Poésies (Desbordes-Valmore, 1822)/La Nuit d’hiver

Théophile Grandin (p. 75-77).

LA NUIT D’HIVER.

Qui m’appelle à cette heure, et par le temps qu’il fait ?
C’est une douce voix, c’est la voix d’une fille
Ah ! je te reconnais ; c’est toi, Muse gentille,
Ton souvenir est un bienfait.
Inespéré retour ! aimable fantaisie !
Après un an d’exil, qui t’amène vers moi ?
Je ne t’attendais plus, aimable Poésie,
Je ne t’attendais plus, mais je rêvais à toi.

Loin du réduit obscur où tu viens de descendre,
L’amitié, le bonheur, la gaité, tout a fui :
Ô ma Muse ! est-ce toi que j’y devais attendre !
Il est fait pour les pleurs et voilé par l’ennui.
Ce triste balancier, dans son bruit monotone,
Marque d’un temps perdu l’inutile lenteur ;
Et j’ai cru vivre un siècle, hélas ! quand l’heure sonne,
Vide d’espoir et de bonheur.

L’hiver est tout entier dans ma sombre retraite :
Quel temps as-tu daigné choisir !
Que doucement par toi j’en suis distraite :
Oh ! quand il nous surprend, qu’il est beau le plaisir !

D’un foyer presque éteint la flamme salutaire
Par intervalle encor trompe l’obscurité ;
Si tu veux écouter ma plainte solitaire,
Nous causerons à sa clarté.
Petite Muse, autrefois vive et tendre,
Dont j’ai perdu la trace au temps de mes malheurs,
As-tu quelque secret pour charmer les douleurs ?
Viens, nul autre que toi n’a daigné me l’apprendre.
Écoute ! nous voilà seules dans l’univers,
Naïvement je vais tout dire :
J’ai rencontré l’Amour, il a brisé ma lyre ;
Jaloux d’un peu de gloire, il a brûlé mes vers.

« Je t’ai chanté, lui dis-je, et ma voix, faible encore,
Dans ses premiers accens parut juste et sonore ;
Pourquoi briser ma lyre ? elle essayait ta loi.
Pourquoi brûler mes vers ? je les ai faits par toi.
Si des jeunes amans tu troubles le délire,
Cruel, tu n’auras plus de fleurs dans ton empire ;
Il en faut à mon âge, et je voulais, un jour,
M’en parer pour te plaire, et te les rendre, Amour.
Déjà je te formais une simple couronne,
Fraîche, douce en parfums. Quand un cœur pur la donne,
Peux-tu la dédaigner ? Je te l’offre à genoux ;
Souris à mon orgueil, et n’en sois point jaloux.
Je n’ai jamais senti cet orgueil pour moi-même :

Mais il dit mon secret, mais il prouve que j’aime.
Eh bien ! fais le partage en généreux vainqueur :
Amour, pour toi la gloire, et pour moi le bonheur.
C’est un bonheur d’aimer, c’en est un de le dire.
Amour, prends ma couronne, et laisse-moi ma lyre ;
Prends mes vœux, prends ma vie ; enfin ! prends tout, cruel,

Mais laisse-moi chanter au pied de ton autel. »
Et lui : « Non, non ! ta prière me blesse ;
Dans le silence, obéis à ma loi :
Tes yeux en pleurs, plus éloquens que toi,
Révèleront assez ma force et ta faiblesse. »

Muse, voilà le ton de ce maître si doux.
Je n’osai lui répondre, et je versai des larmes ;
Je sentis ma blessure, et je maudis ses armes.
Pauvre lyre ! je fus muette comme vous !

L’ingrat ! il a puni jusques à mon silence.
Lassée enfin de sa puissance,
Muse, je te redonne et mes vœux et mes chants.
Viens leur préter ta grâce, et rends-les plus touchans.
Mais tu pâlis, ma chère, et le froid t’a saisie.
C’est l’hiver qui t’opprime et ternit tes couleurs.
Je ne puis t’arrêter, charmante Poésie ;
Adieu ! tu reviendras dans la saison des fleurs.