour le monde entier[23].

  1. Macaulay. History of England, vol. IV, chap. xii.
  2. En surcroît de ces gros dividendes elle avait accumulé graduellement un excédant qui, en 1816, montait à plus de 3.000.000 liv., et qui fut alors ajouté au capital nominal. Alors, comme jadis, le surcroît prit la forme d’une annuité payable par le gouvernement.
  3. Cité par Mac-Culloch, note 9 de son édition de la Richesse des nations.
  4. « M. Mac-Culloch (Notes de la Richesse des Nations) dit que la destruction du papier-monnaie a déjà élevé la valeur de la circulation d’environ trois pour cent de l’étalon, de sorte que l’acte de 1819 n’a guère fait que maintenir la circulation au taux où elle était arrivée par des circonstances accidentelles. Cela est vrai. Mais sont-ce des circonstances si, purement « accidentelles » que celles qui ont effectué dans la valeur de la propriété un changement — qui compte par millions de millions ? Ce furent les contractions de la banque qui, après avoir pendant une série d’années travaillé à augmenter la quantité apparente de numéraire à la disposition de la communauté, se trouva elle même dans la nécessité de la réduire à la réelle. Cela ne fut point arrivé si la restauration du vieil étalon n’était point entrée dans les vues du gouvernement qui, par l’acte de 1819, ne fit que sanctionner ce qu’il avait auparavant fait lui-même par le ministère de la banque. En attribuant ainsi « à des circonstances accidentelles » un grand phénomène qui correspond exactement à ceux de 1825, 36, 40 et 47, M. Mac-Culloch fournit une preuve concluante du vice des doctrines dont il est le partisan en matière de monnaie. Mêmes effets ont mêmes causes. Dans chacun des cas, la cause se trouve dans l’existence d’un pouvoir de monopole, dont la valeur non-seulement ne s’altère pas, mais même s’accroît considérablement, lorsqu’on en use de manière à porter préjudice au crédit privé. Centralisation et discorde vont toujours de compagnie.
  5. Le récit suivant de l’état des affaires à l’époque en question (1825) fournit la preuve concluante des effets désastreux du pouvoir de monopole et des effets prodigieux qui peuvent résulter de l’altération la plus minime de la circulation. — « À la fin de novembre, la banque de Plymouth fit faillite ; le 5 décembre vit la faillite de la maison sir Peter Pole et C° de Londres, qui répandit une consternation générale, car elle avait des comptes avec quarante banquiers de province. Les conséquences furent désastreuses à l’extrême. Dans les trois semaines suivantes, soixante-dix banques dans la capitale et la province suspendirent leurs payements. Les maisons de Londres étaient assiégées du matin au soir d’une foule bruyante demandant des espèces contre leurs billets. La banque d’Angleterre elle-même eut la plus grande peine à apaiser l’orage ; et elle fit au gouvernement des adresses répétées pour un ordre du conseil qui suspendit les payements en espèces. Celui-ci déclara refuser tant que la banque aurait une guinée en caisse, et en attendant, la consternation dans tout le pays atteignait le plus haut degré. Chaque créancier pressait son débiteur qui cherchait en vain des espèces pour s’acquitter. Les banquiers, touchant à l’insolvabilité, refusaient durement tout arrangement même avec leurs clients les plus favoris. Des hommes dont l’avoir allait à 100.000 livres ne disposaient pas de 100 livres pour se sauver de la ruine. « Nous étions, a dit M. Huskisson, à vingt-quatre heures du retour au troc.» Dans cette extrémité le gouvernement, malgré sa forte confiance dans la circulation métallique, dut arriver à la seule mesure qui pût sauver le pays. Il était évident pour tous qu’on touchait à la débâcle qui menaçait d’une ruine universelle. Cela provenait d’un brusque resserrement de la circulation du pays par la saignée d’espèces sur les banques, au moment même où il eût fallu son expansion pour soutenir les immenses engagements pécuniaires des habitants. Le remède était clair, — donner expansion à la circulation sans s’occuper de l’écoulement de l’or. C’est ce que fit le gouvernement. Immédiatement après la faillite de la maison Pole et C°, on tint de fréquents conseils de cabinet, et la résolution sage fut enfin prise d’émettre dans la circulation des billets d’une et deux livres de la banque d’Angleterre. Ordre fut envoyé à la Monnaie de frapper le plus possible de souverains, et pendant une semaine elle en frappa par jour cent cinquante mille. Mais alors une difficulté nouvelle surgit. Il y avait une telle demande des billets de la banque d’Angleterre, pour combler le vide occasionné par le discrédit général de la circulation des banquiers de province, que la banque ne pouvait procéder suffisamment vite à leur émission. Dans cet embarras, alors que les espèces en caisse étaient réduites à 1.000.000 livres et que la presse allait chaque jour croissant, une trouvaille due au hasard tira la banque de ces difficultés immédiates et lui permit de continuer les émissions aux banquiers, grâce auxquelles le pays fut sauvé d’une ruine totale. Une vieille boîte, contenant 700.000 livres en billets d’une et de deux livres fut découverte par hasard dans la banque d’Angleterre et livrée à l’instant au public. Cela permit de suivre d’un pas égal la circulation jusqu’à ce que les nouvelles notes pussent être émises. L’effet se fit bientôt sentir. Les gens ayant des billets, se relâchèrent de leur demande d’or ; la confiance commença à renaître devant les moyens fournis d’acquitter les engagements ; et dans un meeting de banquiers et de marchands de la cité de Londres, on vota des déclarations de confiance dans le gouvernement et la banque d’Angleterre, ce qui contribua beaucoup à rétablir la confiance générale. » — Alison. History of Europe.
  6. Chaque contrat pour achat ou vente de tout article ou propriété implique un contrat pour la livraison d’une quantité de monnaie équivalente au prix. Le montant du négoce en monnaie est donc égal à la somme des prix de tous les articles et propriétés, et de tout le travail vendus.
  7. Il est curieux de voir dans les réponses de banquiers éminents (lors de l’enquête) les raisons fournies à l’appui de l’opinion que ces dépôts, — convertibles à l’instant en billets ou en or, — ne sont pas de la circulation comme le sont les billets eux-mêmes. Un des directeurs les plus distingués de la banque est d’avis qu’ils ne peuvent être considérés ainsi, car le propriétaire « ne pourrait payer ses ouvriers avec » ni ne pourrait faire « tout ce qu’il ferait avec des souverains et des shellings. » Il est d’avis toutefois qu’ils possèdent « les qualités essentielles de la monnaie à un très-bas degré. » La « qualité essentielle de la monnaie » est celle de faciliter le transfert de la propriété, et elle se trouve à un plus haut degré dans la bank-note que dans l’or ou l’argent ; et à un plus haut degré encore dans le mandat que dans la note. » Le propriétaire du numéraire en dépôt tirant pour le chiffre précis de livres, shellings et pence nécessaire, et les transférant sans avoir la peine de manier et compter même un seul penny. » Il est curieux aussi de remarquer la forte tendance dans les esprits des individus interrogés (personnages distingués dans les cercles financiers de Londres), à confondre les billets au porteur et les effets avec la monnaie courante. Un billet au porteur est un engagement de délivrer, quelque jour à venir, une certaine quantité de monnaie courante. Sa valeur monnaie, dépendant du rapport entre la monnaie et les effets sur le marché, est juste aussi sujette à variation que l’est celle du sucre ou du café. Si la monnaie abonde et que les effets, café, ou sucre soient rares, le prix de l’article pour lequel il y a déficit, sera élevé ; mais si le sucre, le café ou les effets abondent et que la monnaie soit rare, le prix des articles surabondants sera bas. Les billets au porteur peuvent être troqués contre marchandise, comme cela se fait en Angleterre à un degré considérable ; mais un surcroît dans l’offre des billets au porteur sur le marché, — quoiqu’il puisse affecter matériellement le prix-crédit des articles ou le prix en troc pour promesses de livrer monnaie à quelque jour à venir, — n’apportera point changement dans leur prix-monnaie, à moins que les billets au porteur ne puissent être facilement convertis en monnaie. Dans les temps de pression sévère, il y a facilité grande à troquer de la marchandise contre des billets au porteur ; mais le manque de confiance induit le détenteur de la première à en fixer le prix très haut, en vue de couvrir le coût et risques attachés à la conversion de billets au porteur en l’article dont est besoin, qui est monnaie, ou currency (monnaie courante), — la chose avec laquelle il doit acquitter ses engagements. Le terme currency signifie monnaie sur le lieu, et en Angleterre, excepté la monnaie d’argent pour les petits payements, on ne reconnaît que l’or, qui passe de la main à la main, soit par livraison actuelle d’espèces ou par le transfert de la propriété d’une certaine quantité de celui qui se trouve dans les caves des banques et banquiers, au moyen d’effets privés, ou mandats, ou d’obligations de la banque elle-même, appelées bank-notes, billets au porteur. Un contrat pour la livraison de farine à tel jour, peut aussi convenablement s’appeler de la farine, qu’un contrat pour la livraison à tel jour d’une certaine quantité de l’article qui est courant, pour l’acquittement des dettes, et que nous appelons monnaie, peut être appelé lui-même monnaie ou currency. — Les embarras de la banque proviennent de ce que chaque fois que la spéculation abonde et que les particuliers ont vif désir de contracter pour livraison à venir de monnaie, elle facilite leurs opérations en prenant leur papier librement et devenant responsable pour la livraison de monnaie sur demande ; de la sorte, ses propres dettes, appelées dépôts, sont considérablement accrues. Si elle a la monnaie, tout est bien ; mais si elle ne l’a pas, elle se trouve ainsi enfler le montant imaginaire de la circulation et les prix haussent. Lorsque arrive le jour d’échéance, il se trouve pour l’ordinaire évident que les deux parties ont négocié sur le crédit. La banque doit être payée, ou bien elle est insolvable et doit faire faillite. Après avoir induit le pauvre créancier à se jeter dans un excès d’affaires, à entreprendre ce qu’autrement il n’eut point entrepris, elle le ruine maintenant pour avoir cédé à ses sollicitations. Échappée par un heureux hasard, elle se hâte de « montrer de nouveau » ce qu’on appelle « un surcroît de libéralité » dans ses accommodements — se rejetant de nouveau largement en dette pour l’achat de valeurs.
  8. Un écrivain anglais a dit récemment : « Que la détresse endurée alors par la nation sentait plus la création sauvage d’une imagination tragique qu’un récit de faits exacts. Après avoir traversé le Yorkshire et les districts lainiers en général, et montré les marchands et fabricants en faillite, le dénûment de la population en masse, il passe en revue les tisserands en soie, les fondeurs de fer, les mineurs de houille, les gantiers, les verriers, les tisserands de châles et les filateurs de lin, — fournissant partout « des preuves semblables de la prostration entière de l’industrie. » Bien que le mal sévît partout, ce fut principalement « dans les districts manufacturiers que la misère sembla avoir épanché ses rigueurs au plus haut degré. » Et il ajoute : « Là le spectacle de détresse se développe sur une échelle gigantesque — la masse de dénuement dépasse toute croyance. » — Hinckley. Charter of the Nations, p. 70. — La cause de tous ces embarras et de la ruine de centaines de mille d’individus aux États-Unis, est dans ce désir anxieux des directeurs de banque de travailler la circulation de manière à s’assurer à eux-mêmes de gros dividendes. Le pouvoir de perturbation s’est depuis ce temps considérablement accru.
  9. « Nous avons montré par des arguments incontestables que, dans aucune circonstance, le public ne retiendra de circulation que juste ce qui suffit à accomplir les fonctions de medium d’échange pour les transactions du pays. Personne ne retient dans ses mains plus de monnaie qu’il n’en faut pour son usage immédiat ; chacun la place dans une banque ou l’emploie à acheter des articles dont il espère tirer profit ou des valeurs qui donneront intérêt. En règle donc, la circulation est en tout temps bornée à la somme la plus faible qui suffise à conduire les transactions du pays. » — Economist.
  10. C’est ce que comprendra facilement le lecteur à l’aide du tableau suivant. La circulation de la banque doit être ainsi représentée.
    Capital nominal 14.000.000     Notes   20.000.000
    Lingot 6.000.000

    Supposons maintenant que ses obligations s’élèvent à 15.000.000 liv. ainsi représentées.

    Dépôts ______ 15.000.000     Lingot 5.000.000
    Sécurités 10.000.000
    ---------------
    Total. 15.000.000

    Un écoulement d’espèces emportant 5.000.000 d’or, la banque diminue ses obligations jusqu’au même chiffre. Il reste cependant 10.000.000 encore de ces dépôts dont la banque se libérerait volontiers si elle le pouvait. Dans cette vue, elle refuse de renouveler ses prêts espérant que ceux envers qui elle est débitrice, la mettront — en achetant des valeurs — à même à la fois de réduire ses titres sur autrui et les titres d’autrui sur elle. Dans cet état de choses, les dépositaires viennent ensemble et disent. « Nous ne voulons pas permettre que vous poussiez vos réductions plus loin. Si vous l’essayez, nous demanderons paiement de notre créance sur vous. La banque cependant ne peut payer sans violer la loi. Elle n’ose pas, dans cet état des affaires, payer un shilling, sinon pour racheter sa circulation, ni n’ose émettre une note sinon contre de l’or. Elle et le gouvernement se trouvent au pied du mur et forcés de céder. » C’est exactement ce qui eut lieu en 1847. Les dépositaires alors forcèrent le gouvernement de suspendre la loi, et c’est ce qu’ils feront de nouveau, si une nécessité semblable vient à se représenter. Les annales de la législature n’offrent pas d’expédient plus triste et plus inutile que l’acte de restriction de la banque. S’il cessait d’exister — ou s’il n’était pas positivement préjudiciable — on aurait moins à regretter.

  11. « Il est clair qu’il n’y a qu’un seul remède sage. La théorie et aussi l’expérience en montrent l’efficacité c’est : Élévation du taux d’intérêt. Quand il y a demande excessive d’un article, le remède ordinaire est — une hausse du prix. Le capital ne fait point exception à la règle. C’est le seul moyen qui ait jamais refréné à propos une spéculation extravagante. » — Economist.
  12. La plus vieille banque de la cité de Londres, connue à l’origine sous le nom de Snow, mais de nos jours sous la raison — Strahan, Paul Batey et compagnie a failli et avec les circonstances les plus honteuses. On s’attendait à un passif d’environ 3.000.000 liv. st. D’après ce qui a transpiré, ils avaient absolument vécu et négocié sur les dépôts de leurs clients, — tous dépôts qui ont été perdus. L’un d’eux a perdu jusqu’à 200.000 liv.
  13. La responsabilité illimitée est un des caractères de la barbarie. Sur une plantation, si quelques nègres ne peuvent faire leur tâche, les autres la doivent faire. Dans l’Inde, les gens qui veulent travailler et peuvent payer leurs taxes ont toujours été obligés d’acquitter des amendes encourues par ceux qui ne veulent ou ne peuvent ni l’un ni l’autre. Parmi les vexations de la taille la solidarité des gens, l’un pour l’autre, se fait le plus remarquer. À l’époque des dragonnades de Louis XIV, tout ce qui restait de protestants dut contribuer à payer les taxes dues par ceux qui avaient été chassés de leurs maisons et qui par là étaient ruinés.
  14. Les banques de grains de Norwége sont les institutions les plus primitives dont on ait connaissance. Grâce aux restrictions sur l’emploi du capital dans ce pays, il n’existe point de magasins ou de places d’échange, où le fermier puisse disposer de l’excédant de ses grains ; ni par conséquent de places où ceux qui en manquent puissent en acheter. Pour remédier à cet inconvénient, les fermiers se sont associés pour l’établissement de banques où les grains sont reçus en dépôt et où l’on prête sur eux à intérêt. Voir Laing’s Norway, p. 256. On alloue aux dépositaires intérêt au taux d’un huitième et les emprunteurs payent le taux du quart — la différence sert à défrayer les dépenses d’administration. — Même ici le principe de responsabilité est admis. Le profit, s’il y en a après les dépenses acquittées, est la propriété de la communauté à raison de leurs intérêts. La dette, s’il s’en forme une, doit être la dette de la communauté. Si par manque de soins ou mauvaise administration, le grain déposé par certains individus est détruit, ils doivent avoir droit à trouver remède quelque part. Partners en ce qui regarde le profit ou la perte, ils sont dans leur capacité de dépositaires aussi séparés de la communauté que le sont les employés de la banque. Sous le système de responsabilité illimitée, tout dépositaire, sur faillite du fond, peut commencer poursuite contre tout membre de l’association, — le requérant d’assumer la perte. Personne ne voudra encourir un tel risque, néanmoins on peut être disposé à s’associer avec ses voisins en entendant bien qu’en cas de déficit chacun peut être assigné à restitution, en proportion de son intérêt. Ici il y aura responsabilité limitée et justice. De l’autre côté il y aurait responsabilité illimitée et injustice.
  15. Voici vingt ans que l’auteur a pour la première fois publié ses doctrines cidessus, au sujet de la responsabilité. Adoptées par des écrivains distingués en Europe, et notamment par M. J.-S. Mill (Principles of Political Economy) ; — on a si fort insisté sur elles que le Parlement anglais les adopta à son tour. Les reproduire ici peut sembler inutile, et le serait certainement, n’était la tendance tellement grande qui existe à reproduire sur le littoral occidental de l’Atlantique, toutes les erreurs, en matière de corporations, répudiées aujourd’hui sur le littoral oriental. Les avantages de la banque privée sur la banque publique sont aujourd’hui en Amérique autant recommandés et aussi brillamment exposés qu’il se pourrait, si leurs inconvénients n’avaient pas été déjà si parfaitement exposés dans la Grande-Bretagne.
  16. « Le capital de la banque est divisé en 3,000 actions de 100 liv. chacune, sur lesquelles 50 liv. ont été versées, ce qui fait un total de 150,000 liv., et parmi les praticiens une opinion prévaut que la plus grande partie, sinon le tout, doit avoir été perdu. Il y en a même qui prédisent que l’actif sera au-dessus du passif et qu’il faudra demander une contribution aux actionnaires pour compléter la liquidation. La banque a été fondée il y a sept ans, avec une charte de la cour du commerce, donnant plusieurs privilèges avantageux, mais point de limitation de responsabilité. Le nombre des actionnaires est 289, et parmi eux plusieurs sont propriétaires. D’après l’état de situation semestriel présenté le 1er du mois dernier, le montant de son passif envers dépositaires était 842.421 liv. — Les infortunés dépositaires sont pour la plupart des marchands de Londres qui, saisissant l’avantage présenté par cette banque de recevoir de petits dépôts en compte courant, avaient l’habitude de déposer le montant de leurs dépenses courantes. La paroisse de Saint-George-le-Martyr, Soutwark, nous apprend-on, a non-seulement perdu tous ses fonds paroissiaux, mais la balance de charités nombreuses laissées à la paroisse. » — London Times.
  17. Extrait de l’enquête devant la commission pour les banques par actions, en 1837. — « Maintenant je suppose que l’individu actionnaire contre qui cette exécution a été dirigée, tient des actions seulement pour la valeur de 100 liv., mais que l’exécution levée monte à 100.000 liv. Quel remède aura-t-il pour une répartition proportionnelle parmi ses autres co-sociétaires, qui étaient propriétaires dans la compagnie ? Il peut intenter une poursuite contre l’officier public. Il peut obtenir un jugement là dessus, et agir avec quelques autres partners comme on a agi avec lui, ou il peut enfiler dans le dossier un bill contre la masse des partners pour une contribution… Je fus chargé contre la compagnie d’assurance Saint-Patrick des intérêts de plusieurs réclamants pour leurs polices maritimes : cette faillite date, je crois, de 1826 ou 1827. J’étais chargé du recouvrement de fortes sommes sur eux et je procédai d’après le principe équitable, que lorsqu’une partie montre volonté de payer ce qu’on lui réclame, je ne prends point exécution contre elle. Un homme cependant refusa ; c’était un M. Gough de Dublin. Je pris exécution contre lui et je levai environ 800 ou 900 livres pour un de mes clients ; il entama sa procédure pour indemnité, et ce n’est qu’après l’année dernière que je fus examiné en cause pour prouver les faits. Il eût pu, après tout ce temps, aller jusqu’à prouver le fait qu’il m’avait payé mon argent. P. 236.
  18. Spectator, 17 novembre 1855.
  19. « C’est une chose vraiment étonnante, qu’à côté de la facilité réelle d’acheter bona fide des actions dans une banque, on puisse avoir la folle témérité de s’embarquer dans de telles affaires. » — Mac Culloch’s Dictionary, article Banks.
  20. Voir précéd., vol. I, p. 428 pour les causes qui amènent la ruine graduelle des petits maîtres de forge.
  21. Le montant énorme administré par les directeurs d’offices d’assurances sur la vie, fournit une preuve concluante de la difficulté croissante de placer profitablement les petits capitaux. Les petites propriétés vont se consolidant graduellement en de grandes ; les petites boutiques vont disparaissant ; et à chaque pas dans ce sens la nécessité de tels offices doit augmenter.
  22. Sir Robert Peel, l’auteur de la loi de 1844, était essentiellement un négociant. — Sa connaissance de la science sociale allait peu au-delà de l’idée d’acheter sur le marché le plus bas et de vendre sur le marché le plus haut. Sa première grande mesure financière a bâti les fortunes des rentiers de l’État, comme son père, le premier sir Robert, tout en doublant le poids des taxes payées par le travail et la terre. Sa seconde mesure a augmenté le pouvoir de la banque, en cherchant à la diminuer. Peu d’hommes ont acquis une aussi grande réputation à si peu de frais.
  23. Le London Morning-Post, après avoir énuméré divers faits tendant à prouver « la futilité et la nuisance de l’acte de 1844, » s’exprime ainsi sur les mouvements de 1856. — « Nous voici arrivés à un état de choses bien autrement remarquable, en fait de théories monétaires, que ce que nous avons mentionné. En 1856, alors que prenait fin l’écoulement par la guerre, avec un commerce sage bien que s’accroissant et s’étendant vite, avec une spéculation calme, survient de nouveau une grande pression, — les opérations sont arrêtées, sinon paralysées ; négociants et marchands subissent de grandes et sérieuses pertes ; leurs profits sont annulés ; et il n’y a point accès suffisant au capital et au crédit, pour faire marcher l’entreprise courante et normale du pays. Et pourquoi ? Parce que la banque d’Angleterre a de nouveau créé des altérations violentes et brusques dans le taux d’intérêt, non qu’elle soit influencée par aucune politique à l’égard du commerce, mais simplement dans le but d’empêcher les négociants en lingot de vendre de l’or à la banque de France, dont les directeurs, à raison ou à tort, aiment mieux acheter le lingot, quand il y a pour eux nécessité, exactement comme ils achèteraient tout autre article, que d’exposer le négoce aux perturbations dans lesquelles nous le voyons si constamment engagée par les pratiques auxquelles on a recours chez nous. Certainement c’est là un rude cas sur le monde commercial, et un cas qu’il est du devoir convenable pour un système de banque, de détourner et non de créer. — L’effet de toutes altérations de ce genre croît en proportion géométrique, à mesure que la distance du centre croît en proportion arithmétique — un changement de 1 % au centre d’opérations, produisant des changements de 10 et de 20 % dans la valeur des articles produits dans l’Inde et autres pays, pour le marché anglais. La tendance de l’économie politique anglaise, néanmoins, est celle de prouver les avantages d’une connexion étroite avec un système d’une variabilité à l’infini.