Poésie (Rilke, trad. Betz)/Sonnets à Orphée/Toi, mon ami
TOI, MON AMI…
s’adresse à un chien
Toi, mon ami, tu es solitaire, car…
Nous nous approprions par des mots et des gestes
le monde peu à peu : sans doute n’est-ce
que sa plus dangereuse et sa plus faible part.
Qui désigne du doigt une odeur ? —
Pourtant des forces qui nous menaçaient
tu en flaires beaucoup. — Les morts, tu les connais ;
les sorts et maléfices te font peur.
Vois, il s’agit qu’ensemble nous supportions
ce monde morcélé, comme s’il était tout.
À t’aider j’aurai peine. Et garde-toi surtout
de m’implanter dans ton cœur. Trop tôt je grandirais.
Mais prenant la main de mon maître, je dirai :
Seigneur, voici. C’est Esaü dans sa toison.