Poésie (Rilke, trad. Betz)/Nouvelles poésies/Le carrousel
LE CARROUSEL
(Jardin du Luxembourg)
Avec un toit que suit son ombre
un petit moment tourne l’effectif
des chevaux bariolés : tous du pays
qui longtemps hésite avant qu’il ne sombre.
Plusieurs d’entre eux traînent des équipages,
mais tous ont un air de courage ;
avec eux marche un lion rouge et très méchant,
et puis de temps à autre un bel éléphant blanc.
Un cerf aussi est là, tout comme au bois,
sauf qu’il porte une selle, et par-dessus,
une fillette bleue que retient la courroie.
Un garçon blanc chevauche le lion,
se tenant bien de sa menotte chaude,
tandis que le lion montre ses crocs, sa langue…
Et puis de temps à autre un bel éléphant blanc.
Sur les chevaux ils passent, — des fillettes aussi,
claires, presque jaillies du saut de leurs montures ;
en plein élan elles lèvent les yeux,
ici, ailleurs, à l’aventure…
Et puis de temps à autre un bel éléphant blanc.
Tout cela passe et va, se hâte vers sa fin,
et tourne et vire, sans but et sans répit.
Poussés, chassés, un rouge, un vert, un gris,
un petit profil à peine ébauché.
Et quelquefois, au passage, un sourire
se tourne, heureux, et éblouit,
gaspillé dans ce jeu aveugle et hors d’haleine.