Poésie (Rilke, trad. Betz)/Nouvelles poésies/La licorne

Traduction par Maurice Betz.
PoésieÉmile-Paul (p. 161-162).
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LA LICORNE

Le saint leva la tête, et la prière
retomba comme un casque de son front :
Car en silence approchait l’albe bête,
incroyable, et qui, de ses yeux suppliants,
le regardait ainsi qu’une biche volée.

L’appareil ivoirin de ses jambes graciles
se mouvait en de légers équilibres,
un éclat bienheureux glissait dessus sa robe
et sur son front de bête, calme et pur,
comme une tour au clair de lune, se levait
la corne blanche : chaque pas la redressait.


Le mufle sous son duvet gris et rose
se retroussait, si bien qu’un peu de blanc
(plus blanc que tout) reluisait de ses dents ;
humant légèrement, les naseaux s’entr’ouvraient.
Mais ses regards qu’aucun objet ne limitait
projetaient leurs images dans l’espace
et enfermaient un cycle bleu de contes.