Le sexe futur

Comment on arrive à savoir si ce sera une fille ou un garçon. — L’art de mirer les femmes enceintes par les rayons X. — Surprenante découverte de la science

Je me rends un compte très exact de la délicatesse du sujet que j’ai à traiter aujourd’hui ; mais je le ferai avec toute la circonspection désirable, de manière à ne choquer les susceptibilités d’aucune de mes lectrices et, d’un autre côté, je ne me suis pas cru le droit de me taire devant l’intérêt supérieur et auguste de la science qui commande impérieusement à ses fidèles, dans l’intérêt même de l’humanité, de vulgariser les grandes découvertes de cette aurore du vingtième siècle. Ceci dit, non pas pour plaider les circonstances atténuantes, mais simplement pour rassurer tout le monde, je rappellerai simplement comment j’ai déjà eu, à cette même place, l’honneur de raconter comment un groupe d’hommes, dextres et expérimentés, exerçaient aux halles de Paris le métier aussi lucratif que distingué de mireurs d’œufs.

Tout en écrivant simplement l’histoire de leur honorable corporation, je m’étais déjà dit vaguement, sans chercher à pénétrer au fond de la question :

— Tiens, tiens, tiens, mais si l’on appliquait ce système aux femmes enceintes, il me semble qu’il y aurait là un bien joli moyen de savoir, avant la lettre, si j’ose m’exprimer ainsi, si les heureux parents auront un garçon où une fille… et puis emporté par le torrent des occupations journalières, j’avais pensé à autre chose et je n’avais pas eu le temps, comme je le disais tout à l’heure, de creuser une idée encore vierge.

Mais voilà que tout à coup, comme il arrive toujours lorsque l’on est destiné à faire une grande découverte, un beau jour je fus ramené à mon sujet par la petite note suivante que je lus dans un journal :

« L’électricité a été employée pour déterminer, à l’aide des rayons X, le sexe des chrysalides des vers à soie, à travers les cocons, ce qui permet d’obtenir le pourcentage voulu des mâles pour chaque ponte. L’existence des œufs se manifeste sur les radiographies obtenues par une ombre pointillée, tandis que les chrysalides mâles restent presque transparentes. »

Cette fois, ça y était, je n’avais plus à hésiter un instant et je me trouvais bien sur la trace d’une des découvertes les plus ingénieuses, sinon des plus importantes de ce nouveau siècle.

Comme il me fallait un vaste champ d’expérience et, en même temps, sous la main de nombreuses femmes dans une position intéressante pour pouvoir braquer sur leur abdomen ma lunette humaine, je pensais tout d’abord à m’adresser aux autorités médicales et scientifiques de mon pays pour obtenir la permission de pénétrer dans les hôpitaux et établissements plus ou moins de maternité, mais je ne tardai point à me convaincre qu’avec notre administration rondecuiresque, il me faudrait au moins trois ans de démarches, avant d’obtenir la permission et c’est pourquoi je me suis adressé tout uniment aux grands établissements hospitaliers des trois petites républiques de Libéria, du Val d’Andorre et de Saint-Marin. Là on m’a ouvert, tout de suite, toutes grandes les portes à deux battants et j’ai pu — point capital — commencer mes expériences sur la race noire à Libéria et sur la race blanche à Andorre la vieille et à San-Marino.

Tout le monde sait, depuis les immortels travaux d’Eickel, le plus illustre disciple de Darwin et par conséquent du grand précurseur Lamarck qui était un français, sur l’embryogénie et l’embryologie comparées, que le fœtus pendant les premiers mois de la gestation, apparaît absolument comme un têtard de grenouille, avec un appendice caudal qui va se raccourcissant et qui ne disparaît que dans les derniers mois de la grossesse ou plutôt à la veille en quelque sorte de l’accouchement.

Cependant pour être juste, il convient de rappeler que cette série de phénomènes avait été observée dès la plus haute antiquité, à telle enseigne que dans une foule de théogonies et en Égypte particulièrement, on racontait comment les hommes primitifs étaient sortis du limon du Nil et descendaient des poissons.

C’était bien là la théorie du Darwinisme avant la lettre, ce qui prouve bien qu’il n’y a rien d’absolument nouveau sous le soleil. Mais ces explications rétrospectives et nécessaires étant données, je reviens à mes expériences, c’est-à-dire à mon sujet.

Aussitôt que le fœtus perd son apparence de têtard pour prendre enfin celui d’une petite ébauche humaine, encore qu’incertaine et maladroite, c’est-à-dire vers le milieu de la gestation, armé de ma lorgnette humaine, c’est-à-dire de l’appareil bien connu qui utilise les fameux rayons Rœntgen ou X, j’arrive subito à savoir de quel sexe est l’enfant que porte la mère dans ses entrailles. Comme vous le voyez, c’est simple comme tout ; il s’agit seulement d’avoir assez de dextérité pour ne pas brûler la peau du ventre de la patiente avec les fameux rayons invisibles, ce qui arrive si l’on ne place pas son instrument à la distance voulue ou si le temps de pose est trop prolongé !

Mais avec un peu d’habitude on ne se trompe jamais, au grand jamais et les résultats obtenus sont toujours certains, mathématiques, scientifiques.

On me permettra de ne pas insister ici sur les détails par trop techniques peut-être pour les jeunes personnes qui me liront, comment on arrive à distinguer de suite si l’on se trouve en face d’une fille où d’un garçon ; il suffit qu’on le sache et c’est tout et je n’en veux pas dire davantage ici.

Mais enfin du moment qu’une femme est enceinte, avec les rayons X et au bout de quelques mois de grossesse, je puis lui indiquer à coup sûr le sexe de son enfant.

Sans doute c’est admirable, c’est beaucoup, c’est tout, direz-vous ? Pardon, ce n’est pas tout et c’est là où ma découverte devient vraiment utile à la pauvre humanité, car non-seulement j’indique à coup sûr le sexe du futur bambin mais j’indique avec la sûreté du diagnostic scientifique les jumeaux avec leur sexe respectif, quand il y en a deux et même quand il y en a trois, ce que l’on appelle alors des trumeaux !

Et c’est à ce moment qu’apparaît le côté vraiment humanitaire et supérieur de ma découverte, car la malheureuse mère qui vivait sur la foi des traités, avec l’espérance d’un poupon, est tout à fait enchantée, sinon d’avoir deux gosses, comme à l’Ambigu, du moins de savoir qu’elle doit préparer de suite deux layettes pour deux petits voyageurs qui vont faire leur entrée dans le monde et dont par surcroît, on lui indique les sexes !

Oui, mes chers lecteurs, voilà la belle découverte que je viens de faire, après de nombreuses expériences réalisées aux Maternités des trois républiques de Libéria, d’Andorre et de Santo-Marino et j’ai tenu à vous en exposer ici toute la genèse, c’est bien le cas de le dire.

Enfin je suis à la disposition de mes aimables lectrices qui se trouveraient dans une situation intéressante et voudraient bien savoir si ça sera un garçon ou une fille ou… s’ils seront deux ! J’ajoute que la chose se fait avec la plus grande décence, même à travers les vêtements, si on le désire. La pose est un peu plus longue et voilà tout.

Il faut avouer que les progrès de la science sont infinis et que c’est souvent le hasard où un enchaînement bizarre de circonstances qui arrivent à vous mettre sur la trace d’une grande découverte. Pour moi, j’avoue, sans fausse modestie, que je suis fier de la mienne, parce que j’ai la conviction profonde qu’elle va rendre de grands services à l’humanité et que je vais être béni par toutes les jeunes mères des points les plus reculés du globe !