Les Stalactites (Banville)/Préface

Les StalactitesAlphonse Lemerre (p. 5-7).
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PRÉFACE


Un immense appétit de bonheur et d’espérance est au fond des âmes. Reconquérir la joie perdue, remonter d’un pas intrépide l’escalier d’azur qui mène aux cieux, telle est l’aspiration incessante de l’homme moderne, qui ne se sent plus ni condamné ni esclave, et qui de jour en jour comprend davantage la nécessité de croire à sa propre vertu et à l’incommensurable amour de Dieu pour les créatures.

Si donc l’auteur de ce livre a chanté encore une fois, sous les divins noms que la Grèce leur a trouvés, la Beauté, la Force et l’Amour, c’est qu’il appartient éternellement à la poésie lyrique de devancer comme une aurore la philosophie humaine.

L’auteur espère que les lecteurs des Cariatides remarqueront avec plaisir dans Les Stalactites, non point un changement, mais une certaine modification de manière, qui, pour être légère, n’en est pas moins importante ; les personnes dont l’esprit noblement curieux s’attache parfois aux lentes transformations et aux progrès d’un écrivain sauront sans doute gré à l’auteur des Cariatides d’avoir, dans son style primitivement taillé à angles trop droits et trop polis, apporté cette fois une certaine mollesse qui en adoucit la rude correction, une espèce d’étourderie qui tâche à faire oublier qu’un poëte, quelque poëte qu’il soit, contient toujours un pédant.

En effet, il ne serait pas plus sensé d’exclure le demi-jour de la poésie, qu’il ne serait raisonnable de le souhaiter absent de la nature ; et il est nécessaire, pour laisser certains objets poétiques dans le crépuscule qui les enveloppe et dans l’atmosphère qui les baigne, de recourir aux artifices de la négligence. C’est le métier qui enseigne à mépriser le métier ; ce sont les règles de l’art qui apprennent à sortir des règles.

C’est surtout quand il s’agit d’appliquer des vers à de la musique qu’on sent vivement cette bizarre et délicate nécessité, et surtout encore lorsqu’il faut exprimer en poésie un certain ordre de sensations et de sentiments qu’on pourrait appeler musicaux.

Les quelques chansons et imitations de rondes populaires que contient ce volume seront, pour le lecteur, comme pour l’auteur lui-même, une préparation, un acheminement vers un nouveau livre qui aura pour titre : Chansons sur des airs connus.

L’auteur profite de cette occasion pour remercier toutes les personnes qui lui ont adressé de nombreuses marques de sympathie et quelquefois même d’admiration, trop vives sans doute, mais aussi sincères qu’il l’est lui-même en les considérant comme exagérées.


Paris, le 25 février 1846.