Poètes modernes de l’Espagne - Le duc de Rivas

Poètes modernes de l’Espagne - Le duc de Rivas
Revue des Deux Mondes, période initialetome 13 (p. 321-354).

POETES


MODERNES


DE L'ESPAGNE.




LE DUC DE RIVAS.




La sanglante bataille d’Ocaña fut une cruelle et néfaste journée néfaste pour l’Espagne, qui voyait sa fierté trompée, sa résistance vaincue, et pour la France elle-même, qui payait chèrement une victoire douteuse et triste. Ce choc terrible de l’héroïsme guerrier et de l’héroïsme national fut moins encore un combat qu’une grande immolation où l’on vit s’entretuer deux peuples faits pour s’aimer. Parmi les victimes de ce désastre, parmi les blessés restés dans ces plaines funèbres, la fortune se plut à aller relever un jeune officier presque mortellement atteint, et qui déjà ne se pouvait plus mouvoir, pour en faire un des poètes les mieux inspirés de la Péninsule. C’était don Angel de Saavedra, duc de Rivas. Celui qui l’arracha à une mort infaillible était un pauvre soldat du nom de Buendia, dont l’obscur dévouement rappelle celui du Javanais Antonio sauvant Camoëns près de périr sur les mers qui le portaient à Goa, et gardant, sans le savoir, les Lusiades au monde. Ainsi cette existence poétique s’illuminait, au début, des lueurs du champ de bataille. Depuis, le duc de Rivas a été tour à tour, dans les heures les plus périlleuses, député, ministre, diplomate. Il s’est vu comblé d’honneurs et persécuté. Envoyé aux cortès par sa ville natale en 1822, il était bientôt obligé de se réfugier à Londres, puis condamné à mort par l’audience de Séville. Ministre en 1836 avec MM. Isturitz et Galiano, il n’échappait aux fureurs de la multitude égarée qu’à l’aide d’un déguisement. Aujourd’hui il est ambassadeur à Naples, où le ciel italien lui rend sans doute les douceurs du ciel de l’Andalousie. Comme on voit, c’est l’agitation, le mouvement, la participation à tout ce que l’Espagne a tenté depuis un demi-siècle, c’est-à-dire la vie dans son expression la plus saisissante. En même temps, par un noble effort, le duc de Rivas faisait le Moro Exposito (le Bâtard maure), les Romances historiques, don Alvaro ou la force du Destin, drame étrange, qui fut le premier fruit de la rénovation dramatique espagnole, l’agréable comédie de Tanto vales cuanto tienes. Cette alliance de l’activité extérieure et de l’activité non moins féconde de la pensée, du prestige des aventures romanesques et de l’éclat littéraire, est ce qui distingue beaucoup d’anciens écrivains de la Péninsule. Ercilla, jeune encore, franchissait l’océan pour prendre part aux expéditions d’Amérique, et la nuit, dans l’intervalle de deux combats, il écrivait ces vers de l'Araucana, dont la gloire a fait vivre la résistance d’une petite peuplade du Chili. « Aucun pas, disait-il, n’avait été fait sur cette terre qu’il n’en eût mesuré la trace ; aucune blessure n’avait été reçue qu’il n’en connût l’auteur. » Garcilasso de la Vega fut un des brillans soldats de Charles-Quint, et, durant ses courses de Vienne à Tunis, comme pour se reposer du fracas des armes, il faisait renaître les pasteurs de Virgile. Avant d’être surpris par la mort dans un assaut, le doux poète avait créé l’églogue espagnole. Hurtado de Mendoza était plus connu comme diplomate, comme gouverneur en Italie, que comme écrivain, et cependant sa plume, tour à tour légère on grave, s’est jouée dans les amusantes intrigues d’un roman picaresque, de Lazarille de Tormès, et a retracé l’Histoire des Guerres de Grenade. Cervantès avait perdu un bras à Lépante ; il avait été captif à Alger ; il souffrait la pauvreté, et c’est l’ame mûrie par ces revers que, de la main qui lui restait, il écrivit Don Quichotte, ce livre devenu populaire, si attrayant pour la foule, si profond pour le penseur. Race pleine d’énergie active et d’ardeur, qui, dans l’histoire littéraire, forme un contraste naturel avec cette autre famille de grands esprits uniquement voués au travail, sobres d’action, timides même devant les difficultés matérielles, et qui, sans franchir le cercle de leurs coutumes paisibles, devinent, par la méditation, par la profondeur de l’étude, les réalités qu’ils ignorent. Sans aucun doute, ces conditions hasardeuses qu’affrontaient si aisément tant d’hommes célèbres se sont modifiées avec le temps ; l’idée qu’on se faisait du rôle de l’écrivain a changé aussi. Au fond cependant, des vicissitudes d’un nouveau genre ont vu se produire les mêmes caractères, la même facilité à se partager entre les exigences d’une vie semée d’agitations et d’embûches et les préoccupations littéraires, à se précipiter dans les plus chaudes mêlées, et à revenir aussitôt aux plus calmes, aux plus délicates recherches de l’art et de la science. Le duc de Rivas n’est point seul, sous ce rapport, en Espagne ; il n’est qu’un exemple de plus dans cette génération éprouvée dont Martinez de la Rosa, Toreno, Galiano, Isturitz, ont été les orateurs, les historiens, les publicistes : exemple éclatant, il est vrai, qui fait qu’on peut justement se demander si les souffrances, si les leçons quotidiennes des évènemens, toujours profitables à l’expérience, à la sagesse humaine, servent aussi à faire éclore et à développer les germes de poésie qui sont en nous !

Certes, ce serait un cruel sophisme, ainsi que l’a dit l’auteur de René, de vouloir imposer le malheur au génie comme un indispensable aliment. Le malheur corrompt bien plutôt le talent et le frappe d’une de ces langueurs morales pareilles aux maladies lentes, mais incurables, qui détruisent insensiblement le corps. La diversité même de la vie, les distractions laborieuses des honneurs, des devoirs publics, l’entraînement de nécessités pratiques toujours changeantes, sont plus souvent un obstacle qu’un stimulant ; ils émiettent, pour ainsi dire, nos facultés, ils émoussent ce qu’il y a de vertu littéraire dans l’esprit, et lui ôtent cette force de concentration qui fait son aptitude à la production intellectuelle. C’est le cours ordinaire des choses ; c’est une loi commune à cette foule de vocations indécises qui flottent entre tous les desseins, parce qu’elles ne cèdent à aucune impulsion puissante. Qu’on suppose pourtant, au milieu des épreuves que chaque jour multiplie, une nature heureuse, libre et désintéressée, vraiment marquée à l’origine, pour ainsi parler, du sceau de la Muse : rien ne saurait effacer en elle cette divine et primitive empreinte. Les fatigues des situations les plus diverses ne détourneront pas l’invincible penchant qui la ramène sans cesse vers la poésie comme vers la plus douce gloire ou la consolation la plus élevée. L’inspiration, bien loin de s’éteindre comme une flamme dispersée par le vent, jaillira plus rapide et plus vive, nourrie de ces émotions viriles qu’éveillent dans le cœur les mille accidens d’une destinée orageuse. Quel plus grand intérêt que celui de voir ainsi l’homme que les hasards se disputent ressaisissant toujours la lyre d’or et chantant comme Alcée, au dire d’Horace, les rigueurs de la tempête, de l’exil ou de la guerre[1] ? Ceci peut, à beaucoup d’égards, s’appliquer au duc de Rivas, qui est une de ces organisations favorisées et, avant tout, noblement acquises à l’art. Le dévouement prodigue de la jeunesse, l’occasion, les circonstances, l’ont pu jeter dans les camps et dans les conseils, l’ont seuls fait militaire ou homme d’état ; c’est la nature qui l’a fait poète. Dans l’homme politique même se retrouve encore cette qualité précieuse et innée. Soit qu’il se laisse aller à son ardeur révolutionnaire, et s’ouvre ainsi la route de l’exil, soit qu’en présence de la révolution triomphante il jette un triste adieu à Charles IV, qui fut le roi de son enfance, et mette la mémoire de ce souverain, dont l’ame était infirme, sous la protection de son inoffensive candeur, c’est plutôt un instinct généreux qui le domine qu’une conviction raisonnée et fondée sur de savans calculs. Le fond de sa conviction comme de sa poésie, c’est un amour vague, passionné, ardent pour son pays à toutes les époques, dans son passé grandiose, comme dans son présent attristé, comme dans son avenir douteux, — amour peint à chaque page de ses œuvres en traits où se révèle l’homme qui a souffert de ce mal cruel de l’absence. C’est sans aucun doute par le duc de Rivas que l’Espagne est représentée avec le plus d’éclat dans la littérature européenne. Ainsi l’imagination tient encore le premier rang dans la rénovation intellectuelle de la Péninsule ; elle est le signe de l’illustre parenté qui unit quelques-uns des écrivains nouveaux aux génies d’un autre âge. L’histoire de cette antique tradition rajeunie, faite à un point de vue large et élevé, pourrait être l’histoire même de l’Espagne.

La littérature castillane, aujourd’hui renaissante, a traversé depuis trois siècles bien des phases diverses ; elle a eu ses heures de gloire et d’abattement profond. Faut-il ajouter que ces alternatives dans les destinées de l’art espagnol coïncident toujours avec les périodes de prospérité ou de décadence politique ? L’âge qui dans l’histoire littéraire a gardé ce beau nom d'âge d’or répond à ce temps où, chaude encore d’une lutte de sept siècles, l’Espagne se répandait dans le monde entier et tentait de lui imposer une domination gigantesque. Tout alors, dans ce vaste empire, était monté au ton de la grandeur. C’est par l’imagination surtout que brilla cette ancienne et glorieuse littérature. L’exaltation de la foi, l’amour du merveilleux, la fougue spiritualiste, le chevaleresque héroïsme des sentimens, l’audace d’une libre et aventureuse fantaisie, dont l’Espagne s’est montrée si prodigue dans son existence même, devaient être, en effet, des alimens naturels pour l’imagination ; mais quand cette sève généreuse fut tarie, quand ces sentimens héroïques furent épuisés, quand les revers vinrent glacer cette ardente et mobile fantaisie, la poésie, à qui l’inquisition avait interdit ces rajeunissemens salutaires produits par le mouvement de la pensée philosophique, n’ayant plus rien à exprimer, se réfugia dans de futiles jeux de parole, dans la recherche, dans l’affectation. Le génie espagnol, enfermé en lui-même, moitié par orgueil, moitié par contrainte, périt par l’abus de ses qualités les plus belles. Primitivement pompeux et fier, il tomba dans l’enflure ; naturellement ingénieux, il se perdit dans de méprisables subtilités : par ces deux routes, il aboutit au culteranisme. La poésie de Gongora est le plus prodigieux effort de l’imagination livrée à elle-même, succombant à ses excès et parant encore sa stérilité, sa misère, de haillons de pourpre et d’or. Sous Charles II, il n’existe plus même un seul poète, un seul écrivain, qui mérite d’être cité. L’élément littéraire a disparu avec la vitalité politique.

C’est d’une telle chute que la Péninsule avait à se relever ; c’est de cette flétrissante corruption que l’art a eu à se guérir, à se purifier, pour retrouver une seconde jeunesse. Était-il un génie plus apte à seconder cette œuvre de réparation que le génie français, si libre et en même temps si sage, si hardi et si pratique, si facile et si mesuré ? Le duc d’Anjou, en traversant les Pyrénées, introduisit en Espagne la pensée littéraire de la France aussi bien que sa pensée politique. Auprès de l’époque qui va de Luis de Léon à Calderon, et qui, entre ces deux dates littéraires, a vu naître et grandir Cervantès, Ercilla, Rioja, Lope de Vega, Moreto, Alarcon, Guillen de Castro, le XVIIIe siècle, il est vrai, n’a encore que de pâles mérites ; tout, au premier abord, est servile imitation, flagrante copie de nos modèles. Luzan, Montiano, Torre-Palma, Porcel, sont les sectateurs inexpérimentés des doctrines de Boileau bien plus que les disciples des vieux maîtres nationaux. L’influence française fut néanmoins incontestablement salutaire pour l’Espagne. Il ne faut pas s’arrêter aux côtés puérils de l’imitation dans les arts, et ne saisir dans un tel mouvement que les ridicules de cette académie du bon goût, sorte d’hôtel de Rambouillet de la comtesse Lemos. L’influence française eut d’autres effets : elle excita vivement l’esprit espagnol, elle lui ouvrit la route du monde moderne, lui apporta le renouvellement moral qui lui avait manqué autrefois, l’épura des superstitions qui l’avaient souillé, et, en le ramenant pas à pas à la vie, prépara l’instant où il pourrait ressaisir quelques traits de son originalité première. Tandis qu’une complète déchéance littéraire avait signalé les commencemens du XVIIIe siècle, le talent lyrique de Melendez Valdez ornait d’un éclat nouveau ses années tombantes : si l’auteur de l’ode sur le Triomphe des Arts est français encore par le fond, il retrouve parfois les richesses de l’antique forme espagnole. Le même caractère apparaît dans les poètes venus après lui, et qui marquent non-seulement la transition d’un siècle à l’autre, mais encore le passage de l’imitation française à l’originalité moderne, dans cette école qui se compose de Quintana, Gallego, Arjona, Lista. Ce n’est point sans doute une école puissante, dont le passage ait été victorieux, qui se soit élevée au-dessus des conditions moyennes de l’art, de la mesure, de l’élégance, de la correction ; on ne peut nier cependant qu’elle n’ait été un progrès réel, le seul peut-être qui fût possible alors. Il faut ajouter que, lorsque quelques-uns de ces écrivains ont rencontré un sentiment vrai, une émotion patriotique inspirée par le malheur du temps, ils ont su trouver en eux-mêmes des accens généreux et durables. — Le duc de Rivas semble se rattacher à cette tradition par les essais de sa jeunesse ; mais ce n’était qu’un premier culte de son esprit inexpérimenté. Sa vraie place devait être dans la renaissance poétique plus profonde et plus large qui allait s’accomplir à côté de la révolution politique. C’est dans quelques-unes de ses compositions lyriques, telles que le Proscrit (il Desterrado), l’ode au Phare de Malte ou Aux Etoiles, dans ses poèmes ou dans ses drames, qu’on peut voir briller les premiers éclairs du génie nouveau. Destinée singulière ! le combat qu’il avait livré avec l’épée à Ocaña pour l’indépendance, vingt ans plus tard, son intelligence le renouvelait dans le Moro Exposito, pour revendiquer pleinement la nationalité littéraire de son pays. Cette œuvre d’une imagination facile et énergique a été la première victoire de l’école moderne au-delà des Pyrénées. Le duc de Rivas appartient donc tout entier à la rénovation littéraire espagnole ; il en a été le brillant promoteur. Poussé par son instinct, averti par les douleurs dans lesquelles il expiait le tort d’être de son siècle, instruit par l’exil, il a été l’un des premiers à vouloir créer un art qui exprimât fidèlement la civilisation nouvelle de la Péninsule. Ce qu’il y a de grand ou d’incomplet dans ses tentatives tient aux grandeurs et aux imperfections de cette civilisation même, qui n’est point arrivée encore à saisir bien nettement, bien distinctement, et sa loi et son but.

Il n’est point rare de voir en Espagne l’éclat de la naissance rehaussé par le talent littéraire. Il y avait autrefois au-delà des Pyrénées une noblesse belliqueuse et lettrée ; des grands seigneurs tels que Santillane ou Villena pouvaient dans leur blason unir aux signes guerriers les signes de la poésie. Malgré la décadence morale de la noblesse, ces exemples se peuvent encore renouveler : don Angel de Saavedra est le second fils d’un grand d’Espagne, du duc de Rivas ; il est né, le 10 mars 1791, à Cordoue. L’image de la cité mauresque est bien souvent revenue à sa mémoire ; plus d’une fois ses chants ont rappelé l’archange qui étend ses ailes d’or sur la ville. « Insigne Cordoue ! dit-il dans le Moro, ô patrie où j’ai goûté l’amour et les caresses qui sont le trésor de l’enfance !… jamais mon attachement pour toi ne tiédit ; tu ne sors pas un seul instant de ma pensée depuis que je traîne sous des climats étrangers une vie nourrie du pain amer de la douleur, mais soutenue par l’espoir qu’à la fin mes cendres pourront reposer dans ton sein… » Merveilleux témoignage de la puissance de ces premiers souvenirs sur une ame poétique ! C’est dès l’enfance que les véritables instincts de Saavedra se sont déclarés ; son imagination rebelle à l’étude des sciences exactes ne recherchait pas seulement avec ardeur la poésie ; elle se passionnait en même temps pour la peinture. Sa première éducation avait été confiée à un prêtre français émigré, dont le sort pouvait être un précoce et utile enseignement pour son élève. On l’a remarqué d’une façon touchante : l’Espagne payait alors par avance l’hospitalité future que la France devait donner à ses proscrits. Cette vive nature de Saavedra ne fit que se mieux déceler lorsqu’il entra au séminaire des nobles à Madrid, où il poursuivit ses études avec M. Demetrio Ortiz, qui a été depuis à la tête du tribunal supérieur de justice. La révolution déjà imminente, les premiers éclats de la guerre de 1808, ces grands évènemens si propres à détourner le cours d’une existence, le surprirent donc jeune encore, et vinrent donner à son éducation ce complément vigoureux qui fait disparaître toute trace de l’enfant sous le caractère de l’homme. Saavedra voyait commencer sa vie publique sous de terribles auspices son cœur ardent s’ouvrait aux vœux, aux espérances d’une régénération politique qui animaient l’Espagne, comme aux haines nationales suscitées par l’invasion. Témoin des scènes de scandale d’Aranjuez, ces misères de l’autorité souveraine, cette puérile et honteuse dispute du pouvoir entre un roi plus faible que coupable, une reine dissolue, un prince astucieux qui n’avait de l’ambition que les mauvais côtés, et un favori à qui sa fortune, née du caprice, avait fait illusion, ne contribuèrent pas peu sans doute à éveiller en lui le sentiment révolutionnaire exalté qu’il déploya en 1812 et en 1820. La position de sa famille l’appelait d’ailleurs à prendre une part active aux luttes qui s’ouvraient. Saavedra avait été de bonne heure pourvu d’un grade dans l’armée ; il était officier dans les gardes-du-corps lorsque la journée du 2 mai rendit l’insurrection générale. C’est à ce titre qu’il fit la guerre de l’indépendance et qu’il exposa noblement sa jeunesse à tous les dangers ; c’est à ce titre qu’il se trouvait, le 18 novembre 1809, à la bataille d’Ocaña, où, frappé à la tête et à la poitrine et laissé parmi les morts, il ne dut son salut qu’à un hasard bienfaisant. Le dernier combat auquel il assista fut le combat de Chiclana. C’était le moment où le sol de l’Espagne allait de nouveau être libre. Ainsi, de 1808 à 1814, sa vie est livrée au jeu des batailles, et se poursuit à travers le bruit des armes, le mouvement des insurrections, les incertitudes publiques. Sa destinée agitée est la destinée même du pays. Les colères de Ferdinand VII, qui frappèrent tant d’hommes distingués, épargnèrent du moins Saavedra, et lui laissèrent même d’heureux loisirs. La révolution de 1820 le rejeta tout à coup dans des luttes nouvelles, dans les luttes politiques. Il était député de Cordoue en 1822, et comptait avec MM. Isturitz et Galiano parmi les membres les plus exaltés des cortès. En fallait-il davantage pour que la vie de Saavedra allât aboutir à d’autres épreuves, à celles de la proscription, plus pénibles et plus dures cent fois que les hasards de la guerre ?

Au milieu de ces puissantes diversions de la guerre et de la politique qui semblent devoir absorber les facultés d’un homme, ce qui est à remarquer, c’est la persistance, le développement de l’instinct littéraire de Saavedra. Soldat, il saisit toutes les occasions qui le ramènent vers l’étude, vers la culture de l’art, et cela prouve à quel point il était né poète. Dès 1807, il s’était lié avec le comte de Haro, aujourd’hui duc de Frias, et don Mariano Carnerero, et avait rédigé avec eux un journal sous la direction de Capmany. Le même entraînement de ses goûts littéraires, autant que la communauté des sympathies politiques, le rapprochait en 1811, à Cadix, de Gallego, de Quintana, de Martinez de la Rosa. En 1813, il publiait ses premiers essais, parmi lesquels se trouve le Paso Honroso, poème de jeunesse, oublié et médiocre au fond, mais où on peut déjà distinguer une heureuse facilité d’inspiration et une aptitude naturelle à manier la langue poétique. Il faut l’ajouter : quels que fussent les réels penchans de Saavedra, il ne les laissa triompher, il ne s’y livra entièrement que lorsque son épée ne pouvait plus être utile à l’indépendance espagnole. — C’est à ces années de repos de la première restauration que remontent quelques-unes de ses compositions dramatiques peu connues, Aliatar, qui fut jouée avec succès à Séville, Mlaleck-Adhel, le duc d’Aquitaine, Doña Blanca, qui n’a point été publiée. Ce sont des essais plutôt que des ouvrages achevés, même en leur genre restreint. Ce sont les fruits d’un esprit ardent qui a besoin de produire, et se hâte, avant d’avoir trouvé sa vraie route, avant d’avoir découvert les lois secrètes et profondes de l’art. L’imitation, dans ce cas, est naturelle. Tout y doit porter le plus grand novateur lui-même en sa jeunesse, et l’autorité jusque-là respectée de l’exemple, et l’incertitude de la pensée inhabile encore, pour ainsi parler, à creuser son propre cours. Il y avait une autre cause d’ailleurs qui devait retenir Saavedra dans le cercle tracé par l’école littéraire du XVIIIe siècle. L’Espagne, dans ses troubles, dans les violentes préoccupations de sa défense et de sa régénération, n’avait point été initiée au mouvement poétique qui avait éclaté en Europe : les noms de Goethe, de Schiller, de Byron, ou de Scott, étaient des noms inconnus pour ses écrivains ; leurs doctrines comme leurs inventions n’avaient pu encore franchir les Pyrénées.

La tragédie de Lanuza, qui date de 1822, ne satisfait pas davantage au point de vue littéraire. L’auteur n’a point songé à retracer quelque vigoureux et solennel tableau du XVIe siècle, où pussent revivre et se mouvoir à l’aise ces hommes si différens : Philippe II, Lanuza, Antonio Perez, — l’un poursuivant de sa haine astucieuse et profonde l’antique esprit d’indépendance provinciale, — l’autre livrant un dernier combat pour les franchises de l’Aragon, — le troisième allant d’aventures en aventures, et, après avoir été le ministre des vengeances de Philippe, son rival dans ses amours, soulevant en fuyant cette insurrection de Saragosse, où périrent les privilèges du pays, où de si nobles têtes tombèrent. Lanuza n’est qu’un nom ici ; le vrai sujet est la lutte du libéralisme moderne contre Ferdinand VII. C’est une œuvre de circonstance, d’allusion, une véhémente harangue de tribun. Or, ce procédé d’allusions, ce mélange d’un intérêt actuel et passager, en un mot, ce travestissement du passé au profit de quelques passions du présent n’offre que de vaines ressources à la poésie dramatique. Quand les auteurs français du XVIIe siècle ranimaient des personnages illustres de l’antiquité, ils pouvaient parfois les voir à travers les préjugés de leur temps ; ils avaient peu, il est vrai, l’entente de la couleur locale, ils violaient souvent la vérité historique, mais, à cette vérité appréciable seulement pour la critique, ils substituaient une autre vérité plus large et plus accessible à tous, la vérité humaine. Le Grec ou le Romain était homme avant tout. De la sorte, le XVIIe siècle a pu arriver à créer un art qui a eu sans doute ses imperfections, mais qui avait aussi les élémens d’une beauté et d’une grandeur immortelles, en dehors même des souverains mérites du style. Si, au contraire, on ne va fouiller dans le passé que pour pouvoir jeter dans la balance des partis un évènement dont la ressemblance avec le présent crée quelque mirage éblouissant et trompeur ; si la vérité historique et la vérité humaine sont chassées en même temps de la poésie pour faire place à la peinture de ce qu’il y a de plus incertain et de plus mobile, des passions politiques, que peut-il rester à une œuvre ? L’intérêt qui l’a pu faire vivre un seul jour est effacé le lendemain par quelque autre intérêt plus pressant et plus direct, et la laisse tomber dans l’oubli. Lanuza n’est point la seule œuvre de ce genre que l’Espagne ait produite. Pendant la guerre de 1808, Quintana et Martinez de la Rosa s’étaient aussi adressés au sentiment surexcité du peuple, le premier dans Pelage, le second dans la Veuve de Padilla. Il faut l’avouer même, Lanuza n’a qu’un mérite inférieur à celui de ces deux ouvrages. — Au demeurant, le but de l’auteur n’était-il pas atteint ? N’avait-il pas voulu faire une œuvre de passion politique plutôt qu’une œuvre d’art, et continuer au théâtre une de ces scènes d’émotion telles qu’on en pouvait voir au congrès, lorsque Galiano, dans sa fougue éloquente, disait qu’à défaut de la victoire, il ne resterait plus à l’Espagne que la servitude, et à eux-mêmes « que le poignard de Caton, l’échafaud de Sidney ou le sort de proscrits errans ? »

La restauration de l’absolutisme de Ferdinand VII produisit en effet ce cruel résultat qu’entrevoyait Galiano. Ce n’est point l’instant de juger la révolution de 1820 et son dénouement précipité, d’en marquer le caractère politique ; mais il y a dans ces crises un côté moral qu’il faut saisir, sans tenir compte des violences, des récriminations, des excès, des brutalités des partis. Dès ce moment, l’Espagne semble pour ainsi dire divisée en deux portions, l’une livrée volontairement, par un fanatisme incurable, à la servitude, ou fixée au sol par la nécessité ; l’autre rejetée au dehors pour son active participation à toutes les tentatives constitutionnelles, pour la fierté de ses idées et de ses désirs. La vie s’extravase en quelque façon. Au-delà des Pyrénées, pendant dix ans, tout essor est comprimé ; le pouvoir royal mêle dans ses actes la bouffonnerie et la terreur, frappe les victimes qui hasardent une espérance, supprime les écoles comme de secrets foyers de corruption, et rend des décrets contre les barbes séditieuses de la Catalogne. La littérature qui prospère, c’est une charade dans la Gazette de Madrid ou quelque honnête grammaire. La censure coupe les ailes au génie de Calderon si on veut le réimprimer, et arrête sur le seuil les écrivains nouveaux, tels que Zarate ou Breton de los Herreros, s’ils tentent d’arriver à la scène. La stagnation est complète ; c’est un sommeil semblable à la mort. Larra, dans le Pobrecito Hablador, a fait plus tard le tableau de cet état, avec l’ironie la plus acérée, en peignant l’Espagne sous la figure des Batuecas, vallée renommée pour l’ignorance qui y régnait. « Ici, dit-il, on ne lit, ni on n’écrit, ni on ne parle. » Et le Batueco se rassure en songeant que les hommes ne meurent pas d’ignorance. Il faut donc chercher ailleurs la vie morale de l’Espagne pendant ce temps ; il faut la suivre dans les scènes douloureusement variées de l’exil. Les hommes les plus marquans, MM. Toreno, Martinez de la Rosa, Burgos, Arguellès, Galiano, Isturitz, tous ceux que leurs opinions désignent à la haine de l’absolutisme, sont obligés de s’enfuir ; la proscription les jette loin de leur pays, en France, en Angleterre, où leur intelligence reçoit une éducation nouvelle. Se trouvant aux foyers politiques les plus agités, ils étudient la marche des idées constitutionnelles, ils se mêlent au mouvement littéraire de l’Europe, et cherchent dans les travaux de l’esprit des consolations élevées, souvent des ressources. Les œuvres de ces années d’épreuve forment toute une littérature de l’exil : Toreno écrivait l’Histoire du Soulèvement et de la Révolution de 1808 ; Martinez de la Rosa se consacrait à des essais plus littéraires, et faisait même représenter à Paris le drame d'Aben-Humeya ; Canga Arguellès préparait ses publications sur les finances et l’administration ; Alcala Galiano s’était fait l’utile collaborateur des revues anglaises ; Telesforo de Trueba imitait tour à tour l’art de Scott et d’Hazlitt dans ses critiques et dans quelques romans. Les Contes de l’Espagne romantique ont été traduits en français. Dès 1824, quelques hommes de talent, MM. Canga Arguellès, Villanueva, Mendibil, avaient fondé à Londres un recueil sous le titre de Loisirs des émigrés espagnols (Ocios de los Emigrados españoles). Les Ocios portaient pour épigraphe un mot d’Horace qui devrait servir de devise à toute émigration : Vitanda desidia est ! c’est-à-dire, il nous faut déjouer par l’activité de l’intelligence cette corruption secrète que l’inaction et le malheur unis portent souvent avec eux. Les Ocios parurent jusqu’en 1828 ; ils contiennent des recherches sur les anciennes constitutions de l’Espagne, sur l’économie politique, des études sur la littérature, sur la philologie, de nombreux essais poétiques. — Ces travaux, dont nous ne voulons pas cependant exagérer le prix, dans leur imperfection même, sont encore dignes d’estime. Ils offrent un exemple salutaire, celui de l’esprit dominant l’adversité. Ce sont les plus nobles soulagemens qui puissent rattacher à la vie dans ces momens où l’exil accroît ses rigueurs, où, sous le poids d’une inexprimable angoisse, on regrette de ne pas dormir dans la patrie opprimée, comme il arrivait à Énée battu par la tempête de la mer Tyrrhénienne d’envier le sort de ceux qui avaient péri sous les murs de Troie, dans les champs d’Ilion vaincue.

Saavedra occupe une place éminente parmi ces hommes distingués. L’exil n’est pas seulement une épreuve de plus dans sa vie ; il marque aussi le vrai point où son goût littéraire, où son talent se transforment. Les douleurs qui viennent l’assaillir, en le contraignant à rentrer en lui-même, à compter, si l’on peut ainsi parler, avec son cœur, le ramènent à la source où toute poésie se retrempe, à la vérité des sentimens. C’est cette vérité exprimée avec éclat qui caractérise plusieurs de ses pièces lyriques. En même temps, dans ses courses à Londres, à Malte, à Paris, il se familiarisait avec les inspirations de la littérature nouvelle de l’Europe, avec les poèmes de Byron, les romans de Scott. Les doctrines modernes, en élevant son point de vue, faisaient reparaître à ses yeux non plus seulement l’Espagne classique du XVIIIe siècle, mais l’Espagne du siècle d’or, et, au fond de l’horizon, ce moyen-âge moitié gothique, moitié arabe, chanté dans les romances par un peuple de poètes inconnus. Ses écrits, dès-lors, ont les qualités de la poésie de ce siècle ; à peine s’attarde-t-il encore un instant dans sa voie ancienne en rimant les octaves faciles du poème incomplet de Fiorinda.

Les œuvres lyriques de Saavedra sont comme une histoire émouvante et passionnée de sa vie fugitive. Le Proscrit (el Desterrado)[2] est le point de départ. Le poète, réduit à s’éloigner en 1823, gagne Gibraltar, et s’embarque le cœur serré ; le vaisseau quitte le bord au moment où la nuit vient déjà :


« … Au jour renaissant, je ne te verrai plus, belle Hespérie ! le vent furieux m’entraîne et m’éloigne de toi. Tes plages ne réjouiront plus mes yeux, qui interrogeront vainement l’immensité des flots… Ne te cache pas encore, soleil ; arrête-toi, par pitié !… Ces coteaux paisibles ne sont-ils pas les champs heureux couverts d’une éternelle verdure où coule le Bétis ? Non, mes yeux ne me trompent pas : je te salue et je t’aime, Guadalquivir, roi de l’Andalousie !… Oh ! comme tu t’avances avec fierté vers la mer, toi qui coules si tranquille et reflètes dans tes ondes les murs antiques de Cordoue ! Là, j’ai vu pour la première fois la lumière du jour ; là, la Fortune souriante m’endormit dans un berceau d’or : qui eût pu croire à son inconstance ? Là, tu m’as vu, enfant innocent, ramasser des coquillages et des fleurs ; depuis, jeune homme ardent, j’ai laissé sur tes sables l’empreinte des pas d’un cheval fougueux en allant parcourir tes bords. Tu m’as entendu enfin chantant des exploits ou soupirant l’amour, et tu as aimé mes accens… Ah ! sur tes belles rives, j’ai joui de la richesse, de l’amour et de la gloire, avant que mon étoile me devînt contraire. Toi qui me vis enivré de joie, ô Guadalquivir ! regarde-moi maintenant, pauvre, malheureux, triste, proscrit, fendant la mer et fuyant sans avenir.

« Patrie ingrate, tu me rejettes avec fureur de ton sein, récompensant ainsi mon amour ! Pourtant j’ai rougi de mon sang les moissons de tes campagnes en combattant pour ton indépendance et pour ta gloire… et ma voix, si humble qu’elle soit, s’est fait entendre pour ta liberté. »


Mais, aux yeux du poète, cette patrie n’existe plus ; ce n’est qu’un mélange odieux d’oppresseurs et d’opprimés. Il s’indigne de l’audace des uns, de la facile résignation des autres. « Il n’est plus d’espérance, » dit-il, et, appelant la destruction sur cette terre, il lance une imprécation terrible qui expire tout à coup sur ses lèvres


« Quel sentiment s’élève en moi et s’empare de mon cœur ?… Où sont ces affreux fantômes qui entouraient mon front enflammé ? Ils fuient, ils disparaissent, et d’autres objets apparaissent à mes regards.

« Ma mère ! mère adorée ! doux nom qui remplit et console mon ame ! Hélas ! tu vis, tu m’aimes, et pour moi, dans l’angoisse, tu verses des larmes sans fin. Mes frères, vous aussi, vous que mon sort condamne à un éternel regret, et toi, Angélique, qui as allumé dans mon cœur une flamme qui ne s’éteindra pas, et vous, amis fidèles, douceur et consolation de ma vie, objets de mon ardent amour, où êtes-vous ?… Qu’entends-je ? L’onde a-t-elle pris une voix ? Non, ce n’est pas le sifflement du vent, ce n’est pas le bruissement de la mer ; c’est la voix de ceux que j’aime qui me répond : « Malheureux, nous sommes ici sur ce sol où tu es né et que tu maudis avec tant de fureur ; nous sommes dans ces lieux qui virent ton bonheur, et nous pleurons, nous adressons à Dieu des vœux fervens pour toi et pour cette patrie plus malheureuse que coupable… Nous sommes dans cette Espagne où on entend le doux parler que tu as balbutié dans l’enfance, où les nobles coutumes des aïeux reçoivent encore notre culte, dans ce pays enfin que tu outrages et contre lequel tu invoques l’anathème d’un ciel vengeur. »

« Non, par pitié ! accens qui fîtes souvent mon allégresse et qui maintenant déchirez mon ame, assez ! Ma lèvre a-t-elle pu laisser échapper un tel blasphème ? Pardonne, Espagne malheureuse et aimée ; c’est la simplicité de tes enfans, et non leur corruption, qui a fait tes maux. Les étrangers se sont unis à des tyrans pour te ravir ta liberté naissante ; mais leurs triomphes seront passagers : les vengeurs ne te manqueront pas… Quand ce grand jour se lèvera-t-il ? Ah ! qu’il vienne tant que l’ardeur de la jeunesse échauffera mes veines et que mes bras conserveront leur force !

« Mais, si les lois immuables du destin éloignent encore cette heure souhaitée de la réparation, qu’elle vienne du moins avant que la mort cruelle me frappe de son inexorable main ! Que mes yeux pleins de larmes, doux pays, puissent voir tes campagnes, fût-ce au moment où ma tête blanchie s’abaissera sous le couteau de la Parque inclémente, où la tombe muette m’ouvrira ses bras ! Que je foule encore ton sol libre, riche, heureux et indépendant, dût-il être pour moi désert, sans amours et sans amitiés, et ne m’offrir que des tombeaux où aller répandre des larmes et des fleurs ! Et, dans cette vallée natale où coule le Guadalquivir à la lumière silencieuse de la lune, que je puisse jeter au vent le dernier de mes chants, ayant pour m’entendre célébrer ta gloire, ô patrie, les hommes qui ne sont pas nés encore et maudissant avec eux la mémoire de tes fils indignes qui te dégradent et t’oppriment ! — Alors je briserai ma lyre et je mourrai content, allant chercher l’éternel repos à côté de mes aïeux… »


Il serait difficile de rendre le feu de cette plainte énergique et saisissante, de reproduire exactement, dans un langage étranger, la couleur dramatique que lui donne cette brûlante rapidité d’émotions qui se succèdent et se heurtent, pour aller se perdre dans un invincible élan d’amour. Ce n’est point, on le sent, un simulacre de douleur ; c’est un deuil réel, ce sont des larmes vraies : l’imagination ne fait que venir en aide au cœur oppressé. L’ode Aux Etoiles date du même instant. Ceci n’était toutefois que la première heure de l’exil, l’heure de la fuite amère et inconsolable, qui devait être suivie pour l’auteur de longues années d’absence pendant lesquelles il eut à souffrir plus que l’incertitude morale de la proscription. Plus d’une fois le besoin vint l’assaillir. Tantôt, vivant à Londres, il évoquait tristement, au milieu des brouillards de la Tamise, les souvenirs enivrans du pays natal, comme le témoigne le Rêve du Proscrit (el Sueño del Proscrito) ; tantôt, espérant trouver à Rome un ciel plus clément et des spectacles mieux faits pour l’inspirer, il se dirigeait vers cette antique patrie des arts, mais la police italienne l’expulsait soudainement de Livourne, et il se voyait contraint de se réfugier à Malte. L’ode au Phare de Malte reproduit ses impressions lorsqu’il aborda pour la première fois à cette île, en 1828, après avoir failli périr dans une tempête. Puis il retournait en France, et là encore il n’échappait pas aux plus dures nécessités. La peinture, qui avait été un des amusemens de sa jeunesse, devenait pour lui un moyen d’existence. On a remarqué à cette époque divers tableaux de Saavedra ; le musée d’Orléans en a conservé même. Il n’est qu’une joie qui puisse alors tempérer la tristesse de son cœur, c’est son union avec cette Angélique qu’il avait chantée dans le Proscrit. L’ode A son fils (A mi hijo Gonzalo), qui vint bientôt au monde, est une de celles où perce le plus pur et le plus doux accent de vérité :

« Sur le sein de ta mère, tu dors, mon doux amour, comme une perle de rosée sur une fleur ; la candeur céleste d’une jeune ame se reflète sur ta figure comme un rayon de soleil dans le diamant.

« Ton pied n’a pas encore foulé la terre impure, tes mains n’ont pas touché le fer cruel et l’or corrupteur. Cette bouche suave, inhabile encore à parler et où règne une pureté angélique, n’a pu offenser personne.

« Tu ignores ce que c’est que la mort, ce que c’est que la vie. Cependant les heures s’envolent muettes. Quel sera ton destin ? Ah ! que t’importe ? tu jouis de tes songes paisibles sans songer qu’il y a un lendemain.

« Dors, gage adoré ; éveille-toi seulement aux doux baisers que nous te donnerons, ta mère ou moi, — et enchante un instant mon ame, qui a épuisé la coupe de l’infortune.

« Quand tu souris à mes tendres caresses, j’oublie ce qui a été et ce qui peut être encore ; qu’importent, si je te vois souriant, et les mépris de la fortune et les colères du pouvoir ?

« Mais il n’est pas de joie complète, hélas ! Lorsque je te regarde, je soupire en songeant à ton avenir… Inexplicable mystère que, comme toi, j’ignore, et que ni la science, ni l’or, ni la force ne peuvent découvrir.

« Une branche de rosier tombe dans un ruisseau tranquille qui couvre à peine la terre. — Heureuse si elle peut s’enfoncer dans ce sol humide et si elle grandit à l’abri du rameau paternel !

« Si un courant invisible l’entraîne vers le fleuve, elle peut encore s’attacher à une rive, y prendre racine, et devenir un magnifique arbuste.

« Mais, si le fleuve plus fort la pousse vers la mer, l’ouragan la saisit, les flots la secouent avec fureur, — et elle périt, mon fils ; elle est précipitée au fond des ondes ou va sécher au pied de quelque écueil … »

Saavedra songeait en même temps et travaillait déjà au Moro Exposito, qui fut publié à Paris en 1834.

Ainsi, l’émigration espagnole avait ses poètes comme ses historiens et ses critiques, tandis que dans la Péninsule même la vie littéraire, comme la vie politique, semblait suspendue. Dans les diversités de son existence errante, elle représentait la force morale et l’intelligence du pays ; elle se faisait gardienne de ses traditions civilisatrices, et les empêchait de périr, jusqu’au moment où elles pourraient être renouées plus réellement, plus puissamment au-delà des Pyrénées, et poursuivre leur invincible cours. Sans doute, considérée en elle-même, dans les résultats positifs, pratiques, qu’elle a pu avoir, une telle situation recélait des vices secrets ; elle a été la source de sérieux dangers qui se sont révélés par la suite. C’est par cette scission douloureuse et prolongée, en effet, que se peuvent expliquer bien des incertitudes, bien des tiraillemens intérieurs, ce qu’il y a en souvent de factice dans les mouvemens politiques de l’Espagne, et ces recours fréquens à l’imitation étrangère. Le peuple et les chefs replacés naturellement à sa tête ont paru plus d’une fois ne pas se comprendre ; ils ne marchaient point d’un pas commun, ils n’entrevoyaient pas également le but. Ceci est la part faite au malheur, qui ne passe pas vainement sur une nation et sur les individus ; mais, somme toute, quelle génération plus que celle-là a fait preuve d’un patriotisme dévoué, éclairé, efficace ! Quels hommes plus que ceux qui la composent ont agi utilement dans les jours difficiles ! Si la vue habituelle d’institutions fortement assises et jouant régulièrement dans d’autres pays a pu leur causer quelques illusions qui aient été les mobiles de leur pensée ou de leur conduite, il en est une qui les doit honorer : ils ont cru, dès les premiers momens, en mesurant leurs souffrances, que la liberté avait livré assez de batailles pour se fixer enfin, qu’elle était assez dégagée des incertitudes pour ne point voir dans l’ordre qui l’affermit une menace incessante de destruction ; et aujourd’hui encore, après dix années d’agitations, ne se retrouvent-ils pas parmi ceux qui ont entrepris la noble tâche d’organiser les forces rajeunies de la Péninsule ?

C’est par la mort de Ferdinand VII que l’Espagne se trouva replacée sans retour dans la voie moderne. Ferdinand fit plus en mourant qu’il n’avait fait pendant sa vie : il donna une royauté à l’Espagne libérale ; de ses mains défaillantes et irrésolues, il lui remit une bannière à opposer au despotisme étroit représenté par don Carlos. On ne peut nier que cette circonstance n’ait été décisive pour l’avenir constitutionnel de la Péninsule ; elle ralliait en faisceau les convictions progressives les plus avancées et les opinions scrupuleuses qui désiraient des réformes, mais voulaient les voir s’accomplir à l’abri de l’autorité royale ; elle traçait un cours normal aux idées nouvelles, et accroissait leur puissance, assurait leur succès en facilitant la modération. L’amnistie rouvrit aussitôt les portes de l’Espagne aux proscrits de tous les temps comme aux défenseurs naturels d’Isabelle. Le pouvoir passait de M. Zea Bermudez à M. Martinez de la Rosa, qui promulguait le statut royal, et à M. de Toreno. Ainsi, cette royauté d’une enfant protégée par une femme énergique, par Marie-Christine, se trouvait indissolublement liée à la révolution politique de la Péninsule. L’auteur du Desterrado avait repassé les Pyrénées en 1834 avec ses compagnons d’exil. Par son passé, le duc de Rivas, — la mort de son frère venait de lui laisser ce titre, — devait être de nouveau appelé à jouer un rôle politique. Il fut nommé vice-président des proceres[3] sous le régime du statut royal. Dans les premières discussions même, il est aisé de constater qu’un changement notable s’était opéré en lui : non que le temps eût attiédi son dévouement au progrès de l’Espagne, mais l’expérience avait corrigé son exaltation brûlante. Lorsqu’on proposait la loi d’exclusion contre don Carlos, il élevait le débat au-dessus d’une simple question de légalité, et, fidèle à lui-même, il ne fixait ses préférences que parce qu’il voyait la lutte établie entre la liberté et l’absolutisme. Cependant il ajoutait en même temps : « Certainement, messieurs, il est douloureux que nous soyons mis dans une si cruelle nécessité par un infant d’Espagne, descendant de cent rois, neveu de Charles III, fils de Charles IV, ce doux et naïf vieillard mort dans l’exil, loin de son trône et de ses serviteurs. Je suis reconnaissant, mon père et ma famille lui ont dû des faveurs…, et nous qui sommes ici, nous l’avons presque tous servi dans notre jeunesse… » Dans ces paroles, on sent que la modération a mûri cette tête ardente, qu’un sentiment de patriotisme élevé, sage, généreux, s’est substitué à un esprit de parti exclusif et haineux. Plus tard, en 1836, on peut voir le duc de Rivas ministre de l’intérieur dans le cabinet de M. Isturitz, et cette fortune non enviée lui suscitait de nouveaux chagrins, de nouvelles persécutions. Le ministère Isturitz, en effet, disparut dans l’échauffourée militaire de la Granja ; ses membres furent contraints de se soustraire par la fuite aux passions ameutées qui avaient mis en pièces et défiguré le corps de Quesada. Le duc de Rivas partagea ce mauvais sort, et passa momentanément en Portugal. Depuis, il a toujours occupé un rang éminent dans le parti modéré. Par ses actes, par ses discours, il a nettement marqué sa position dans toutes les circonstances. Toutefois il n’est pas un seul instant de cette vie agitée où le travail de l’imagination ne vienne révéler les vrais penchans du duc de Rivas. L’homme politique s’efface encore ici devant l’écrivain qui a donné la première impulsion au mouvement littéraire de l’Espagne, dans le poème par le Moro Exposito, dans le drame par Don Alvaro, et a consolidé sa gloire par les Romances historiques.

Quand le Bâtard maure parut en 1834, l’idée d’une rénovation littéraire s’emparait déjà des esprits au-delà des Pyrénées ; elle mûrissait comme un fruit naturel de cette autre révolution qui allait transformer les mœurs, les lois, l’état social tout entier de la Péninsule. Le goût du XVIIIe siècle, qui avait survécu, qui dominait encore, à vrai dire, n’était pas seulement repoussé pour ses restrictions, pour ses préceptes classiques désormais impuissans ; il avait en outre un vice originel c’était, dans le fond, une importation étrangère, contre laquelle protestait le mouvement de la pensée renaissante. Il y avait dans toutes les intelligences un désir inquiet, ardent, de voir l’Espagne rechercher en elle-même, dans son passé comme dans ses agitations présentes, les élémens d’une poésie nationale et rajeunie. Les imaginations excitées se détournaient des fictions académiques pour retrouver le secret de ces peintures animées et vivantes, libres et fortes, dont l’ancienne littérature espagnole, et, à d’autres égards, les littératures modernes de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France pouvaient offrir de puissans exemples. Si le Bâtard maure eut un réel succès, c’est qu’il venait à point dans cette situation transitoire, c’est qu’il répondait à ces vœux encore indistincts de perfectionnement littéraire, c’est que l’auteur, mieux préparé par les circonstances, plantait un drapeau autour duquel les nouveaux écrivains pouvaient venir se ranger. Déjà, dans ses poésies lyriques, le duc de Rivas avait montré sans doute un talent énergique, vrai, plein d’émotion ; il était arrivé, par un élan spontané, à des effets nouveaux ; mais n’est-ce point dans l’action variée et multiple du poème, du roman ou du drame, que se peuvent faire les plus larges applications de l’art ? Là, en effet, toutes les questions se présentent ; la poésie a à reproduire la nature humaine sous toutes ses faces, dans sa vérité générale, et en même temps dans cette vérité particulière qu’on nomme la vérité historique. C’est là aussi qu’on peut apprécier pleinement la grandeur ou l’insuffisance des innovations littéraires. Le Bâtard maure est tout à la fois un roman et un poème. Il est précédé d’un morceau de critique dû à M. Alcala Galiano, sorte de préface du Cromwell espagnol ; c’est un brillant essai sur l’état littéraire de l’Europe, sur la poésie de la Péninsule et sur son avenir. La critique se faisait ainsi l’auxiliaire de l’art ; elle se renouvelait avec lui, elle expliquait ses œuvres, et montrait l’imagination s’efforçant de répondre à ces lointains appels que lui adressait, du sein du passé, le vieux génie castillan.

Le duc de Rivas fait revivre, dans son poème, l’Espagne troublée du moyen-âge, avec ses implacables passions, avec cette variété que lui donne le mélange de deux races toujours en guerre, luttant sans cesse de chevalerie et d’héroïsme. Le second titre l’indique assez, c’est Cordoue et Burgos au dixième siècle. L’auteur a choisi pour le rajeunir un des plus terribles épisodes de cette histoire féconde en tragiques aventures, la destinée de la famille de Lara ; il en a fait le fond de son invention romanesque, en y rattachant toutes les digressions que peut lui fournir le spectacle des temps, des lieux et des hommes. — Cordoue est dans la fête : les jeux, les plaisirs, les tournois, réunissent tout ce qu’il y a de jeune et d’illustre à la cour du calife Hixcem, à l’occasion du mariage du fils de son ministre, l’hagih Almanzor. Au milieu de ces fêtes, décrites avec splendeur, il n’y a qu’un jeune homme tout entier à sa tristesse : c’est Mudarra. Une pensée grave et profonde habite son cœur. Beau, courageux, fait pour tous les exploits, il a une origine mystérieuse ; son père lui est inconnu, il ignore quelle est sa mère. C’est le souci de sa jeunesse. Depuis que Zahira, la sœur d’Almanzor, qui veillait sur lui avec tendresse, est morte, il sent davantage le poids de sa naissance obscure et dégradée. Confié aux soins d’un chef arabe, Zaïde, qui, après une vie guerrière, s’est retiré dans son château de l’Albaida, c’est pour la première fois qu’il met le pied dans ce monde brillant, à l’abri de la faveur d’Almanzor, et aussitôt le terrible nom de bâtard retentit à son oreille. Giaffar, le gouverneur de Cordoue, s’irrite de le voir dans la fête porter les couleurs de sa fille Kerima. Déjà, cependant, Mudarra sent naître en lui un invincible amour pour la jeune fille. Vainqueur dans les jeux, c’est par ses mains qu’il est couronné ; c’est elle qui lui remet avec inquiétude et en rougissant les insignes de sa victoire, et l’émotion de Kerima se transforme aussi en une passion brûlante. Tous les deux, dans leur amour, sont pleins de terreurs secrètes : «  0 Mudarra ! Kerima ! dit le poète ; malheureux ! quel étrange instinct agite votre poitrine, et vous fait voir d’horribles fantômes aux feux de votre amour ! C’est comme une voix inexorable de l’autre monde qui vous crie qu’une mer de sang vous sépare, qu’un mur d’ossemens sans sépulture s’élève entre vous. » Ce secret qui les doit séparer existe en effet, et c’est à l’occasion d’un meurtre qu’il va être révélé. Giaffar, pour étouffer l’amour de sa fille, dirigé en outre peut-être par quelque motif inconnu, veut faire assassiner Mudarra, surveiller de ses propres yeux l’accomplissement de ce funèbre dessein, et lui-même il tombe sous les coups du jeune homme qui défend sa vie. Mudarra arrive auprès de Zaïde, à l’Albaida, les mains teintes encore du sang de Giaffar : « Lève-toi, jeune homme, s’écrie alors le vieillard, ton bras innocent a été le ministre des colères célestes… tu as noblement commencé tes vengeances… le moment de la révélation est venu pour toi !… » Zaïde entraîne Mudarra dans un jardin ; il lui raconte cette sombre histoire des infans de Lara, que l’auteur a trouvée éparse dans le Romancero.

Aucun détail ne manque à cette horrible tragédie. Vingt ans avant le moment où parle Zaïde, qui a été l’ami de la famille Lara et a connu tous ses malheurs, les sept infans avaient éveillé la haine de doña Lambra, épouse de Ruy Velasquez, leur oncle et favori du comte souverain de Castille. Dès-lors cette haine s’appesantit sur eux avec fureur. Doña Lambra jure leur perte et anime la colère de son époux. C’est d’abord le père, Gonzalo Gustios, qui, sous l’apparence d’une mission de paix et d’honneur, est envoyé à Cordoue. Ruy Velasquez met de moitié dans sa vengeance Giaffar, ministre du calife, qui garde encore le ressentiment d’une défaite que lui a fait subir la valeur de Lara, et Gonzalo est retenu, puis plongé dans un cachot sous un vain prétexte. Ses fils, les sept infans, saisis d’une belliqueuse ardeur, prennent les armes pour aller le délivrer, et, par l’effet de la même vengeance concertée entre Ruy Velasquez et Giaffar, ils tombent dans une embuscade. Giaffar jette leurs sept têtes en pâture à l’affreux désespoir de Gonzalo enchaîné. Il lui montre ces faces souillées, sanglantes, défigurées, mais reconnaissables encore pour l’œil d’un père, et Gonzalo, stupide de désolation, appelle vainement ses fils : Diego ! Martin ! Fernando ! Suero ! Enrico ! Veremundo ! Gonzalo ! Voilà l’effroyable présent que Giaffar fait à son prisonnier avant de le remettre à Ruy Velasquez, qui l’enferme à son tour dans le château de Lerma. Toutefois, avant cette péripétie, dans sa captivité même, Gonzalo avait eu un instant d’oubli et de bonheur : une noble jeune fille, la belle Zahira, séduite par son infortune, avait pénétré jusqu’à lui dans son cachot ; ils s’étaient aimés, et bientôt le fruit de cet amour avait germé dans le sein de la jeune Arabe. Ce fruit, c’est Mudarra. — Qu’on se figure le jeune Maure instruit tout à coup d’un tel passé, à l’heure où ses mains fument encore du sang de ce même Giaffar, qui fut le persécuteur de son père, le meurtrier de ses frères ! Qu’on imagine l’évocation de tels souvenirs faite par un vieillard sous la voûte du ciel, à la lueur vacillante des étoiles, témoins impassibles de toutes les catastrophes humaines, et tandis que le vent de la nuit fait frissonner le feuillage noirâtre de sept cyprès plantés en mémoire des sept infans ! Certes, c’est une scène qui n’est pas sans grandeur. Un indéfinissable sentiment de terreur s’éveille dans l’ame. Hier Mudarra s’abandonnait à une douce tristesse en songeant à l’incertitude de sa naissance ; ses occupations étaient d’aller porter des fleurs au tombeau de Zahira, sans savoir que la noble Moresque fût sa mère, et de parcourir les rives du Guadalquivir, le cœur plein de son amour naissant pour Kerima. Aujourd’hui il est sous le poids de ce passé de sang et de larmes, et ne voit devant lui qu’un avenir de vengeance. Ce n’est pas assez de la punition de Giaffar ; il faut qu’il aille compléter le châtiment que réclame l’honneur de sa race ; il faut qu’il aille chercher son père, mort peut-être, peut-être encore misérablement enfoui dans quelque prison de la Castille, et, en partant, il laisse un noble adieu à Kerima « Adieu, dit-il, Kerima… En accomplissant mon devoir, je chercherai la mort ; je la souhaite… Zahira fut ma mère ; ne laisse pas périr les fleurs qui entourent sa tombe sacrée… »

Durant ces vingt années qui ont conduit Mudarra à son âge viril, que s’est-il passé en Castille ? Gonzalo Gustios est resté toujours dans un cachot du château de Lerma, privé d’air et de lumière. Un geôlier venait lui annoncer le jour ; le soir, on frappait sept coups contre le mur, comme pour lui rappeler sans cesse, par ce signe sinistre, le sort de ses fils. A peine délivré de ses tortures par le nouveau comte de Castille, Fernan-Gonzalez, il peut ramener sa vieillesse flétrie dans les lieux même où il a été puissant et heureux, — au château de Salas ; mais ses yeux se sont usés dans les larmes, ses regards se sont éteints. Il ne reconnaît la ruine de son antique palais qu’en sentant le vent et la pluie lui fouetter le visage à son entrée. Les pierres se sont écroulées comme la grandeur de sa race. Ce malheur est un motif de plus pour que le peuple fête le retour inespéré du seigneur de Lara. C’est le moment où Mudarra arrive avec Zaïde à Salas. Gonzalo Gustios, en retrouvant ce fils de son ancien amour avec Zahira, qu’il croyait à jamais perdu pour lui, se livre à une joie d’enfant ; il l’entoure de ses vieilles caresses : « O ciel, dit-il, rends-moi un instant la vue ! que je puisse voir mon fils un instant, dussé-je rentrer après dans ma nuit éternelle ! » La foule elle-même se plaît à reconnaître le jeune Arabe ; en lui revivent tous les traits de Gonzalo, le fils préféré de Lara. De là naît même un touchant épisode, celui de la vieille Elvida, qui, après avoir perdu la raison en apprenant la mort du jeune Gonzalo qu’elle avait nourri de son lait, croit le voir revenu comme un voyageur qu’on ne semblait plus attendre, et se laisse aller à toutes les illusions d’un amour mêlé de folie. Mudarra cependant n’abdique pas ses sentimens de vengeance, et une occasion naturelle se présente pour les laisser éclater. Le comte Fernan-Gonzalez, sachant que des Maures sont entrés sur le sol castillan, vient à Salas ; il est accompagné de Ruy Velasquez, le premier auteur des maux de la famille Lara, le cruel complice de Giaffar. Mudarra demande à combattre pour l’honneur et la loyauté de son père contre Velasquez, et c’est dans cette passe d’armes chevaleresque, en présence de la Castille assemblée, que le sang de Gonzalo Gustios vient venger ses affronts et ses malheurs par la mort de l’époux de doña Lambra. L’auteur fait reparaître encore à la fin du poème la douce figure de Kerima. Exaltée par sa passion, poussée par l’égarement, la jeune fille, surmontant tous les obstacles, a voulu suivre les traces de son amant. On la voit tout à coup se jeter sur le champ de bataille où gît Ruy Velasquez et où Mudarra lui-même est près de succomber à ses blessures. Plus que toute chose, l’apparition de Kerima, sa tendresse retrouvée, doivent ramener le jeune Arabe à la vie. Tout donc semble sourire à leur bonheur nouveau. Gonzalo Gustios accueille la Moresque comme sa fille ; les deux jeunes gens embrassent la foi chrétienne, et leur union se prépare ; mais, comme si la loi religieuse à laquelle vient de se vouer Kerima développait en elle d’intimes remords, de mystérieuses douleurs, sa beauté s’efface et pâlit par degrés, et, à l’instant même où elle va être liée pour toujours à Mudarra, elle recule avec effroi, voyant le sang de son père sur la main de son fiancé. « Je me consacre à Dieu ! s’écrie-t-elle, le Christ est mon époux ! » - Ce dénouement imprévu est trop prompt ; il est peu motivé, mal amené. Si l’on s’y arrête un peu cependant, pour en chercher le sens, ne voit-on pas la fatalité s’y montrer avec un caractère particulier ? Ingénieuse à diriger ses coups, toujours prête à faire sentir sa puissance par quelque côté, elle respecte l’orgueil de l’homme, laisse Mudarra sortir vainqueur de ses luttes, regagner l’honneur d’un nom illustre, et à la même heure elle le frappe dans son bonheur ; elle flétrit sa joie la plus chère. N’y a-t-il pas quelque chose d’émouvant dans la fuite soudaine et irréparable de cette illusion d’amour qui a flotté sur la jeunesse du bâtard, qui a triomphé de tant d’obstacles et semble attendre, pour s’évanouir tout à coup, que le cœur ait pu croire à sa durée ?

Il est aisé de le remarquer, la fiction se mêle sans cesse à l’histoire dans le Bâtard maure, et cela serait plus visible encore s’il était possible de suivre la fantaisie du poète dans tous ses détours, dans toutes ses excursions. Le duc de Rivas a mérité d’être appelé le Walter Scott de l’Espagne moderne, jugement qui est l’indication du prix attaché à son talent plutôt qu’une appréciation bien exacte. Cette habileté du récit en effet, cette connaissance profonde et désintéressée de la nature humaine, cet art de recomposer les caractères les plus divers avec une fidélité minutieuse, de reconstruire une époque dans son ensemble et dans ses détails, de faire vivre et agir les hommes en donnant de la logique même à leurs inconséquences, du naturel même à leurs folies, — toutes ces qualités, en un mot, qui font le génie du grand auteur des Puritains et de Rob-Roy, n’apparaissent que faiblement dans le Moro Exposito. Il y a sans contredit des élémens dramatiques dans l’action ; il y a des tableaux puissans et vrais à côté de quelques scènes comiques par momens heureuses ; il y a des traits énergiques et expressifs dans les caractères que l’auteur retrace, dans Gonzalo Gustios, Ruy Velazquez, Mudarra, Zaïde, le vieux serviteur Nuño, la pauvre nourrice Elvida. La pureté idéale de Kerima fait un noble contraste avec la beauté hautaine, empreinte de passions sensuelles, de la vindicative doña Lambra. « Pourquoi, dit le poète, le ciel n’a-t-il pas mis dans doña Lambra une ame noble et grande, digne d’habiter un si beau corps ? C’était un sépulcre de marbre brillant au dehors, et qui recélait dans son sein les vers et la pourriture. Elle ressemblait à un riche palais où éclatent l’or, le bronze et le jaspe, et où se cachent des hyènes furieuses » Certainement la vie circule avec abondance dans cette œuvre, dont l’analyse ne peut donner que le froid squelette ; mais ce qui manque à tous ces élémens rassemblés par l’auteur, c’est la cohésion, l’unité ; ce qui manque à l’action, c’est une suite logique et bien déterminée. Nulle part on ne sent la présence de ce sentiment supérieur de l’ordre, qui doit présider même aux inventions les plus libres, et qui marque la différence entre une ébauche, quelque magnifique qu’elle soit, et une œuvre achevée. Encore moins peut-on y reconnaître le génie large et compréhensif de Walter Scott ; si ces deux noms ont pu être rapprochés, c’est parce que le goût de cette poésie chevaleresque a été visiblement suggéré à l’écrivain espagnol par l’illustre Écossais, et que le Bâtard maure est le premier essai pour lui donner une naturalisation nouvelle au-delà des Pyrénées. — La partie la plus incontestablement belle du poème est la partie lyrique. Là l’inspiration se retrouve dans sa force et dans son originalité, soit que l’auteur donne cours à ses plus intimes émotions, soit qu’il dépeigne la beauté des campagnes. S’il ramène quelqu’un de ses héros dans son pays après une longue absence, il fait involontairement un retour sur lui-même.

« Oui, dit-il, les doux souvenirs de la patrie se fortifient loin du foyer paternel ; nous nous imaginons que tout en elle doit être immuable, et nous souhaitons avec anxiété de la revoir, pensant que rien n’aura changé durant notre éloignement.

« Voici cependant l’heure du retour. Ce que nous avons quitté en partant n’existe plus ; de tous les côtés nous ne rencontrons que des choses nouvelles et différentes ; nous voyons avec effroi se dissiper les illusions de nos souvenirs, et nous sommes comme des étrangers dans notre propre patrie : malheur le plus grand qui puisse tomber sur nous ! »


L’instant où Mudarra quitte l’Andalousie pour la Castille amène naturellement un tableau des deux pays, qui est un des beaux fragmens de la poésie descriptive espagnole.


« Une autre scène s’offre à mes yeux, dit le poète ; ce ne sont plus les campagnes fleuries où s’étendent les ondes majestueuses du Guadalquivir ; ce n’est plus la sierra féconde, élevant jusqu’au ciel sa cime toujours pure de neige et couronnée de mousse, de fleurs odorantes et d’oliviers, tandis que les vergers et les jardins tapissent ses flancs, embaumant l’air des douces senteurs de la rose et du jasmin. Point d’illustre cité dont le nom, la puissance et la gloire soient agrandis par la renommée, racontés par l’histoire et attestés par les monumens… - Voilà la Castille ! un ciel obscurci par des nuées épaisses et des vapeurs grisâtres ; un sol dépouillé où l’hiver cruel exerce ses rigueurs ; un horizon d’affreuses montagnes dont les pics se hérissent, où s’élèvent seulement des pins au feuillage sombre, et qui sont couvertes de neiges. Voici l’Arlanza ! si, dans l’été, il se couronne d’épis avec orgueil, maintenant ses eaux troublées et paresseuses s’encombrent de glaçons. Voici la cité belliqueuse où est le siège des comtes castillans. Ah ! ce n’est pas la ville du puissant Hixcem. Comme Cordoue, la naissante Burgos n’élève pas dans un ciel de saphir ses minarets et ses dômes de marbre et d’or. Elle a de fortes murailles et des tours de pierre inaccessibles au soleil, qui défient les tourmentes, les orages et les fureurs de la guerre. Ses palais n’abondent point en richesses ; ils ne sont pas tendus en toiles exquises de l’Orient ; ils n’abritent pas les sciences et les arts. Là on n’entend pas, au lever de la claire aurore, la voix du muezzin annonçant aux hommes le nouveau jour et les invitant à porter leurs prières au temple. De vastes cloches d’airain ébranlent l’air et jettent leurs sons mélancoliques pour rappeler l’heure des pratiques divines. La voix des écoliers n’éclate pas dans les rues ; dans les places, on n’aperçoit pas la gaieté, le mouvement et la profusion des métiers. Dans Burgos, le marteau retentit, battant le fer, pliant l’acier déjà éprouvé par le feu en armures de toute sorte. On n’entend que le chant monotone des églises, des chapelles, des couvens, et la confuse rumeur d’un peuple pauvre et taciturne. »

« Et les campagnes, combien elles sont différentes ! Là, les laboureurs en troupe et demi nus suivent en chantant les bœufs tardifs à l’aide desquels ils fécondent leurs sillons, et sont assurés d’avance de l’opulente moisson qui sera le prix de leurs sueurs, tandis qu’ici le pauvre, condamné à lutter contre une terre ingrate, sous un climat plus dur, ouvre péniblement le sol avec ses mules agiles, redoutant toujours de voir le fruit de ses fatigues emporté, avant qu’il ait mûri, par quelque irruption ennemie, ou, lorsqu’il est mûr, par un moine rusé, par la barbarie d’un seigneur tyrannique ou la violence des bandits qui habitent la montagne.

« Enfin ce siècle vit, dans la Bétique, un empire illustre et tout puissant, une nation grande, brillante et riche, mais dont la déchéance prochaine s’annonçait par la tyrannie des monarques et l’amour du peuple pour les voluptés amollissantes ; dans la contrée qu’arrose l’Arlanza, au contraire, un état naissant, les difficultés de la conquête, un gouvernement sans vigueur, des lois incertaines, des factions acharnées, une ignorance profonde, unie à la pauvreté ; mais une énergie, une constance et un courage qui faisaient augurer la grandeur que le ciel réservait à la Castille !… »


Un pareil éclat rappelle l’époque où le génie espagnol n’avait pas été corrompu encore par le faux goût et refroidi par le mélange des fadeurs mythologiques ; la forme et le fond sont ici en rapport. Il n’y a pas seulement dans ces vers cette fluide facilité descriptive, si commune dans les pays méridionaux, si naturelle avec une langue riche, sonore, harmonieuse, qui est elle-même une musique enivrante ; tout y atteste une inspiration renouvelée et vivace ; et, chose à observer, cet art de la composition, cette vue supérieure, cette force concentrique, qui font trop souvent défaut dans l’action, reparaissent dans les passages lyriques comme pour mieux marquer la vraie nature du poète. Le Bâtard maure méritait donc, à ce point de vue surtout, le succès durable qu’il obtint. Dans ses parties même les plus imparfaites, c’est encore une remarquable tentative. En remettant la poésie en présence de ce vaste domaine d’un passé héroïque, le duc de Rivas donnait un exemple fécond ; il imprimait à l’art une direction salutaire, et, s’il n’atteignait pas toujours le but, il prouvait du moins qu’il l’avait entrevu, qu’il en saisissait la grandeur ; son imagination, en pénétrant dans cette voie nouvelle, y faisait briller une de ces lumières soudaines que tous les esprits attendent, dans les momens de transformation, pour se mettre en marche.

Don Alvaro à la Fuerza del Sino a réalisé au théâtre, en 1835, un progrès analogue. Si l’on songe, d’un côté, à l’état d’abaissement où se trouvait, plus peut-être que tout autre genre de littérature, l’art dramatique au-delà des Pyrénées, aux difficultés que faisait peser sur lui une censure ignorante, implacable, qui ne tolérait que l’imitation des plus plates vulgarités étrangères, et de l’autre à cet amour merveilleux que l’Espagne a toujours eu pour les représentations théâtrales, qu’elle a conservé même dans les heures les plus mauvaises, on ne peut s’étonner que le drame du duc de Rivas ait été un évènement littéraire considérable ; il ne faut point être surpris si la joie fut vive de voir que le pays illustré par Calderon, Lope, Moreto, Alarcon, Tirso de Molina, pouvait encore trouver des ressources en lui-même, et qu’il suffisait d’un peu de liberté pour seconder l’essor d’une nouvelle poésie dramatique plus nationale, et qui s’accordât mieux avec les instincts modernes. Le drame n’avait point eu à la fin du siècle dernier l’heureuse fortune qui était échue à la comédie. Tandis que celle-ci était réformée par un esprit vif et original, par Moratin, dont les œuvres, la Femme hypocrite (la Mogigata), le Oui des jeunes Filles (el Si de las Niñas), n’ont pas perdu leur intérêt, et se maintiennent de nos jours par leur verve brillante, la tragédie était restée ce que l’avait faite l’école du XVIIIe siècle. Les ouvrages les plus dignes de remarque qui touchent à notre temps, nous les avons nommés : quelques-uns, Pelage et la Veuve de Padilla, ont eu une valeur de circonstance. D’autres plus récens, tels que l’OEdipe de M. Martinez de la Rosa, montrent le goût purement classique dominant encore les intelligences les plus élevées, et gardant son empire jusqu’à un moment bien rapproché de nous. Aucun caractère nouveau ne signale ces compositions, et bien moins encore les traductions innombrables qui réduisaient l’Espagne à n’être que l’écho servile d’un autre peuple. Entre ces travaux timides ou inutiles et don Alvaro, il y a toute une révolution accomplie dans l’art comme dans la société. L’auteur revenait vers la scène qu’il avait forcément quittée depuis plus de dix ans ; mais il y revenait l’esprit libre des passions qui avaient fait de Lanuza un dialogue politique plutôt qu’une œuvre tragique, n’ayant en vue que l’intérêt littéraire et familiarisé avec les hardiesses des écoles poétiques étrangères. Il trouvait en même temps un théâtre délivré de la surveillance oppressive de la censure et un public vaguement désireux de nouveautés dans son ignorance, déjà ébranlé par les secousses politiques qui l’agitaient. Tout servait donc à favoriser l’audace.

Le drame du duc de Rivas est tout d’invention ; il est né exclusivement de la fantaisie du poète ; aucune date certaine ne pourrait être assignée à l’action. Si quelques mots sur la guerre de Philippe V n’indiquaient qu’il la faut placer au XVIIIe siècle, les campagnes d’Italie où don Alvaro va vainement chercher la mort pourraient aussi bien être les campagnes de Charles-Quint. Le vrai sujet, c’est la vie d’un homme livrée aux poursuites inflexibles du malheur ; c’est la force du destin prenant un être condamné à son berceau, pour le pousser, de déception en déception, de douleur en douleur, de chute en chute, jusqu’à une fin lamentable. Cette fatalité, que nous montrions dénouant les amours du bâtard maure et de Kerima, elle est ici dans toute sa puissance. Don Alvaro est le fils d’un vice-roi révolté du Pérou, qui s’est uni à une descendante des Incas pour secouer le joug castillan, au mépris de la loyauté et de l’honneur. C’est donc sous un astre funeste qu’il voit le jour. Il a traversé les mers pour venir justifier la mémoire de son père, mort avec la flétrissure du traître, pour chercher à laver l’écusson qui lui a été laissé souillé, et qu’il ne peut tirer de l’ombre avant l’heure de la réhabilitation. A Séville, où il vit cependant, sa naissance est ignorée ; héros de la famille de Conrad ou de Lara, il n’est connu que pour la beauté étrange de sa figure, pour la profusion de ses richesses, et la facilité avec laquelle il jette l’or à pleines mains. Le mystère même dont il s’environne attire sur lui tous les yeux. L’inexprimable fierté qui perce en lui, l’apparence de noblesse qu’il garde toujours, tous ces dons extérieurs, à l’aide desquels il séduit et fascine les regards, empêchent qu’on ne sonde plus profondément les secrets de sa vie. C’est dans cette situation où le merveilleux a sa part, que don Alvaro s’éprend d’un violent amour pour doña Léonor de Vargas, la fille du marquis de Calatrava ; mais lui qui n’a qu’un nom inconnu à offrir, dont la fortune est peut-être celle d’un aventurier heureux, d’un pirate qui veut se reposer dans les jouissances de ses fatigues coupables, comment pourrait-il aspirer à la main de l’héritière d’une illustre race ? Il l’a osé pourtant, et la passion qu’il a éveillée dans l’ame de Léonor lui faciliterait singulièrement la route, s’il n’y avait un obstacle plus fort, celui que met entre eux l’honneur de la maison de Calatrava. Le vieux marquis oppose un refus invincible. Dans ces circonstances, Léonor, entraînée par l’amour de don Alvaro, consent à le suivre. La nuit les réunit secrètement, comme Roméo et Juliette. Près de partir, ils épanchent encore leur ardeur passionnée. Malgré tout, la jeune fille ne saurait étouffer ses regrets, ses remords, les terreurs qu’elle éprouve en foulant aux pieds le devoir et l’affection filiale ; elle veut retarder, elle hésite, elle se combat elle-même, lorsqu’au milieu de ces incertitudes et de ces angoisses apparaît la figure irritée du père. Don Alvaro abaisse son orgueil devant le marquis, qui veut le faire enchaîner comme un vil larron ; il se met à ses genoux, appelant sur lui seul le châtiment, et dépose à terre un pistolet dont il s’était d’abord saisi ; mais, par un jeu cruel du destin, ce pistolet part, et va frapper Calatrava, qui tombe et meurt en maudissant sa fille. Affreuse catastrophe ! Vainement, dès-lors, don Alvaro cherchera à retrouver la paix, à réunir les élémens dispersés de son bonheur, comme on rassemble les morceaux d’un verre fragile qui a volé en éclats : le malheur partout l’accompagne ; chaque effort qu’il tentera ne fera qu’élargir l’intervalle marqué de sang qui le sépare de Léonor. La lutte qui s’est engagée dans cette nuit funeste entre les serviteurs de Calatrava et don Alvaro, lutte où celui-ci a failli succomber, fait même que chacun des deux amans perd la trace de l’autre. Léonor s’enfuit chez une de ses parentes à Cordoue, et bientôt va se cacher plus profondément, sous les habits d’un religieux, dans une solitude abrupte qui avoisine le couvent des Anges, à Hornachuelos. Là, elle vit isolée, pleine de douleur et de repentir, retranchée du monde, morte pour sa famille. Pendant ce temps, don Alvaro, afin de tromper son désespoir, ou pour y mettre un terme, est allé, sous le nom de don Fadrique de Herreros, se mêler aux guerres d’Italie, et, bien loin de rencontrer la mort en allant au-devant d’elle, il ne fait qu’acquérir une brillante renommée de courage. Il n’a qu’un ami auquel il est lié par la communauté des dangers, par la noble fraternité du champ de bataille : c’est un jeune officier, don Félix de Avendaña ; et, comme si le destin préparait une embûche sous chacune de ses joies passagères, don Félix n’est autre que le fils aîné du marquis de Calatrava, qui est à sa recherche pour venger la mort de son père et l’honneur de sa maison. C’est cette amitié même qui les remet en présence sous leurs vrais noms de don Alvaro et de don Carlos de Vargas. Le premier gravement blessé, dans la prévision de la mort, confie à son ami une cassette, pour brûler, s’il succombe, les papiers qui y sont contenus. Celui-ci, cédant à un instinct plus fort que sa loyauté, ouvre à peine la cassette, et voit le portrait de sa sœur, doña Léonor. Tout lui indique qu’il a enfin trouvé le meurtrier de son père ; il attend sa guérison, le provoque, et tombe fatalement lui-même sous les coups de son adversaire, qui s’est inutilement efforcé de détourner cette catastrophe nouvelle. Ce n’est pas tout encore : don Alvaro revient-il en Espagne pour s’enfermer au couvent des Anges et se soustraire par là aux malignes influences de sa fortune, la paisible expiation ne lui est pas permise. Le second fils du marquis de Calatrava, don Alonso, viole sa retraite, l’arrache à sa cellule, fouette son sang par l’injure, et lui remet une épée dans la main ; don Alonso meurt comme son frère, dans une gorge de la montagne, laissant don Alvaro pétrifié. Il n’y a qu’une terreur à ajouter à celle-ci, c’est l’apparition de doña Léonor à cette heure suprême ; le combat a eu lieu, en effet, près de la solitude où elle s’est ensevelie depuis long-temps. Son frère mourant peut encore rassembler ses forces pour la frapper d’un coup de poignard. Don Alvaro se précipite du haut d’un rocher en jetant au ciel un dernier blasphème, et les moines, les gardiens du couvent, accourus, s’écrient, pleins d’épouvante : « Miséricorde ! Seigneur, miséricorde ! »

C’est là une œuvre incontestablement tragique. Il y a dans don Carlos et don Alonso un âpre et malheureux désir de vengeance ; dans don Alvaro, un effroi de tout ce qui l’entoure, de ce sang toujours prêt à lui rejaillir à la face, qui laissent une longue et sinistre impression. Une poésie forte et colorée relève et ennoblit ce qui pourrait parfois paraître simplement mélodramatique. Toutefois en considérant au fond le sujet lui-même, ne doit-on pas aussi faire remarquer ce qu’il y a d’un peu étrange à montrer la fatalité comme la souveraine et l’exclusive maîtresse d’une vie entière ? Certes, nous comprenons ce que ce dogme mystérieux a de saisissant pour l’imagination, et particulièrement pour une imagination espagnole ; nous savons quels effets on en peut tirer encore. Il faut bien que cette idée de la fatalité soit naturelle, pour qu’elle se retrouve, sous des noms différens, dans toutes les religions, pour qu’elle ait été reproduite à divers égards par les littératures les plus éminentes ; mais la raison humaine, en grandissant, n’a-t-elle pas diminué le prestige de cette puissance invisible ? Ce n’est plus une croyance pour nous, et, puisqu’avec le temps ; le sentiment de la liberté morale s’est de plus en plus développé ne serait-ce pas un spectacle également grand et plus vrai aujourd’hui que celui de l’homme, non plus aveuglément soumis à une force supérieure, aveugle elle-même, mais luttant contre elle, arrivant parfois à déjouer ses coups, lui disputant son intelligence et son ame, et se montrant vainqueur aussi souvent que vaincu dans ce combat héroïque ? Si le drame antique, dont la fatalité est le ressort, nous rend les témoins de la défaite continuelle et assurée de l’homme, ces alternatives, cette perspective d’une lutte incertaine qui tient toujours nos forces en éveil, ne sont-elles pas la source d’un autre ordre de sentimens plus élevés et particuliers à la civilisation chrétienne, dont le bienfait nous rouvre les sphères supérieures, nous donne l’espérance dans les plus grands abandons ? Pense-t-on qu’il y ait moins d’élémens dramatiques dans cette idée, que les douleurs soient moins touchantes parce qu’elles ne sont pas irrémédiables, que l’émotion se doive refroidir parce que les efforts tentés pour corriger la fortune obtiendront quelque prix ? La morne pitié qu’inspire un héros condamné et livré à la fureur vengeresse d’une destinée implacable serre le cœur, lui communique un oisif et venimeux désespoir. Une compassion douce et féconde, au contraire, naît à la vue de l’être assailli par les épreuves, et qui parvient de nouveau à découvrir les étoiles du ciel, selon le langage de Dante, après avoir suivi sans succomber la voie des douleurs humaines.

Quel que soit d’ailleurs ce jugement général, il faut le reconnaître, le duc de Rivas a développé son sujet avec une réelle puissance. On conçoit que pour une telle donnée les fictions classiques fussent insuffisantes, qu’il fallût un cadre plus libre et plus large aux agitations renaissantes de la destinée de don Alvaro. L’auteur n’a ménagé ni le temps ni l’espace ; les années s’écoulent entre le commencement et la fin de l’action dramatique, la scène change à son gré, et est tantôt en Espagne, tantôt en Italie. L’élément comique vient par instans reposer des terreurs du drame. La prose se mêle aux vers, comme dans certains ouvrages anciens. Rien ne manque à cet essai hardi, qui, le premier, a donné la mesure des facultés dramatiques du duc de Rivas, comme le Bâtard maure avait fait éclater dans un jour nouveau ses autres qualités poétiques. — Il est maintenant facile d’apercevoir les traits distinctifs du génie de l’auteur. On pourrait dire de lui ce que Sheridan disait de Moore : « Son ame est une étincelle de feu échappée du soleil ! » Doué d’une sensibilité énergique, d’un enthousiasme prompt et chaleureux, dans la poésie lyrique il trouve d’incomparables accens ; s’il plonge dans l’histoire, la vérité se révèle à lui par éclairs, dans quelque vision magnifique et passagère ; il la devine d’instinct plutôt qu’il n’en a une connaissance exacte. S’il peint un caractère, il en saisit surtout les côtés extérieurs et saillans qui frappent l’imagination. Il est habile à décrire les désastreux effets d’une calamité fatale, bien plus qu’à suivre pas à pas les passions dans leur développement moral et logique. Son style a toute l’opulence méridionale, la richesse de la couleur, la profusion des images, avec les défauts inséparables de ces qualités même. Il y aurait, sans contredit, de nombreux points de comparaison entre cette nature généreuse dominée par l’imagination, et celle de l’auteur des Orientales et d'Hernani, dont le génie est à demi espagnol.

Le talent du duc de Rivas s’est montré sous une autre face dans la comédie. Le Prix de l’Argent, — si l’on aime mieux, Tu vaux ce que tu as (Tanto va les cuanto tienes),- est une intéressante peinture de mœurs. C’est un pauvre diable de millionnaire qui tombe des Indes à Séville chez sa sœur doña Rufina, et dont la considération baisse ou s’élève auprès de celle-ci, auprès des usuriers qui l’entourent et des amans intéressés qui courtisent sa fille, suivant qu’on le suppose ruiné par les pirates ou encore possesseur de ses richesses ; ce qui doit faire réfléchir les millionnaires, et n’empêche cependant personne de tâcher de le devenir, sans doute afin que la comédie ne périsse pas. Il y a des détails faciles et amusans dans le développement de cette idée : le contraste de ce brave don Blas arrivant chargé d’or, seul pourtant, sans suite et mal vêtu, au milieu de sa famille, qui couvre sa misère d’un luxe insolent, est d’une invention comique élevée ; mais le Prix de l’Argent n’est qu’une diversion aimable, que le jeu d’un esprit flexible et varié. C’est dans la voie qu’il s’était d’abord ouverte, dans le drame et dans le poème, que le duc de Rivas s’est maintenu avec gloire, et il n’a eu qu’à écouter son inspiration première pour produire d’autres œuvres sérieuses et originales, où son imagination se retrouve tout entière. L’Epreuve de la Loyauté (el Crisol de la Lealtad), les Consolations d’un Prisonnier (Solaces de un Prisionero), la Morisca de Alajuar surtout, sont de remarquables compositions dramatiques qui se rapprochent complètement des vieux modèles par l’ampleur, la liberté, le mouvement de la passion ou de la fantaisie. Dans le poème, l’auteur a mieux fait : il a rajeuni le romance ; ingénieuse tentative digne de succès ! Déjà il avait publié quelques romance ; à la suite du Bâtard maure en 1834 ; ses plus récens recueils sont exclusivement consacrés à faire revivre cette antique forme, et à lui donner un nouveau lustre.

Le romance, on le sait, est un genre particulier à la Péninsule. C’est dans ce mode de récit spontané, rapide, souple et toujours animé, que l’Espagne a célébré les évènemens de sa vie guerrière, ses faits domestiques ; c’est dans cette poésie vraiment nationale que se reflètent le mieux son génie et ses mœurs. Il n’est pas de forme plus dramatique et plus heureuse que cette forme laissée par l’imagination populaire à l’imagination plus savante des poètes et qui avait été atteinte de la corruption commune à la fin du XVIIe siècle. Le duc de Rivas, en la modifiant légèrement, en lui appliquant une certaine règle rendue inévitable par les progrès de l’art, n’a fait que la reproduire dans les Romances historiques. Il s’est servi d’un genre de poésie purement espagnol pour traiter des sujets tout nationaux, — aventures tragiques, combats de chevalerie, histoires d’amour, prodiges de l’honneur. C’est dans les annales même de son pays, qu’il a puisé, et il serait parfois curieux d’observer comment les Romances anciens et la poésie moderne représentent tour à tour les mêmes hommes, les mêmes actions, les mêmes évènemens. Les Romances historiques sont d’une très grande variété. L’imagination du duc de Rivas a créé tout un monde brillant et poétique : ici, au milieu des fêtes splendides de la cour de Philippe IV, c’est le comte de Villamediana qui périt victime de son amour pour la reine ; là, le favori du roi don Juan, don Alvaro de Luna, touche en peu d’instans à toutes les extrémités de la fortune, et se réveille sur un échafaud après s’être endormi dans la prospérité et la puissance, destin ordinaire de tous les favoris que l’Espagne a vus passer en si grand nombre ! En est-il un seul qui n’ait été violemment repris et englouti par la vague capricieuse qui l’avait porté ? L’Alcazar de Séville et le Fratricide retracent l’histoire de l’amant couronné de Maria Padilla, de don Pèdre-le-Justicier, assassin d’un frère qui mourut de la main d’un frère. Le Fratricide est un des poèmes qu’on peut justement citer pour l’énergie et l’intérêt dramatique. La figure de don Pèdre, d’ailleurs, est une de celles qui ont le plus attiré les poètes et excité leur imagination. Combien d’œuvres anciennes l’ont pris pour héros ! combien d’œuvres modernes même ont réveillé sa mémoire ! Plusieurs des romances du duc de Rivas lui sont consacrés, outre le Fratricide. Le Souvenir d’un grand homme (Recuerdo de un grande hombre) est le mélancolique tableau des misères, des amertumes, des obstacles contre lesquels eut à lutter Christophe Colomb lorsqu’il allait sur un frêle vaisseau, poussé par une foi ardente, guidé par son génie, découvrir un monde nouveau, et agrandir l’empire des rois catholiques. L’auteur ne se borne pas seulement au passé, il a donné la forme du romance à des sujets tirés du présent. Le Sombrero et le Retour désiré (la Vuelta deseada), qui racontent les angoisses d’un amour tourmenté par l’exil, sont des légendes pleines de charme et d’une généreuse tristesse. — Ainsi, les Romances historiques offrent une réunion intelligente d’œuvres propres à remettre en honneur ce genre qui tient une si large place dans la littérature espagnole, et qui peut être encore une merveilleuse ressource pour l’art moderne.

Lorsque le duc de Rivas écrivait le Bâtard maure et don Alvaro ou la Force du Destin, il était presque seul ; aucune voix n’avait devancé la sienne. Partout il y avait l’instinct, le désir d’une rénovation littéraire, plutôt que le pouvoir de réaliser immédiatement ce noble vœu ; c’était la période de la conquête laborieuse et ardue. Quand il a fait paraître les Romances historiques et ses autres drames, plusieurs années s’étaient écoulées déjà pendant lesquelles cette révolution attendue et souhaitée avait pris des proportions plus larges et était devenue le travail commun de tous les esprits. Ces années, en effet, ont vu surgir de nombreux poètes. Au théâtre, M. Gil y Zarate a fait Charles II, Rosmunda, Guzman-le-Bon ; M. Hartzenbusch a donné les Amans de Teruel, doña Mencia ; le Troubadour, le Page, de M. Garcia Gutierez, ont été de grands espoirs ; M. Breton de los Herreros a écrit cent pièces pleines de gaieté et de verve ; M. Zorrilla s’est signalé par le Savetier et le Roi, la Nuit de Montiel, la Loyauté d’une Femme. La poésie lyrique ou épique n’a pas été moins féconde. Les Légendes espagnoles, de M. Mora, peuvent être citées avec éloge. Espronceda, l’auteur trop tôt perdu de l’Etudiant de Salamanque et du Diable-Monde, n’a pas craint de lutter dans ses poèmes avec les souvenirs de Byron et de Goethe. M. Pastor Diaz a publié des vers qui dénotent un beau talent lyrique ; M. Zorrilla travaille encore aujourd’hui à un poème historique sur Grenade[4], qui sera la peinture de la défaite de l’islamisme, et ranimera ce monde chevaleresque et passionné où s’agitent catholiques et Maures, les uns haussant la croix triomphante, les autres repliant le drapeau lacéré de Mahomet, et emportant l’impérissable souvenir de l’Alhambrah. -Voilà, sans doute, un ensemble d’ouvrages qui montrent combien la poésie est prompte à renaître en Espagne, et avec quelle ardeur l’école nouvelle a embrassé les doctrines que le duc de Rivas a le premier proclamées

Est-ce à dire, cependant, que ce mouvement littéraire, malgré les meilleurs efforts pour atteindre un tel but, présente une entière et puissante originalité ? Est-ce à dire que ces écrivains, dont les productions brillent parfois d’un si vif éclat, aient vraiment trouvé l’idéal poétique qui convient à l’Espagne de ce siècle ? Non : pourquoi ne l’avouerait-on pas ? Il n’y a là qu’une imparfaite image de ce qu’on peut attendre du génie espagnol renaissant. C’est un réveil plein d’espoir, mais un réveil avec les vues confuses, les naïfs étonnemens, les embarras, les erreurs inséparables de ce premier moment où, après un sommeil prolongé, un peuple rouvre tout à coup les yeux à la lumière intellectuelle. Certes, on l’a pu remarquer, l’imagination espagnole, ébranlée par ce mouvement, s’est déployée avec audace et grandeur. Ses tentatives les plus glorieuses, néanmoins, laissent voir je ne sais quoi d’incertain et de peu profond qui prouve qu’elle est encore à la recherche de l’aliment qui lui doit procurer la force et la vie. Trop souvent, dans son inquiète et mobile activité, elle ressemble à ces flammes errantes qui flottent à la surface du sol et qu’aucun large foyer n’entretient. Faut-il s’en étonner beaucoup ? La Péninsule a eu le malheur de ne point subir cette action morale lente et progressive qui fait qu’à l’heure voulue un pays intérieurement renouvelé n’a plus qu’à rompre le dernier anneau qui le rattache au passé pour prendre possession de ses conquêtes politiques et trouver en même temps une expression littéraire rajeunie. Elle a marché un peu au hasard, poussée par de vagues instincts plutôt qu’animée d’une pensée unique et décisive. La révolution, jusqu’ici, n’avait fait que l’effleurer pour ainsi dire et jeter au vent les ruines qui la couvrent, sans pénétrer dans son sein même, sans modifier dans l’essence, et d’une façon permanente, son état social. Dès-lors les illusions peuvent s’expliquer ; on conçoit que les écrivains rendus libres, excités à produire, mais n’ayant sous les yeux que cette vaste confusion, n’aient fait qu’entrevoir les véritables élémens de l’art nouveau, qu’ils aient parfois combiné dans leurs œuvres avec une maturité douteuse l’imitation des poésies étrangères contemporaines et l’imitation des anciens modèles nationaux. Le point d’appui leur manquait ; comme une terre fuyante, le présent se dérobait sous leurs pas. Aujourd’hui, cependant, l’Espagne, après d’étranges secousses, aspire à voir la révolution porter ses fruits pacifiques. Une organisation régulière et féconde, plus que toute autre chose, est propre à développer les pensées, les sentimens modernes, qui descendent peu à peu dans les masses, et à transformer promptement les mœurs et les usages. C’est en se rapprochant de ces réalités morales chaque jour plus distinctes que l’imagination pourra ressaisir la vraie direction, et comme Antée, en retouchant la terre sa mère, regagner de nouvelles forces. Le but de toute littérature, qui est de représenter la société où elle naît, devra paraître plus facile à atteindre : but assurément bien digne d’enflammer des esprits généreux ; car, en résumé, de quoi s’agit-il pour l’Espagne si ce n’est de créer une poésie moderne qui ait son caractère propre à côté de celle de Goethe, de Schiller, de Byron, de Scott, de Victor Hugo, de Lamartine, une poésie nationale qui continue la tradition de Lope, de Calderon, de Moreto, de Gabriel Tellez, d’Ercilla, sans reproduire ce qu’il y a eu d’éphémère dans les écrits de ces glorieux et immortels ancêtres de l’art ?


CHARLES DE MAZADE.

  1. Horace, liv. II, ode 13.
  2. Les œuvres du duc de Rivas que nous avons sous les yeux ne renferment pas cette ode du Proscrit, et en contiennent certainement de moins belles. Nous ne la retrouvons que dans des Ocios, où elle fut publiée.
  3. Comme on le sait, le statut royal établissait deux chambres, les proceres et les procuradores : la première se composait de grands du royaume, d’évêques, d’hommes renommés dans des fonctions publiques éminentes ou dans les lettres ; la seconde était élue par le pays.
  4. La Cruz y la Media luna (mot à mot : la Croix et le Croissant). — L’introduction du poème de M. Zorrilla a été publiée récemment à Madrid dans le journal l'Heraldo : c’est un nouveau témoignage des qualités poétiques qui distinguent le jeune et fécond auteur.