Poésie (Rilke, trad. Betz)/Livre d’heures/Pourtant, quoique chacun se fuie

Traduction par Maurice Betz.
PoésieÉmile-Paul (p. 131-132).

POURTANT — QUOIQUE CHACUN SE FUIE…

Pourtant, — quoique chacun se fuie soi-même,
comme une prison haïe qui vous tient, —
un grand miracle s’accomplit dans l’univers.
Malgré tout, je le sens : toute vie est vécue.
Qui donc la vit ? Sont-ce les choses
qui demeurent le soir présentes dans la harpe
comme une mélodie que nulle main ne joue ?
Sont-ce les vents venus de flots lointains ?
Sont-ce les branches qui se font des signes ?
Sont-ce les fleurs qui tissent des parfums ?

Ou bien sont-ce les longues allées qui vieillissent,
les chaudes bêtes que l’on voit marcher,
ou les oiseaux qui planent, étrangers ?
Qui donc la vit ? Est-ce toi, Dieu : — la Vie ?