Précis de la mythologie scandinave/La Régénération


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LA RÉGÉNÉRATION.

C’est ainsi que nos ancêtres se sont figuré la fin du monde, la dissolution des substances, des hommes et de la création entière. L’ordre de la nature est interrompu, les élémens se rencontrent ; Surt, le feu du ciel, le loup et le feu souterrain détruisent le serpent de Midgaard, l’image de la mer ; d’autres puissances ennemies engloutissent la terre. Mais qu’arrivera-t-il quand tout aura cessé, et que ni les dieux ni les hommes ne seront plus ? Il est dit pourtant que les hommes doivent vivre éternellement. Vala, la prophétesse divine de l’Edda, répond en continuant en ces termes : « Pour la deuxième fois je vois la terre surgir de l’océan, les torrens jaillissent, l’aigle puissant plane au-dessus du rocher prêt à fondre sur sa proie ; les champs donnent en abondance sans avoir été semés, tout ce qui était souillé s’est purifié. Balder revient ; il occupe avec Hoeder les palais abandonnés des dieux succombés. Vidar et Vale, fils d’Odin, ont survécu à ce sinistre ; ni la fureur de la mer ni l’intensité des flammes de Surt ne leur ont porté atteinte ; avec Modne et Magne, progéniture de Thor, ils occupent les siéges sacrés d’Asgaard, et s’entretiennent en parlant toujours de l’horrible événement dont ils ont été témoins. En se rappelant le loup et le serpent, ils retrouvent dans l’herbe les pions d’échecs en or, dont se servaient autrefois les dieux à l’origine de l’univers. Avant d’être englouti par le loup, le soleil avait donné naissance à une fille, qui suit le cours céleste de sa mère, plus radieuse encore que son origine. »

Un couple s’était caché pendant que ravageait le feu de Surt ; la rosée du matin leur avait servi de nourriture ; de leur réunion sortit la nouvelle géniture de la race humaine. L’œil clairvoyant de Vala découvre un édifice, plus rayonnant que l’éclat du soleil ; il porte le nom de Gimle, et c’est là la demeure pleine de félicité des vertueux. Mais s’il y a un endroit de béatitude, il doit bien y avoir aussi un endroit de correction pour les méchans ; cette sombre demeure s’appelle Nastrond. Les portes de l’édifice donnent sur le nord ; le toit en est couvert de serpens tournant les têtes en dédans, et vomissant leur venin dans la salle. Les parjures, les assassins, les séducteurs, ceux qui ont calomnié leur prochain marchent dans ces torrens immondes. Du haut des airs viendra alors le tout-puissant qui décidera de tout, et prononçant les jugemens décisifs, il assoupira les querelles et fera émaner des lois qui dureront éternellement.

Mais une dernière vision se présente encore à l’aspect de Vala, car elle voit disparaître le serpent qui suçait les cadavres des méchans à Nastrond. C’est ici que s’arrête la prophétesse inspirée ; elle aussi disparaît, après avoir dit ce qu’elle savait, et tout rentre dans un silence solennel.


Faut-il ajouter quelque chose de plus ? Ces paroles éloquentes ont-elles besoin de commentaires ? Est-il possible que l’on puisse méconnaître la signification de ces tableaux ? Le monde et tout ce qu’il renferme, doit finir, mais non les principes. La résurrection de quelques-uns des dieux et non de tous, nous l’indique. Odin et Thor ne sont plus ; leur existence finit avec le monde, dont ils représentaient les forces motrices, les dieux de tout ce qui s’y développait et se remuait, enfin de tout ce qui avait de l’existence. Mais Balder et Hoeder sont revenus de Hel ; la lumière et l’obscurité doivent rester éternellement, mais sans plus se disputer l’ascendant ; toute différence a cessé, elles se ressemblent au contraire, car ni l’un ni l’autre n’ont plus rien de substantiel ; elles ne représentent que la base, le principe, l’espace, l’extension. Les deux êtres humains qui ont survécu à l’anéantissement, procréent une race nouvelle ; que nous faut-il de plus pour nous persuader que ni les hommes, ni la nature ne s’effaceront jamais, pour savoir qu’ils appartiennent à l’éternité ? Le grand jugement, où le bien et le mal se rangent chacun de son côté, où tout ce qui ne s’accorde pas sera séparé, l’Edda ne l’oublie non plus. La récompense est éternelle ; mais la punition, l’est-elle aussi ? Voilà la question. Mais si la lumière et l’obscurité se font la paix, que le jour et la nuit se marient, et que Balder et Hoeder s’embrassent, il faudra bien que le mal soit englouti dans la source intarissable du bien.

S’il y a un état transitoire, une purification — et les puissances conciliatrices nous en offrent la garantie — il faudra bien alors que la purgation soit complète. Nous autres, qui sont imbus de l’esprit saint du Christianisme, nous connaissons la joie du ciel d’un pécheur pénitent ; nous connaissons le dieu miséricordieux qui ne veut point qu’un seul d’entre nous soit perdu, le Tout-puissant, dont la main sait frapper et saisir, l’idéal de l’amour charitable, qui sait tirer une larme repentante du cœur le plus endurci. Nous n’ignorerons point pourquoi le serpent de la punition disparaît, car tout ce qui est obscur doit s’éclaircir aux rayons dorés de la lumière éternelle.

« Réjouis-toi de ce que tu viens d’entendre ? » lui dirent-ils enfin. Là-dessus s’élève un grand bruit, et le roi, regardant autour de lui, se voit transporté dans la plaine, où il n’y a plus ni château, ni salle de Valhalla.

Il retourne dans son royaume où il raconte ce qu’il venait de voir et d’apprendre, et ces récits se sont conservés en passant de bouche en bouche.

Tel est le cadre spirituel qui entoure la mythologie de l’Edda prosaïque. L’édifice et la salle de Valhalla à toit doré ont disparu ; mais les mythes qui nous racontent des dieux puissans, se transmettront d’une génération à l’autre, comme un héritage vénérable et précieux de l’antiquité.