Poésies - L'Amour heureux (J.-L. Vaudoyer)

Poésies - L'Amour heureux (J.-L. Vaudoyer)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 57 (p. 447-452).
POÉSIES


L’AMOUR HEUREUX


I


Je suis l’Amour, regarde-moi, je suis la force,
Tour à tour ample et fine, agressive et retorse ;
Une force pareille au caprice, parfois ;
Une force qui rit et qui danse. Tu vois :
Sous les lilas légers, je ris, je ris et danse !
Ce rire avec éclat vers les astres s’élance,
Et tout l’or du plaisir jaillit de mes cheveux.
J’ai l’air de ne pas bien savoir ce que je veux ;
J’ai l’air d’être un enfant qui court après son ombre…
Mais n’as-tu jamais vu fleurir sur le décombre
Une rose qui n’a pas d’égale au jardin,
Ni des bûchers croulants où crépite le pin,
Monter comme un esprit une flamme suprême ?
Je suis l’Amour heureux, et je ris, puisque j’aime.
La ruine et la cendre acceptent de me voir
Combler de mes rayons leur vain royaume noir.
Dans le nid du hibou j’impose la colombe.
La pourpre naît pour moi du sang de l’hécatombe.
Je donne un goût suave aux fiels les plus amers.
Je sais faire sourire Eurydice aux Enfers.
Je suis la force heureuse, harmonieuse et tendre.
Je fais ce que je veux ; nul piège ne peut prendre
Mon pied si blanc que mon talon est comme un lis.
Par moi Chloé qui dort voit en songe Daphnis

Et, jusqu’en son sommeil, cherche et sent ses caresses.
Je verse tous les vins et toutes les ivresses.
Et cependant j’ai l’air d’un enfant nu qui rit.
Regarde-moi, je suis l’Amour. Tout ce qu’on dit
Est faux. Je suis charmant, je suis doux et docile.
Comme la mer d’été miroite autour d’une île,
Avec tous ses rayons, avec tous ses oiseaux
Le Printemps fait pour moi briller ses arbrisseaux
Et, sachant que l’Amour est le roi de sa fête,
Prend sa couronne d’or et la met sur ma tête.
— Reconnais-moi, suis-moi, poursuis-moi ; je le veux.
Tu m’as longtemps cherché : je suis l’Amour heureux !


II


La Vie enfin au Rêve arrache un jour son masque :
La riche vérité se montre et resplendit ;
Et l’on voit reculer l’Illusion fantasque
En face d’un bonheur qu’elle n’a pas prédit.

Sainte Réalité, je te croyais moins belle !
Qu’on est calme avec toi, qu’on est fier, qu’on est fort !
Quelquefois on te craint, même lorsqu’on t’appelle.
Mais, quand tu viens ainsi, le plus doux songe est mort.

L’imagination la plus vaste est débile
Devant toi, noble Hercule, et tes mille travaux ;
J’ai trouvé sur ton sein le nourrissant asile
Et dans ta main la clef des univers nouveaux.


III


Tu disais que les dieux ont bien d’autres soucis ;
Que les mortels n’ont pas de secours à leur peine ;
Que la coupe de fiel n’est jamais la moins pleine,
Et que l’Ange est toujours au seuil du Paradis.

Tu disais que le ciel, comblé d’étoiles mortes,
N’est qu’un palais désert évité par ses rois.
Tu disais que la nymphe a dû fuir de ses bois.
Et que seuls les tombeaux ouvrent encor leurs portes.

Mais aujourd’hui, tu vois le printemps revenu ;
Au ciel tu vois le feu jeter ses beaux présages ;
Pan réveille Daphné sous l’arceau des bocages
Et ton amour sourit comme un bel enfant nu.


IV


Ah ! ne t’approche plus de ces vases de fiel !
N’excite plus ainsi tes cuisantes blessures ;
L’orage est loin : le ciel caresse les verdures ;
Je t’apporte la paix et ses gâteaux de miel !

Cesse de cultiver dans ta lourde mémoire
L’amère volupté de craindre et de souffrir.
Dans les plus forts tourments, pouvait-elle mourir,
La rose du passé, pure comme un ciboire ?

C’est elle ! ses parfums sont plus beaux qu’autrefois,
Plus riches, plus puissants, éprouvés par la flamme !
Ne sens-tu pas l’azur ruisseler sur ton âme ?
Mais tu trembles toujours, biche encore aux abois !

Le calme des halliers n’a pourtant plus d’embûches ;
Tout est beau, tout est sûr, et l’avenir sourit ;
Laisse la joie emplir ton cœur et ton esprit
Comme un agile essaim amoureux de ses ruches.

Brise comme un mauvais miroir le souvenir.
Ce n’est pas sur cette eau qu’il faut que tu te penches.
Avance, avance encore, écarte quelques branches :
L’infini de l’amour t’attend pour t’éblouir !


V


L’absence est un désert fait de sables mouvants,
De sables noirs et lourds, fastidieux, hostiles,
Brûlés par le soleil et battus par les vents.


Les verts palmiers aux frais et frissonnants asiles,
Les citernes d’eau pure et les greniers de fruits
N’étoilent pas, comme des fleurs, ces cieux stériles.

N’y cherche point le sceau des univers détruits,
Ni le marbre éternel du muet sarcophage,
Ni ces ombres, qu’on voit mouler du sein des nuits.

Ton amour perd ici sa force et son courage ;
Résigne-toi ; jamais tu ne fus aussi seul.
Ne cherche même plus le secours du mirage,

Et prends, ô mort vivant, ces sables pour linceul !


VI


Laisse-moi dans mes bras te prendre et t’enlacer ;
Laisse contre ton cœur battre mon cœur qui t’aime ;
La voix d’un ange heureux chante pour te bercer ;
Le jour cherche tes yeux et cherche ton baiser,
Et le ciel sur ton front dispose un diadème.

Ô Reine ! ton empire est rempli de rayons !
Les perles sous tes pieds roulent comme du sable ;
Des arbres de saphir, chargés de floraisons,
Protègent une source au flot intarissable
Qui forme un fleuve d’or dans les moelleux gazons.

Toute richesse en toi trouve sa ressemblance :
Ton soupir est plus doux que celui de la mer,
La lame de l’épée et le fer de la lance
Sont moins bleus et moins vifs que le regard que lance
Ton grand œil tour à tour mystérieux et fier.

Laisse-moi dans tes bras goûter la certitude.
Je ne cherche plus rien, puisque je l’ai trouvé,
Ô grand cœur dont j’ai fait, mon éternelle étude !
Le secret de la vie est dans ton attitude
Et je ne comprends bien que ta complexité.


VII


Je songe à ton passé, ma renaissante amie,
A cette lourde croix, à ces enfers secrets,
Voyageur prisonnier des cruelles forêts.
Toi qui mets sur ton sein ta main de sang rougie.

Le cri sourd de ton cœur ne cherchait plus l’écho ;
Tu n’avais même pas, pour toi, la solitude.
Du fond de tes beaux yeux laisse la lassitude
Monter comme une bulle d’air du fond de l’eau.

Ta chair souffre toujours du poids de la cuirasse.
Tu frissonnes encor d’avoir tant combattu.
Oublie, écarte et fuis ces visions, veux-tu ;
Et surmonte le mal pour que le mal s’efface ;

Pourtant je veux pleurer avec toi, mon Enfant.
Recueillir avec toi ces roses massacrées,
Et, comme on fait après les plus hautes marées,
Sauver les purs débris que laisse l’ouragan.


VIII


Tu regardes la vie, et tu vois la Beauté.
Tu marches en riant sur les débris du masque.
Avec ses mauvais fards, l’illusion fantasque
Ne se tient plus, pour l’asservir, à ton côté.

Comme un beau diamant sans ombre et sans cassure
Ton amour jette autour de lui ses feux puissants ;
Il ressemble aux glaciers sur le ciel fleurissants
Que peut seule toucher l’aile de la nuit pure.

Tu sais ce que tu crois, tu crois ce que tu sais.
La rose la plus belle étreint le plus beau chêne.
Tu n’entends plus la triste voix de la Sirène
Qui séduisait ton cœur sans le nourrir jamais.


Les accents de la joie et de la certitude
Elèvent leurs concerts comme des monuments,
Joyeux et solennels, calmes et véhéments,
Et vêtus des rayons de la béatitude.


IX


Je ne puis voir que toi ; la rose est toi, la plume
Qui descend en tournant sur le ciel bleu, c’est toi ;
Et c’est toi le rayon que le couchant allume
Comme un sceptre posé sur le manteau du roi.

C’est toi qui, blonde et nue, au bain frais de l’aurore,
Rit sous les réseaux clairs d’un jeu de diamants ;
C’est toi l’âme secrète et la source sonore
Qui donne aux violons les larmes et les chants.

Je ne puis voir que toi, ma clarté, ma ténèbre !
Toi, forme, toi, couleur, harmonie et beauté.
Le passé t’appartient, et ton pouvoir célèbre
Hélène, Dalilah, Eve, Isis, Astarté !

Je ne puis voir que toi ! Tu sièges dans la pierre,
Dans le rubis de sang, dans le marbre de miel ;
Et la nuit fait régner au-dessus de la terre
Ton nom partout écrit dans les signes du ciel !


JEAN-LOUIS VAUDOYER.