Poésies (Poncy)/Vol. 1/La Harpe d’Ossian

LA HARPE D’OSSIAN


I


Sur la mouvante cime
Des flots échevelés,
La harpe maritime

Vers nos falaises vole, et rend un cri sublime
En heurtant tout à coup les rochers dentelés.

Semblable à ces nacelles
Qui, fuyant loin des bords,
Inondent d’étincelles

Le remous qui s’emplit de phosphore autour d’elles,
La harpe inonde l’air d’un long torrent d’accords.

Mais la lame écumante,
Comme une lave bout
Au feu de la tourmente ;

Et sur l’écueil livide où le vent se lamente
Elle lance la harpe et l’y maintient debout.

La voilà sur les crêtes
De ce Memnon scabreux ;
Et les flèches muettes

Des éclairs dévorants, doigt de feu des tempête,
Arrachent à son sein des accents ténébreux.

Elle est enveloppée
Dans de sombres brouillards.
La foudre l’a frappée ;

Et chaque corde luit, comme l’ardente épée
Qui mutile l’acier du casque des fuyards.


II


chant de la harpe


Noirs orages qui pour patrie
Choisissez l’immense océan,
La harpe, veuve d’Ossian,
Succombe sous votre furie !
N’ai-je pas assez déploré
Le trépas du guerrier poète ?

Depuis seize siècles muette,
Ne l’ai-je pas assez pleuré ?
Depuis la nuit froide et sauvage
Où, sur mon sein, la mort ferma
Les yeux du vieillard de Selma,
J’erre de rivage en rivage.
Et, comme sur le bord glacé
Où le barde a fini sa vie,
L’ouragan du nord m’a suivie
Sous tous les cieux où j’ai passé.

Il ne m’emporta pas au palais de nuages,
L’Écossais immortel ! et l’aile des orages
Me jeta, tiède encore, à la merci des flots,
Comme elle jette aux vents le chant des matelots.
Cherchant, de plage en plage, un cœur vierge où ma corde
Versât l’harmonieux torrent qui la déborde,
J’ai visité ces mers où jamais le soleil
Ne daigna se montrer, où l’éternel sommeil
Du pôle séculaire envahit la surface,
Où la mer roule au loin ses mamelles de glace.
J’ai vu le continent que Colomb découvrit,
Et le Golgotha, teint du sang de Jésus-Christ.
Pauvre harpe, jouet de la rafale sombre,
J’ai contemplé la mer sous ses aspects sans nombre :
Et subi, tour à tour, dans de lointains climats.
Les torrides brasiers, les polaires frimas.

Oh ! la mer est un grand poète !
Toujours Dieu parle dans son sein.
Toujours le calme ou la tempête
Fait vibrer ce grand clavecin.
Sa clameur est aussi profonde
Que la profondeur de son onde.
Elle a, comme le firmament,
De belles plaines azurées,
Des dimensions ignorées ;
Elle a, de plus, le mouvement.

Et pour traduire à l’âme humaine
Tout ce que les vents et les flots
Font résonner, dans mon domaine,
D’hymnes d’amour ou de sanglots,
Pour révéler ce grand poème
Que j’amasse et cache en moi-même
Ainsi qu’un précieux trésor,
J’appelle en vain d’autres poètes :
La terre et la mer sont muettes
Et mes chants meurent sans essor…


III


Et semant en tous lieux l’horreur qui me devance,
J’arrive sur tes bords, ô sereine Provence !

J’arrive, et l’ouragan mugit ;
L’éclair fend ton ciel qu’il rougit ;

Et ta mer se débat, dans sa colère étrange,
Comme l’esprit du mal sous le pied de l’Archange.

Pourtant on m’avait dit, Eden des heureux jours,
Que ton sein nourrissait de vaillants troubadours

Qui chantaient l’amoureuse flamme,
Le premier sourire de femme,

La terre à pleines mains prodiguant ses trésors,
La gloire des guerriers, les beautés ingénues…

« Ô reine des concerts ! dit le vent dans les nues,
« Les nobles troubadours qui charmèrent ces bord,

« Ainsi que tes bardes, sont morts. »


la harpe


Oh ! ne pouvoir trouver des mains assez hardies,
Pour faire résonner mes cordes engourdies,
Un bras qui me dérobe aux coups de l’Océan !

Je regardai le ciel et j’y vis Ossian.
Le vent dans la tempête agitait son écharpe.
Lui, d’un doigt frémissant, me désignait sa harpe.
« Ramasse, me dit-il, cet auguste débris ;
« Que ton âme et tes rocs deviennent ses abris ;
« Qu’en souvenir de moi ta piété s’applique
« À sauver de l’oubli la lyre gaélique. »

À moi, lyre des mers, m’écriai-je aussitôt,
Viens, fille de Fingal ! Et d’un pas intrépide
J’escaladai le roc anguleux et rapide…
Mais quel flot colossal court sur nous, ou, plutôt,
Quelle masse s’écroule, à grand bruit, vers la cîme
Où la harpe exhalait l’angoisse qui l’opprime ?
Horreur ! le flot, tandis que d’effroi je pâlis,
Déferle sur la harpe et, dans ses vastes plis,
Au milieu de la nuit l’emporte dans l’abîme.

Elle a repris son vol sous le souffle de Dieu ;
Et, quel que soit pour lui le respect qui m’anime.
Je n’ai pu d’Ossian réaliser le vœu.



Séparateur