Principes de dressage et d’équitation/Partie I/VIII

Marpon et Flammarion (p. 17-22).
VIII
Embouchure des chevaux.

Sur le filet, je n’ai rien de particulier à dire, sauf qu’il doit être un peu gros (pour être plus doux) et placé en arrière du mors, à égale distance du mors et de la commissure des lèvres.

Le choix du mors, au contraire, a une grande importance. La façon dont on le place dans la bouche du cheval n’en a pas moins : c’est ce qu’on appelle l’embouchure.

Il est impossible de décider, à première vue, avec quel mors et de quelle manière il convient d’emboucher un cheval neuf.

Baucher affirme qu’il appliquait le même mors indistinctement à tous les chevaux, ce qui est la conséquence forcée de la théorie qui lui est personnelle, à savoir que tous les chevaux ont la même bouche. Je discuterai cette théorie dans une autre partie de cet ouvrage.

Je me contenterai de dire ici qu’il n’est pas un homme de cheval, si inexpérimenté soit-il, qui n’ait constaté qu’un cheval se livre mieux avec un mors qu’avec un autre ; que tel cheval qui se comporte bien avec un simple bridon résiste et se défend avec un mors un peu sévère. Ce fait est prouvé, il est connu de tous. L’expérience seule et le tâtonnement feront trouver le mors qui conviendra le mieux à un cheval. Mais il existe toujours quelques données générales pour procéder à cette expérience. On peut les résumer comme suit :

Il faut toujours, au début du dressage, que le mors ait les canons gros, une liberté de langue modérée et des branches courtes ; c’est ce qu’on appelle un mors doux. Sa largeur doit être proportionnée à celle de la bouche du cheval ; s’il est trop étroit, les lèvres sont comprimées de chaque côté par les branches ; s’il est trop large, le cheval, pour jouer ou pour se soulager, le déplace en le portant d’un côté ou de l’autre, en sorte qu’un seul des canons repose sur une barre, l’autre déborde et est remplacé sur la barre par le commencement de la liberté de langue. Il résulte de cette position du mors une inégalité notable dans l’effet produit par la main, et presque toujours le cheval porte la tête de travers.

Pour que le mors s’adapte bien, il faut que les canons débordent de chaque côté de la bouche de quelques millimètres, de telle sorte que les branches ne touchent pas les lèvres. Les canons doivent reposer sur les barres, d’une manière égale de chaque côté, à égale distance des crochets et de la commissure des lèvres, c’est-à-dire un peu plus bas que le filet. Je dirai plus loin quelles exceptions peut comporter ce principe. L’extrémité inférieure des branches, cédant à l’action des rênes qui la tirent en arrière, fait basculer l’extrémité supérieure en avant et produit la pression des canons sur les barres. Le mors, en basculant, tend la gourmette, ce qui augmente encore la pression des canons sur les barres. Plus la gourmette est serrée, plus cette pression est prompte et forte. Par conséquent, la tension de la gourmette doit être proportionnée au degré de sensibilité des barres sur lesquelles on veut agir.

Ce degré de sensibilité, on ne le connaît pas quand on se trouve en présence d’un cheval complètement neuf. Dans ce cas, je recommande d’agir toujours au début, comme si la sensibilité était grande et par conséquent de tenir la gourmette très lâche. Il sera toujours temps de la resserrer.

Par contre, il ne serait pas exact de dire que, si on commence avec une gourmette serrée, il sera toujours temps de la relâcher, car l’effet produit sur des barres très sensibles par une gourmette serrée provoque un endolorissement qui subsiste après que la gourmette a été relâchée. Tandis qu’en commençant avec une gourmette très lâche et en la resserrant progressivement jusqu’au point voulu, on évite d’endolorir les barres, d’agacer le cheval et de provoquer des défenses. De plus, on gagne du temps. En effet, si, au début du travail, on a endolori ou même simplement échauffé les barres par une pression non proportionnée à la sensibilité, on n’a obtenu aucune des indications dont on a besoin sur le degré de sensibilité de la bouche du cheval. Bien au contraire, l’ayant exagérée, on l’apprécie faussement et l’on se trouve, dès le début, engagé dans une mauvaise voie. La meurtrissure ou même le simple échauffement des barres ne disparaissent pas aussitôt que le travail est fini, et le mors enlevé ; ils persistent le lendemain ou même plus longtemps. Le cheval reviendra donc à la leçon suivante avec des barres congestionnées, douloureuses, par conséquent faussées. L’écuyer alors tiendra compte des effets qu’il produira sans savoir que la bouche est malade ; il augmentera le mal ; il sera de plus en plus éloigné de l’appréciation de la bouche, de son état sain et normal. En un mot, il fera, sans s’en douter, exactement le contraire de ce qui est nécessaire.

Voilà pourquoi il faut, au début du dressage, une gourmette très lâche. A dire vrai, il vaut même mieux n’en avoir pas du tout.

La connaissance de la bouche du cheval neuf est aussi importante que délicate. Pour la tâter sans la détériorer, il faut procéder graduellement ; commencer avec une très grande légèreté et n’augmenter la pression que doucement et jusqu’au point où elle devient perceptible pour le cheval : ce point varie avec chaque animal. Si le cheval cède sous la légère pression d’un mors non pourvu de gourmette, à quoi servirait cette gourmette ?

A quoi bon rechercher un moyen plus puissant ? Il sera toujours temps d’y recourir par la suite.

J’ai dressé complètement des chevaux, sans leur avoir jamais mis de gourmette, non seulement dans le manège, mais au dehors. La gourmette, d’ailleurs, doit rester accrochée à une des branches du mors pour qu’on puisse l’employer immédiatement en cas de besoin. Mais je dis, comme une règle générale, qu’il ne faut y avoir recours que lorsque le besoin s’en fait sentir.

J’ajoute que, lorsqu’on arrive à se servir de la gourmette, il faut agir avec les plus grands ménagements, c’est-à-dire ne lui donner que la tension strictement nécessaire. On doit acquérir le maximum des effets que l’on désire obtenir du mors en ne serrant la gourmette que juste assez pour permettre à celui-ci de faire, avec la mâchoire inférieure, un angle de 45 degrés.

De même que la tension de la gourmette doit être proportionnée au degré de sensibilité des barres, de même l’intensité de la pesée exercée sur la mâchoire par l’action des rênes doit être proportionnée à la résistance qu’elle rencontre. Si cette résistance est minime, l’effort pour l’annuler doit être léger : il le sera d’autant plus que l’action du mors se fera sentir plus haut sur la mâchoire. Si, au contraire, la résistance est grande, l’effort pour la vaincre doit être plus énergique, et cette énergie sera d’autant plus forte que la pression se fera sentir sur une partie plus basse de la mâchoire. Voilà pourquoi, sans s’écarter beaucoup de la place moyenne que nous avons indiquée pour le mors, c’est-à-dire à égale distance des crochets et de la commissure des lèvres, on peut et on doit le remonter ou le baisser légèrement, suivant que la mâchoire du cheval cède et se décontracte sous un effort léger ou énergique. En d’autres termes, plus la bouche du cheval est douce, plus je place le mors haut; plus, au contraire, elle est résistante, plus je le mets bas. En aucun cas, cependant, les canons ne doivent toucher ni même effleurer, soit la commissure des lèvres, soit les crochets.

De ces explications il ressort l’indication essentielle que l’embouchure la meilleure pour un cheval neuf, c’est-à-dire le degré de tension de la gourmette et la position haute, moyenne ou basse du mors, ne peut être trouvée que par l’expérience ; et que pour faire cette expérience, il faut procéder par les effets des plus légers, dont on augmentera graduellement la sévérité à mesure que la nécessité s’en fera sentir.