Principes d’économie politique/II-2-VII-VIII


VIII

DES DIFFÉRENCES ENTRE LE BILLET DE BANQUE ET LE PAPIER-MONNAIE.


Ils se ressemblent si bien que le public ne comprend guère cette distinction. L’un comme l’autre tiennent lieu de monnaie en France et en Angleterre, à cours légal, tout comme la monnaie d’or. Pourtant le billet de banque est supérieur par trois caractères, on peut même dire par trois garanties, que ne présente pas le papier-monnaie :

1° D’abord en principe le billet de banque est toujours remboursable, toujours convertible en espèces au gré des porteurs, — tandis que le papier-monnaie ne l’est pas. Celui-ci a bien l’apparence d’une promesse de payer une certaine somme, et en fait on peut bien espérer qu’un jour l’État revenu à meilleure, fortune remboursera son papier : mais cette perspective plus ou moins lointaine ne peut guère toucher ceux qui reçoivent ces billets car ils n’ont pas l’intention de les garder (Voy. p. 263) ;

2° Ensuite le billet de banque est émis au cours d’opérations commerciales et seulement dans la mesure où ces opérations commerciales une valeur égale à celle des lettres de change qui sont présentées à l’escompte, — tandis que le papier-monnaie est émis par le gouvernement pour subvenir à ses dépenses et cette émission ne connaît d’autres limites ni d’autres règles que les nécessités financières du moment ;

3° Enfin, comme le nom l’indique assez, il est émis par une banque, c’est-à-dire par une société ayant pour principal objet des opérations commerciales, alors même qu’elle puisse avoir accessoirement certains caractères d’une institution publique — tandis que le papier-monnaie est émis par l’État.

Ainsi donc le billet de banque est très distinct du papier-monnaie. Cependant il peut arriver qu’il s’en rapproche jusqu’à se confondre presque avec lui, en perdant tout ou partie des caractères que nous venons de signaler :

1° Il est possible d’abord que le billet de banque reçoive cours forcé, c’est-à-dire cesse d’être remboursable, du moins pour une période plus ou moins longue. Cet état de choses s’est réalisé une fois ou l’autre, à des époques de crise, pour les billets de presque toutes les grandes banques[1].

En ce cas, il reste encore entre le billet de banque et le papier-monnaie les deux autres différences que nous avons indiquées et principalement la deuxième : à savoir que la quantité émise n’est pas indéfinie ni fixée d’une façon arbitraire, qu’elle se trouve réglementée par les besoins mêmes du commerce. C’est une très sérieuse garantie.

2° Il est possible encore que non seulement le billet de banque reçoive cours forcé, mais qu’au lieu d’être émis au cours d’opérations commerciales, il soit émis à seule fin de faire des avances à l’État et de lui permettre de payer ses dépenses. Voici, en ce cas, comment les choses se passent. L’État a besoin d’argent, il dit à la Banque : « Fabriquez-moi quelques centaines de millions de billets que vous allez me prêter et je vous couvrirai en imposant le cours forcé[2] ».

En ce cas la deuxième garantie disparaît à son tour. L’émission des billets n’a plus d’autre limite que les besoins de l’État, et alors le billet de banque ressemble tout à fait, il faut l’avouer, au papier-monnaie.

Pourtant, même alors, la troisième garantie demeure, à savoir la personnalité de l’émetteur, et, à elle seule, elle suffit encore pour que le billet de banque soit beaucoup moins sujet à se déprécier que le papier-monnaie. L’expérience l’a si bien prouvé, que les États ont en général renoncé a l’émission directe du papier-monnaie pour recourir à l’intermédiaire des banques. Le public, en effet, pense que les banques résisteront autant que possible à une émission de billets exagérée qu’on voudrait leur imposer, car il y va pour elles de la ruine et il croit, non sans raison, hélas ! que la sollicitude d’une compagnie financière qui a à veiner sur ses propres intérêts est plus vigilante et plus tenace que celle d’un gouvernement ou d’un ministre des finances qui n’a à s’occuper que de l’intérêt public.


 

  1. Il faut se garder le cours légal avec le cours forcé. Un billet a cours légal quand les créanciers ou les vendeurs ne peuvent pas le refuser dans les paiements. Un billet a cours forcé quand les porteurs n’ont pas le droit de demander à la Banque son remboursement en monnaie. Le cours forcé suppose toujours le cours légal, mais la réciproque n’est pas vraie : les billets de Banque ont cours légal en France et en Angleterre, mais ils n’ont pas cours forcé ; chacun est tenu de les prendre, mais chacun, s’il veut, a la faculté de se les faire rembourser par la Banque.
  2. C’est justement ce qui eut lieu pendant la guerre franco-allemande en 1870. Le gouvernement emprunta à la Banque à diverses reprises une somme totale de 1.470 millions, mais pour cela faire il commença par décréter le cours forcé.