Poésies de Benserade/À Mademoiselle de Brionne

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 95-98).



À Mademoiselle de Brionne.

STANCES.


Quel sentiment jaloux d’un état si parfait
Veut que vôtre repos dans un cloître se fonde ?
Pourquoi haïssez-vous le monde,
Philis, hé que vous a-t-il fait ?

Il vous a présenté ce qu’il a de plus doux,
Lorsque vous luy faisiez une plus rude guerre,
Et de tous les cœurs de la terre,
Pas un n’a tenu contre vous.

Vous ne pourrez de guère être plus près des cieux,
Quand sur cette hauteur vous serez élevée,
Et n’en serez pas mieux sauvée ;
Mais vous nous en damnerez mieux.

Plus on se tient couvert, plus on est recherché ;
Il semble que le voile embellisse les filles,
Et c’est la contrainte des grilles
Qui fait le ragoût du péché.

Loin d’être libertin, vous voyez pour quel but
À changer de projet ma raison vous invite,
Et si je vous en sollicite,
Que c’est même pour mon salut.

Demeurez donc au monde en un si bel état,
Où pourroit votre gloire être mieux signalée ?
Faut-il sortir de la mêlée
Au commencement du combat ?

À vos pieds gémiront les vices abattus
Dedans cette poudreuse et vaste lice
Où se pratique l’exercice
Des plus héroïques vertus.

Êtes-vous pas chez nous en toute sûreté,
Sans vous embarrasser d’une pénible affaire,
Et travailler à vous défaire
D’une innocente liberté ?

Vous avez dans le cœur un zèle assez dévot,
Et vôtre vertu seule assez se fortifie,
Sans que la haire mortifie
Une chair qui ne vous dit mot.

Voyez donc à loisir, et d’un esprit égal,
Des roses d’un côté, de l’autre des épines ;
Et songez qu’il est des Matines
Plus incommodes que le bal.

Le monde a pour vos sens des attraits superflus ;
Mais c’est bien mieux prouver qu’on renonce à ce maître
De le mépriser et d’en être,
Que d’y penser n’en étant plus.

Ce n’est pas pour semer un appast décevant,
Par où dans les filets vôtre âme s’enveloppe,
Mais en toute votre horoscope
Je ne trouve pas un couvent.

Il faut bien observer cette vocation,
Qui vous livre à vous-même une si prompte guerre,
Et voir s’il n’entre point de terre
Parmy sa composition.

Un moment de la vie établit tout le plan,
Et parmy de longs jours comme seront les vôtres,
Ce moment, Roy de tous les autres,
En est quelquefois le tyran.

Non, non ; tenez à Dieu, sans tenir au lien ;
Fuyez la volupté, les richesses, le faste ;
Soyez soûmise, pauvre, chaste,
Mais ne jurez jamais de rien.



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