Poésies nouvelles (Tastu)/Lafayette. À la jeunesse de France

Poésies nouvellesDidier, Libraire-Éditeur (p. 271-277).

LAFAYETTE.


À la Jeunesse de France.
La plus courte façon d’arriver à la gloire, ce serait de faire pour la conscience ce que nous faisons pour la gloire.
Montaigne.


Providence de Dieu, calme dans les tempêtes !
Providence de Dieu, repos des cœurs troublés !
Toi, dont le souffle abaisse et relève nos têtes,
Comme un vent orageux le front pliant des blés ;
Si, selon mon espoir, sur ton œuvre éphémère,
Tu jettes un regard d’éternelle pitié,
Si tu veilles sur nous, comme une tendre mère
Sur son enfant qui souffre et se plaint à moitié ;
Comme autant de flambeaux, si ta main tutélaire
Alluma ces grands noms qui brillent devant nous :
Eussions-nous mille fois encouru ta colère,
Providence de Dieu, ne les éteins pas tous !
Tels qu’aux jours pénitens, où les cierges funèbres
Avec les saints versets expirent tour à tour,
Ceux qui jettent encor leurs clartés à l’entour
Vont disparaître !… alors, Seigneur, quelles ténèbres !
Que dis-je ? en vain la mort laisse les rangs ouverts,
Déjà pour les remplir, une ardente jeunesse
À grand bruit nous pousse et se presse,
Pareille au flot grondant des mers.

Chacun, sans borne et sans mystère,
Bâtit son rêve ambitieux :
« — Comme Cuvier : à moi la Terre !
— Comme Laplace : à moi les Cieux ! »
Le vertige qui les tourmente,
Dans leur âme caché, fermente,
Ou s’aigrit d’un stérile effort,
Et leur orgueil malade envie
À Goethe ses chants et sa vie,
À Byron ses chants et sa mort !

Mais si le Créateur, dans leur être fragile,
S’est montré ménager de la sublime argile,
Que de songes déçus ! que d’amers désespoirs !
Pas un pied qui vous suive, une voix qui vous nomme,
Et le dédain vous prend de n’être qu’honnête homme
Devant tant d’immenses pouvoirs !

Alors, sur leur main désarmée,
Ils baissent des yeux affligés,
Et devant la lice fermée,
Croisent leurs bras découragés !
Déchus d’une illustre fatigue,
Il n’est plus que l’or, ou l’intrigue
Pour effacer ce souvenir :
La jeune âme qui s’en dépouille,
Embrasse un présent qu’elle souille,
En désespoir de l’avenir.

Regardez, regardez ce cortège civique,
Et tel qu’un mort royal l’espérerait en vain,

Où la vieille Pologne, et la jeune Amérique,
Et la France virile, et l’Italie antique,
Marchent en se donnant la main !

Trouvez-vous, jeunes gens qu’un noble espoir appelle,
Ces honneurs assez grands, cette palme assez belle ?
Est-il aucun de ceux qu’on y vit accourir
Qui n’ait dit : À ce prix je voudrais bien mourir !

De ce que suit le peuple, et que la foule encense,
Qu’emporte ce cercueil ? ou Génie, ou Puissance ?
Celui que son vœu seul dérobe au Panthéon
Avait-il manié, pour émouvoir la terre,
Le pinceau de David, la plume de Voltaire,
Le glaive de Napoléon ?

Sa bouche a-t-elle à la tribune
Conquis un éloquent laurier ?
A-t-elle égalé la fortune
De Foy, notre orateur guerrier,
Quand sa phrase brève et coupée,
Comme l’éclair de son épée
Nous frappait d’un trait éclatant ?
Ou cette parole profonde,
Qui coulait limpide et féconde
Des lèvres pâles de Constant ?

Non ; mais sa voix, son bras, sa vie et sa richesse,
À ses convictions ensemble dévouées,
Ont servi de concert les dieux de sa jeunesse,
Sans que nul de ses jours les ait désavoués !

Providence de Dieu, sois à jamais bénie,
Ô toi qui promis tout à qui sait tout quitter,
De tenir une fois ta promesse infinie,
Pour que ta créature y pût toujours compter !
Des dons que tu nous fais, pour compléter la somme,
Tu permets aujourd’hui que ce nom d’honnête homme
Des deux moitiés du monde, en écho répété,
Ait suffi pour fonder une immortalité.

Honnête homme ! ce mot étranger à la lyre,
Ne provoquera plus un dédaigneux sourire,
Grace à ce noble appui, dont l’éclat protecteur
Lui rendit tout son lustre et toute sa hauteur !

D’un pas toujours égal, sur un chemin pénible
Marcher, l’âme sereine et le front impassible,
Dans un mépris commun, en face du devoir,
Envelopper la mort, l’argent et le pouvoir ;
Comme l’astre immobile, où s’incline le globe,
Même alors qu’un nuage à nos yeux le dérobe,
Inébranlable au poste où l’honneur l’appela,
À toute heure et par tous faire dire : Il est là !
Puis, après tant d’efforts, batailles acharnées,
Non d’un jour, ni de trois, mais de quarante années,
Vainqueur, sacrifier, au terme de ses jours,
Jusqu’au rêve doré, ses premières amours ;
S’être vu par deux fois, objet d’idolâtrie,
Salué par les cris d’une double patrie ;
Si l’orgueil est permis, c’est là qu’il vous attend ;
Qu’en dites-vous, jeunesse ?… Il n’en eut pas pourtant !
 

Providence de Dieu, surveillante assidue,
Qui prêtes ta lumière à chacun de nos pas,
Qui mesures le vent à la brebis tondue,
Qui soutiens la faiblesse et ne la punis pas,
À tous ces jeunes cœurs, avides de mémoire,
N’est-ce pas toi qui tends cet appât de la gloire,
Comme un hochet bruyant dont leur âge a besoin ?
Car tu sais que pour eux le temps est encor loin,
Où, cessant de chercher un frivole refuge,
On devient à soi seul son témoin et son juge.

Nous, mortels inquiets, dans notre anxiété,
Nous demandons peut-être un progrès trop hâté !
Pour l’attendre avec toi, céleste patience,
L’homme a si peu de temps et si peu de science !
Pardonne !… heureuse encor, si de faibles écrits
Avaient quelque pouvoir sur ces bouillans esprits,
Et si, désabusé d’une vaine chimère,
Chacun d’eux à ma voix croit entendre sa mère !