Théophile Berquet, Libraire (p. 178-188).

AIRS.


Aimables habitans de ce naissant feuillage,
Qui semble fait exprès pour cacher vos amours,
Rossignols, dont le doux ramage
Aux douceurs du sommeil m’arrache tous les jours,
Que votre chant est tendre !
Est-il quelques ennuis qu’il ne puisse charmer ?
Mais, hélas ! n’est-il point dangereux de l’entendre
Quand on ne veut plus rien aimer ?



Iris sur la fougère,
Dans un pressant danger,
À son téméraire berger
Disait tout en colère :
Qu’est devenu, Tircis, cet air respectueux
Qui d’un parfait amant est le vrai caractère ?

Entre deux cœurs, dit-il, brûlés des mêmes feux,
Il est certains momens heureux
Où, ma bergère,
Il ne faut qu’être amoureux.



Triomphez, aimable printemps,
Du long et triste hiver qui désole nos champs ;
Et redonnez à nos bocages,
En faveur des heureux amans,
De verts gazons, d’épais feuillages.
Qu’une agréable nuit règne au milieu du jour,
Et cachez les tendres mystères.
Revenez, hâtez-vous. Hélas ! votre retour
Est peut-être attendu par cent jeunes bergères.



Qu’est devenu cet heureux temps
Où le chant des oiseaux, les fleurs d’une prairie
Et le soin de ma bergerie
Me donnaient de si doux momens ?
Cet heureux temps n’est plus, et je ne sais quel trouble
Fait que tous les plaisirs sont pour moi sans douceur.

J’ignore ce qui met ce trouble dans mon cœur :
Mais auprès d’Iris il redouble.



L’aimable printemps fait naître
Autant d’amours que de fleurs ;
Tremblez, tremblez, jeunes cœurs.
Dès qu’il commence à paraître
Il fait cesser les froideurs ;
Mais ce qu’il a de douceurs
Vous coûtera cher peut-être.
Tremblez, tremblez, jeunes cœurs ;
L’aimable printemps fait naître
Autant d’amours que de fleurs.



Doux transports, trouble dangereux,
Que dans mon jeune cœur un tendre amour fait naître,
Vous n’oseriez paraître.
Hélas ! pourquoi faut-il qu’un devoir rigoureux
Fasse perdre à l’Amour tant de momens heureux !



Ne pourrais-je donc point connaître
Quel est ce redoutable Amour,
Qui de mon jeune cœur un jour,
À ce qu’on dit, sera le maître ?
Ce berger si charmant, si beau,
Qui sous nos chênes verts tous les soirs vient m’attendre,
Et qui connaît quelle herbe est propre à mon troupeau,
Ne pourrait-il point me l’apprendre ?



Alcandre, ce héros charmant,
Ne paraît plus sensible à mon amour fidèle ;
Il court, sans l’écouter, où la gloire l’appelle ;
Il préfère au plaisir d’être aimé tendrement
Les périls où conduit cette gloire cruelle.
Ah ! que de pleurs coûte un amant
Qu’il faut partager avec elle !



Tandis que vous êtes belles,
Des cœurs soumis et fidèles
Écoutez les doux soupirs ;
Riez, charmante jeunesse,

Des leçons que fait sans cesse
Contre les tendres désirs
La raison aux airs sévères.
Hé ! sont-ce là ses affaires ?
Se connaît-elle en plaisirs ?



Suivi des rossignols, des zéphyrs, des amours,
Et couronné de fleurs nouvelles,
Le printemps ramène toujours
Les plaisirs avec les beaux jours :
Mais, hélas ! ce n’est plus pour les amans fidèles.



Dans un bois sombre et solitaire
Iris seule avec son berger
Sentit que, s’il osait devenir téméraire,
Elle courait un grand danger.
La charmante couleur qu’un peu de honte attire
Sur son beau teint se répandit ;
Et le berger entendit
Ce que sa rougeur voulait dire.



La campagne a perdu les fleurs qui l’embellissent,
Les oiseaux ne font plus d’agréables concerts,
Les bois sont dépouillés de leurs feuillages verts :
N’est-il point encor temps que mes craintes finissent
Qui peut empêcher le retour
De ce jeune héros si cher à ma mémoire ?
Hélas ! n’a-t-il donc point assez fait pour la gloire
Et ne doit-il rien à l’amour ?



Que vous êtes longs à venir,
Momens heureux pour un cœur tendre,
Momens dont mon berger devait se souvenir !
À vos douceurs, hélas ! ne dois-je plus prétendre ?
Non. Ce beau jour s’en va finir,
Chacun dans son hameau déjà songe à se rendre.
Que vous êtes longs à venir,
Momens heureux pour un cœur tendre,
Momens dont mon berger devait se souvenir !



Charmans échos de ces bocages,
Et vous, belle nymphe aux cent voix,

Publiez à l’honneur du berger qui m’engage
Que ses propres rivaux, sous ces sombres feuillages,
Charmés de ses vertus, ont approuvé mon choix.



Pourquoi revenez-vous, printemps ? qui vous rappelle ?
Le chant des rossignols et leurs tendres amours
Redoublent ma douleur mortelle.
Que le cruel hiver ne durait-il toujours !
Tircis, hélas ! Tircis est infidèle :
Hé ! qu’ai-je affaire de beaux jours ?



Vous revenez suivi de Zéphyre et de Flore ;
La terre sur vos pas s’embellit chaque jour :
Mais, hélas ! beau printemps, vous n’êtes pas encore
Celui qui doit couronner mon amour.
Depuis long-temps mon cœur, ma raison, tout l’appelle.
Il fait lui seul mes plus tendres désirs ;
Et sans lui la saison nouvelle
Ne peut être pour moi la saison des plaisirs.



Dans ces lieux rêvons à loisir
Rien n’y peut troubler le plaisir
De penser au berger que j’aime.
Hélas ! que ce berger charmant
Ne pense-t-il à moi de même !
Qu’il y penserait tendrement !



Venez, petits oiseaux, sous ces charmans ombrages,
De mon Iris annoncer le retour ;
Venez célébrer un amour
À qui le temps ne peut faire d’outrages.
Pour rendre mon bonheur plus doux,
Quand vous aurez admiré cette belle,
Agréables témoins de notre ardeur fidèle,
Partez, volez, séparez-vous,
À mes jaloux rivaux portez-en la nouvelle.



Charmante aurore, enfin vous voilà de retour,
Le soleil va briller d’une clarté nouvelle.
Flatteur espoir de mon amour !
Je reverrai dans ce beau jour

Tircis encor plus tendre et plus fidèle :
Espoir flatteur pour mon amour !



Cessez de m’agiter et la nuit et le jour,
Transports que je crains de connaître ;
Tircis qui vous fait naître
N’asservira jamais ma raison à l’amour :
Mon devoir malgré lui sera toujours le maître.
Fuyez, mais fuyez sans retour ;
Mon cœur en gémissant vous défend de paraître ;
Fuyez, mais fuyez sans retour.



Non, non, je ne suis plus à plaindre :
Mon cœur est tout à moi ; je le sens de retour,
Délivré du beau feu que la mort seule un jour
Se flattait de pouvoir éteindre.
De tes enchantemens, hélas ! cruel Amour,
Ce malheureux n’a donc plus rien à craindre !



Venez, venez à mon secours,
Faible raison qu’en vain j’appelle.
Tircis, suivi des plus tendres amours,
De mon cœur malgré moi vous va faire un rebelle ;
Pour faire qu’il vous soit fidèle,
Venez, venez à mon secours,
Faible raison qu’en vain j’appelle.



Les aquilons par leurs ravages
Détruiront-ils toujours les beautés du printemps ?
Ne reverrons-nous plus dans nos charmans bocages
Les innocens plaisirs conduits par les amans ?
Non, non, la saison dégénère :
Les ris, les jeux, les folâtres amours,
De dépit et d’effroi retournés à Cythère,
Ont quitté nos champs pour toujours.



Charmans échos de ces bocages,
Et vous, belle nymphe aux cent voix,
Publiez à l’honneur du berger qui m’engage

Que ses propres rivaux, sous ces sombres feuillages,
Charmés de ses vertus, ont approuvé mon choix.



Non, rien ne peut égaler mon ennui :
J’aime depuis long-temps un berger qui m’adore,
Et de ma tendresse aujourd’hui
Ce charmant berger doute encore.
Hélas ! peut-il douter que mon cœur soit à lui,
Quand, malgré tous mes soins, personne ne l’ignore ?
Non, rien ne peut égaler mon ennui.



Tu m’arraches à ce que j’aime,
Affreuse nuit, précipite ton cours.
Contre tes horreurs sans secours
Je succombe, cruelle, à ma douleur extrême.
Hé quoi ! dureras-tu toujours ?
Tu m’arraches à ce que j’aime ;
Affreuse nuit, précipite ton cours.