Traduction par Saint-Germain Leduc et Aug. Planche.
Librairie de Guillaumin et Cie (tome 1p. 504-526).


CHAPITRE XVIII.

CONTINUATION DU MÊME SUJET.

§ 1. — L’interruption de la circulation est une conséquence nécessaire du système anglais. Inconséquences des auteurs qui enseignent la science sociale.

Dans l’ordre naturel des événements, la nécessité d’avoir recours aux services du trafiquant et de l’individu qui s’occupe du transport tend à la diminution ; et avec chaque accroissement dans le pouvoir de l’homme d’entretenir le commerce avec son semblable, la circulation de la société tend à l’accélération ; permettant à chacun et à tous de trouver immédiatement un acheteur pour son temps et ses talents, et de devenir ainsi un concurrent pour l’achat de ceux des autres. Le capital se forme alors rapidement, avec une tendance constante à un nouveau développement des diverses facultés, et un accroissement constant dans la facilité d’association et la tendance à des progrès nouveaux. Partout, et chaque fois que le contraire est constaté, partout où le besoin des services du trafiquant et du voiturier devient croissant, on constate des résultats opposés ; la circulation devient de plus en plus languissante, la déperdition de puissance est plus considérable, et le commerce diminue peu à peu jusqu’au moment, où finalement, il cesse d’exister.

L’interruption de la circulation, aussi funeste au corps social qu’elle l’est au corps humain, est la tendance naturelle du système anglais. C’est pourquoi nous avons été portés à remarquer la disparition totale d’une proportion si considérable de nègres importés dans les Antilles, et la perte presque complète de puissance parmi ceux qui existent encore. De là vient aussi que les symptômes d’une prochaine dissolution se révèlent d’une façon si manifeste en Irlande et dans l’Inde. C’est à la même cause qu’il a fallu attribuer la croissance du paupérisme au temps de Malthus, ainsi qu’à une époque plus récente où l’Angleterre était inondée d’une multitude d’Irlandais, désireux de vendre leur travail à tout prix ; et remplissant ses maisons de pauvres au point de menacer d’un débordement la terre et ses propriétaires, par suite de la taxe nécessaire à leur entretien.

Dans cet état des faits, la question s’est élevée de savoir à quelle cause on devait les attribuer ; et tout naturellement les avocats du système qui se proposait d’obtenir à bas prix les matières premières attribuèrent tous ces faits à la rareté, et conséquemment au prix élevé des subsistances. Les propriétaires du sol, — croyant avec Adam Smith — « que si tout le produit de l’Amérique, en céréales de toute sorte, en comestibles salés et en poisson, était forcé d’arriver sur le marché de l’Angleterre, ce serait un grand découragement pour l’agriculture, » les propriétaires, disons-nous, s’étaient efforcés, ainsi que le lecteur l’a vu, de se défendre contre l’action du système mercantile, en faisant promulguer des lois qui empêchaient l’importation des substances alimentaires, sauf en certaines circonstances ; et c’est à l’existence de ces lois mêmes, qu’on attribuait maintenant un état de choses, qui n’était que le produit naturel d’un système dont l’erreur avait été si complètement exposée dans la Richesse des nations.

On assurait cependant aux individus que, s’ils voulaient savoir pour quelle cause deux travailleurs avaient si longtemps cherché du travail lorsqu’un seulement pouvait en obtenir, ils devaient songer à la trouver dans les lois que nous venons de citer ; et cette assurance était donnée, précisément par les mêmes personnes dont les opinions avaient été exprimées par M. Huskisson vingt ans auparavant, lorsqu’il déclarait « que pour donner au capital une rémunération convenable, le prix du travail devait être maintenu à un taux peu élevé. » Maintenant, toutefois, ils déclaraient se diriger dans un sens opposé, cherchant à élever le salaire aux dépens du capital, mais non pas cependant de leur capital personnel. Rapportez les lois sur les blés, disaient-ils, et il y aura alors deux chefs d’industrie en quête d’un travailleur, et le prix du travail haussera ; et alors le numéraire sera abondant, tandis que le blé sera à bon marché. Les lois ont été rapportées ; mais l’effet produit a été précisément le contraire de ce qu’on avait promis ; le mouvement de circulation de la société ayant diminué, lorsqu’il aurait dû s’accroître. Loin que les individus aient été mis à même de se rapprocher davantage les uns des antres et de se passer de plus en plus des services du trafiquant et du voiturier, ils se sont constamment tenus à l’écart ; l’émigration des îles anglaises a dépassé tout ce qu’on avait vu jusqu’alors. Au lieu de tendre à ramener la société à ses proportions naturelles, le rappel des lois a augmenté la disproportion qui existait antérieurement, la population rurale a abandonné le sol et créé ainsi la demande de navires et de matelots[1]. Au lieu de diminuer la centralisation et d’établir ainsi un mouvement dans le sens de la liberté, il a rendu la centralisation plus complète, en même temps qu’il y a eu chaque jour diminution dans le pouvoir du travailleur de décider pour qui il travaillerait et quelle serait sa rémunération ; et le rappel des lois a accompli cela, malgré les tendances en sens contraire des découvertes de gisements aurifères en Californie et en Australie.

§ 2. — La décadence du commerce anglais résulte de l’accroissement dans la puissance du trafic. Condition de l’ouvrier agricole.

Le recensement récent démontre que, sur l’accroissement total de la population du Royaume-Uni, c’est-à-dire moins d’un million, — plus de la moitié a été absorbée par Londres ; en même temps que Manchester, Birmingham, Liverpool, Glasgow et d’autres villes, ont absorbé le reste et bien au-delà. La population rurale du pays a donc diminué, tandis que celle de la ville a augmenté considérablement, la masse entière se transformant ainsi, d’année en année, en simples trafiquants et voituriers du produit des terres et du travail des autres pays. Le commerce, en conséquence, décline, en même temps qu’il y a tendance constante à un état pire dans la situation de la population agricole qui reste encore, ainsi que le révèle M. Cobden, lorsqu’il conseille à ses lecteurs « de faire une promenade dans la campagne, sur les dunes, à travers les mauvaises herbes ou les marais ; auquel cas ils se convaincront que le salaire moyen des travailleurs, en ce moment, n’équivaut pas à 12 schell. par semaine. Demandez-leur, continue-t-il, comment une famille, composée de cinq individus (estimation faite au-dessous de leur moyenne), peut vivre de pain à 2 pence 1/2 la livre ? Personne ne saurait le dire. Mais suivez le travailleur au moment où il dépose sur le sol sa bêche ou son hoyau, et s’apprête à dîner dans la grange ou le hangar voisin ; jetez les yeux sur son bissac, ou arrivez tout à coup dans son cottage, à midi, et examinez en quoi consiste le dîner de la famille : du pain ; rarement quelque autre aliment meilleur, et pas toujours en quantité suffisante ; et sur son salaire il n’est rien resté pour se procurer du thé ou du sucre, du savon, de la chandelle, ou des vêtements et les mois d’école de ses enfants ; et l’argent qu’il doit recevoir à la moisson prochaine est déjà engagé pour ses chaussures ; et telle est la destinée de millions d’individus, vivant à nos portes mêmes, qui forment la majeure partie des agriculteurs qui se trouvent aujourd’hui, dit-on, dans un état si prospère. Jamais, de mémoire d’homme, la condition des ouvriers de ferme n’a été pire qu’en ce moment[2]. »

Telle est la condition de millions d’Anglais[3] ; et il en est ainsi, parce que le système a pour but d’anéantir le commerce et de lui substituer le trafic ; d’obtenir à bas prix les matières premières de toute sorte, la terre, le travail, les subsistances, le coton et la laine, tandis qu’il maintient la valeur des tissus et du fer. Au lieu de se proposer l’égalisation des prix des matières premières et des produits complets, ce qui est toujours la preuve d’une civilisation en progrès, il cherche à agrandir la différence entre ces deux choses ; ce qui prouve toujours le rapprochement de la barbarie.

Le rappel des lois sur les céréales, ayant diminué la rapidité de la circulation, on en a pu voir les conséquences dans ce fait, que la déperdition de travail a augmenté ; on peut produire, comme preuve à l’appui, cet autre fait : un auteur moderne, M. Mayhew, apprend à ses lecteurs, qu’en treize années « on a constaté qu’il n’était pas passé moins de 11.000 vagabonds dans une petite ville qui renferme moins du double de cette population. » Le même fait se révèle dans tous les ouvrages anglais, et surtout dans ceux de Dickens. Partout on voit deux ouvriers en quête d’un chef d’industrie, et une douzaine de boutiquiers à l’affût d’un acheteur. Une pareille mesure n’est qu’un pas nouveau dans la voie de la centralisation et n’aboutit jamais qu’à l’asservissement, à la dépopulation et à la mort. Il fallait chercher le remède réel dans l’adoption d’un système ayant pour but de ramener la société à ses proportions naturelles, et de reproduire le mouvement de circulation paralysé depuis si longtemps. Si le peuple irlandais, en 1846, eût été remis en possession du droit de diriger à son gré ses propres affaires, il se serait établi dans son sein un marché pour toute sa puissance productrice de travail ; et alors les ouvriers de l’Angleterre ne se seraient plus trouvés débordés par un torrent « de Celtes, à moitié nourris, à moitié civilisés, abaissant le niveau de la vie et du bien-être ; » en tout lieu, les forçant d’accepter un salaire réduit, et contribuant à appuyer cette doctrine, « que le taux naturel du salaire est celui qui permettra aux individus, l’un dans l’autre, de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution. » Si on eût laissé les Irlandais libres, la concurrence pour le loyer du sol en Angleterre et en Irlande eût été moindre, et les propriétaires de ce sol n’auraient pu réclamer une proportion si considérable de produits ; et cependant la somme de leurs rentes eût été plus forte, par cette raison, que des tenanciers plus heureux auraient été à même de faire sur le sol des améliorations plus rapides, et que les récoltes auraient augmenté amplement. Si on eût laissé les Irlandais libres, l’agriculture eût absorbé une plus grande proportion de travail anglais, en même temps que les mines et les manufactures de l’Irlande auraient enlevé le travail de l’île, sa sœur ; et la concurrence parmi les artisans anglais aurait été moins considérable, permettant à l’ouvrier de réclamer un salaire plus élevé et de devenir lui-même chef d’industrie. Un système précisément opposé à celui-ci fut inauguré par M. Huskisson et perfectionné par Robert Peel, qui insista sur la nécessité du bon marché des subsistances, comme étant un moyen de permettre au manufacturier d’abaisser le salaire du travailleur, et de pratiquer ainsi plus complètement le système sous l’influence duquel, s’était produite une cessation presque absolue du mouvement social dans tous les pays qui lui étaient soumis[4].

Ce qui est nécessaire dans tous ces pays et en Angleterre même, c’est de ranimer la circulation, de ranimer le commerce, et tant qu’on n’aura pas fait cela, le mal de l’excès de population croîtra sans cesse.

§ 3. — Le développement de la centralisation trafiquante se manifeste dans toute l’étendue de l’Angleterre.

Avec le développement du commerce, le travail du présent acquiert un empire constamment croissant sur les accumulations du passé, avec son déclin et l’accroissement dans la prédominance du trafic qui en résulte, le passé acquiert un accroissement de pouvoir sur le présent. Avec l’un, la circulation augmente et devient plus invariable, tandis qu’avec l’autre elle diminue et devient plus oscillante. Basé sur l’idée unique d’étendre la domination du trafic, le système anglais tend à paralyser partout le mouvement ; et plus ce mouvement est paralysé, plus augmente pour le trafiquant le pouvoir de mettre en pratique la doctrine qui enseigne que c’est au bas prix des matières premières de toute sorte — le coton, les subsistances et le travail, — que l’Angleterre doit le maintien de sa suprématie dans le monde commercial. Moins est rapide la circulation du coton, — c’est-à-dire plus il s’entasse dans les magasins, — plus le négociant en étoffes de coton a le pouvoir de dicter les prix auxquels il achètera et ceux auxquels il vendra. Plus il y a de variabilité dans le prix des étoffes de coton, ou du fer, moins est grand le danger de la concurrence intérieure pour l’achat du travail, pour l’emploi du capital, ou pour le revenu des mines ; mais plus est élevé le prix des cotons et du fer, et plus s’accroît le pouvoir, des individus qui sont déjà riches, de continuer cette « guerre » recommandée par MM. Hume et Brougham, et regardée aujourd’hui comme si essentielle pour anéantir « la concurrence étrangère, » et pour conquérir et garder « la possession des marchés étrangers. »

Plus ce système est mis complètement en pratique, plus devient, nécessairement, considérable la centralisation à l’intérieur. Le nombre des individus qui peuvent se permettre de faire de grands sacrifices pour obtenir la possession des marchés étrangers est faible ; et ceux qui ne peuvent faire ces sacrifices sont forcés de renoncer aux industries dans lesquelles ils seraient probablement nécessaires, ainsi qu’il arrive pour toutes les branches importantes de l’industrie manufacturière anglaise. L’opportunité de l’emploi des petits capitaux diminue donc constamment, la terre s’immobilise de jour en jour davantage, et le trafic devient aussi constamment un monopole. Autrefois, les propriétés de peu d’étendue étaient nombreuses et les petits capitalistes y trouvaient de petites caisses d’épargne qu’ils dirigeaient eux-mêmes, dans lesquelles ils pouvaient déposer le fruit de toutes leurs heures et demi-heures disponibles, accumulant ainsi de petites fortunes. De jour en jour, il y a diminution dans la possibilité des relations directes, accompagnée de la nécessité croissante d’avoir recours aux services des intermédiaires ; et de là résulte le placement d’une masse énorme de capital dans les bureaux d’assurances sur la vie, les fonds de réserve, etc., etc., placement qui rapporte peu aux possesseurs de ce capital, mais qui permet au petit nombre d’individus qui en dirigent les mouvements d’amasser des fortunes pour eux-mêmes. Sous l’empire d’autres circonstances, les capitalistes réels dirigeraient leurs propres affaires et diminueraient ainsi la concurrence pour les prêts du capital, en augmentant celle qui aurait lieu pour l’achat du travail et, par le travailleur, augmentant la demande des subsistances et des autres matières premières que la terre fournit. La tendance du système anglais, funeste au dehors, ne l’est pas moins à l’intérieur ; ce système, en effet, se propose de transformer la nation en une masse de trafiquants, partout environnée d’une population regardée comme un pur instrument que le trafic doit mettre en œuvre.

§ 4. — Accroissement dans les proportions du produit du travail absorbé par les trafiquants et les individus occupés du transport. L’abîme qui sépare les classes supérieures et les classes inférieures s’élargit constamment.

Avec le développement de la puissance d’association, ou le commerce, la proportion du produit qui arrive aux mains des intermédiaires — c’est-à-dire de la classe qui s’interpose entre le producteur et le consommateur, — tend à diminuer, et celle du travailleur à augmenter ; en même temps qu’il y a tendance constante à l’égalité dans les conditions des individus. Avec le déclin du commerce et la puissance croissante du trafiquant, on observe partout des phénomènes opposés, l’inégalité des conditions croissant constamment, et le travailleur perdant le pouvoir sur sa personne, tandis qu’aussi régulièrement le trafiquant acquiert du pouvoir sur le travailleur.

Les derniers phénomènes sont ceux qui s’offrent aux regards, lorsqu’on examine la société anglaise. Du temps d’Adam Smith, le nombre des propriétaires du sol s’élevait à deux cent mille, tandis qu’aujourd’hui, il n’est que de trente-quatre mille. Le reste a disparu, et à leur place nous trouvons partout le travailleur qui loue ses bras. Si nous jetons les regards sur les districts manufacturiers, nous les voyons, dans toute leur étendue, dit un écrivain moderne, « présentant le spectacle particulier d’une classe peu nombreuse et très-riche se tenant à part sur le faîte, et dominant de bien haut le niveau occupé par le reste de la population. La relation qui existe entre ces deux classes est formée uniquement par ces liens rigoureux et pécuniaires qui n’ont jamais eu le temps jusqu’à ce jour de se revêtir du mélange doux et chaleureux d’une association morale, affectueuse. L’œuvre à laquelle se livrent les deux parties intéressées, continue-t-il, est essentiellement une œuvre de coopération ; mais leur attitude, morale réciproque est plutôt celle d’ennemis que d’amis[5]. »

L’abîme qui sépare les classes supérieures et les classes inférieures de la société s’élargit chaque jour, les fortunes immenses acquises par les banquiers et les trafiquants qui prospèrent, étant en raison directe de la pauvreté de la classe agricole, si bien décrite par M. Cobden. Les accumulations du passé acquièrent de jour en jour un empire plus grand sur le travail du présent. Et il continuera d’en être toujours ainsi, tant qu’on soutiendra que le bien-être du pays exige « une somme de travail à bon marché et abondante[6]. » C’est la doctrine de l’esclavage de l’homme telle qu’elle est réclamée par les exigences du trafic ; et de là vient qu’elle s’établit de plus en plus à mesure que la terre s’immobilise et que les capitaux considérables engagés dans tes différentes branches du trafic, peuvent, de plus en plus, continuer cet « état de guerre » qui se propose de leur assurer le monopole du privilège d’acheter les matières premières au dehors et le travail à l’intérieur. Le paysan sait, dit un auteur moderne[7], qu’il doit mourir dans la position où il est né. » Ailleurs il ajoute : « L’absence de petites fermes ôte au paysan tout espoir d’améliorer ses conditions d’existence. » Le London Times assure à ses lecteurs « que celui qui a été une fois paysan en Angleterre, doit rester à jamais paysan, » et M. Kay, après un examen attentif de la condition des peuples de l’Europe continentale, affirme, que par suite d’un pareil état de choses, les paysans de l’Angleterre « sont plus ignorants, plus démoralisés, moins capables de se venir en aide à eux-mêmes, et plus accablés par le paupérisme que ceux d’aucun autre pays de l’Europe, si l’on en excepte la Russie, la Turquie, l’Italie méridionale et quelques parties de l’empire d’Autriche[8]. »

Dans de pareilles circonstances, la classe moyenne tend peu à peu à disparaître, et la condition de celle-ci est parfaitement exprimée par le terme dont on se sert aujourd’hui si fréquemment, « la classe non aisée. » Le petit capitaliste qui, ailleurs, achèterait volontiers un morceau de terre, un cheval et une charrette, ou une machine d’une espèce quelconque, qui doublerait la puissance productive de son travail et en augmenterait la rémunération, se trouve forcé, ainsi que nous l’avons démontré plus haut, d’effectuer ses placements dans les caisses d’épargne ou les bureaux d’assurances sur la vie, où l’argent lui est prêté sur hypothèque à raison de 3 % ; tandis qu’il pourrait gagner 50 %, s’il lui était permis d’employer lui-même son capital. Il y a donc une lutte continuelle pour arriver à vivre, et chaque homme, ainsi qu’on l’a dit, « s’efforce d’arracher le morceau de pain de la bouche de son voisin. » L’atmosphère de l’Angleterre est une atmosphère de tristesse, Chacun y est inquiet de l’avenir pour lui-même ou pour ses enfants ; et c’est là une conséquence nécessaire du système qui se propose comme but d’augmenter les obstacles qui se rencontrent dans la voie du commerce.

§ 5. — Tendance abrutissante du système.

Plus est parfaite la puissance d’association, plus est grande la tendance à l’égalité de condition résultant du développement des facultés intellectuelles, et, à ce résultat : la chaîne de la société est complète dans tous ses anneaux. Moins cette puissance est considérable, plus est grande la tendance à l’inégalité, résultant du développement de l’intelligence dans une seule portion de la société, et la substitution, dans une autre portion, de la force brutale à l’intelligence, et, à la réalisation de ce fait, le travailleur, devenu un pur instrument entre les mains de ceux qui veulent profiter de ses efforts. La simple force animale, voilà, nous dit-on, ce qu’il faut dans le système anglais ; et de là vient qu’il y a eu si peu de progrès dans le développement de la faculté artistique, tandis que, partout ailleurs sur le continent européen, on a vu cette faculté se développer si rapidement[9]. La centralisation détruit la puissance intellectuelle ; car elle tend à obtenir le travail à bas prix au dehors et à l’intérieur, et à diminuer la possibilité d’acheter les produits qui demandent, pour être fabriqués, du goût et du talent. Le marché offert à ces denrées par l’Irlande, le Portugal, la Jamaïque ou l’Inde, ne représente pas le dixième de ce qu’il était il y a cinquante ans ; et, quelque restreint qu’il soit, il diminue chaque année, offrant ainsi une preuve concluante du désavantage du système (anglais), tout en laissant complètement de côté les considérations morales. Les difficultés que l’on déplore aujourd’hui dans les journaux anglais ne sont que le résultat nécessaire d’un système qui exige le travail à bas prix, travail qui n’est jamais que celui d’un esclave.

§ 6. — La centralisation et la démoralisation marchent toujours de conserve.

Plus la circulation du sang est rapide dans le corps humain, plus il y a de tendance à ce que chaque partie arrive à son complet développement, et plus l’action de l’ensemble est harmonieuse. Plus la circulation est languissante, plus le corps est exposé à la maladie et à la mort. Il en est de même à l’égard des corps sociaux. Le mouvement rapide de circulation en Grèce se révéla dans la création de nombreux centres locaux, et dans l’existence de l’esprit d’association appliqué à tous les buts utiles inconnus jusqu’alors ; mais lorsque, plus tard, Athènes s’établit comme centre unique d’un ensemble de villes soumises à sa domination, la rapidité du mouvement de circulation diminua, et bien que la grande cité devînt de jour en jour plus splendide, sa splendeur ne fit que témoigner le développement de la servitude, cause d’une maladie sociale qui devait aboutir à la mort.

Dans les temps anciens, les îles Britanniques offraient aux regards de nombreux centres locaux, tels que Londres, Édimbourg et Dublin, sièges des Parlements de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande, en même temps que des autorités locales, dans l’étendue des divers royaumes, dirigeaient les affaires des divers comtés entre lesquels ils se divisaient, et des villes et des bourgs nombreux répandus sur leur surface. Ces centres locaux ont disparu successivement ; depuis longtemps Édimbourg et Dublin ne sont plus que des villes de province, et les villes moins importantes ont vu la direction de leurs affaires passer peu à peu entre les mains des commissaires du gouvernement, dirigeant toutes les opérations locales, du sein du Parlement unique d’un royaume immobilisé.

Cette législature centrale, étant chargée, ainsi qu’elle l’est d’abord, de la décision des questions qui affectent d’une façon vitale les intérêts de milliers d’individus dans l’Inde, puis d’autres questions d’une haute importance pour les populations du Canada, de l’Australie ou des îles Ioniennes, et enfin du règlement des hôtels garnis et du prix des courses de fiacre de Londres, ou de l’entretien des égouts des villes et villages dans toute l’étendue du royaume, il n’y a guère lieu d’être surpris qu’aujourd’hui la législation, ainsi qu’on nous l’apprend, « entraîne avec elle un labeur si pénible que beaucoup de personnes, parfaitement capables sous d’autres rapports de remplir leurs fonctions au sein du Parlement, ne peuvent ni ne veulent l’entreprendre[10]. »

Dans de telles circonstances, il arrive que le Parlement se trouve assiégé par des individus qui sollicitent un chemin de fer, ou d’autres privilèges, dont la concession ne peut s’obtenir qu’à l’aide d’une habileté et d’artifices consommés, grâce à la possession desquels des agents amassent aujourd’hui d’immenses fortunes ; de telle façon que le système des intermédiaires, qui suit constamment le déclin des centres locaux, s’étend ainsi aux affaires de législation. Jusqu’à ce jour, les dépenses préliminaires de la construction des chemins se sont élevées, dit-on, à plus de 100 millions de dollars (500 millions de francs), et l’on peut constater le résultat du système dans l’établissement de puissantes associations « versées dans tous les détours des salles de commissions, et possédant des fonds et des moyens d’influence suffisants pour tous les cas de contestation, qui les rendent pleinement maîtres des terres et des biens, des individus seulement respectables et paisibles et n’ayant que des moyens limités. Car, chercher dix-neuf individus sur vingt, pour s’opposer à une telle corporation dans les litiges si coûteux du Parlement, « c’est là, nous dit-on, une chose complètement inutile, la balance même du droit, ainsi que l’ajoute l’auteur, étant aussi réellement entravée que si dame Justice elle-même n’avait plus les yeux bandés et la faisait pencher suivant le salaire le plus considérable[11]. »

Tandis que l’Inde ou l’Irlande, le Canada ou l’Australie, obtiennent avec peine d’être entendus, les affaires strictement locales sont presque entièrement négligées. Il arrive, conséquemment, que la direction des affaires du pays passe peu à peu sous l’autorité des commissions qui sont créées chaque année, remplaçant les autorités locales qui géraient ces affaires antérieurement[12]. La centralisa- tion va croissant ainsi de toute part. Tout récemment on a proposé de faire du gouvernement une vaste compagnie d’assurances sur la vie, qui centraliserait entre ses mains toutes les propriétés administrées aujourd’hui par des compagnies de particuliers. Ceci ne serait qu’un pas nouveau dans la route que l’Angleterre parcourt depuis si longtemps. L’existence de ces compagnies, dans les vastes proportions où elles se développent aujourd’hui, est due entièrement à un système erroné, basé sur l’idée des matières premières et du travail à bas prix, système qui immobilise la terre, remplit les maisons de pauvres, et permet à quelques individus, possesseurs d’une grande richesse, de dominer assez les mouvements du trafic pour en écarter tous ceux dont les moyens pécuniaires sont médiocres et qui ne peuvent dépenser des milliards de livres sterling, dans leurs efforts pour anéantir la concurrence à l’intérieur et au dehors.

§ 7. — L’Acte de Réforme n’a pas réalisé les espérances de ses partisans. Pour quels motifs il n’y a pas réussi.

L’homme suit une marche constamment progressive, soit en avant, soit en arrière. Chaque pas fait vers la centralisation n’est que le prélude d’un pas nouveau et plus considérable ; et plus de progrès se sont accomplis en ce sens, dans les vingt dernières années qui viennent de s’écouler, qu’il n’en avait été fait dans le siècle précédent.

On avait beaucoup espéré de la promulgation de l’Acte de Réforme, mais il n’a pas produit le bien qu’on devait en attendre ; et cela, par le motif que toute la politique nationale tend à agrandir le trafic aux dépens du commerce ; au lieu de placer « la franchise réelle entre les mains de la classe indépendante et la plus intelligente de la société, — la classe des artisans, — cette politique, dit M. Toulmin Smith, l’a placée entre les mains d’une classe qui, bien que par suite de l’erreur et de la folie les plus graves, est réellement et d’une façon toujours croissante, grâce à l’influence développée de la centralisation, la moins indépendante de toutes, à savoir, la classe des petits trafiquants et des boutiquiers en détail[13]. »

Le remède ayant échoué, un écrivain distingué nous apprend aujourd’hui que la constitution du Parlement doit être changée assez radicalement pour permettre au ministère, quant à présent, « d’être maître de la majorité » et d’éviter ainsi la nécessité de se livrer à des explications embarrassantes à la Chambre des Communes. « Un gouvernement fort, » à ce qu’on nous assure, est la seule chose nécessaire ; et pour qu’il puisse exister, il faut créer un certain nombre de sièges nouveaux qui seront occupés, non par le peuple, mais par ceux qui sont ou doivent être les serviteurs du peuple. On n’a encore rien vu jusqu’à ce jour qui indique aussi clairement le développement de la centralisation en Angleterre, que la publication de la brochure à laquelle nous faisons allusion en ce moment[14].

§ 8. — Amoindrissement dans la puissance de se diriger soi-même au sein du peuple et de la société.

« Plus un être est imparfait, dit Goëthe, plus les parties individuelles dont il se compose se ressemblent l’une à l’autre, et plus ces parties ressemblent au tout. Plus un corps est parfait, plus les parties deviennent dissemblables. Dans le premier cas, les parties sont plus ou moins la répétition de l’ensemble, dans le second, elles en diffèrent complètement. » Jugée d’après ce critérium, la société anglaise devient de plus en plus imparfaite, puisque, d’année en année, elle arrive à n’être plus qu’une corporation de trafiquants, environnée de toute part d’individus qui travaillent pour un salaire. Le petit propriétaire terrien a disparu. Le petit capitaliste devient simple détenteur d’une rente annuelle. Le petit journal quotidien cède la place au gigantesque Times. La centralisation s’accroît constamment, et à chaque phase de son accroissement, les parties se ressemblent de plus en plus, et le tout ressemble davantage aux parties dont il se compose ; le trafic et le transport deviennent chaque année, de plus en plus, le but de toutes les aspirations d’un gouvernement dont la politique est a déterminée par la considération de ce qui est avantageux pour le moment, sans admettre l’examen préalable de cette question s’il y a eu réclamation du droit[15]. »

Plus l’organisation est élevée, — plus est parfait le développement des diverses facultés de l’homme, plus est complet le pouvoir de se gouverner soi-même. Cela est aussi vrai à l’égard des sociétés que nous le voyons à l’égard des individus. Plus est parfaite la puissance d’association et plus est complet le développement des facultés diverses des membres divers qui composent la société, plus est complet son pouvoir de contrôler sa propre action, et moins elle est soumise aux influences extérieures.

En Angleterre, ainsi que nous le voyons, la puissance d’association décline, et le gouvernement local autonome tend à disparaître ; la centralisation tend à le remplacer avec certitude et rapidité. Aussi nous devons nécessairement remarquer une faiblesse constamment croissante, qui se révèle par le besoin croissant de modifier son système conformément aux exigences des antres nations. Le changement apporté dans les lois sur la navigation a été imposé à l’Angleterre, d’abord par la résistance des États-Unis, et plus tard par celle de la Prusse et des autres puissances.

Il en a été de même en ce qui concerne la question de protection. Pendant soixante-dix ans, et même en se reportant jusqu’à 1819, les droits sur les manufactures étrangères avaient constamment augmenté. Cette année même, et pendant les cinq années postérieures, plusieurs des sociétés européennes adoptèrent des mesures tendant à la résistance, en même temps que pendant la dernière fut promulgué le premier tarif américain basé sur l’idée de rapprocher l’un de l’autre le fermier et l’artisan, et d’équilibrer ainsi les prix des matières premières et des produits fabriqués. C’est à cette cause qu’il faut attribuer le changement apporté dans les mesures inaugurées par M. Huskisson, en 1825 ; changement qui se proposait constamment l’accomplissement d’un but important et unique, celui d’obtenir à bas prix toutes les matières premières de la fabrication, le blé, le coton ou le travail. La résistance, suivie de succès, de la Russie, la formation du Zollverein allemand, et le tarif américain de 1842 produisirent le changement complet de système qui eut lieu en 1846. La même chose eut lieu relativement aux droits sur le sucre. Les nègres émancipés de la Jamaïque avaient été assurés de la protection contre le sucre fabriqué par les esclaves ; cependant le Brésil força de violer une convention qui avait été bien stipulée. La guerre de Crimée ne doit guère être considérée comme ayant été un acte volontaire de la part du gouvernement, pas plus que la paix faite récemment. Si nous tournons nos regards vers l’Inde, nous voyons que le gouvernement continue la plus injuste des guerres « parce qu’il ne peut se permettre de laisser voir, même un seul moment, qu’on puisse mettre en doute que sa domination sur l’Inde repose sur la puissance du conquérant[16]. »

On dit cependant que la disparition des entraves imposées au commerce et le rappel des lois sur la navigation ont été la conséquence de l’amélioration des idées, et que ces mesures ont eu lieu par déférence pour l’esprit de progrès du siècle. S’il en était réellement ainsi, cet esprit se serait manifesté dans d’autres directions ; mais c’est ce qui n’a pas lieu, malheureusement. Il ne pouvait exister rien de plus injuste que l’impôt dont on a frappé toute la correspondance entre l’Amérique et le continent de l’Europe ; cependant on a persisté à le maintenir en dépit de toutes les remontrances. La population des Antilles a, depuis plusieurs années et infructueusement, pétitionné pour obtenir une modification dans les droits, qui lui permît de raffiner elle-même son sucre. Les colonies anglaises du Continent, et tout récemment celles de l’Amérique, décidèrent d’établir entre elles une réciprocité parfaite, en abolissant tous droits sur leurs produits respectifs ; et en agissant de la sorte, elles ne voulaient que mettre pleinement en pratique les idées produites avec tant d’insistance auprès du Gouvernement des États-Unis, relativement au traité de réciprocité — c’est ainsi qu’on l’appelait — qui venait alors d’être conclu avec le Canada. Cependant lorsqu’on eut soumis la question à l’examen du Gouvernement anglais, la réponse fut que le Gouvernement de Sa Majesté avait la confiance « qu’on ne lui demanderait pas de soumettre à son approbation royale des actes on des ordonnances mettant en pratique des mesures d’une nature semblable, ce qui serait incompatible avec le système impérial du libre échange[17] ! »

Le peuple espagnol se trouve considérablement lésé par l’emploi que l’on fait de Gibraltar comme entrepôt de contrebande ; cependant on ne manifeste aucune disposition à rien changer à cet égard ; bien qu’à l’époque où Gibraltar fut cédé, l’une des stipulations du traité portât qu’il ne servirait jamais à une semblable destination. C’est ainsi que le commerce espagnol se trouve sacrifié au traité anglais.

Le peuple chinois étant contraint, en dépit de toute opposition de la part de son gouvernement, de recevoir annuellement une quantité d’opium d’une valeur de 15 à 20 millions de dollars, on en peut constater le résultat, dans une intempérance croissante, dans une énorme mortalité, et dans une tendance à une résolution de la société chinoise en ses éléments primitifs qui sera suivie d’une anarchie générale ; cependant on retient Hong-Kong comme un appendice nécessaire à l’empire indien, parce que « l’intérêt exige que l’on mette en pratique des mesures complètement injustifiables sur la base du droit. » Telle étant la marche adoptée vis-à-vis des sociétés plus faibles du globe, l’adoption de toute autre, à l’égard de celles qui sont plus fortes, ne peut être attribuée qu’à la diminution du pouvoir de suivre celle qui, depuis si longtemps, a été mise en pratique.

§ 9. — Toute mesure qui tend à produire une interruption dans le mouvement sociétaire au dehors, tend également à produire un effet identique à l’intérieur.

L’action et la réaction sont égales et opposées l’une à l’autre ; la balle qui en arrête une autre dans sa course se trouve retardée, sinon complètement arrêtée, dans son propre mouvement vers le point où elle avait été dirigée. Il en est de même à l’égard des Sociétés. Tout mouvement de la France qui tend à arrêter la circulation de l’Allemagne et de l’Italie tend également à produire le même effet à l’intérieur ; et les Français souffrent, lorsque les armées de la France détruisent le commerce de ses voisins. Il en est de même à l’égard de l’Angleterre, relativement à l’Irlande, à l’Inde, aux Antilles, à l’Espagne et à tous les autres pays. Les intérêts réels de toute société doivent être favorisés par l’adoption de mesures tendant à produire l’accroissement du commerce au sein de chacune d’elles et par ce moyen, accroissant la valeur de l’homme, diminuant la valeur de toutes les denrées nécessaires à ses besoins, facilitant le développement de l’intelligence, et permettant ainsi, de plus en plus, aux individus d’associer leurs efforts à ceux de leurs voisins, pour conquérir sur la nature ce pouvoir qui constitue la richesse ; et conséquemment c’est alors qu’on verrait un intérêt personnel éclairé pousser tous les hommes à apporter, dans le maniement des affaires publiques, le même esprit qui devrait animer tout chrétien dans ses rapports avec ses semblables.

Tel n’a pas été, et très malheureusement, l’esprit dans lequel a été dirigée la politique anglaise. Purement égoïste elle a cherché à anéantir partout le commerce, et à lui substituer partout le trafic ; par ce moyen, diminuant la valeur de l’homme, augmentant la valeur de toutes les denrées dont il avait besoin pour ses desseins, arrêtant le développement de son intelligence, l’empêchant d’obtenir le pouvoir sur les forces de la nature, et le maintenant ainsi dans cet état de pauvreté qui en fait un simple instrument entre les mains du soldat et du trafiquant. C’est pour accomplir ces desseins que le monde entier a été entouré d’une ceinture de colonies, que des alliances ont été conclues et brisées, que des milliards de liv. sterl. ont été dépensés en guerres ruineuses[18], que des milliards d’existences humaines ont été sacrifiés ; et le résultat peut se constater dans ce fait, qu’aujourd’hui elle reste seule debout sur les ruines, qu’elle a faites elle-même.

Comme elle a arrêté le mouvement de la Société en Portugal, son ancien et fidèle allié, lui est maintenant à charge et devient inutile même pour les besoins du trafic anglais. Il en est de même à l’égard de la Turquie et des Indes orientales et occidentales qui toutes deux sont des sources d’inquiétude et non de profit. Si nous nous rapprochons de l’Angleterre elle-même, l’Irlande — pays qui possède en abondance tous les éléments de richesse — offre aux regards, et pour la première fois dans l’histoire, une nation qui peu à peu disparaît de la surface du globe au sein de la paix la plus profonde. Si nous jetons les regards sur l’Écosse, nous y voyons la terre immobilisée et ceux qui l’occupaient partout expulsés pour faire place aux moutons, tandis que pour ainsi dire des millions d’individus aux alentours sont constamment en danger de mourir de faim[19]. Si nous passons de la campagne à cette immense cité commerciale de Glasgow, nous y rencontrons les individus qui ont été expulsés, vivant dans un état de misère complète qui n’a pas été surpassé même en Irlande[20]. Arrivés dans l’Angleterre même nous trouvons une métropole qui a pris un développement excessif et une grande ville de commerce, et c’est entre ces divers points que l’on constate presque toute la circulation de l’empire. Telles sont les conséquences funestes d’un trafic mal entendu toujours faisant la guerre et épuisant le pays, et se substituant au commerce toujours pacifique et fortifiant.

§ 10. — Alliance constante de la guerre et du trafic.

Adoptant pour sa devise : « Navigation, colonies et commerce, » l’Angleterre a glorifié la première et a, conséquemment, cherché à augmenter partout les obstacles qui pouvaient arrêter son propre progrès et celui de l’univers. Pour augmenter le nombre de ses navires, elle avait besoin de colonies, et, pour avoir des colonies, elle s’est engagée dans des guerres presque incessantes[21]. Dans le but de trouver de l’emploi pour ses navires, elle s’est faite entrepreneuse pour fournir aux Espagnols des esclaves nègres ; et, afin de pouvoir se procurer des esclaves, elle a suscité des guerres dans toutes les parties de l’Afrique. A mesure que le Portugal, la Turquie et l’Irlande se sont de plus en plus appauvries et épuisées, elle est devenue de plus en plus dépendante de l’Inde ; et à mesure que l’Inde s’est épuisée, il est devenu plus nécessaire de dépeupler la Chine à l’aide de l’opium, et de là la guerre de l’opium. A mesure que ses plus anciennes possessions dans l’Inde s’appauvrirent, on obtint plus facilement des troupes pour porter la guerre dans le Scind, l’Afghanistan, le Punjab et le pays des Birmans. Lorsque la Jamaïque tomba en décadence, on établit le trafic des coolies. Le trafic et la guerre marchent ainsi toujours de compagnie, toujours épuisant les premiers théâtres de leur activité et toujours contraints d’en chercher de nouveaux, en même temps qu’il y a constant accroissement dans la nécessité d’effectuer les changements de lieu, et déclin constant dans la condition de l’individu, tandis que le commerce tend sans cesse à diminuer cette nécessité en hâtant constamment le progrès dans cette condition même.

Dans le monde physique, aussi bien que dans le monde social, la centralisation détruit la puissance du mouvement. Annihilez l’attraction locale des planètes, et l’éclat du soleil augmenterait momentanément ; mais cet éclat serait le précurseur de la ruine et de la destruction complète de l’individualité du soleil lui-même ; et il doit en être exactement de même dans les affaires des nations. Que la centralisation se développe avec l’extension de l’empire, c’est là un fait prouvé par tous les chapitres de l’histoire du monde ; et c’est donc avec beaucoup de justesse que l’un des plus grands écrivains de l’Angleterre a dit « qu’un vaste empire, semblable à l’or étendu, échange sa force de résistance contre un faible éclat. » la centralisation amenant à sa suite la dépopulation, l’esclavage et la mort, et donnant lieu au besoin d’inventer une théorie de l’excès de population, qui permette aux riches et aux puissants de se consoler par cette croyance, que la pauvreté et la misère dont ils se trouvent entourés doivent être attribuées à la bévue d’un Créateur qui n’est que sagesse, miséricorde et puissance.

  1. « L’évolution du progrès s’empare maintenant d’une autre classe, la plus stationnaire qui existe en Angleterre. Un mouvement prodigieux d’émigration a fait invasion parmi les petits fermiers anglais, particulièrement ceux qui possèdent des terrains gras et argileux, lesquels envisageant une perspective fâcheuse pour la moisson future, et manquant d’un capital suffisant pour opérer sur leurs fermes les grandes améliorations qui leur permettraient de payer leurs anciens fermages, n’ont d’autre alternative que de traverser la mer pour chercher un nouveau pays et de nouvelles terres. Je ne parle pas en ce moment de l’émigration amenée par la manie de l’or, mais seulement de l’émigration forcée, produite par le landlordisme, la concentration des fermes, l’application des machines au sol et l’introduction du système moderne d’agriculture sur une grande échelle. » (Correspondance de la Tribune de New-York.)
  2. Cobden. Qu’arrivera-t-il après ? et après ?
  3. « Les paysans de nos villages sont repoussés sans cesse d’un cottage à l’autre, ou expulsés de leurs cabanes, condamnés à manquer d’un toit quelconque, aussi couramment et avec aussi peu de souci de leurs goûts ou de leur bien-être personnel, que si nous faisions changer de place nos cochons, nos vaches et nos chevaux pour les faire passer d’une étable ou d’un hangar dans un autre. S’ils ne peuvent avoir une maison dont le toit abrite leurs têtes, ils se rendent à l’Union et sont répartis, l’homme d’un côté, la femme de l’autre, et les enfants ailleurs encore. C’est là une affaire réglée. Nos paysans supportent un pareil sort, ou, s’ils ne le peuvent supporter, ils meurent, et c’est chose terminée (de ce côté du tombeau), bien que nous laissions à imaginer à un catholique anglais comment les choses se passeront au grand jour où se rendront les comptes. Nous voulons dire seulement qu’en Angleterre l’œuvre a été accomplie ; les cottagers ont été exterminés, les petites propriétés abolies, le procédé d’éviction est devenu superflu ; la parole du landlord est passée à l’état de loi, le refuge des mécontents réduit à une maison de travail, et tout cela sans qu’on ait entendu parler d’un coup de fusil, d’un coup de bâton, ou d’un projectile quelconque lancé contre quelqu’un. » (London Times.)
      « Le caractère misérable des maisons de nos paysans, par lui-même et indépendamment des causes qui ont rendu les maisons si misérables, est dégradant et démoralise les pauvres de nos districts d’une manière effrayante. Il provoque l’accroissement maladif et anormal de la population. Les jeunes paysans, dès leurs plus tendres années, sont accoutumés à dormir dans des chambres à coucher où se trouvent des individus des deux sexes, des individus mariés et non mariés. Ils perdent, conséquemment, tout sentiment de ce qu’il y a d’indélicat dans un pareil genre de vie. Ils savent aussi qu’ils ne gagnent rien à différer leurs mariages et à faire des épargnes ; ils savent qu’il leur est impossible, en agissant ainsi, de se procurer des demeures plus confortables, et que, la plupart du temps, ils doivent attendre de longues années avant de pouvoir obtenir une demeure séparée quelconque. Ils comprennent qu’en différant leurs mariages pendant 10 ou 15 ans, ils seront, au bout de ce temps, précisément dans la même position qu’auparavant et qu’ils n’en seront pas mieux pour avoir attendu. Ayant donc perdu tout espoir d’amélioration dans leur position sociale, et tout sentiment de ce qu’il y a d’indélicat à prendre femme chez soi, dans une chambre à coucher déjà occupée par des parents, des frères et des sœurs, ils se marient de bonne heure, souvent, sinon en général, avant 20 ans, et il n’est pas rare qu’ils occupent, dans les commencements de leur mariage, un lit de plus dans la chambre à coucher déjà encombrée de leurs parents. C’est ainsi que se trouve détruit le sentiment de moralité chez les paysans. Cette population ainsi dégradée s’accroit d’une façon anormale, et ses moyens de subsistance sont diminués par la concurrence croissante du nombre croissant d’individus. » (Kay, Condition sociale de l’Europe, tom. I, p. 472.)
  4. Voy. plus haut un extrait de North British Review, ch. ix, note des pages 272-273.
  5. Lalor, l’Argent et les mœurs.
  6. « Une grève considérable de mineurs vient de se terminer en Écosse, les individus ayant cédé après d’horribles souffrances et retournant à leurs travaux la rage dans le cœur. Belles relations humaines, belles relations entre l’homme et son semblable ! Une défiance réciproque, telle est l’attitude ordinaire du chef d’industrie et de l’ouvrier dans ces routes que nous parcourons, particulièrement en Écosse, où le sentiment de l’indépendance personnelle est plus prononcé et plus vif qu’il ne l’est ici. La haute prospérité des grands manufacturiers écossais est l’un des traits les plus caractéristiques de notre époque. Les maitres de forges achètent des terres en tout lieu, depuis le Tweed jusqu’aux Orcades, rasant ces vieilles maisons charmantes qui ont produit tant d’hommes éminents, — oui, et qui les ont aussi envoyés en Amérique, — comme votre James Buchanan est là pour l’attester et comme l’atteste aussi le juge Haliburton au Canada. Une famille de maitres de forges, celle des Baird, a acheté le Closeburn des Kirkpatrick, le Stitchell des Pringle, et autres résidences célèbres. C’est l’âge de fer dans toute l’acception du mot. Mais comment se fait-il que l’ouvrier qui produit toute cette grandeur vive si mal ? Ce peut être une très-belle chose de voir un M. Mac Buggins dépasser en richesse un Graham ou un Lindsay, être le flatteur servile d’un Buccleuch et jurer un peu, en pur Écossais, en présence des dames dans un salon. Mais que devient le pauvre M, B…, le visage tout barbouillé, triste, couvert de sueur, avec sa petite famille, à peine nourrie, grandissant comme des païens dans la terre de Knox ? Je voudrais que l’on fit quelque chose pour lui avant qu’il essayät de commettre quelque acte irrégulier dans son intérêt. » (Correspondance de la Tribune de New-York. Juin 1856.)
  7. Kay, Condition sociale de l’Angleterre et de l’Europe, tom. I, p. 70.
  8. Ibid., p. 359.
  9. « Nous essaÿons continuellement de séparer l’ouvrier et l’ouvrage. Nous aimons qu’un individu pense et qu’un autre agisse ; mais, en réalité, les deux ne fleuriront jamais isolément ; la pensée doit diriger l’action, et l’action doit stimuler la pensée, ou bien la masse de la société restera toujours composée ainsi qu’elle l’est aujourd’hui, de penseurs maladifs et d’ouvriers misérables. Ce n’est que par le travail que la pensée peut devenir vigoureuse, et ce n’est que par la pensée que le travail peut devenir heureux. » (North British Review. Voy. plus haut la note de la p. 239 du texte, chapitre ix, p.
  10. « Nos législateurs sont obligés de passer la moitié de leur temps à débrouiller les mystères de la Compagnie du Dock de Puddle contre Jenkins, relativement à l’extrémité supérieure d’un champ d’une contenance de deux acres, à découvrir les commentaires qui les égareraient, relativement au détour d’une route, à la hauteur d’un pont, ou la chute d’eau relative à un drainage ; et alors il nous faut attendre qu’ils s’occupent immédiatement de prendre des décisions équitables sur notre administration coloniale, sur le gouvernement de l’Inde, sur la conservation de nos principes constitutionnels, ou la politique générale de l’Europe. » (Westminster Review. 1854. Article Réforme constitutionnelle.)
  11. Westminster Review. Janvier 1854.
  12. « La terre de vingt voisins a besoin d’un drainage commun ou d’une route commune. Rien ne peut faire opérer cette amélioration qu’un acte du Parlement qu’il faut obtenir à grands frais, et à trois cents milles du lieu où elle doit s’effectuer. Conséquemment, l’amélioration n’a jamais lieu ; la pensée même en est repoussée comme un songe ; c’est alors qu’arrivent les centralisateurs et les doctrinaires, armés de toutes sortes de blâmes contre les autorités locales et les propriétaires locaux, pour leur manque de connaissance et d’intérêt en de pareilles matières ; immédiatement une grande section de l’administration de la métropole est mise en action pour fournir, — c’est-à-dire pour soustraire artificiellement — aux provinces l’énergie que le système parlementaire lui-même a comprimée à sa source naturelle. De là résultent des dissidences, entre le sentiment des provinces et les ordres venus de la métropole, et un nouvel amoindrissement de tout l’intérêt qu’on éprouvait antérieurement pour le sujet en question. C’est ainsi qu’agissant tour à tour comme cause et comme effet, une bureaucratie compacte tend constamment à se consolider de plus en plus ; et, sans certaines causes qui sont, jusqu’à ce jour, trop fortes pour qu’elle puisse en triompher, nous serions entraînés bientôt sur la pente du système funeste de paralysation de l’Autriche et de la France, malgré toute réforme purement électorale. » (Ibid.}
      « C’est là le plus grand péril de la société anglaise ; le mal est loin d’être aussi grand que chez les nations du continent ; mais l’Angleterre est déjà sur la pente fatale. Il est temps, pour ses hommes d’État de reconnaître que le désir universel et immodéré des emplois publics est la pire des maladies sociales. Elle répand dans tout le corps de la nation une humeur vénale et servile, qui n’exclut nullement, même chez les mieux pourvus, l’esprit de faction et d’anarchie. Elle crée une foule de gens affamés capables de toutes les fureurs, pour satisfaire leur appétit, et propres à toutes les bassesses dès qu’ils sont rassasiés. Un peuple de solliciteurs est le dernier des peuples : il n’y a pas d’ignominie par où on ne puisse le faire passer. » (Montalembert. De l’avenir politique de l’Angleterre, cité dans le Blackwood’s Magazine. Mai 1856.
  13. Le Gouvernement local autonome.
  14. W.-R. Greg. Le moyen de sortir d’embarras. Londres, 1855.
  15. « Le gouvernement anglais est tyrannique et porté à empiéter sans cesse partout où il est fort, ainsi qu’il l’est en Asie et dans les colonies, mais souple et complaisant pour les tyrans en Europe, partout où il est faible. Ceux qui ont défendu l’ouverture des lettres de Mazzini par sir James Graham, ne nous convaincront jamais que le cabinet anglais prenait soin des intérêts anglais. On n’a jamais réfuté cette opinion, qu’on avait agi ainsi pour complaire aux odieux gouvernements de Naples et d’Autriche, et que cette conduite causa la mort des frères Bandiera. Lorsque l’Autriche, en 1846, fit invasion dans la république de Cracovie, — république établie et garantie par le traité de Vienne, — et la subjugua, lord Palmerston refusa même de protester contre un pareil acte ; et, depuis, il a continué de bavarder sur le caractère sacré de ce traité, aussi souvent qu’il convient aux puissances despotiques liguées contre les libertés des nations. Ce qu’il faut entendre par « protection » s’est révélé une fois de plus. Mais qu’est-ce que cela, comparé à notre destruction des libertés du Portugal en 1847, lorsque John Russel était aussi premier ministre ? ]] ne tint pas plus de compte du droit à l’égard du Portugal, qu’on ne l’avait fait dix ans auparavant à l’égard du Canada. La question unique fut de savoir s’il nous convenait qu’une révolution juste réussit en Portugal, et la réponse fut négative. Car le royaume de Sardaigne est en voie de réforme. La Suisse est agitée par des mouvements intérieurs ; la Prusse ayant enfin obtenu un parlement pousse ses avantages contre le roi ; bien plus, il y a à Rome un Pape réformateur, et si la révolution réussit en Portugal, l’exemple sera suivi en maint autre lieu : conséquemment, juste ou non, il faut l’étouffer. » (Westminster Review. Juillet 1855, Article : De l’immoralité internationale.)
  16. Extrait des dépêches de lord Dalhousie, du 12 février 1852 :
      » La puissance britannique dans l’Inde ne pent songer tmpunément à montrer, méme momentanément, une apparence d’infériorité. Lorsque je répugnerais à croire que notre empire dans l’Inde n’a de stabilité que par l’épée, il est inutile de mettre en doute que notre domination doit surtout s’appuyer sur la puissance du conquérant et doit être maintenue par elle. Le gouvernement de l’Inde ne peut, d’une manière compatible avec sa propre sûreté, apparaître un seul jour dans une attitude d’infériorité, ou espérer de maintenir la paix ou la soumission parmi les princes et les populations innombrables répandus sur l’immense circonscription de l’empire, si pendant un seul jour il laisse mettre en doute la supériorité absolue de ses armes et de sa résolution continue de la soutenir. » (Livre-Bleu présenté au Parlement le 4 juin 1852, p. 66, cité dans le Westminster Review de juillet 1855, p. 35.)
  17. Dépêche de sir William Molesworth au gouverneur des îles Barbades.
  18. « Tout rocher dans l’Océan où peut se percher un cormoran est occupé par des troupes anglaises et possède un gouverneur, un vice-gouverneur, un garde-magasin et un garde-magasin adjoint et possédera bientôt un archidiacre et un évêque, des collèges militaires pourvus de 34 professeurs, chargés de l’éducation de 17 enseignes par an, ce qui fait une moitié d’enseigne par professeur ; et, en outre, toute espèce d’absurdité… Une guerre juste et nécessaire coûte à ce pays (l’Angleterre), à peu près cent mille livres par minute ; un fouet, quinze mille livres, et un ruban sept mille livres ; le galon pour les tambours et les fifres, neuf mille livres ; une pension pour un individu qui s’est fait casser la tête sous le pôle, — pour un autre qui a eu la jambe cassée sous l’équateur ; des subsides à allouer à la Perse, des fonds secrets pour le Thibet ; une rente annuelle à lady n’importe qui et à ses sept filles, dont le mari a été blessé en quelque lieu où nous ne devons jamais avoir eu de soldats le moins du monde, et le frère aîné renvoyant quatre autres frères au Parlement ; un tel tableau de folie, de corruption et de prodigalité doit paralyser l’activité et détruire la fortune du peuple le plus industrieux et le plus courageux qui ait jamais existé. » (Sidney Smith.)
  19. « Une enquête récente a fait découvrir que, même dans les districts autrefois renommés pour les beaux hommes et les vaillants soldats, les habitants ont dégénéré et n’offrent plus qu’une race chétive et rabougrie. Dans les sites les plus salubres, sur le flanc des collines faisant face à la mer, leurs enfants affamés offrent aux regards des visages aussi maigres et aussi pâles que ceux qu’on pourrait rencontrer dans l’atmosphère malsaine d’une allée de Londres. Des tableaux encore plus déplorables se présentent dans les hautes terres de l’Ouest, principalement sur les côtes et dans les îles adjacentes. Il s’est rassemblé là une population considérable, si mal pourvue de moyens quelconques de subsistance, que pendant une partie de presque chaque année, 45.000 à 80.000 individus se trouvent réduits à l’indigence et ne peuvent compter absolument que sur la charité. Un grand nombre des chefs de famille occupent des clos attenant à des maisons d’une étendue de 4 à 7 acres ; mais sur ces clos, malgré leur petite contenance et l’extrême stérilité du sol, résident souvent 2, 3 et quelquefois même 4 familles. Naturellement ils vivent de la façon la plus misérable. Les pommes de terre forment la nourriture habituelle ; car le gruau d’avoine, est considéré comme un aliment de luxe qu’il faut réserver pour les beaux jours et les jours de fête ; mais la récolte des pommes de terre mêmes est insuffisante. La provision de l’année est généralement épuisée avant que la récolte suivante soit parvenue à maturité, et les pauvres se trouvent alors dans une situation tout à fait désespérée ; car la loi sur les pauvres est une lettre morte dans le Nord de l’Écosse, et l’absence d’une provision légale pour les individus nécessiteux, n’est qu’imparfaitement suppléée par les cotisations volontaires des propriétaires du sol. » (Thornton. L’excès de population et son remède, p. 7476.)
  20. « Les ruelles de Glasgow comprennent une population flottante de 15.000 à 30.000 individus. Ce quartier consiste en un labyrinthe d’allées parmi lesquelles des entrées innombrables conduisent à de petites cours carrées, renfermant un tas de fumier dont la vapeur s’élève au milieu. Quelque révoltant que fût l’aspect extérieur de ces lieux, je n’étais guère préparé à la malpropreté et à l’état misérable de l’intérieur. Dans quelques-uns de ces hôtels garnis (que nous avons visités la nuit) nous trouvâmes un repaire complet d’êtres humains couchés en désordre sur le parquet souvent au nombre de 15 ou 20 ; quelques-uns habillés et d’autres nus ; hommes, femmes et enfants confondus pêle-méle. Leur lit consistait en une couche de paille moisie mélée à des chiffons. Il n’y avait généralement que peu, ou point de meubles dans ces habitations ; le seul article de bien-être était le combustible. Le vol et la prostitution forment les principales ressources du revenu de cette population. Il ne parait pas qu’on prenne aucun souci de nettoyer ce pandemonium semblable aux étables d’Augias, ce foyer de crime, de saleté et de contagion, qui existe au centre de la seconde ville de l’Empire. » (Symonds. Rapport sur les tisserands travaillant au métier à la main.)
  21. L’histoire des colonies pendant un grand nombre d’années est celle d’une série de pertes et de la destruction du capital ; et si, aux nombreux millions formant le capital privé, qui ont été ainsi gaspillés, nous ajoutions plusieurs centaines de millions, produits des taxes perçues en Angleterre et dépensés à propos des colonies, la perte totale de richesse que les colonies ont occasionnée à la nation anglaise paraitrait tout à fait exorbitante, (Parnell.)