Précis du siècle de Louis XV/Chapitre 41

Précis du siècle de Louis XV
Précis du siècle de Louis XVGarnierŒuvres complètes de Voltaire. Tome XV (p. 418-419).
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CHAPITRE XLI[1].

DE L’EXIL DU PARLEMENT DE PARIS, ETC., ET DE LA MORT DE LOUIS XV.


Si les exils du duc de Choiseul, du duc de Pralin, du cardinal de Bernis, du comte d’Argenson, du garde des sceaux Machault, du comte de Maurepas, du duc de La Rochefoucauld, du duc de Châtillon, et de tant d’autres citoyens, n’avaient eu aucune cause légale, celui du parlement de Paris et d’un grand nombre d’autres magistrats parut au moins en avoir une.

Qui aurait dit que ce corps antique, qui venait de détruire en France l’ordre des jésuites, éprouverait, bientôt après, non-seulement un exil rigoureux, mais serait détruit lui-même ? C’est une grande leçon aux hommes, si jamais les leçons peuvent servir.

Nous avons vu[2] que, sous Louis XIV, le parlement ne fut point exilé après la guerre de la Fronde. Nous avons vu[3] que les troubles de la Fronde n’avaient commencé que par les oppositions de cette compagnie à une très-mauvaise administration des finances, et que ces oppositions, d’abord légitimes dans leur principe, se tournèrent bientôt en une révolte ouverte et en une guerre civile. Nous avons vu que, sous Louis XV, il n’y eut ni guerre ni révolte ; mais qu’une administration des finances plus malheureuse encore, jointe au ridicule de la bulle Unigenitus, occasionnèrent les résistances opiniâtres du parlement aux ordres du roi. On sait qu’il fut cassé le 13 avril 1771. Après quoi cette cour des pairs a été rétablie par le roi Louis XVI, avec quelques modifications nécessaires.

Un autre exemple de la fatalité qui gouverne le monde fut la mort de Louis XV. Il n’avait point profité de l’exemple de ceux qui avaient prévenu le danger mortel de la petite vérole en se la donnant[4], et surtout du premier prince du sang, le duc d’Orléans, qui avait eu le courage de faire inoculer ses enfants. Cette méthode était très-combattue en France, où la nation, toujours asservie à d’anciens préjugés, est presque toujours la dernière à recevoir les vérités et les usages utiles qui lui viennent des autres pays.

Sur la fin d’avril 1774, ce roi, allant à la chasse, rencontre le convoi d’une personne qu’on portait en terre ; la curiosité naturelle qu’il avait pour les choses lugubres le fait approcher du cercueil ; il demande qui on va enterrer : on lui dit que c’est une jeune fille morte de la petite vérole. Dès ce moment il est frappé à mort sans s’en apercevoir.

Deux jours après, son chirurgien-dentiste, en examinant ses gencives, y trouve un caractère qui annonce une maladie dangereuse ; il en avertit un homme attaché au roi ; sa remarque est négligée ; la petite vérole la plus funeste se déclare. Plusieurs de ses officiers sont attaqués de la même maladie, soit en le soignant, soit en s’approchant de son lit, et en meurent. Trois princesses, ses filles, que leur tendresse et leur courage retiennent auprès de lui, reçoivent les germes du poison qui dévore leur père, et éprouvent bientôt le même mal et le même danger, dont heureusement elles réchappèrent.

Louis XV meurt la nuit du 10 de mai. On couvre son corps de chaux, et on l’emporte, sans aucune cérémonie, à Saint-Denis, auprès du caveau de ses pères.

L’histoire n’omettra point que le roi, son petit-fils, le comte de Provence et le comte d’Artois, frères de Louis XVI, tous trois dans une grande jeunesse, apprirent aux Français, en se faisant inoculer, qu’il faut braver le danger pour éviter la mort. La nation fut touchée et instruite. Tout ce que Louis XVI fit depuis, jusqu’à la fin de 1774, le rendit encore plus cher à toute la France.



  1. Ajouté dans l’édition de 1775. (B.)
  2. Voyez le Siècle de Louis XIV, chapitre v, tome XIV, page 206.
  3. Voyez ibid., chapitre xiv, tome XIV, pages 183-184.
  4. Ce reproche à Louis XV de ne s’être pas fait inoculer est en contradiction avec ce que dit Voltaire ailleurs, que le roi avait eu la petite vérole à quatorze ans. Voyez l’opuscule intitulé De la Mort de Louis XV, et de la Fatalité.