Poésie (Rilke, trad. Betz)/Sonnets à Orphée/Nous côtoyons la fleur

Traduction par Maurice Betz.
PoésieÉmile-Paul (p. 239-240).

NOUS CÔTOYONS LA FLEUR…

Nous côtoyons la fleur, le fruit, la vigne,
et la saison n’est pas leur seul langage.
De l’ombre monte une évidence coloriée
qui a l’éclat, peut-être, de la jalousie

des morts dont se nourrit la terre.
Mais savons-nous quel est leur rôle en tout cela ?
Depuis longtemps c’est leur manière
de traverser le sol de cette libre moelle.


Mais savoir : le font-ils de leur plein gré ?
Ce fruit, œuvre de lourds esclaves,
se tend-il vers nous, maîtres, comme un poing serré ?

Sont-ils les maîtres qui près des racines dorment,
et, de leur superflu, daignent nous accorder
cet entre-deux muet de force et de baisers ?