Théophile Berquet, Libraire (p. 152-154).

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Ballade.

À Caution tous amans sont sujets :
Cette maxime en ma tête est écrite.
Point n’ai de foi pour leurs tourmens secrets ;
Point auprès d’eux n’ai besoin d’eau bénite ;
Dans cœur humain probité plus n’habite.
Trop bien encore a-t-on les mêmes dits
Qu’avant qu’Astuce au monde fût venue :
Mais pour d’effets, la mode en est perdue.
On n’aime plus comme on aimait jadis.

Riches atours, tables, nombreux valets,
Font aujourd’hui les trois quarts du mérite.
Si des amans soumis, constans, discrets
Il est encore, la troupe en est petite.
Amour d’un mois est amour décrépite.
Amans brutaux sont les plus applaudis.
Soupirs et pleurs feraient passer pour grue.
Faveur est dite aussitôt qu’obtenue.
On n’aime plus comme on aimait jadis.


Jeunes beautés en vain tendent filets ;
Les jouvenceaux, cette engeance maudite,
Fait bande à part ; près des plus doux objets
D’être indolent chacun se félicite.
Nul en amour ne daigne être hypocrite ;
Ou si parfois un de ces étourdis
À quelques soins s’abaisse et s’habitue,
Don de merci seul il n’a pas en vue.
On n’aime plus comme on aimait jadis.

Tous jeunes cœurs se trouvent ainsi faits.
Telle denrée aux folles se débite.
Cœurs de barbons sont un peu moins coquets ;
Quand il fut vieux le diable fut ermite ;
Mais rien chez eux à tendresse n’invite.
Par maints hivers désirs sont refroidis.
Par maux fréquens humeur devient bourrue
Quand une fois on a tête chenue.
On n’aime plus comme on aimait jadis.

ENVOI.

Fils de Vénus, songe à tes intérêts ;
Je vois changer l’encens en camouflets :
Tout est perdu si ce train continue.

Ramène-nous le siècle d’Amadis.
Il t’est honteux qu’en cour d’attraits pourvue,
Où politesse au comble est parvenue,
On n’aime plus comme on aimait jadis.