Poésie (Rilke, trad. Betz)/Nouvelles poésies/Chant d’aube oriental
CHANT D’AUBE ORIENTAL
Ce lit, ne dirait-on pas une côte,
bande étroite de terre où nous sommes couchés ?
Rien n’est certain, ici, que cette gorge haute,
dans mon vertige intérieur comme érigée.
Car cette nuit où tant de voix crièrent
— bêtes qui se déchirent, et leurs clameurs, —
ne nous est-elle pas tellement étrangère ?
Et ce qui point dehors, qu’on nomme jour,
est-ce plus clair pour nous que ces ténèbres ?
On devrait l’un dans l’autre pouvoir se coucher
tels des pistils entre les étamines,
tant tout, partout, — monde démesuré, —
grandit, tournoie, nous agglutine.
Mais tandis que l’un contre l’autre nous nous serrons
pour ne pas voir ce qui dehors nous guette,
en toi, peut-être en moi, la menace s’apprête,
car nos âmes vivent de trahison.