Poésies de Benserade/Contre une Laide

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 42-45).

Contre une Laide.

STANCES.


Bien que nous soyons seuls, vôtre crainte est frivole,
Fiez-vous-en à mon respect :
Ne tremblez point, cruelle, et que je vous cajole
Sans que mon feu vous soit suspect.

Vous n’êtes pas trop laide, et nature un peu chiche
Vous a traitée honnêtement.
Mais avec tout cela, si vous n’étiez point riche,
Où trouveriez-vous un amant ?

Vos yeux au gré des miens ont une foible amorce,
Et ne versent qu’un jour obscur ;
Je pense, toutefois, qu’ils ont beaucoup de force,
Mais c’est que je suis un peu dur.

Que sçait-on si jamais vous n’allumez de flâmes,
Et ne plaisez à d’autres goûts ?
Cependant, je m’accorde avec toutes les femmes,
Et je tiens mon cœur contre vous.

Vôtre bouche en riant fait que mon nez rechigne
Du noir désordre de vos dents,
Sans que je leur impute une vapeur maligne
Qui vient peut-être du dedans.

J’aime sur vôtre front cette guerrière audace
Où l’on voit l’amour en courroux :
Et ce poil tout brûlé vous sert de bonne grace,
Puisqu’il vous sert sans être à vous.

Parmy vos agrémens, nature désavouë
Une si gluante splendeur,
Et ce rouge acheté, qui dessus vôtre jouë
Fait l’office de la pudeur.

Vous n’avez bras, ni mains, teint, ou lèvres vermeilles ;
De gorge, il ne s’en parle point :
On se mocque chez vous de ces riches merveilles
Et de jeunesse et d’embonpoint.

Aussi tant de beauté n’est pas un avantage
Qui serve d’un grand ornement :
Si vous n’êtes pas belle, au moins êtes-vous sage
Ou la serez incessamment.

Une belle se damne ; on la presse, on l’enflâme,
On fait contre elle cent efforts :
Afin de vous sauver, le Ciel a mis vôtre âme
En sûreté dans vôtre corps.

Ce sera pour vos biens, si l’on vous importune ;
Et si quelqu’un vous aime un jour,
Afin de le blesser, il faut que la Fortune
Dérobe des traits à l’Amour.

Si le cœur vous en dit, et si vôtre âme goûte
Les appas d’un si doux péché,
Achetez un galand : quelque cher qu’il vous coûte,
Vous aurez toûjours bon marché.

Vous le verrez tout bas, demandant son salaire,
Soûpirer d’un ton obligeant ;
Quelque chétif qu’il soit, s’il travaille à vous plaire,
Il gagnera bien son argent.

Qu’il sera malheureux, s’il faut qu’il se propose
D’acquérir l’esprit par le corps !
L’amour qu’on vous témoigne est une étrange chose.
Quand le respect en est dehors.

Quelques vœux qu’en secret un amoureux vous offre,
Encore qu’il vous presse bien,
Prenez garde à la bourse, et fermez vôtre coffre ;
Aprés cela, ne craignez rien.

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