Premières négociations de Charles le Mauvais avec les Anglais

PREMIÈRES NÉGOCIATIONS
DE
CHARLES LE MAUVAIS
AVEC LES ANGLAIS
(1354-1355).


Le manque de foi a été le trait dominant de la politique étrangère de Charles le Mauvais. Comme ses « adversaires de France », Édouard III eut occasion d’éprouver la duplicité du roi de Navarre et l’instabilité d’une alliance, trop favorable à ses vues pour être repoussée quand elle s’offrait à lui, trop peu sûre également pour ne pas lui causer de mécomptes. C’est que le prince, dont l’ambition servit si bien les desseins du monarque anglais, ne se piquait d’aucune fidélité à tenir ses engagements et savait les éluder avec une aisance déconcertante. Ne voyant dans les traités, conclus ou projetés, que des expédients destinés le plus souvent à le tirer d’un mauvais pas, il cessait de les prendre au sérieux, si, le péril écarté, son intérêt l’invitait à sacrifier ses amis d’un jour et à renouer avec ses ennemis de la veille. Dès le début de son règne, il apparut tel qu’il devait rester jusqu’à la fin : dépourvu de scrupules, prompt aux intrigues et aux négociations secrètes, mais pour les désavouer ou les rompre au moment décisif, sans souci des complices ou des alliés qu’il pouvait laisser en fâcheuse posture. Sa conduite au lendemain de l’assassinat du connétable Charles d’Espagne[1] offre un exemple de ces revirements soudains, si fréquents dans son histoire[2].


I.

On sait avec quelle préméditation implacable[3], et qui étonne chez un homme de son âge, – il n’avait alors que vingt-deux ans, – le roi de Navarre fit égorger le favori de Jean II, l’un des grands personnages du royaume, allié de près à la maison de France[4]. Ce meurtre, hautement avoué, et qui finalement procura à son auteur des avantages considérables, l’avait mis tout d’abord dans une situation critique. À l’accablement des premiers jours avait succédé, chez Jean II, une violente colère qui aurait pu le porter aux pires résolutions[5]. S’il parvint à maîtriser sa douleur, à envisager avec plus de calme le fait accompli[6], il n’oublia jamais l’injure sanglante qu’il avait reçue.

Charles le Mauvais s’était vengé avec trop d’éclat pour n’être pas exposé à de terribles représailles. Non seulement il était menacé de perdre toutes les terres qu’il possédait en France, mais, s’il fût tombé aux mains du roi, il aurait pu craindre pour sa vie, Jean II paraissant déterminé à mesurer le châtiment à l’offense. Dans cette extrémité, le roi de Navarre n’éprouva, semble-t-il, aucune hésitation sur le parti à prendre. Le 10 janvier, – le surlendemain du meurtre, – il écrivait à Édouard III, au prince de Galles et au duc de Lancastre pour réclamer l’assistance des Anglais[7]. À Édouard III, il demandait de se tenir prêt à entrer en campagne au premier avis qu’il lui ferait tenir. Le temps pouvant manquer au roi d’Angleterre pour intervenir personnellement, il était prié de donner à son « capitaine de Bretagne » l’ordre de répondre à l’appel du roi de Navarre avec toutes les forces dont il disposait, et, en attendant, de concerter son action avec les garnisons navarraises du Cotentin[8]. À Lancastre, il rappelait les offres de services qu’il en avait reçues dans une circonstance récente. Le moment était venu, pour le roi de Navarre, d’éprouver le dévouement de ses amis. Que le duc voulût donc bien réunir à Calais et à Guines le plus grand nombre possible d’hommes d’armes et d’archers, pour être en mesure d’agir dès qu’il en serait requis.

Huit jours après (18 janvier), et sans attendre la réponse à ses premières lettres, Charles le Mauvais revint à la charge[9], insistant sur le péril qu’il courait, bien qu’il fût de taille à se défendre contre les agressions de ses adversaires et à leur causer un dommage irréparable[10]. Il avait de « beaux et bons » châteaux, notamment en Normandie, et tous les nobles de cette province s’étaient déclarés pour lui, « à la vie et à la mort[11] ». Il ajoutait que le roi de France, toujours aussi courroucé contre son gendre, lui ayant fait demander s’il avouait le meurtre du connétable, il avait assumé toute la responsabilité de cet acte : « Je l’ai avoué pleinement, disant que je en ma personne y ai esté et l’ai fait faire, et ce est vérité. »

En se jetant dans les bras des Anglais, Charles le Mauvais allait au-devant de leurs désirs, car depuis longtemps ils guettaient l’occasion de rompre, dans des conditions favorables pour eux, les trêves si souvent renouvelées, qui, sans aboutir à une paix définitive, s’opposaient à la reprise des hostilités. On ignore les termes de la réponse, favorable à coup sûr, faite par le Conseil d’Édouard III aux ouvertures du Navarrais, mais on sait comment elles furent reçues par le duc de Lancastre, que, peu de jours après, le roi d’Angleterre « chargeait de conduire les négociations en son nom[12] ». Il semblait que ces négociations dussent aboutir à une « ligue perpétuelle[13] » ; un brusque changement d’attitude de Charles le Mauvais permit à peine de les ébaucher.

Au début de l’année 1354, le duc de Lancastre se trouvait à Malines, dans le Brabant, où, suivant les instructions d’Édouard III, il s’employait à rétablir une « bonne paix » entre la comtesse de Hainaut et son fils[14]. C’est là que lui parvint, — probablement vers le 18 janvier[15], — la première lettre du roi de Navarre. Elle le surprit peut-être médiocrement, car il n’est pas impossible que, dans quelque circonstance antérieure, Charles le Mauvais eût déjà laissé entendre que volontiers il recourrait à l’alliance anglaise. Quoi qu’il en soit, un des valets du duc[16], Gautier de Bintree[17], partit aussitôt pour Évreux, porteur d’une réponse dont le texte, sans doute assez court, ne s’est point conservé, et que devaient compléter des explications données de vive voix. Une longue note, qui nous est parvenue, dictait à l’envoyé les termes dans lesquels ces explications seraient fournies[18]. Tout en protestant de son bon vouloir, Lancastre représentait au roi de Navarre combien il lui était difficile d’intervenir immédiatement, en raison de la mission qu’il avait à remplir et dont le but n’était pas encore atteint. Il n’avait avec lui qu’un petit nombre d’hommes d’armes et point d’archers. Pour prêter à Charles un concours utile, il devait au préalable retourner en Angleterre, d’où il lui serait aisé de faire passer des secours sur le continent. Il annonçait que, dès la veille ou l’avant-veille de la Chandeleur, il se trouverait à Bruges en Flandre, pour y attendre les messagers du roi de Navarre, au nombre desquels il serait bon, disait-il, de comprendre le sire de Fricamps[19] parce que sa personne ou son nom étaient déjà connus en Angleterre. C’est à Bruges également que Lancastre avait donné rendez-vous à l’écuyer envoyé en Angleterre pour porter à Édouard III et au prince de Galles les lettres de Charles le Mauvais. Le choix de Bruges se justifiait par une double considération : on pouvait s’y rendre aussi vite et plus sûrement qu’à Calais, et, tout en y venant, le duc restait à proximité du Hainaut, où les instructions d’Édouard III pouvaient le rappeler.

Sur ces entrefaites, Lancastre, qui n’était point encore parti de Malines, reçut le 26 janvier la deuxième lettre du roi de Navarre. Il se borna, dans sa réponse, à renouveler ses précédentes déclarations, en s’efforçant de détourner Charles d’entrer en traité avec le roi de France. Déjà, en effet, la situation était moins tendue, et la voie ne semblait plus fermée à une réconciliation.

Le 8 février, Jean II, singulièrement radouci contre toute attente, donnait pleins pouvoirs à deux commissaires, le cardinal de Boulogne et le comte de Bourbon, pour négocier la paix avec le roi de Navarre, lui faire en terres et en rentes les « assiettes » ou assignations réclamées depuis longtemps, et enfin pour accorder des lettres de grâce à l’instigateur du meurtre de Charles d’Espagne, comme à tous ceux qui y avaient participé[20]. Évidemment, il avait fallu les raisons les plus graves pour décider le roi de France à accepter un véritable renversement des rôles. S’il se résigna à des concessions aussi pénibles et aussi humiliantes, que son gendre pouvait à certains égards considérer comme une réparation, c’est qu’il y fut poussé par ses conseillers habituels. L’appel adressé aux Anglais par le roi de Navarre n’était resté un secret pour personne ; peut-être avait-il eu soin de divulguer lui-même cette démarche, où le calcul aurait eu la plus grande part et qu’il faudrait se garder de prendre pour un coup de désespoir. Le sentiment général, en France, était qu’une alliance entre Édouard III et le Navarrais mettrait le royaume en péril et que rien ne devait coûter pour rompre cet accord. Jean II se laissa persuader.

Charles le Mauvais comptait assez d’amis ou de complices à la cour de France pour ne rien ignorer de ce qui l’intéressait. Dès la fin de janvier, il savait que le roi ne se montrerait pas intraitable. N’ayant plus à redouter un éclat soudain de la vengeance royale, il est possible qu’il ait mis peu de hâte à faire partir les messagers attendus par le duc de Lancastre. Les lettres de créance pour le chancelier de Navarre, Thomas de Ladit[21], et pour Friquet de Fricamps sont datées du 31 janvier[22]. C’est par un interrogatoire que subit en 1356 ce même Fricamps, pendant sa détention au Châtelet de Paris, que nous connaissons les détails du voyage de Bruges[23], auquel prirent part également deux autres familiers de Charles le Mauvais, Pierre de la Tannerie et Jean de Bantelu[24]. Par mesure de prudence, les quatre envoyés eurent soin de ne pas faire route tous ensemble ; ils se partagèrent en deux groupes et ne se réunirent qu’au moment d’entrer en Flandre. Gautier de Bintree, le valet du duc de Lancastre, qui paraît être parti d’Évreux en même temps qu’eux, prit alors les devants de façon à arriver le premier à Bruges[25]. Le chancelier et Fricamps étaient porteurs de lettres adressées par leur maître au comte et à la comtesse de Flandre ; dans l’une de ces lettres, il était question d’une somme d’argent à emprunter, et des joyaux avaient été remis à P. de la Tannerie et à Jean de Bantelu pour servir de gage à l’emprunt.

La députation navarraise fut reçue très courtoisement par le duc de Lancastre. Bien qu’il se disposât à rejoindre l’armée du comte de Savoie, alors en guerre avec le dauphin, il offrait de renoncer à cette nouvelle chevauchée pour accompagner le chancelier de Navarre en Angleterre et le présenter lui-même à Édouard III. Il proposa simplement à Fricamps d’entrer au service des Anglais, lui disant qu’il pourrait devenir aussi bon Anglais qu’il avait été bon Français. Cette ouverture aurait été repoussée avec indignation. Le duc s’entretint ensuite secrètement avec le chancelier, dans l’embrasure d’une fenêtre ; mais personne ne put surprendre un mot de leur conversation. En somme, bien que Lancastre eût les pouvoirs nécessaires pour traiter, rien ne fut conclu à Bruges. Pour des raisons que l’on soupçonne et que la suite des événements fera mieux comprendre, le chancelier de Navarre n’accepta pas de passer en Angleterre. En revenant de Bruges, il rapportait à son maître l’assurance formelle des bonnes dispositions du duc de Lancastre, prêt à le servir envers et contre tous, « excepté le roi d’Angleterre et le prince de Galles, son fils, » et l’offre d’un secours personnel de 200 hommes d’armes et de 500 archers[26]. Mais déjà il était aisé de reconnaître qu’après avoir fait les premiers pas Charles le Mauvais cherchait à se dérober, se souciant peu de préciser les conditions d’une alliance dont il n’attendait plus aucun avantage.

Les envoyés du roi de Navarre le retrouvèrent à Mantes, où se poursuivaient, depuis quelques jours, les négociations qui devaient aboutir au traité du 22 février. Elles étaient même assez avancées au moment du retour des quatre commissaires envoyés à Bruges, c’est-à-dire vers le 10 ou le 12 février. Le vendredi 21 février, — la veille de la signature du traité, — Charles le Mauvais dépêcha au duc de Lancastre deux valets à cheval pour lui dire de différer jusqu’à dix jours après les Brandons, — soit jusqu’au 12 mars, — toute intervention armée en sa faveur. Ce délai s’imposait, les négociations en cours devant le retenir à Mantes plus longtemps qu’il ne l’avait présumé[27].

Il est à remarquer que c’est le roi de Navarre lui-même qui, dans une lettre écrite peu après, résume ainsi, à sa façon, les termes du message[28] ; mais, même en admettant cette version, la plus favorable pour lui, un simple rapprochement de dates suffit à faire éclater sa duplicité. Le traité avec le roi de France devant être signé le lendemain, une entente avec les Anglais n’avait plus de raison d’être, et il eût été loyal de ne pas prolonger l’équivoque. Mais, en réalité, et comme le duc de Lancastre le lui reprochera plus tard, le Navarrais avait poussé la dissimulation beaucoup plus loin et tenu un langage bien différent[29].

L’œuvre des négociateurs était achevée depuis une semaine au moins, lorsque Charles le Mauvais prit de nouveau la plume, — le 1er mars, — pour informer le duc de la conclusion de la paix[30]. Il se louait de tout le monde : des deux reines, — Jeanne, sa tante, et Blanche, sa sœur, — qui s’étaient entremises en sa faveur avec beaucoup de zèle, du cardinal de Boulogne comme des autres conseillers de Jean II, du roi de France lui-même, en qui il avait trouvé « toute raison ». Le meurtre du connétable était pardonné. Tout ce qu’il avait jamais réclamé, il l’obtenait. En Normandie, particulièrement, sa situation devenait très forte, par la cession de près d’une moitié du Cotentin. Pouvait-il refuser « raison du roi », puisque celui-ci « la lui offrait » ? Dès lors, tous les préparatifs faits pour lui venir en aide devaient être contremandés. Sa reconnaissance était grande envers le duc de Lancastre, dont, à l’occasion, il servirait les intérêts de tout son pouvoir et avec un égal dévouement. Il terminait par un avertissement où l’on a quelque peine à ne pas sentir une pointe d’ironie. Comme il ne voulait à aucun prix que les Anglais souffrissent de dommage à cause de lui, il faisait savoir au duc que « les ports, spécialement ceux où les gens de monseigneur supposaient que les Anglais penseraient mieux descendre, étaient de nouvel bien grossement garnis et renforcés de vaisseaux et de gens ».

Le lendemain, 2 mars, il écrivait au roi d’Angleterre, pour le même objet, une lettre beaucoup plus courte, plus sèche, qu’il suffit d’indiquer[31].

Le traité de Mantes était un échec pour l’amour-propre des Anglais. Nous ignorons quelle fut l’impression d’Édouard III, mais le duc de Lancastre en éprouva une mortification assez sensible. Il reste de lui deux lettres fort significatives, écrites peu après l’événement, et, quoiqu’il affecte de s’y montrer beau joueur, il ne parvient pas à dissimuler complètement son dépit.

Dans sa réponse au roi de Navarre (13 mars)[32], il témoigna, non sans vivacité, la surprise que lui avait causée un dénouement si contraire à ses prévisions et qu’il avait connu de bonne heure par une autre voie. Le cardinal de Boulogne avait été le premier à lui annoncer (10 mars) le succès des négociations auxquelles il avait eu la plus grande part[33]. Rien, dans les déclarations antérieures de Charles, ne permettait de supposer qu’il fût à la veille de se réconcilier avec son beau-père. Le duc de Lancastre ne manquait pas à ce propos de mettre le Navarrais en contradiction avec lui-même. À lire sa dernière lettre, — celle du 1er mars, — il aurait écrit dès le 21 février de surseoir à tous les préparatifs faits pour le secourir. Or, à cette date, il mandait, au contraire, de continuer les armements commencés, sans avoir égard aux négociations ouvertes avec la cour de France.

Le cardinal de Boulogne, si empressé à communiquer au duc de Lancastre une nouvelle désagréable, avait eu, au moins en apparence, un autre motif de lui écrire. Il l’informait qu’il serait en personne à la « journée » ou conférence, ordonnée par le roi de France pour traiter du renouvellement de la trêve qui était sur le point d’expirer[34]. Mais l’heureux négociateur de Mantes ne s’était point fait faute d’insister sur un succès diplomatique, dû à son habileté, et qui contrariait si fort les projets des Anglais. Le « pertuis » par où ils avaient espéré se glisser en France se trouvant « étoupé », c’est-à-dire bouché, il fallait chercher une autre voie pour pénétrer au cœur du royaume. Le duc convenait de bonne grâce que de ce côté il n’y avait plus rien à tenter, mais les Anglais sauraient bien découvrir un autre passage, et il rappelait le dicton populaire : « Souris qui n’a qu’un pertuis est souvent en péril[35]. »

Le cardinal, qui se piquait d’être, lui aussi, homme d’esprit, voulut avoir le dernier mot. Dans une lettre écrite quelques semaines plus tard (8 avril)[36], il feignit de comprendre à merveille le sentiment qui avait porté le duc de Lancastre à offrir ses bons offices et son appui au roi de Navarre. Assurément, Lancastre trouverait des amis aussi empressés et aussi dévoués s’il lui arrivait, quelque jour, de faire mourir l’un des amis les plus chers du roi d’Angleterre. Il était libre d’en faire l’essai. La plaisanterie eût pu être plus légère. Relevant l’allusion à la souris qui doit connaître plusieurs « pertuis » sous peine d’être en péril, il se borna à répondre que tous les passages donnant accès dans le royaume étaient bien gardés. Au demeurant, il regrettait fort que le duc ne pût assister à la conférence où Anglais et Français allaient se rencontrer pour travailler au maintien de la paix[37]. « Si Dieu plest, disait-il en terminant, briefment vous verrons, et coment que vous tensons (tançons) maintenant par lettres, certainement nous ferrions volentiers et de coer tousjours ce que vous voudriés. »


II.

Un document important reste à examiner, qui ne se rattache pas directement, il est vrai, aux négociations entamées par Charles le Mauvais avec les Anglais après l’assassinat de Charles d’Espagne, mais dont la date incertaine n’est pas postérieure de beaucoup à ces mêmes négociations. Selon toute probabilité, il se rapporte à l’une des deux années 1354 ou 1355. Je veux parler d’un projet de traité à intervenir entre les Navarrais et les Anglais pour la conquête et le partage du royaume de France. Ce projet, conservé dans le même recueil manuscrit que les lettres utilisées jusqu’ici, semble faire corps avec elles. C’est également une copie du xive siècle, d’une écriture anglaise, et sur la provenance de laquelle aucun doute n’est possible. « Ceste copie », dit une courte note placée en tête, « feust trovée entre les lettres de Navarre, escrite de la main l’evesqe de Loundres. »

Voici, article par article, un résumé de cette sorte de memorandum, remarquable par la précision avec laquelle sont énoncées les prétentions du roi de Navarre et les concessions qu’il croit devoir faire. On sait que, dans sa correspondance secrète, Charles le Mauvais usait volontiers de pseudonymes ; dans la pièce en question, il se qualifie de cadet (mainsné), tandis que le roi d’Angleterre est appelé l’aîné (ainsné).


1. Une alliance perpétuelle existera entre les deux parties contractantes, contre toutes personnes, excepté le roi d’Aragon[38].

2. Les deux alliés ne feront jamais paix, trêve, ni accord l’un sans l’autre.

3. Le cadet gardera la « terre » qu’il « tient », et il aura de plus tout le duché de Normandie, c’est-à-dire tout ce que le roi de France occupe actuellement, et ceci en compensation du comté d’Angoulême et de plusieurs rentes dues sur le trésor ;

Les comtés de Champagne, de Brie et de Bigorre, qui lui appartiennent par vraie succession et font partie de son héritage ;

Les comtés de Toulouse et de Chartres, avec toutes leurs dépendances ;

Le Carcassès, les terres de Béziers, de Montpellier et d’Aigues-Mortes jusqu’aux montagnes d’Aragon, de Comminges et de Foix ; d’Aigues-Mortes, la nouvelle frontière remontera au nord par Beaucaire et Viviers, pour aboutir en ligne droite vers Masseilles, à l’extrémité opposée du comté de Toulouse, sans toucher à l’ancien duché de Guyenne[39].

4. Toutes les terres énumérées ci-dessus seront tenues du roi d’Angleterre à un seul hommage et à la charge des « devoirs accoutumés », excepté le comté de Bigorre, pour lequel ni le cadet ni ses successeurs ne feront jamais hommage et n’acquitteront aucun service.

5. On fera à la « veuve blanche », c’est-à-dire à Blanche de Navarre, veuve de Philippe VI, l’assiette du restant de son douaire, en terre prise du roi d’Angleterre.

6. Un an après que l’aîné aura été couronné roi de France et qu’il sera maître de Paris, de Reims et de la totalité ou de la plus grande partie du royaume, il payera au cadet 100 000 florins d’or qui lui sont dus sur le trésor pour plusieurs arrérages.

7. Deux ans après son couronnement, l’aîné payera à Blanche de Navarre 100 000 florins d’or florins d’or pour certains joyaux qu’on lui retient indûment.

8. Les deux frères du cadet « serviront bien », et l’aîné leur « fera bien, selon leur estat ».

9. En raison du tort que le roi de France lui a causé, de ses dénis de justice à son égard, le cadet renonce en faveur de l’aîné à tous ses droits à la couronne de France. Il le reconnaîtra pour son souverain seigneur et lui fera hommage. Tous ceux qui tiennent le parti du cadet devront se conformer à son exemple, sous peine de rébellion.

10. Les deux alliés uniront leurs efforts et supporteront en commun les frais de la guerre, en conquérant les terres qui doivent appartenir à chacun d’eux. Les opérations militaires commenceront par la conquête de la Normandie, effectuée pour le compte de l’aîné ; après quoi, les deux princes marcheront ensemble sur Paris, selon ce qui semblera bon à l’aîné.

11. L’aîné et ses gens ne causeront aucun dommage aux terres, ni aux sujets du cadet.

12. Au cas où le cadet mourrait avant la réalisation de ce plan, et sans laisser d’« hoir de son corps », ses frères lui seront substitués et seront substitués l’un à l’autre, le cas échéant, dans l’ordre de primogéniture.

13. Les amis, alliés, serviteurs et partisans du cadet, qui éprouveront quelque dommage pour avoir servi sa cause, en seront indemnisés par l’aîné, dans le plus bref délai, sur les conquêtes qu’il aura faites.


Rien ne dévoile mieux les secrètes convoitises du roi de Navarre qu’un tel programme, et l’intérêt en serait encore grand, lors même qu’il n’aurait jamais été transformé en un instrument diplomatique. C’est beaucoup qu’il ait été formulé avec autant de décision. Charles le Mauvais avait, il est vrai, et il a parfois affiché de plus hautes prétentions. Petit-fils de Louis le Hutin, il aspirait au trône dont sa mère avait été exclue[40], et, sans se poser ouvertement en rival des Valois, il caressa toujours l’espoir de les supplanter.

Toutefois, comptant plus sur les événements que sur des revendications qu’il eût été impuissant à soutenir, il savait dissimuler ses visées ambitieuses, surtout quand il s’agissait de ne pas rebuter un puissant allié. C’est ainsi que, dans ses négociations avec Édouard III, il ne fait aucune difficulté de le reconnaître pour roi de France, bien qu’il tînt ses propres droits à la couronne pour bien supérieurs à ceux du monarque anglais[41]. Sans doute, il se flattait de recouvrer quelque jour ce qu’il était contraint d’abandonner. Maître de près de la moitié du royaume, il eût traité d’égal à égal avec son suzerain, en attendant une occasion favorable pour le dépouiller. Tout au moins lui eût-il arraché sans trop de peine Paris, le siège du gouvernement, et Reims, la ville du sacre, se faisant peut-être, par un de ces revirements qui lui coûtaient si peu, le champion de la cause nationale. Quelle que soit la valeur de ces conjectures, le document analysé plus haut paraît bien traduire la pensée intime de Charles le Mauvais.

On en trouve la preuve dans les articles signés, le 1er août 1358, par les plénipotentiaires des rois d’Angleterre et de Navarre et destinés à servir de base à un traité d’alliance entre les deux souverains[42]. Évidemment, les propositions faites ou acceptées par Charles le Mauvais en 1358 ne sont pas aussi avantageuses pour lui que celles qui viennent d’être résumées, mais elles procèdent de la même inspiration. Le projet retrouvé parmi les « lettres de Navarre », et dont il reste à déterminer la date, ne saurait appartenir, comme je l’ai déjà dit, qu’à l’une des deux années 1354 ou 1355. Rien n’y rappelle les événements considérables qui se succédèrent les années suivantes et auxquels le roi de Navarre se trouva mêlé au moins indirectement ; aucune allusion n’est faite ni à sa captivité, ni à celle de Jean II, ni à la situation du royaume au lendemain de la défaite de Poitiers. Tout indique au contraire que ce document a été rédigé peu de temps après la paix de Mantes. Charles le Mauvais s’attribue à lui-même la Normandie en compensation du comté d’Angoulême et de certaines rentes sur le trésor qui ne lui ont pas été payées. Or, on sait qu’au cours des négociations de Mantes on avait admis, sans l’énoncer formellement dans le traité, le principe d’une indemnité, d’une « récompense », pour le comté d’Angoulême[43]. Quant aux rentes sur le trésor dont les arrérages n’avaient jamais été acquittés, elles faisaient l’objet d’un article spécial. Mais sur bien des points le traité avait été mal exécuté, et certaines clauses accessoires qui n’y figurent point, mais dont la réalité n’en est pas moins certaine, n’avaient pas été mieux observées[44]. Il convient enfin de relever ce détail capital, qu’on s’expliquera mieux dans un instant, que le projet d’alliance nous est connu par une copie « de la main de l’évêque de Londres ».

Mécontent de l’inexécution des engagements pris à son égard, Charles le Mauvais sortit de France au mois de novembre 1354, et, non sans quelque mystère, se rendit à Avignon, à la cour du pape[45]. Il s’y rencontra, — il est difficile de voir là une coïncidence fortuite, — avec l’ambassade extraordinaire envoyée par Édouard III pour répondre à l’appel d’Innocent VI, qui, contre toute espérance, s’efforçait de rétablir une paix durable entre d’irréconciliables adversaires. De cette ambassade faisaient notamment partie le duc de Lancastre et l’évêque élu de Londres, Michel de Nortburgh[46]. On sait que le roi de Navarre, après avoir feint de quitter Avignon avec toute sa suite, y rentra à la dérobée et pendant plus de quinze jours multiplia les conférences secrètes avec le duc de Lancastre[47]. Ces entrevues avaient lieu la nuit, tantôt dans la demeure du cardinal d’Arras, tantôt dans celle du cardinal de Boulogne[48]. Charles le Mauvais ne s’attarda point à de vaines récriminations contre Jean II. Comme après l’assassinat du connétable, il sollicita l’appui et l’alliance des Anglais ; il alla même beaucoup plus loin, puisqu’il leur communiqua tout un plan pour le démembrement et le partage du royaume de France. Il est très vraisemblable, en effet, que le projet copié de la main de l’évêque de Londres a vu le jour aux conférences d’Avignon et qu’il y a été discuté. Approuvé par le duc de Lancastre, il fut soumis à Édouard III, et c’est sans doute pour le convertir en un traité formel, — avec des modifications probables, mais au sujet desquelles on ne peut même pas émettre de conjectures, — que, quelques mois plus tard, un des agents du Navarrais, Colin Doublel, fut envoyé en Angleterre[49]. Malgré les protestations les plus solennelles d’Édouard III, répudiant tout concert avec le roi de Navarre[50], il semble bien qu’une entente ait existé entre eux à cette époque et qu’elle se soit faite sur les bases précédemment indiquées[51].

Au mois d’août 1355, Charles le Mauvais débarquait à Cherbourg, avec une armée, pour y recevoir le roi d’Angleterre, dont la venue était attendue[52]. Les opérations devaient commencer par la Normandie, comme le portait un article du projet. Encore une fois, le danger fut conjuré, grâce à des négociations habiles, dont Jean II prit l’initiative, grâce surtout à la défection du roi de Navarre, qui abandonna son allié pour signer le traité de Valognes (10 septembre), par lequel il obtenait pleine satisfaction[53].

La rupture de l’alliance anglo-navarraise causa une joie très vive au roi de France, qui se réconcilia avec son gendre dans une séance publique tenue au Louvre (24 septembre). Réconciliation trompeuse et éphémère, car au moment même où elle s’affirmait avec le plus d’éclat, le roi de Navarre ourdissait de nouvelles intrigues.


Les événements qui se déroulèrent au cours des années suivantes permettent sans doute de mieux pénétrer le caractère du roi de Navarre. Ils ne nous apprennent rien cependant que les négociations de 1354 et de 1355 n’aient indiqué déjà avec une suffisante clarté. Du premier coup, Charles le Mauvais donne sa mesure et se révèle tout entier, avec son ambition démesurée et ses rancunes impitoyables ; prêt à tout pour les satisfaire, à nouer des intelligences avec les ennemis du royaume, comme à y déchaîner la guerre civile. Son attitude, à la fois provocante et pleine de dissimulation, ses desseins, avoués ou secrets, ne peuvent que tenir en éveil la défiance du roi de France jusqu’au jour où un mot imprudent, un faux bruit peut-être, déterminera l’explosion d’une colère longtemps contenue.


R. Delachenal.


PIÈCES JUSTIFICATIVES.


I.
18 ?-26 janvier 1354.
La credence baillée à Gautier de Byntre de dire au Roi de Nauverre de par Monseigneur le duc de Lancastre, son cousin.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  64. — Copie du xive siècle.)


Primes, de dire quant la lettre nous vint, de lui mercier de par nous de ce q’il si fiablement nous ad requis, si come est contenuz en noz lettres de ce une partie.

Item, de dire au dit Roi coment nous sumes moult empeschéz des grantz busoignes que nous avons entre mains es parties où nous sumes, si come nous avons auxi touché en noz dites lettres en general, mes ce point volons que à lui seit declaré en especial, coment nous sumes envoié de par le Roi Monseigneur affaire nostre poair que une bonne pees soit faite entre la mier et le filz de Henaud et de Holand, et bien seit come près il nous appartient[54], et sur ce coment nous avons pris une journée ove l’une partie et l’autre, ove lour conseil et plusours de lours amis et de grantz seignurs devoient estre, et coment nous avons grant espoir que si nous y seions ils ferront bone accord entre eux si Dieu plest ; mes toutes cestes choses lessées, si nous sachons qu’il busoigne de nous, nous serons apparailléz de lui servir, et coment nous serrons à Brugges le vendredy ou le samedy proschein devant la Chandelure, pur encountrer ceux qi vendront de par le dit Roi, et sur ce nous taillerons de lui faire tout l’eide que nous purrons saunz nulle faintesie, etc.

(Le reste a été publié par Kervyn de Lettenhove, Froissart, XVIII, p. 356-357.)


II.
Évreux, 18 janvier 1354.
Lettre du roi de Navarre au duc de Lancastre.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  68. — Copie du xive siècle.)


Très cher et très amé cousin. Je vous escriz nadgaires par mes lettres coment et pur queles causes j’ay fait mourir Charles d’Espaigne, jadiz connestable de Ffrance, et vous remenoie[55] par ycelles, sur amour, lignage et tout le bien que vous me povez voulir, qu’il vous plest venir tantost à Guynes ou à Caleis au plus efforcement de genz d’armes et archiers que vous purriez, pur estre tout prest de moi eider et secourir tantost qe je le vous ferreie savoir. Si veuillez savoir, très cher cousin, qe, depuis qe mon message qui vous portoit les dites lettres est parti de moi, le Roi a envoié devers moi certaines messagers savoir si je avoueroie le fait, et je l’ai avouée plainment, disant que je en ma personne y ai esté et li fait faire (sic), et ce est verité. Si ai sceu qe pur ce le Roi me veult trop de mal et m’entent à porter damage et si ai esté avisée par aucuns mes amis qe s’il me poet tenir, soit par voie de traictié ou autrement, il me courroucera du corps et des biens, et a dit qu’il me desheritera, et touz les miens. Mais, très cher cousin, je n’en pense à garder et deffendre de tout mon povoir et ai ferme entencion de soustenir en ce mon fait contre lui et touz autres qui pur ce voudr[o]ient entreprendre contre moi, si hautment et si avant qe mon honneur y serra sauf, à l’ayde de Dieu, de vous et mes autres bons amis, et meiment de vous qui estes l’un des principals par qui je voudroie plus gouverner corps et honneur. Pur quoi, très cher cousin, je vous prie et acertes come plus puis, et si vous en requier par lignage et sur l’amour et tout le bien que vous me povez onqes vouloir, ensi come autrefoiz ai fait, que hastivement, ces lettres veues, vous vous voiliez traire es ditz lieux de Guynes ou de Calais, et illoqes vous faire et tenir le plus fort de gentz d’armes et archiers qe vous pourriez onqes à fin de venir tantost en Normandie pur moi aider prestement et secourir, ou de faire guerre par delà, quant je le vous ferrai savoir, ou si tost qe vous orrez nouvelles qe le Roi ara commencé à moi damagier. Et de ce, très cher cousin, ne me veuillez faillir, quar, à ceste feitz, en ce present fait où mon corps, mon estat et m’onneur dependent, il m’est bien mestier d’avoir l’aide de mes bons amis et de les cognoistre, et Diex sciet qe en tiel cas je ne vouldroie espargner corps ne chevance envers eux. Très cher cousin, je escris sur ceste matire à mes très chers cousins le Roi d’Engleterre et le prince de Gales, ensi come vous verrez par copie de leurs lettres qe je vous envoie cy dedeinz enclose. Si vous prie moult cherement qe mes [lettres] vous leur voulliez envoier sanz delai par un vostre message, quar il purra mieltz et plus seurement passer qe message qe jeo y envolasse. Et, très cher cousin, vous povez bien veier le busoigne qu’il en est. Si ne m’en veuilliez faillir, quar Deux sceit qe sur touz je me fie en vous de mon corps, mon honneur et mon esta. Très cher et très amé cousin, ce choses me veuillez briement rescrire vostre bonne volenté. Le Seint Esperit vous eit en sa seinte garde. Donné à Evreux, le xviiie jour de janvier.


III.
26-31 janvier 1354.
Lettre du duc de Lancastre au roi de Navarre.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  70. — Copie du xive siècle.)


Mon très cher et très amé Seignur cousin, vous plese savoir que jeo ai resceuz unez autres lettre de vous à Malyns le xxvie jour de janvier, les queles fount mencion, come fesoient les autres, de la mort du conestable, et auxi en font mencion de ma venue à Caleys et à Guynes et de ce, Seignur, vous ai-je fait respouns par vostre vadlet et un des miens, les queux sont enforméz de cestes choses et des autres à vous dire, et à moi sur ce respouns reporter à une certeine journée, si come je vous ai plus pleinement certifiez, et si soiez, très cher sire, certain qe sur les novels q’ils me reporteront de vous à la dite journée, toutes autres choses lessées, je me afforceray de tout mon coer de vous comforter et servir à mon petit poair, et, très cher sire, jeo vous merci si de coer come jeo plus puisse de ce qe vous plust si amiablement à moi vostre volunté mander et si entierment vous affier en moy, et soiez certein, très cher sire, qe je n’esparnerei ne corps, ne chevance, de vous eider et servir, ove tout mon petit poair et ove toute la haste qe je purrai, selonc les responses qe je averai de vous, et, chers sires, la cause pur quoi je ne viegne pas efforciement à Caleys, si est pur ce qe je entre autres sui jurréz à tenir les trewes, et, si je fesise guerre d’illoeqes en hors, homme purroit penser qe je ne fesise mie tout à point, car tout plein des gentz ne le saveront mie qe je le fesise pur cause de vous, et auxint ne sui-je mie bien purveu de vous servir en avant qe je ai esté en mon pays, le quel ne demande pas très grant delay, car je y serroi plus près et plus prest d’illoqes pur vous eider qe de Caleis. Et, très cher sire, vous vous veullez bien garder de ces trectéz et parlementz, car eles vous sont, come il me semble, en cas moult dotables, et est bien aparant qe par toutes les subtilitéz qe voz adversaires purront ymaginer et trover ils vous mettront devant par douces paroles et beales promesses à cele fin q’ils vous purront happer et prendre en lour laas et en lour engines, et pur ce qe vous estes garni par voz autres amis, voiliez estre bien avisez devant la main, car après vendroit l’avisement trop tard, et soiéz, Sire, ferme et de bon comfort, et ne dotez qe vous ne troverez assez des bons amis qui ne vous faudront point en ceste busoigne n’en autre uncore plus grant. Et, très cher sire, les lettres qe vous m’avez envoiéz pur mander à Monseignur le Roi d’Engleterre et à Monseignur le prince, je les ai tanttoust envoiéz. A Dieu, etc. Escript, etc.

Le ducs de Lancastre.


IV.
Évreux, 31 janvier 1354.
Le roi de Navarre au duc de Lancastre. — Lettres de créance pour Thomas de Ladit et Friquet de Fricamps.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  78. — Copie du xive siècle.)


Très cher et très amé cousin. Pur acomplir le contenu de mes autres lettres qe je vous envoiai darrainement, je envoi devers [vous] mes messages, c’est assavoir mon amé et feal chancelier mestre Thomas de Ladit et mon amé et feal chivaler Ffriguet de Ffrigua[nt], pur vous dire pleinement tout l’estat de mon fait et toute ma volunté et entencion sur ycelui. Si vous pri, très cher cousin, qe vous voill[ez] ajouter pleine foi à eux come à moi meismes et les croire en tout ce q’ilz vous dirront de par moi, car je m’affi en eux de mon honeur et de mon estat plus avant qe en gentz qe j’ai, et sur ce q’ils vous dirront veuillez faire le mielleur à vostre avis pur mon honeur, du quel certes j’ai en vous parfaite fiance. Très cher et très amé cousin, Nostre Seigneur vous eit en sa sainte garde. Donné à Evreus le darrein jour de janvier.


V.
Mantes, 1er mars 1354.
Lettre du roi de Navarre au duc de Lancastre.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  68. — Copie du xive siècle.)


Très chers et très améz cousins, vendredi xxie jour de ffeverer, partirent de nous à Mante deux de noz valletz à cheval pour aller dever vous ; et par chescun d’ycelx vous envoiasmes unes lettres contenantes entre les autres choses qe le parlement qe nous avons à Mante ovesqes les gentz de Monsegneur le Roi, il nous convenoit tenir plus long qe nous ne quidons pur certaines causes contenues en noz dites lettres, et pur ce vous escrissmes qe vostre arroi et ordenance qe vous faisez pur nous vous retardissez et aloingnissez jucques à x jours après la dimenche des Brandons, et qe dedeinz lors vous orriez senz faute certainnes et clères nouvelles de nous sur tout nostre fait. Ore est ainsi, très cher et amé cousin, qe parmy le grant travaill et bon conseil de mes dames les Reines de Ffrance[56] et de nostre très cher cousin le cardinal de Boloigne et autres pluseurs bones gentz, et auxi parmy ce qe nous avons trouvé toute rayson en Monsegneur le Roy, nous sommes à accort ovesqes lui par ainsi : qe, premier, le fait de la mort de Charles d’Espaigne, jadis connestable de Ffrance, et toutes les autres choses qui de se sont ensuiez, ou pur ce ont esté faites, il acquite et pardonne bonement à nous et à touz noz aidantz et confortantz, si come est plus au plain contenu en ses lettres donnéz sur ce, et après il nous a baillée et delivré reaument et de fait, ou duchié de Normandie, en lieux molt bien seanz à nous, les heritagez en quoi il nous estoit tenuz et auxi nous ad satisfait de toutes les sommes des deniers qu’il nous devoit. Moult d’autres bons poinz a pour nous en l’accort d’entre nous, les quels pur cause de brieté nous ne vous escrivons pas à present, mais nous vous escrivons le plus principal, si come raison est, quar certes, très cher et amé cousin, nous cognoissons molt bien l’amour, confort et bone volenté que nous avons trové prestement en vous, dont nous vous mercions très cherement, et vous promectons laiaument qe à touz jours vous nous trouverez bien prest et en grant desir de faire pur vous toutes choses qe en ce monde faire purrons et devrons par honneur, car, en verités, nous nous y reputons pur grantement tenuz. Très cher et amé cousin, nous sommes à accort ovesqes Monsegneur le Roi, si come cy dessus est dit. Si ne voudrions pur riens que souz l’ombre de nostre fait il preist aucune damage, quar vous savez q’il nous seroit tourné à si grant mal et blame qe jammés n’en serroions lavéz, et par Dieu, beau très cher pière, nous tenons fermement que vous ne le voudriez pas, ne aussi qe nous eussions reffusé rayson de Monsegneur le Roi, puis q’il la nous offroit. Pur quoi nous vous faisons savoir et prions cherement qe tout l’armée et apparaille qe fait aviez pur nous, vous laissez et deffaciez du tout, quar il n’en n’est mais mestier, Dieu mercie, et en tant come vous avez travaillé et fraié pur nous grandement, par ma foi, très cher père, tout ensi ferrons-nous pur vous de corps et de chevance, quant vous voudriez, en touz les cas qe faire purrons saunz blame. Très cher cousin, nous ne voudriens qe en la fiance de nous, ne pur nostre fait, aucune de voz gentz de par delà preissent damage, et pur ce vous faisons savoir certain qe les portz de Normandie, especialment ceux où les gentz de Monsegneur le Roi pensoient que vous pensiez mieulz descendre sont de nouvell bien grossement garniz et enforciéz de navire et des gentz. Très chers et très améz cousin, Nostre Seigneur vous ait en sa saint garde. Escript à Mante samedy vigile des Brandons.


VI.
Londres, 13 mars 1354.
Lettre du duc de Lancastre au roi de Navarre.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  64. — Copie du xive siècle.)


Très chers et très amés sir et cousins, nous avons receu voz lettres, les quelles nous vindrent mardy le xie jour de march à Londres contenuz[57], entre les autres choses, ensi come vous estes acordé et paissée au Roi vostre seignur par iiii certains pointz dont d’aucun fait me[n]cion par voz dicte lettre, la quele pais et accord nous aviens entendu par le cardinal de Bouloigne [le quel] le jour devant la présentation de voz lettres le nous signifia o aucun mos revelleus[58] poingnans sur vostre fait[59] contenans[60] en ycelles. Dou quel accord, très chers sires, certainment nous avons estée, sommes et serrons très miervilleus tant come nous vivrons, et ce n’est pas miervelle selongh c’on puet considerer es choses qui furent desrainnées[61] et aussi les mandementz premiers, mogens et dierrains, par les ii vallés à cheval. Très chers sir, vostre dierraines lettres faisant mencion dou boin accord que fait avez continnent qe vous nous scrisistes par les ii vallés à cheval qe nous deussiens tardier et soustrair nostre arroy et nostre armée jucques à x jours après la dimence des Brandons, et qe là en dedens vous nou[s] senefiere clerement la perfection de vostre fait, au quel nous disons que, — sauve la grace de vous, — ensi ne se contenoit mie ès dites lettres, les quelles li doi vallés aportèrent, ainschois parloient très clerement que coment vous feussez en parlement parmy vostre cousin le cardinal, ma dame la Roine Johanne et plusurs autres, que se melloient du fait, jà pur ce ne lassesiens que nous ne feussiens tout dis ordeinné et purveu de vous, au plus efforciement que nous purriens, venir eider et securrir, et sur ce vous escrismes les suans[62], chers cousins, par les ii messages, entre les autres choses, que nous estoions touz apparailléz, noz gentz et nostre arroy, et en ce point demourriens fermement jucques à l’eur qe vous nous manderiens (sic), et ensi avons tout dis esté à tout vc hommes d’armes et m archiers et sur le meer jucques à tant que vous nous avez mandé que vous y estes accordé. Très chers sir, ytant sachiez que nous pensons, si nous et nostre compaignie eussiens esté delés vous, vostre pais et vostre accors n’en feussent de riens amenri[63], ainschois tennons que à l’ayuwe de Diu vostre accors et vos honnurs en feussent essauchiéz, et vraiement, très chers sir, un peu sommes-nous tourblé que les parlers et les mandementz de par vous ne s’ensuient mie à effeccion d’uevre qui puisse, ne doive plaire. Biaus, très dous sir, de tant sommes joiant[64] que en nous n’a eu, s’il plaist à Diu nulle defaute, et vous prions et ramentevons à memoir d’une lettre que nous receumes de vous à Mallines, la quelle contenoit que vous aviez tout plain de boins amis qui bien vous amonestoient et enfourmoient, et par les quelles vous estiés bien garnis, que coment vous trouvessiez ou pensier trouver pais ou accors au Roi vostre seigneur, vous tenniés que eu cas la fin en menret[65] que essilh et dextruccions pur vous et pur vos amys. Ore prions Dieu que vous puissez avoir voz ditz amis bien owy et bien entendu et que vous soiez si bien garnis et enantis[66] sur vostre fait que vous n’aiez busoigne d’avoir remembrance du conselx ne des garnimentz que on vous souvent pur bien et pur honneur mis (sic) devant pendant les choses dessus dites. Nostre Seigneur vous eit en sa sainte garde. Donné à Londres, le xiiie jour de march.


VII.
Londres, 17 mars 1354.
Lettre du duc de Lancastre au cardinal de Boulogne.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  72. — Copie du xive siècle.)


Très reverent pière en Dieu et très chers sir et cousyns. Nous resceumes voz lettres le xe jour de march dierrainement passé, à Londres, entre les autres choses contenuz qe, Dieu eidant, vous serrez à la journée ordennée, et qe li Roi devers vous a ordeinné de là envoier bien souffisamment, le quel, très reverent pier, est auxi ordeiné par le Roi monseignur, qi, si Dieu plest, y envoira en tele manère qe pur cause qe par decha (sic) en serra nul faute, et pur ce qe, tant come appent, il ne plaist mie au Roi monseignur qe nous soions à la dite journée, si vous prions qe en ce nous voiliez avoir pur escusé, très reverent et très cher sir, et encore et d’abondant contenu voz lettres q’il vous est convenu hasteement entendre à apaiser aucun novellit[é], et les queles nous devions bien savoir qi estoient suvenuz entre le Roi par de là et le Roi de Navarre, la quele discension est tout apaisié, et est li Roi de Navarre dou tout venuz à obbeissance, non obstant le grant eide q’il attendoit de ceste nostre part et q’il nous convient, selonc vostre mandement enserchir un autre pertus, car cesti nous avez bien clos. Très reverent et très cher sir, il est bien voirs qe nous avons senti et entendu dou debat et de la discension dessus dit et certeinement nous esteons ordeini et touz aparailliéz bien et grossement selonc nostre leal poair pur servir le Roi de Navarre, nostre cousyn, et en ce ussons usé point de fraunchise à faire entierement ce qe ust esté son honur et son profit selonc nostre poair et avisement, et bien sachez q’il nous poise de tout nostre coer quant si bien nous avez le pertus clos et de tant come vous en estes travailliés si très ententivement, tant come pur nous ne graces ne merchis, et nounpurquant[67] sanz faille[68] tout devant ces choses nous savions des pertus qi ne sont encore clos, et les quels nous n’avons mie obliés, et sanz doute nous pensons qe comment li sens et la discrecions de vous soient molt grant vous ne poiez touz les pertues estoupper, car on dist est (et ?) vous est [connu ? ] : Soris qi ne seit c’un pertus est sovent en peril. Pur quoi, très reverent et très cher sir, à ceste journée, qi ore aproche soudainement, il fait besoins qe vous mettez très grant diligence et payne qe li pertus soient sauvement estoupé et clos, et nous prions Dieu q’il vous en doinst grace à honur et essaucement dou Roi monseignur et de touz ses amis, et Nostre Seigneur vous eit en sa saincte garde. Donné à Londres, le xviie jour de march.

Li dux de Lancastre.


VIII.
Date incertaine (déc. 1354-janv. 1355).
Projet de traité entre Édouard III et le roi de Navarre.
(British Museum, Cotton., Caligula, D. III, p. 61. — Copie du xive siècle[69].)


En noun de Dieu. Amen. Il sembleroit par manère de remembrance que pur treter de faire alliance et amour ferm[e] entre les deux seignurs [se] pourreit faire se qe s’ensuit :

Primerement, ils aideront et conforteront l’un et l’autre à tous jours mais, contre toutes persones, excepté aucune alliance faite au Roi d’Arragon, laquele demorra en sa vertue, selonc l’ordenance purparlée entre les parties.

Item, que james l’un ne puet faire pees, treves, ne accord, sanz l’autre.

Item, que ovesqes la terre que lui meinnés tient lui demorront et serront délivrés les terres qe s’ensuent :

Primes, toute la duchée de Normandie entière, c’est assavoir tout ce qe lui Rois de Ffrance tient à jour de huy et est pur recompensacion de la countée d’Angolesme et d’autres rentes plusours qe au meisné sont duz ou tresor ;

Item, touz les countés de Champaigne, Brye et de Bygorre, tieles et en l’estat q’elles estoient quant lui Rois Lois Hustins vivoit, qe elles lui appartienent par verreie succession et de son heritage ;

Item, la countée de Tholouse toute entière, ovesques toutes ses appartenances ;

Item, semblablement toute la countée de Chartres et les appartenances ;

Item, les terres de Carcassès, de Bediers, de Montpellier, d’Aigemort, jusqes as montaignes d’Arragon, de Comenges et Ffois, et d’Aigemort retournant par Bel[cayre] et par Viviers jusqes à l’autre part de la contée de Tholouse droit à Massalle, sanz riens toucher à la duchée de Guyenne auncient.

Et est assavoir qe toutes les terres dessusdites serront tenuz du Roi a un hommage et une empere, et ent ferra home les devoirs acoustuméz, excepté tant qe de la terre du contée de Bigorre lui meismes, ne lui successour ne ferront jamès point de homage, ainceis serra ajointe à touz jours au roialme de meinsné ousi franchement come il est tenu au grey de paiis.

Item, à la veve blanche serra asssis en terre pris de lui le remenant de son dowair.

Item, qe un an après ce qe lui aisnés serra coroné et peisiblement sire de Paris, Reins et de tout le roialme, ou de la plus grant partie, il paiera au meisné c mil florins d’or qe lui sont duz au tresor pur plusours arrerages.

Item, que deux anz après ce qe dit est lui aisnés paiera c mille florins à l’escu à la veve blaunche pur certeins joialx qe homme lui tient contre reson.

Item, lui deux frères de lui meisné serviront bien, et lui aisnés lour ferra bien selonc lour estat.

Et parmy les choses dessusdites et les grantz tortz et defautes qe homme ad fait à meisné et as soens il quitera et lessera à l’eisné tout le droit q’il ad ou peut avoir en la corone, et tant pur l’un droit come pur l’autre lui meisné conoistra lui aisné seignur soverain de ycele et en ferra hommage lui meisnés au terme qe serra ordoné par lui et par son piere, et ce meisme ferront tout chil qi se tenront pur le meisné et qui faire le devent, ou lui meisnés les tendra pur rebealx et pur enemis.

Et est l’entencion qe lui deux seignurs serviront et aideront l’un à l’autre à leur coust et à leur freit en conquerant tout ce qe à chescun appartient, et conqueront primerement Normandie pur le meisné, et de là treiront à Paris selonc ce qe semblera bon à l’eisné.

Et est acordée en bone foi qe à paiis ne as amis de meisné ne serra porté aucun damage par l’eisné, ne par ses gentz.

Item, qe ou cas qe lui meisné trespasseroit sanz heir de son corps avant qe toutes cestes choses serront faites et acomplies, et tout ce fait serra mis ou second frère du meisnés, et si lui second trespassoit sans heir de son corps serra mis à tierz frère, tout ensi come il est dit pur l’aisnés.

Item, qe ou cas qe les amis ou alliez, servitours ou autres eidantz de meisnés prendroient aucun damage pur son service et pur tenir sa partie, soit de terres, rentes ou autres biens et choses, l’eisné le lour rendra de la conqueste q’il ferra, et si tost come il avera conquis cose seante et proschaine à eux.

  1. Charles d’Espagne fut tué le 8 janvier 1354. (« Ce mescredi après la Thiphanie », écrit le roi de Navarre au duc de Lancastre. Voy. Kervyn de Lettenhove, Froissart, XVIII, p. 353.) La même date est donnée par les Grandes Chroniques, VI, 7 ; elle est généralement adoptée. (Chron. normande, p. 298, n. 5 ; Chronographia regum Francorum, II, 255, n. 2 ; Chron. de Richard Lescot, p. 93, n. 4.) Secousse (Mémoires pour servir à l’hist. de Charles II, roi de Navarre, etc., p. 33), et, d’après lui, Siméon Luce (Froissart, IV, p. li, n. 1) ont indiqué par erreur, au lieu du 8, le 6 janvier.
  2. J’ai utilisé, pour cet article, des documents assez nombreux conservés dans un registre manuscrit de la bibliothèque Cottonienne (Caligula, D. III). Kervyn de Lettenhove en a déjà publié quelques-uns (Froissart, t. XVIII, no  lxxxii. Documents relatifs au meurtre de Charles d’Espagne), parfois d’une façon incorrecte ou incomplète. Ceux qu’il a omis ne sont pas les moins curieux.
  3. La préméditation, qui ne ressort pas très clairement de la déposition de Friquet de Fricamps (Secousse, Recueil de pièces sur Charles II, roi de Navarre, p. 52), est établie avec toute la netteté possible par le propre témoignage de Charles le Mauvais, écrivant au roi d’Angleterre et au duc de Lancastre. (Kervyn de Lettenhove, op. et loc. cit., pièces 1 et 2.)
  4. Il y avait un lien de parenté assez étroit entre la famille royale de France et la famille de la Cerda. (Philippe VI et Alphonse d’Espagne, le père du connétable, étaient cousins issus de germains.) De plus, Charles d’Espagne avait épousé, en 1351, une petite-nièce de Philippe VI, la fille aînée de Charles de Blois. — La généalogie des la Cerda a généralement été rapportée d’une façon inexacte. Voy., sur ce point, un article rectificatif de M. H.-Fr. Delaborde, dans les Mélanges Julien Havet, p. 411-427 : Un arrière-petit-fils de saint Louis, Alfonse d’Espagne. « On devra compter désormais une génération de plus entre saint Louis et Charles d’Espagne, naguère considéré comme son arrière-petit-fils » (p. 414).
  5. Matteo Villani, lib. III, c. 95 (Muratori, XIV, col. 219-220) : « Della quale cosa il Re di Francia si turbò di cuore con smisurato dolore, e più di quattro di stette sanza lasciarsi parlare. » Froissart, éd. S. Luce, IV, p. 130-131 ; Chron. norm., p. 108.
  6. Le pape Innocent VI, qui fut pendant longtemps la dupe du roi de Navarre, ne trouvait pas d’autre consolation à adresser à Jean II que de lui conseiller la résignation, le malheur dont il gémissait étant irréparable : « Licet casus quondam Caroli de Ispania… displicuerit valde nobis, quia tamen necesse est ut scandala veniant et non possunt preterita revocari, expedire credimus, multis considerationibus persuasi, quod serenitas tua id equanimiter ferat et quadam mansuetudine benigne supportet, etc. » (Reg. Vat., no  236, fol. 29b, ad an. 1354, februarii 16. — Cité par le P. H. Denifle, la Désolation des églises en France pendant la guerre de Cent ans, t. II, 1re part. Paris, A. Picard, 1899, in-8o, p. 99, n. 5.)
  7. Kervyn de Lettenhove, Froissart, XVIII, p. 350-354. On n’a conservé que les lettres adressées à Édouard III et au duc de Lancastre. Beaucoup d’autres lettres furent expédiées par la chancellerie navarraise, soit pour justifier le meurtre commis, soit pour demander du secours contre les amis du connétable. (Secousse, Mémoires, etc., p. 33.)
  8. « Veulliez mander à vostre capitaine de Bretaigne. etc. » Le lieutenant d’Édouard III en Bretagne était alors Jean Avenel, qui avait succédé à Gautier de Bentley, et que devait remplacer Thomas de Holland. (S. Luce, Hist. de Bertrand du Guesclin, p. 121, 131.)
  9. Lettres à Édouard III (Kervyn de Lettenhove, loc. cit.) et au duc de Lancastre (la seconde inédite, mais peu différente de celle qui était adressée au roi. Voy. Pièces justif., no  II).
  10. Lettre à Édouard III : «… et certes, s’il commence (le roi de France), je lui porterai tiel damage qu’il ne l’amendera jamais. »
  11. Ibid. : « Et si ay de beaus et bons chateux en Normandie, et ailleurs, fort bien garnis et bien apparaillés… Et, très chier cousin, veuilliés savoir que tous les nobles de Normandie sont passés ovesque moi à mort et à vie… »
  12. Rymer, III, 1a p., Record edit., p. 271. — 26 janvier 1354 : « De potestate (data duci Lancastriæ) tractandi super ligis perpetuis cum Rege Navarræ. »
  13. Voy. la note précédente.
  14. Marguerite, sœur et héritière de Guillaume IV, comte de Hollande et de Hainaut, et femme de l’empereur Louis de Bavière, avait été en guerre avec son fils Guillaume V, dit l’Insensé, auquel elle avait cédé ses états héréditaires, à la charge de lui servir une pension annuelle, qui ne lui fut jamais payée. Cette guerre, après diverses alternatives, se termina par la destruction de la flotte de Marguerite, le 4 juillet 1351. Elle se réfugia alors en Angleterre, où le roi Édouard III, son beau-frère, lui offrit sa médiation. Une sentence arbitrale intervint le 7 décembre 1354, aux termes de laquelle Marguerite accorda son pardon à son fils et lui abandonna la Hollande, la Zélande et la Frise, tout en se réservant certains revenus de ces provinces. (Hossart, Histoire ecclésiastique et profane du Hainaut. Mons, 1792, 2 vol. in-8o, t. II, p. 142-147.)
  15. En supposant qu’il a fallu au messager du roi de Navarre huit jours pour se rendre à sa destination. Le duc de Lancastre dit lui-même qu’il a reçu à Malines, le 26 janvier, une lettre écrite d’Évreux le 18 du même mois. (Pièces justif., no  III.)
  16. « … un des miens (vadlets)…, » écrit le duc de Lancastre au roi de Navarre. — Déposition de Friquet de Fricamps dans Secousse, Recueil, p. 52 : « … et assez tost après vint devers ledit Roy de Navarre un escuier de cuisine du duc de Lencastre, appelle Gautier, à Évreux… »
  17. Gautier de Byntre, Wautier Byntre. Kervyn de Lettenhove imprime : Wyntre, ce qui est évidemment une mauvaise lecture. — Bintree est une paroisse du comté de Norfolk.
  18. « La credence baillée à Gautier de Byntre de dire au Roy de Nauverre de par Monseigneur le duc de Lancastre, son cousin. » (British Museum, Cotton., Caligula, D. III, no  64.) — Kervyn de Lettenhove a publié cette pièce, dont il a omis une partie importante, — tout le début, — qu’on trouvera aux Pièces justificatives.
  19. Jean de Fricamps, dit Friquet, d’une ancienne famille de Picardie, dont une branche cadette était, depuis le xiiie siècle, fixée dans la Basse-Normandie. Chevalier ; capitaine pour le roi de France en la comté d’Angoulême (1351) ; entra au service du roi de Navarre au début du règne de Jean II et à l’instigation même de ce prince. Il joua un rôle plus ou moins actif dans tous les événements auxquels son maître fut mêlé. Arrêté avec lui à Rouen, en 1356, il fut enfermé au Châtelet de Paris, mais parvint à s’évader, non sans avoir subi trois interrogatoires, en partie conservés, et qui sont une très précieuse source d’information. Le dauphin réussit à le détacher de la cause navarraise, lorsqu’il eut conclu la paix avec son beau-frère (1360), et en fit un de ses chambellans. Plus tard, après son avènement au trône, il lui accorda une pension viagère de 1 000 livres parisis pour l’indemniser des pertes qu’il avait subies en quittant le parti du roi de Navarre, redevenu l’ennemi de la couronne. Mort après 1366 et avant 1369, et non point en 1375 ou 1376. Sa femme était Marie de Vierville. Il laissa un fils surnommé également Friquet. (Bibl. nat.. Pièces orig., 125, Fricamps. — René de Belleval, Lettres sur le Ponthieu, 2e éd. Paris, Aug. Aubry, 1872, in-8o. Lettre XX. Friquet de Fricamps, p. 425-472.)
  20. Secousse, Recueil, p. 27-32 (8 février 1354).
  21. Thomas de Ladit, chantre de Chartres ; arrêté à Paris, après la mort de Marcel, et massacré par la populace, le 12 septembre 1358, au moment où il était transféré de la prison du Palais dans celle de l’évêque. (Grandes Chron., VI, 140.)
  22. Pièces justif., no  IV.
  23. Secousse, Recueil, p. 53.
  24. Jean de Bantelu (Bantalu, Banthelu), écuyer, fut arrêté à Rouen, en même temps que le roi de Navarre, et enfermé au Châtelet de Paris avec Fr. de Fricamps. (Grandes Chron., VI, 27.) Il figure sur la liste des partisans du roi de Navarre qui obtinrent, en 1360, des lettres de rémission. — Pierre de la Tannerie est sans doute le même que « Mess. Pierre de la Tavernie », mentionné dans les lettres de Jean II, confirmatives du traité de Valognes, parmi les nombreux Navarrais auxquels le roi de France accorda son pardon. (24 sept. 1355. — Secousse, Recueil, p. 582.)
  25. Secousse, Recueil, p. 53. Le passage de l’interrogatoire qui concerne G. de Bintree n’est pas clair. Il en ressort seulement que le valet de Lancastre se sépara des envoyés navarrais au moment de pénétrer en Flandre.
  26. Secousse, Recueil, p. 54 : « … et aussi qu’il deist au Roy de Navarre que il li aideroit à iic hommes d’armes et vc archers, se il avoit besoing de li… » Je crois qu’il s’agit là d’un secours personnel, mais non d’un secours immédiat, car c’est seulement en Angleterre que le duc de Lancastre pouvait trouver ces 200 hommes d’armes et ces 500 archers.
  27. Pièces justif., no  V.
  28. Ibid.
  29. Nous n’en sommes pas réduits sur ce point à des conjectures, car cette lettre du 21 février doit être celle qui est conservée dans le manuscrit Cottonien et publiée par Kervyn (p. 358-359), sous la date du 26 février. Quelle que fût la fourberie du roi de Navarre, il n’aurait jamais pu écrire une semblable lettre quatre jours après la conclusion du traité.
  30. Pièces justif., no  V.
  31. Kervyn de Lettenhove, op. cit., p. 359-360.
  32. Pièces justif., no  VI.
  33. Ibid.
  34. Il s’agit de la conférence, ou plutôt des conférences de Guines, qui aboutirent au renouvellement de la trêve pour un an (6 avril 1354). Voy. Rymer, Record édition, III, p. 276-277 : « De treugis cum Francia a data præsentium ad primum diem Aprilis proximo anno, duraturis. » — « Comme nous eions esté assemblez par pluseurs journées par devant Reverent Pière en Dieu, Monsieur Guy de Boloigne, cardinal de Pors et mediatour entre nous en ceste partie, etc. »
  35. Pièces justif., no  VII.
  36. Kervyn de Lettenhove, op. cit., p. 360-361.
  37. Le duc de Lancastre ne figure pas, en effet, parmi les commissaires anglais envoyés par Édouard III aux conférences de Guînes.
  38. Un traité d’alliance avait été conclu entre Jeanne, reine de Navarre, et Pierre, roi d’Aragon, à Conflans, près de Paris, le 27 août 1349. (Bibl. nat., Duchesne, 107, fol. 291. Copie moderne.)
  39. Je transcris textuellement ce dernier paragraphe : « Item, les terres de Carcassès, de Bediers, de Montpellier, d’Aigemort jusqes as montaignes d’Arragon, de Comenges et Ffois, et d’Aigemort, retournant par Bel[cayre] et par Viviers, jusqes à l’autre part de la contée de Tholouse, droit à Massalle, sanz rien toucher à la duchée de Guyenne auncient. » — Après Bel, il y a un trou dans le parchemin, mais la restitution Bel[cayre] paraît absolument légitime. — Le manuscrit porta Massał ; or, dans les manuscrits anglais du xive siècle, le signe abréviatif tient lieu d’une lettre ou de deux au plus (Massale, Massalle ou Massalhe). Je crois qu’il s’agit de Masseilles, Gironde, arr. de Bazas, cant. de Grignols. Cette localité, qui occupe un des points culminants du département de la Gironde (cote 147), a, en effet, très sensiblement la même latitude que Viviers (par Viviers… droit à Massalle). Elle n’a pas de passé historique ; on n’y voit aucune trace d’anciennes fortifications, et l’on peut être surpris de la mention dont elle est ici l’objet. Mais il est certain qu’au xive siècle il existait, pour la délimitation des provinces, des points de repère que nous sommes loin de tous connaître aujourd’hui. Le moine de Malmesbury, qui a établi d’une façon si précise l’itinéraire du prince de Galles dans sa chevauchée de 1356, a soin de noter, à propos d’une autre localité également peu importante (Lury, Cher, arr. de Bourges, ch.-l. de cant.), qu’elle marquait la limite du duché de Guyenne : « Postea (28 août) venit per unam antiquam villam et muratam tamen fractam, quod (quae) vocatur Lury ; ibi enim finis esse solebat ducatus de Gyen in illa parte. Postea transivit unam aquam quæ dividit ducatum et regnum Franciæ, et vocatur Cheri, et pernoctavit in villa de Virizon. » Sur le territoire de la commune actuelle de Masseilles était située l’abbaye cistercienne de Fontguillem ; c’est près de cette abbaye qu’au mois de novembre 1355 s’effectua la rentrée en Guyenne d’une partie de l’armée du prince de Galles. — Voici les formes anciennes de Masseilles que j’ai pu relever : Marsselhes (1277), Cartul. de Saint-Seurin de Bordeaux, éd. Brutails, p. 368 ; — Masseilhas (1313), Arch. hist. de la Gironde, II, 315 ; — Massailhe ; Masselhas (1316), ibid., II, 323 ; — Masselhes (1406), ibid., X, 73 ; — Massalles (1684), ibid., VII, 372 ; — Maceilles (1698), ibid., XIII, 548. — Massalle ne saurait être identifié ni avec Massais (Tarn), ni avec Massels (Lot-et-Garonne). La première de ces localités est située en plein Albigeois ; la seconde, moins connue encore que Masseilles, n’est desservie par aucune voie de communication fréquentée au moyen âge. Par « duché de Guyenne ancien », il faut entendre, semble-t-il, le duché de Guyenne des Plantagenets et y comprendre, par conséquent, l’Agenais et une partie du Périgord ; mais on aurait tort, sans doute, de trop presser un texte, où il est fort possible que Charles le Mauvais ait laissé subsister à dessein quelque équivoque, favorable à ses projets.
  40. Chron. de Froissart, éd. Siméon Luce, t. V, p. 98 : « … et donna adonc assés à entendre à ses parolles que, se il voloit calengier le couronne de France, il monsteroit bien par droit que il en estoit plus proçains que li roi d’Engleterre ne fust. » — Cf. Chronographia regum Francorum, éd. Moranvillé, t. II, p. 267-268. — Secousse, Mémoires, p. 5-6. — P. Viollet, Hist. des instit. polit. et admin. de la France, t. II, p. 70-71.
  41. Voy. la note précédente.
  42. Rymer, III, 228 (avec la date fausse du 1er août 1351). Secousse (Recueil, p. 318, n. 1) a le premier relevé cette erreur et proposé de lire : 1er août 1358. S. Luce a repris la démonstration de Secousse, qui est absolument concluante (Négociations des Anglais avec le roi de Navarre pendant la révolution parisienne de 1358. Paris, 1875, in-8o. Extrait des Mémoires de la Soc. de l’hist. de Paris et de l’Île-de-France, t. 1). La date de 1358 parait douteuse au P. Denifle. (La Désolation des églises de France, t. II, 1re part., p. 177.) On ne voit pas bien pour quels motifs elle devrait être rejetée. Je n’ai pu retrouver au Public Record Office l’original, sans doute déjà en très mauvais état, lorsque Rymer l’a publié. Il a pu disparaître depuis cette époque. Un certain nombre de pièces, de la catégorie des Diplomatic documents, sont aujourd’hui fort endommagées, pour des causes diverses, et à peine utilisables.
  43. Secousse, Mémoires, p. 47. Le comté d’Angoulême fut réuni à la couronne par des lettres du mois de mai 1354. (Op. et loc. cit., n. 4.) Cf. Secousse, Recueil, p. 42.
  44. Secousse, Mémoires, p. 47-48.
  45. Grandes Chron., VI, p. 13-14 : « Item, assez tost après, c’est assavoir environ le moys de novembre, l’an dessusdit, le roy de Navarre se parti de Normendie et s’en ala latitant en divers lieux jusques à Avignon. »
  46. Voy. la composition de cette ambassade dans Rymer, Record éd., III, p. 283. « De tractatu cum ambassiatoribus Franciæ coram Papa continuando. » (Rockingham, 18 août 1354.)
  47. Secousse, Mémoires, p. 52.
  48. Ibid. Le cardinal d’Arras est Pierre de Colombiers, successivement évêque de Nevers et d’Arras, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Susanne, et enfin évêque d’Ostie et de Velletri. Il était neveu du cardinal Pierre Bertrand. Il avait été élevé au cardinalat par Clément VI, le 26 février 1344. Innocent VI le nomma évêque d’Ostie et de Velletri en 1355. Le cardinal de Boulogne (Guy d’Auvergne, archevêque de Lyon, cardinal-prêtre du titre de Sainte-Cécile, puis évêque de Porto et de Sainte-Ruffine) était tombé en disgrâce peu de temps après le traité de Mantes, comme tous ceux qui avaient pris part aux mêmes négociations. (A. Du Chesne, Hist. de tous les cardinaux français, Paris, 1660, in-fol., p. 501, 525.)
  49. Secousse, Mémoires, p. 51. — Colin Doublel est cet écuyer qui fut mis à mort, lors de l’arrestation du roi de Navarre, pour avoir voulu porter à Jean II un coup de dague.
  50. Rymer, III, p. 329.
  51. Il est certain qu’à Avignon le roi de Navarre et le duc de Lancastre ne se bornèrent pas à un simple échange de vues. L’un des manuscrits de la Chronique de G. Le Baker de Swynebroke offre une variante intéressante que M. Maunde Thompson a donnée en note : « … Anno supranominato [1354], invocato presenti sacramento altaris, [Rex Navarre] juravit fidelitatem regi Anglie, quam dominus dux Lancastrie, apud Avinoniam, sibi securitate interposita suscepit. » Il est vrai que le chroniqueur, intervertissant l’ordre chronologique, place le serment de fidélité avant l’assassinat du connétable ; mais le fait n’en subsiste pas moins et l’erreur de date est facile à corriger.
  52. Secousse, op. cit., 51, 55.
  53. Ibid., 56-58.
  54. Ceci indiquerait que, dès cette époque, Guillaume, comte de Hollande et de Hainaut, était fiancé avec Mahaut, fille du duc de Lancastre, qu’il n’épousa, semble-t-il, qu’en 1357. (Fragments inédits de la Chron. de Jean de Noyal, publ. par A. Molinier dans l’Annuaire-Bulletin de la Soc. de l’hist. de France, 1883, p. 256.)
  55. Sic. Une erreur de transcription me paraît probable : remen[tev]oie, remen|br]oie ?
  56. Jeanne de Navarre, tante de Charles le Mauvais, veuve de Charles IV le Bel, et Blanche de Navarre, sœur de Charles le Mauvais, veuve de Philippe VI.
  57. Contenant.
  58. Vifs, piquants, ironiques.
  59. Touchant vostre fait.
  60. Contenus.
  61. Racontées, exposées, échangées. — Cf. le verbe deraisnier qui a ces divers sens.
  62. Les suivants.
  63. Amoindri.
  64. Joyeux, satisfait.
  65. Mènerait, amènerait.
  66. Nantis.
  67. Néanmoins.
  68. Sans faute.
  69. Feuille de parchemin. Hauteur moyenne : 0m262 ; largeur moyenne : 0m306.