Poésie (Rilke, trad. Betz)/Nouvelles poésies/Quai du rosaire
QUAI DU ROSAIRE Bruges
Les rues s’en vont d’un pas prudent ;
(ainsi, parfois, convalescents,
des hommes, marchant, se demandent :
qu’y avait-il autrefois ici ?)
Celles qui s’ouvrent sur des places
longtemps attendent qu’une autre rue
franchisse d’un élan l’eau claire
du soir où, plus les choses se modèrent,
plus réel deviendra ce monde inclus
de mirages plus vrais qu’aucun de ces espaces.
Depuis longtemps la ville est-elle évanouie ?
Cependant la voici, (docile à quelle loi ?)
dans l’image à rebours se réveiller, lucide,
comme si la vie était moins rare là-bas.
Les jardins renversés sont là, entiers et vrais,
et là, soudain, tournoie à la clarté rapide
des fenêtres la danse des estaminets.
Que resta-t-il en haut ? Seul le silence :
il goûte lentement, grain après grain
— car rien ne presse, — le doux raisin
du carillon qui dans les cieux se balance.