Poésies - Les Pierres saintes

Poésies - Les Pierres saintes
Revue des Deux Mondes6e période, tome 15 (p. 678-684).
POÉSIES


LES PIERRES SAINTES


Le livre, au long des ans, sonore tympanon.
Lance et fait rebondir un souvenir auguste ;
Mais le livre est souvent moins durable qu’un nom
Gravé sur un sépulcre ou sur le pied d’un buste.

Pour garder un empire et sauver un renom,
Quelques signes creusés dans une dalle fruste
Valent mieux, à défaut d’un divin Parthénon,
Que le rythme où du rêve éphémère s’ajuste...

L’homme, en ses bâtimens, figea sa volonté :
C’est pourquoi, plein d’un grave émoi, j’ai feuilleté,
Aux sols élus où votre gloire s’édifie.

Trois chants de ce poème éclatant et divers
Dont vous êtes les mots, les strophes et les vers,
Pierres que tant d’histoire habite et sanctifie.


LE SACRE DU RÊVE


I


L’eau lisse des bassins n’a pas gardé l’empreinte
Du siècle éblouissant qui décora ses bords ;
Les échos, où vibraient les flûtes et les cors,
Du temps silencieux subissent la contrainte.


Ici, pourtant, tremblaient d’espérance ou de crainte
Des cœurs plus que partout audacieux et forts ;
Des bras vifs se tendaient vers l’appât des beaux corps.
Et des tailles ployaient, fragiles, sous l’étreinte...

Où sont les taffetas, les brocarts, les satins,
Les lèvres butinant la fleur rose des teints ?...
Où, les soupirs sortant de gorges peu vêtues ?

Seul, parmi les bosquets rôde et gémit tout bas
Le vent désespéré de baiser des statues
Dont la chair est de marbre et ne frissonne pas.

II


Donc, dans le séculaire et magique domaine
Rien ne survit des corps qui jadis l’ont hanté
Pas un reflet dans l’onde opaque n’est resté ;
Le sol n’a rien gardé de la poussière humaine.

Mais la raison harmonieuse et souveraine
Triomphe ; et sur le parc, rajeuni chaque été,
Luit la même noblesse et la même beauté
Qu’aux jours où Jupiter y courtisait Alcmène.

Dans le vivace accord des eaux, des frondaisons,
De l’immense palais, avec les horizons
Et les cieux asservis à sa majesté vaste

Royalement médite et gravement sourit
Le songe le plus net de grandeur et de faste
Qu’à l’inerte matière ait imposé l’esprit.


III


Puisque le sûr orgueil qui te donna naissance,
Versaille, entre tes murs a su faire tenir
Tout ce que le désir aidé du souvenir
Peut concevoir de grâce et de sobre décence,

Le passé te commit de sacrer l’avenir...
Qu’il poursuive l’amour, la gloire ou la puissance ;
C’est vers ton calme auguste et ta magnificence
Que chaque élu du rêve en tremblant doit venir.

Il accomplira mieux qu’un pompeux simulacre ;
Car, proférant sur lui le verbe qui consacre,
Tu feras brusquement son doute s’apaiser,

Tandis qu’épouvanté de sa grandeur future
Il sentira, courbé sous ton investiture.
L’invisible auréole à son front se poser.


LA CENDRE DES LYS


I


Quand, de leur parfum tendre ou de leur vif éclat.
Ils avaient réjoui le jardin de la France,
Surannés, ou frustrant une longue espérance.
Les lys, fauchés du sort, venaient s’amasser là.

Sous des marbres pesans que le respect scella
Ils se décomposaient, dans un pieux silence ;
Vint à souffler un vent d’ire et de violence ;
Jusqu’au fond des tombeaux sa rafale roula


Explore maintenant les cryptes ; sous les voûtes
D’où les larmes du temps pleuvent à lentes gouttes,
Refais, en te courbant, le funèbre chemin ;

Dans les caveaux obscurs tu peux même descendre,
Et gratter l’âpre humus pour y chercher leur cendre ;
Tu n’en trouveras pas de quoi remplir ta main.

II


Plus de mille ans ayant frôlé la basilique
Sans renverser un mur et sans rompre un pilier,
Qu’importe que des lys on l’ait pu spolier.
Et que le reliquaire ait perdu sa relique ?...

Les arceaux ont toujours leur élan symbolique ;
Couché, nu, sur sa pourpre ou sur son bouclier,
Le monarque galant ou le roi chevalier
Toujours dirige au ciel sa muette supplique....

Dehors, indifférent aux spectres, le soleil
Eclabousse les murs d’un badigeon vermeil.
Allège le clocher, fleurit chaque verrière ;

Et, prêt pour quelque appareillage fabuleux,
L’édifice, au-dessus des toits flottans et bleus.
Semble un grand vaisseau d’or ancré dans la lumière.

III


Saint-Denis ! somptueuse et vainc nécropole,
Ceux qui te confiaient le sommeil de leurs os
Ne pensaient pas que nul dérangeât leur repos
Sous ton massif abri que sa grandeur isole...


Dans nos âmes aussi nous creusons des tombeaux
A telle passion qui fut charmante ou folle ;
C’est pour trouver trop vite au sépulcre mal clos
La lame descellée, et vide l’alvéole.

La cendre des amours, des orgueils et des fois
Est plus fragile encor que la poudre des rois ;
Seul l’art impérieux domine la mémoire :

Heureux qui, sur les fosses vides de son cœur,
Peut, d’un marbre solide ou d’un style vainqueur.
Bâtir un monument de prière et de gloire !...


LA GLOIRE DES ROSES


I


Lorsqu’elle est lasse, en son ennui, de varier
Les étoffes autour de sa beauté frivole,
La glissante, languide et futile créole
Près de vous va s’étendre et se réfugier,

Roses, de qui, pareille à son front, la corolle
Par tous les vents se laisse alourdir et plier.
Et dont elle préfère au trop amer laurier
Les parfums, sur lesquels son âme éparse vole

Pour retrouver l’odeur des soirs martiniquais.
Les cannes, les ballots de café sur les quais,
Les lins voiliers tournant vers l’Europe leurs proues.

Et jusqu’à ce refrain nègre, aux rythmes ardens.
Qu’un jeune esclave, avec de nostalgiques moues
Sifflait, en découvrant la blancheur de ses dents.


II


Ce soir, elle visite, en robe d’indienne.
Ses rosiers dont l’orage a battu les beaux cous,
Et cache entre ses seins où du corail s’égrène
Un carré de papier qui semble un billet doux.

« Madame, il me revient des bruits fâcheux sur vous… »
Dit le billet, daté de Schoenbrünn, près de Vienne.
Des lettres d’Italie et de leurs appels fous
Pourquoi faut-il, si tristement, qu’il lui souvienne ?..

Elle va, relevant les boutons un à un,
De la Cuisse de nymphe émue à l’Aigle brun,
Du Temple d’Apollon au Triomphe de Flore...

Soudain, elle a pâli ; car, pourpre, et se dressant
Sur l’Occident où pèse un ciel couleur de sang,
Le Grand Napoléon est plus sanglant encore.

III


A Malmaison, non loin du cèdre et du platane,
Toutes les roses, aux effluves captivans.
Dont Redouté peignit les visages fervens,
Roses qu’un mois colore, et roses qu’un jour fane.

Roses aux noms légers, roses aux noms savans,
La grecque, l’italique et la mahométane,
La gentille Thalie et la belle Sultane
Toutes les roses, comme alors, s’ouvrent aux vents

Celle que consolaient leurs odorans prestiges
Revient, fantôme frêle, errer parmi leurs tiges,
Et parfois se retourne, et semble s’étonner


De ne plus voir dans l’estivale somnolence,
Au-dessus du languide et parfumé silence,
Abeilles, votre vol rauque tourbillonner...


A PARTHENICE


C’est en vain que l’orgueil redressait notre front
Près des palais qu’un long souvenir environne ;
S’il ne subsiste pas un mur de Babylone,
Nos poèmes de pierre à leur tour périront.

Les baisers des amans, les fleurs de leur couronne
De siècle en siècle, seuls, se renouvelleront ;
Car, hostile aux contours, le temps de son affront
Sauve tout ce qui luit et tout ce qui frissonne.

Les roses de Sapho, d’Horace, de Saadi,
Du même effluve ardent qui, ce soir, t’engourdit
Dans des corps disparus ont caressé nos fièvres...

Puisqu’il n’est pour avoir un goût d’éternité,
Que l’haleine des fleurs et le parfum des lèvres.
Nature, Amour, gardez notre fragilité

Prisonnière du rêve où vit votre beauté.


MAURICE LEVAILLANT.