Poésies de Benserade/À Madame de Hautefort

Poésies de Benserade, Texte établi par Octave UzanneLibrairie des bibliophiles (p. 64-68).

À Madame de Hautefort.

STANCES.


D naît sur vôtre teint cette fraîcheur nouvelle,
Qui vous fait éclater, mieux que vous n’éclatiez ?
Je vous trouve plus grasse, et vous trouve plus belle
Encor que vous n’étiez.

Vous avez éprouvé le tracas et la peine ;
Maintenant vous goûtez un repos assez doux ;
C’en est là le sujet, vous étiez chez la reine,
Et vous êtes chez vous.

Vôtre vie est changée, et vous en menez une
À qui dans la bassesse, un beau loisir est joint ;
Si le soin de la cour profite à la fortune,
Il nuit à l’embonpoint.

Vous obligiez les gens d’une ardeur sans seconde,
Et, dans l’empressement dont vous parliez pour eux,
Vous travailliez, ce semble, à faire que le monde
N’eût plus de malheureux.

C’étoit vôtre plus chère et plus noble avanture
De remplir les besoins, et combler les souhaits ;
Si ce malheur est noble, il est d’une nature
À ne finir jamais.

Au lieu que vous n’avez, au séjour où vous êtes,
Ni troubles dans l’esprit, ni fatigues au corps ;
Vos méditations y sont libres et nettes
De crainte et de remords.

On vous a renvoyée à vôtre solitude,
Comme on fit dans le tems du dernier de nos rois ;
Et ce coup de malheur vous semble aussi peu rude
Que la première fois.

Sans doute la Fortune, à tout autre invincible,
Ayant différemment vôtre esprit éprouvé,
A cherché quelque endroit où vous fussiez sensible,
Et n’en a point trouvé.

Sa rigueur n’a rien pû, non plus que son amorce ;
Quelque bien, quelque mal, qu’elle ait pû vous offrir,
Toûjours également, et de la même force,
Vous l’avez pû souffrir.

Vôtre âme qui n’est pas de la trempe commune,
Et dont les mouvemens sont sublimes et droits,
Fait aussi peu de cas du vent de la Fortune
Que des soupirs des rois.

L’endroit le plus sensible, où la douleur vous presse,
Et qui peut ébranler un courage constant,
Est de n’être plus bien auprés d’une maîtresse,
Qui vous chérissoit tant.

Que ne peut contre vous dire la Renommée ?
La reine a toujours eu des sentimens si doux,
Elle a tant de bonté, vous a tant estimée ;
Et ne veut plus de vous.

Son procédé n’a rien que de saint, que d’auguste ;
Un sujet sans raison n’en est pas assailly ;
Les rois n’ont jamais tort, et leur colère est juste,
Quoiqu’on n’ait pas failly.

Encore que sur vous sa main s’appesantisse,
Portez avec respect ses vénérables coups,
Et demeurez d’accord qu’elle a de la justice,
Puisqu’elle a du courroux.

Il faut tout espérer de sa bonté suprême,
Sinon vivre en repos loin de cette bonté,
Et vous bâtir un port dessus le rocher même
Où vous avez heurté.

De là quand vous verrez, après vôtre naufrage,
Toucher à cent écueils, cent vaisseaux égarez,
Vous en aimerez mieux, à cause de l’orage,
L’endroit où vous serez.

Ce grand éclat n’est pas ce que le peuple pense ;
La cour a des dégoûts, et traîne un repentir ;
Jusques là, que beaucoup ont quitté la puissance
Qui vous en fait sortir.

Ainsi vous passerez des jours très-agréables
Dans un calme profond, et si délicieux,
Que même vôtre exil parmy les raisonnables,
Fera des envieux.

Comme il faut bien user de l’âge qui s’écoule,
Et ménager le tems qui ne peut revenir,
Dieu de sa propre main vous tire de la foule
Pour vous entretenir.

C’est ce commerce étroit, qui fait durer vos charmes,
Et les rend plus brillans, au plus fort du malheur,
Qui pique votre esprit, et luy fournit des armes
À vaincre sa douleur.

Et c’est là d’où vous vient cette fraîcheur nouvelle,
Qui vous fait éclater mieux que vous n’éclatiez,
Qui rend vos yeux plus vifs, et qui vous rend plus belle
Encor plus que vous n’étiez.



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