Poètes et romanciers modernes de la France/Clotilde de Surville



POÈTES
ET
ROMANCIERS MODERNES
DE LA FRANCE.

XLVI.
CLOTILDE DE SURVILLE.

M. Raynouard ayant à parler, dans le Journal des Savans de juillet 1824, de la publication des Poètes Français depuis le douzième siècle jusqu’à Malherbe, par M. Auguis, reprochait à l’éditeur d’avoir rangé dans sa collection Clotilde de Surville, sans avertir expressément que, si on l’admettait, ce ne pouvait être à titre de poète du XVe siècle. Le juge si compétent n’hésitait pas à déclarer l’ingénieuse fraude, quelque temps protégée du nom de Vanderbourg, comme tout-à-fait décelée par sa perfection même, et il croyait peine perdue de s’arrêter à la discuter. « Ces poésies, disait-il, méritent sans doute d’obtenir un rang dans notre histoire littéraire ; mais il n’est plus permis aujourd’hui de les donner pour authentiques. Leur qualité reconnue de pseudonymes n’empêchera pas de les rechercher comme on recueille ces fausses médailles que les curieux s’empressent de mettre à côté des véritables, et dont le rapprochement est utile à l’étude même de l’art. » Et il citait l’exemple fameux de Chatterton, fabriquant, sous le nom du vieux Rowley, des poésies remarquables, qui, par le suranné de la diction et du tour, purent faire illusion un moment. Comme exemple plus récent encore de pareille supercherie assez piquante, il rappelait les Poésies occitaniques, publiées vers le même temps que Clotilde, et que Fabre d’Olivet donna comme traduites de l’ancienne langue des troubadours. Elles étaient, en grande partie, de sa propre composition ; mais, en insérant dans ses notes des fragmens prétendus originaux, Fabre avait eu l’artifice d’y entremêler quelques fragmens véritables, dont il avait légèrement fondu le ton avec celui de ses pastiches ; de sorte que la confusion devenait plus facile et que l’écheveau était mieux brouillé.

Si donc Clotilde de Surville, au jugement des philologues connaisseurs, n’est évidemment pas un poète du XVe siècle, ce ne peut être qu’un poète de la fin du XVIIIe, qui a paru au commencement du nôtre. Nous avons affaire en elle, sous son déguisement, à un recueil proche parent d’André Chénier, et nous le revendiquons.

M. Villemain, dans ses charmantes leçons, avec cette aisance de bon goût qui touchait à tant de choses, ne s’y est pas trompé, et il nous a tracé notre programme. « Encore une remarque, disait-il après quelques citations et quelques observations grammaticales et littéraires. M. de Surville était un fidèle serviteur de la cause royale. Il s’est plu, je crois, dans la solitude et l’exil, à cacher ses douleurs sous ce vieux langage. Quelques vers de ce morceau sur les malheurs du règne de Charles VII sont des allusions visibles aux troubles de la France à la fin du XVIIIe siècle. C’est encore une explication du grand succès de ces poésies. Elles répondaient à de touchans souvenirs ; comme l’ouvrage le plus célèbre du temps, le Génie du Christianisme, elles réveillaient la pitié et flattaient l’opposition[1]. »

Mais, avant de chercher à s’expliquer d’un peu près comment M. de Surville a pu être amené à concevoir et à exécuter son poétique dessein, on rencontre l’opinion de ceux qui font honneur de l’invention, dans sa meilleure part du moins, à l’éditeur lui-même, à l’estimable Vanderbourg. Cette idée se produit assez ouvertement dans l’éloge de cet académicien, prononcé en août 1839 par M. Daunou, et je la lis résumée en trois lignes dans une lettre que le vénérable maître, interrogé à ce sujet, me répondit : « Il me paraît impossible que les poésies de Clotilde soient du XVe siècle, et j’ai peine à croire qu’Étienne de Surville ait été capable de les composer au XVIIIe. Vanderbourg doit y avoir eu la principale part en 1803. »

Sans nier que Vanderbourg n’ait eu une très heureuse coopération dans le recueil dont il s’est fait le parrain, sans lui refuser d’y avoir mis son cadeau, d’y avoir pu piquer, si j’ose dire, çà et là plus d’un point d’érudition ornée, peut-être même en lui accordant, à lui qui a le goût des traductions, celle de l’ode de Sapho qu’il prend soin de ne donner en effet que dans sa préface, comme la seule traduction qu’on connaisse de Clotilde, et avec l’aveu qu’il n’en a que sa propre copie, je ne puis toutefois aller plus loin, et, entrant dans l’idée particulière de son favorable biographe, lui rien attribuer du fond général ni de la trame. Vanderbourg a laissé beaucoup de vers ; il en a inséré notamment dans les dix-sept volumes des Archives littéraires, dont il était le principal rédacteur. Mais, sans sortir de sa traduction en vers des Odes d’Horace, qu’y trouvons-nous ? J’ai lu cette traduction avec grand soin. Excellente pour les notes et les commentaires, combien d’ailleurs elle répond peu à l’idée du talent poétique que, tout plein de Clotilde encore, j’y épiais ! Ce ne sont que vers prosaïques, abstraits, sans richesse et sans curiosité de forme ; à peine quelques-uns de bons et coulans comme ceux-ci, que, détachés, on ne trouvera guère peut-être que passables. Dans l’ode à Posthumus (II, XIV), linquenda tellus :

La terre, et ta demeure, et l’épouse qui t’aime,
Il faudra quitter tout, possesseur passager !
Et des arbres chéris, cultivés par toi-même,
Le cyprès, sous la tombe, ira seul t’ombrager.

Et ceux-ci à Virgile : Jam veris comites (IV, XII) :

Messagers du printemps, déjà les vents de Thrace
Sur les flots aplanis font voguer les vaisseaux ;
La terre s’amollit, et des fleuves sans glace
On n’entend plus gronder les eaux.

Ou encore à Lydie (I, XXV) :

Bientôt, sous un portique à ton tour égarée,
Tu vas de ces amans essuyer les mépris,
Et voir les nuits sans lune aux fureurs de Borée
Livrer tes cheveux gris !

Mais ce mieux, ce passable poétique est rare, et j’ai pu à peine glaner ces deux ou trois strophes. Ainsi, jusqu’à nouvel ordre, et à moins que des vers originaux de Vanderbourg ne viennent démentir ceux de ses traductions, c’est bien lui qui, à titre de versificateur, me semble parfaitement incapable et innocent de Clotilde[2].

J’avais songé d’abord à découvrir dans les recueils du XVIIIe siècle quelques vers signés de Surville, avant qu’il se fût vieilli, à les mettre en parallèle, comme mérite de forme et comme manière, avec les vers que nous avons de Vanderbourg, et à instruire ainsi quant au fond le débat entre eux. Mais ma recherche a été vaine ; je n’ai pu rien trouver de M. de Surville, et il m’a fallu renoncer à ce petit parallèle qui m’avait souri.

En était-il sérieusement besoin ? Je ne me pose pas la question ; car, le dirai-je ? ce sont les préventions même qui pouvaient s’élever dans un esprit, héritier surtout de l’école philosophique, contre le marquis de Surville émigré, un peu chouan et fusillé comme tel, ce sont ces impressions justement qui me paraissent devoir se tourner plutôt en sa faveur, et qui me le confirment comme le trouvère bien plus probable d’une poésie chevaleresque, monarchique, toute consacrée aux regrets, à l’honneur des dames et au culte de la courtoisie.

Sans donc plus m’embarrasser, au début, de cette double discussion que, chemin faisant, plus d’un détail éclaircira, je suppose et tiens pour résolu :

1o Que les poésies de Clotilde ne sont pas du XVe siècle, mais qu’elles datent des dernières années du XVIIIe[3] ;

2o Que M. de Surville en est l’auteur, le rédacteur principal. Et si je parviens à montrer qu’il est tout naturel, en effet, qu’il ait conçu cette idée dans les conditions de société où il vivait, et à reproduire quelques-unes des mille circonstances qui, autour de lui, poussaient et concouraient à une inspiration pareille, la part exagérée qu’on serait tenté de faire à l’éditeur posthume se trouvera par là même évanouie.

Le marquis de Surville était né en 1755, selon Vanderbourg, ou seulement vers 1760, selon M. Du Petit-Thouars (Biographie universelle) qui l’a personnellement connu ; ce fut en 1783 qu’il découvrit, dit-on, les manuscrits de son aïeule, en fouillant dans des archives de famille pour de vieux titres ; ce fut du moins à dater de ce moment qu’il trouva sa veine et creusa sa mine. Il avait vingt-deux ou vingt-sept ans alors, très peu d’années de plus qu’André Chénier. Or quel était, en ce temps-là, l’état de bien des esprits distingués, de bien des imaginations vives, et leur disposition à l’égard de notre vieille littérature ?

On a parlé souvent de nos trois siècles littéraires ; cette division reste juste : la littérature française se tranche très bien en deux moitiés de trois siècles, trois siècles et demi chacune. Celle qui est nôtre proprement, et qui commence au XVIe siècle, ne cesse plus dès-lors, et se poursuit sans interruption, et, à certains égards, de progrès en progrès, jusqu’à la fin du XVIIIe. Avant le XVIe, c’est à une autre littérature véritablement, même à une autre langue, qu’on a affaire, à une langue qui aspire à une espèce de formation dès le XIIe siècle, qui a ses variations, ses accidens perpétuels, et, sous un aspect, sa décadence jusqu’à la fin du XVe. La nôtre se dégage péniblement à travers et de dessous. On cite en physiologie des organes qui, très considérables dans l’enfant, sont destinés ensuite à disparaître : ainsi de cette littérature antérieure et comme provisoire. Telle qu’elle est, elle a son ensemble, son esprit, ses lois ; elle demande à être étudiée dans son propre centre ; tant qu’on a voulu la prendre à reculons, par bouts et fragmens, par ses extrémités aux XVe et XIVe siècles, on y a peu compris.

On en était là encore avant ces dix dernières années. Certes les notices, les extraits, les échantillons de toutes sortes, les matériaux en un mot, ne manquaient pas ; mais on s’y perdait. Une seule vue d’ensemble et de suite, l’ordre et la marche, l’organisation, personne ne l’avait bien conçue. L’abbé de La Rue et Méon, ces derniers de l’ancienne école, et si estimables comme fouilleurs, ne pouvaient, je le crois, s’appeler des guides. Ce n’est que depuis peu que, les publications se multipliant à l’infini, et la grammaire en même temps s’étant déchiffrée, quelques esprits philosophiques ont jeté le regard dans cette étude, et y ont porté la vraie méthode. Tout cela a pris une tournure, une certaine suite, et on peut se faire une idée assez satisfaisante aujourd’hui de ces trois siècles littéraires précurseurs, si on ose les qualifier ainsi.

Dans l’incertitude des origines, le XVIe siècle et l’extrémité du XVe restèrent long-temps le bout du monde pour la majorité même des littérateurs instruits. On n’avait jamais perdu de vue le XVIe ; l’école de Ronsard, il est vrai, s’était complètement éclipsée ; mais, au-delà, on voyait Marot, et on continuait de le lire, de l’imiter. Le genre marotique, chez Voiture, chez La Fontaine, chez J.-B. Rousseau, avait retrouvé des occasions de fleurir. Refaire après eux du Marot eût été chose commune. L’originalité de M. de Surville, c’est précisément d’avoir passé la frontière de Marot, et de s’être aventuré un peu au-delà, à la lisière du moyen-âge. De ce pays neuf alors, il rapporta la branche verte et le bouton d’or humide de rosée : dans la renaissance romantique moderne, voilà son fleuron.

Il se figura et transporta avant Marot cette élévation de ton, cette poésie ennoblie, qu’après Marot seulement, l’école de Ronsard s’était efforcée d’atteindre, et que Du Bellay, le premier, avait prêchée. Anachronisme piquant, qui mit son talent au défi, et d’où vint sa gloire !

Cette étude, pourtant, de notre moyen-âge poétique avait commencé au moment juste où l’on s’en détachait, c’est-à-dire à Marot même. C’était presque en antiquaire déjà que celui-ci avait donné son édition de Villon qu’il n’entendait pas toujours bien, et celle du Roman de la Rose qu’il arrangeait un peu trop. Vers la seconde moitié du siècle, les Bibliothèques françaises d’Antoine Du Verdier et de La Croix du Maine, surtout les doctes Recherches d’Étienne Pasquier, les Origines du président Fauchet qui précédèrent, établirent régulièrement cette branche de critique et d’érudition nationale, laquelle resta long-temps interrompue après eux, du moins quant à la partie poétique. Beaucoup de pêle-mêle dans les faits et dans les noms, des idées générales contestables lorsqu’il s’en présente, une singulière inexactitude matérielle dans la reproduction des textes, étonnent de la part de ces érudits, au milieu de la reconnaissance qu’on leur doit. Ceux qui étaient plus voisins des choses les embrassaient donc d’un moins juste coup d’œil, et même, pour le détail, il les savaient moins que n’ont fait leurs descendans[4]. C’est qu’être plus voisin des choses et des hommes, une fois qu’on vient à plus de cinquante ans de distance, cela ne signifie trop rien, et que tout est également à rapprendre, à recommencer. Et puis il arrivait, au sortir du moyen-âge, ce qu’on éprouve en redescendant des montagnes : d’abord on ne voit derrière soi à l’horizon que les dernières pentes qui vous cachent les autres ; ce n’est qu’en s’éloignant qu’on retrouve peu à peu les diverses cimes, et qu’elles s’échelonnent à mesure dans leur vraie proportion. Ainsi le XIIIe siècle littéraire, dans sa chaîne principale, a été long à se bien détacher et à réapparaître.

Au XVIIe siècle, il se fait une grande lacune dans l’étude de notre ancienne poésie, j’entends celle qui précède le XVIe. La préoccupation de l’éclat présent et de la gloire contemporaine remplit tout. De profonds érudits, des juristes, des feudistes, explorent sans doute dans tous les sens les sources de l’histoire ; mais la poésie n’a point de part à leurs recherches : ils en rougiraient. Un jour, Chapelain, homme instruit, sinon poète, fut surpris par Ménage et Sarazin sur le roman de Lancelot, qu’il était en train de lire. Il n’eut pas le temps de le cacher, et Ménage, le classique érudit, lui en fit une belle querelle. Sarazin, qui avait trempé, comme Voiture, à ce vieux style, se montra plus accommodant. Il faut voir, dans un très agréable récit de ce dialogue, que Chapelain adresse au cardinal de Retz, et qui vaut mieux que toute sa Pucelle, avec quelle précaution il cherche à justifier sa lecture, et à prouver à M. Ménage qu’après tout il ne sied pas d’être si dédaigneux, quand on s’occupe, comme lui, des origines de la langue[5]. — Un autre jour, en plein beau siècle, Louis XIV était indisposé et s’ennuyait ; il ordonna à Racine, qui lisait fort bien, de lui lire quelque chose. Celui-ci proposa les Vies de Plutarque par Amiot : « Mais c’est du gaulois, » répondit le roi. Racine promit de substituer, en lisant, des mots plus modernes aux termes trop vieillis, et s’en tira couramment sans choquer l’oreille superbe. Cette petite anecdote est toute une image et donne la mesure. Il fallait désormais que, dans cette langue polie, pas un vieux mot ne dépassât[6].

Fontenelle, qui est si peu de son siècle, et qui passa la première moitié de sa vie à le narguer et à attendre le suivant, marqua son opposition encore en publiant chez Barbin son Recueil des plus belles pièces des vieux poètes depuis Villon ; mais ce qui remontait au-delà ne paraissait pas soupçonné.

L’Académie des Inscriptions, instituée d’abord, comme son nom l’indique, pour de simples médailles et inscriptions en l’honneur du roi, et qui ne reçut son véritable règlement qu’au commencement du XVIIIe siècle, ouvre une ère nouvelle à ces études à peine jusqu’alors ébauchées. Les vieux manuscrits français, surtout de poésies, avaient tenu fort peu de place dans les grandes collections et les cabinets des Pithou, Du Puy, Baluze, Huet. M. Foucault, dans son intendance de Normandie, en avait recueilli un plus grand nombre ; Galland, le traducteur des Contes arabes, en donna le premier un extrait ; mais avec quelle inexpérience ! Il s’y joue moins à l’aise qu’aux Mille et une Nuits. L’histoire seule ramenait de force à ces investigations, pour lesquelles les érudits eux-mêmes semblaient demander grace. Sainte-Palaye, en commençant à rendre compte de l’Histoire des trois Maries, confesse ce dégoût et cet ennui qu’il ne tardera pas à secouer. Dans la série des nombreux mémoires qu’il lit à l’Académie, on peut saisir le progrès de sa propre inclination : il entre dans l’amour de cette vieille poésie par Froissart qu’il apprécie à merveille comme esprit littéraire fleuri, d’une imagination à la fois mobile et fidèle. L’abbé Sallier lit, vers le même temps (1734), ses observations sur un recueil manuscrit des Poésies de Charles d’Orléans. Sans guère revenir au-delà des idées de Boileau et de l’Art poétique qu’il cherche seulement à rectifier, et sans prétendre à plus qu’à transférer sur son prince poète l’éloge décerné à Villon, le docte abbé insiste avec justesse sur le règne de Charles V et sur tout ce qu’il a produit ; il fait de ce roi sage, c’est-à-dire savant, le précurseur de François Ier. L’époque de Charles V, en effet, après les longs désastres qui avaient tout compromis, s’offrait comme une restauration, même littéraire, une restauration méditée et voulue. En bien ressaisir le caractère et l’effort, c’était remonter avec précision et s’asseoir sur une des terrasses les mieux établies du moyen-âge déclinant. Comme première étape, en quelque sorte, dans cette exploration rétrospective, il y avait là un résultat.

Charles d’Orléans et Froissart, ces deux fleurs de grace et de courtoisie, appelaient déjà vers les vieux temps l’imagination et le sourire. Hors de l’Académie, dans l’érudition plus libre et dans le public, par un mouvement parallèle, le même courant d’études et le même retour de goût se prononçaient. La première tentative en faveur des poètes d’avant Marot, et qui les remit en lumière, fut le joli recueil de Coustelier (1723), dirigé par La Mounoie, l’un des plus empressés rénovateurs. Les éditions de Marot par Lenglet-Dufresnoy (1731) divulguaient les sources où l’on pouvait retremper les rimes faciles et les envieillir. La réaction chevaleresque à proprement parler put dater des éditions du petit Jehan de Saintré (1724), et de Gérard de Nevers (1725), rendues dans le texte original par Guellette : Tressan ne fera que suivre et hâter la mode en les modernisant. On voit se créer dès-lors toute une école de chevalerie et de poésie moyen-âge, de trouvères et de troubadours plus ou moins factices ; ils pavoisent la littérature courante par la quantité de leurs couleurs. Tandis qu’au sein de l’Académie les purs érudits continuaient leur lent sillon, ce qui s’en échappait au dehors éveillait les imaginations rapides. Le savant Lévesque de la Ravalière donnait, en 1742, son édition des Poésies de Thibaut de Champagne, roi de Navarre, une renommée romanesque encore et faite pour séduire. Sainte-Palaye en recueillant ses Mémoires sur la Chevalerie, le marquis de Paulmy en exécutant sa Bibliothèque des Romans et plus tard ses Mélanges tirés d’une grande Bibliothèque[7], jetaient comme un pont de l’érudition au public : Tressan, en maître de cérémonies, donnait à chacun la main pour y passer. L’avocat La Combe fournissait le Vocabulaire. Qu’on y veuille songer, entre Tressan rajeunissant le vieux style, et Surville en vieillissant le moderne, il n’y a qu’un pas : ils se rejoignent.

Ce n’est pas tout, et l’on serre de plus près la trace. Par l’entremise de ces académiciens-amateurs auxquels il faut adjoindre Caylus, il s’établit dans un certain public une notion provisoire sur le moyen-âge, et un lieu commun qu’on se mit à orner. Moncrif arrange son Choix d’anciennes chansons, et rime, pour son compte, ses deux célèbres romances dans le ton du bon vieux temps, les constantes Amours d’Alix et d’Alexis, et les Infortunes inouies de la tant belle comtesse de Saulx. Saint-Marc compose pour le mariage du comte de Provence (1771) son opéra d’Adèle de Ponthieu, dans lequel les fêtes de la chevalerie remplacent pour la première fois les ingrédiens de la magie mythologique ; c’est un Château d’Otrante à la française ; la pièce obtient un prodigieux succès et l’honneur de deux musiques. On raffole de chevaliers courtois, de gentes dames et de donjons. Du Belloy évoque Gabrielle de Vergy ; Sédaine (Grétry aidant) s’empare du fabliau d’Aucassin et Nicolette. Legrand d’Aussy s’empresse de rendre plus accessibles à tous les Contes pur gaulois de Barbazan. Sautreau de Marsy avait lancé, en 1765, son Almanach des Muses ; plus tard, avec Imbert, il compile les Annales poétiques, par où nos anciens échantillons quelque peu blanchis s’en vont dans toutes les mains. Dans le premier de ces recueils, c’est-à-dire l’Almanach, les rondeaux, triolets et fabliaux à la moderne foisonnent ; le jargon puérilement vieillot gazouille ; les vers pastiches ne manquent pas : c’est l’exact pendant des fausses ruines d’alors dans les jardins. Dans l’un des volumes (1769), sous le titre de Chanson rustique de Darinel, je lis, par exception, une charmante petite pièce gauloise communiquée peut-être par Sainte-Palaye[8]. Enfin La Borde, éditeur des Chansons du châtelain de Coucy, ne ménage, pour reproduire nos vieilles romances avec musique, ni ses loisirs ni sa fortune, et il ne résiste pas non plus à un certain attrait d’imitation. On arrive ainsi tout droit à la romance drôlette du page dans Figaro : Mon coursier hors d’haleine !

Je n’ai point parlé encore d’un petit roman pastiche qui parut dans ces années (1765), et qui eut un instant de vogue, l’Histoire amoureuse de Pierre Le Long et de Blanche Bazu, par Sauvigny. Ce littérateur assez médiocre, mais spirituel, d’abord militaire, et qui avait servi à la cour de Lunéville, où il avait certainement connu Tressan, composa, rédigea dans le même goût, et d’après quelque manuscrit peut-être, cette gracieuse nouvelle un peu simplette, où d’assez jolies chansonnettes mi-vieillies et mi-rajeunies sont entremêlées. Tout cela doit suffire, je le crois, pour constater l’espèce d’engouement et de fureur qui, durant plus de trente ans, et jusqu’en 89, s’attachait à la renaissance de notre vieille poésie sous sa forme naïve ou chevaleresque. Rien ne manquait dans l’air, en quelque sorte, pour susciter ici ou là un Surville.

Ce que tant d’autres essayaient au hasard, sans suite, sans études, il le fit, lui, avec art, avec concentration et passion. Ce qui n’était qu’une boutade, un symptôme de chétive littérature qui s’évertuait, il le fixa dans l’ordre sévère. La source indiquée, mais vague, s’éparpillait en mille filets ; il en resserra le jet, et y dressa, y consacra sa fontaine.

On ne sait rien de sa vie, de ses études et de son humeur, sinon que, sorti du Vivarais, il entra au service dans le régiment de colonel-général, qu’il fit les campagnes de Corse et d’Amérique, où il se distingua par son intrépidité, et qu’étant en garnison à Strasbourg il eut querelle avec un Anglais sur la bravoure des deux nations. L’Anglais piqué, mais ne pouvant ou ne voulant jeter le gant lui-même, en chargea un de ses compatriotes qui était en Allemagne : d’où il résulta entre M. de Surville et ce nouvel adversaire un cartel et une rencontre sur la frontière du duché des Deux-Ponts. Les deux champions légèrement blessés se séparèrent. M. de Surville, on le voit, avant de chanter la chevalerie, sut la pratiquer. À partir de 1782, il dut employer tous ses loisirs à la confection de sa Clotilde, dont quelque trouvaille particulière put, si on le veut absolument, lui suggérer la première idée. Sept ou huit ans lui suffirent. M. Du Petit-Thouars, qui le vit à Paris en 1790, un moment avant l’émigration, assure avoir eu communication du manuscrit, et l’avoir trouvé complet dès-lors et tel qu’il a été imprimé en 1803. Si, en effet, on examine la nature des principaux sujets traités dans ces poésies, et si on les déshabille de leur toilette brillamment surannée, on ne voit rien que le XVIIIe siècle à cette date, à cette veille juste de Clotilde, n’ait pu naturellement inspirer, et qui (forme et surface à part) ne cadre très bien avec le fond, avec les genres d’alentour. Énumérons un peu :

Une Héroïde à son époux Bérenger ; Colardeau en avait fait[9]. De plus, le nom d’Héloïse revient souvent, et c’est d’elle que Clotilde aime à dater la renaissance des muses françaises.

Des Chants d’Amour pour les quatre saisons ; c’est une reprise, une variante de ces poèmes des Saisons et des Mois si à la mode depuis Boucher et Saint-Lambert.

Une ébauche d’un poème de la Nature et de l’Univers ; c’était la marote du XVIIIe siècle depuis Buffon. Le Brun et Fontanes l’ont tenté ; André Chénier faisait Hermès.

Un poème de la Phélyppéide ; voyez la Pétréide.

Les Trois Plaids d’or, c’est-à-dire les Trois Manières de Voltaire ; une autre pièce qui rappelle les Tu et les Vous, et où la Philis est simplement retournée en Corydon[10]. — Des stances et couplets dans les motifs de Berquin.

Et ces noms pleins d’à-propos qui reviennent parmi les parens ou parmi les trouvères favoris, Vergy, Richard Cœur-de-Lion ! Il y a telle ébauche grecque d’André Chénier qui me paraît avoir pu naître au sortir d’une représentation de Nina ou la Folle par amour ; il me semble entendre encore, derrière certains noms chers à Clotilde, l’écho de la tragédie de Du Belloy ou de l’opéra de Sedaine[11]. Clotilde, à bien des égards, n’est qu’un Blondel, mais qui vise au ton exact et à la vraie couleur.

Et Blondel lui-même, à sa manière, y visait ; rien ne montre mieux combien alors ces mêmes idées, sous diverses formes, occupaient les esprits distingués, qu’un passage des intéressans Essais ou mémoires de Grétry. Le célèbre musicien raconte par quelles réflexions il fut conduit à faire cet air passionné de Richard : Une fièvre brûlante dans le vieux style : « Y ai-je réussi ? dit-il. Il faut le croire, puisque cent fois on m’a demandé si j’avais trouvé cet air dans le fabliau qui a procuré le sujet. La musique de Richard, ajoute-t-il, sans avoir à la rigueur le coloris ancien d’Aucassin et Nicolette, en conserve des réminiscences. L’ouverture indique, je crois, assez bien que l’action n’est pas moderne. Les personnages nobles prennent à leur tour un ton moins suranné parce que les mœurs des villes n’arrivent que plus tard dans les campagnes. L’air Ô Richard ! ô mon roi est dans le style moderne, parce qu’il est aisé de croire que le poète Blondel anticipait sur son siècle par le goût et les connaissances. » Transposez l’idée de la musique à la poésie, vous avez Clotilde.

Je reviens. De tous ces vieux trouvères récemment remis en honneur par l’érudition ou par l’imagination du XVIIIe siècle, Surville, remarquez-le bien, n’en omet aucun, et compose ainsi à son aïeule une flatteuse généalogie poétique tout à souhait : Richard donc, Lorris, Thibaut, Froissart, Charles d’Orléans, et je ne sais quelle postérité de dames sous la bannière d’Héloïse, voilà l’école directe. De plus, dans les autres trouvères non remis en lumière alors, mais dignes de l’être et qu’on a retrouvés depuis, tels que Guillaume Machau et Eustache Deschamps, il n’en devine aucun. Son procédé, de tout point, se circonscrit.

Surville, lisant les observations de l’abbé Sallier sur les poésies de Charles d’Orléans, a dû méditer ce passage : « Pour ce qu’il y aurait à reprendre dans la versification du poète, il suffira de dire que la plupart de ses défauts ne tiennent qu’à l’imperfection du goût de ces premiers temps : l’idée des beaux vers n’était pas encore venue à l’esprit, et elle était réservée à un siècle plus poli. » Mais supposons que cette idée fût, en effet, venue à quelqu’un, pensa Surville. Et comme il avait lui-même le vif sentiment des vers, il ne s’occupa plus que du moyen, à cette distance, de le réaliser.

Faisons, se dit-il encore, faisons un poète tout d’exception, un pendant de Charles d’Orléans en femme, mais un pendant accompli[12].

Une fois la pensée venue, qui l’empêcha de se lier avec quelqu’un des érudits ou des amateurs en vieux langage, sinon avec Sainte-Palaye, mort en 1781, du moins avec son utile collaborateur Mouchet, avec La Borde ? Il avait composé des pièces de vers dans le goût de son temps ; il essaya, La Combe ou Porel en main, d’en envieillir légèrement quelqu’une, et il en fit sans doute l’épreuve sur l’un ou l’autre de ses doctes amis[13]. Sûr alors de sa veine, il n’eut plus qu’à la pousser. Il combina, il caressa son roman ; il créa son aïeule, l’embellit de tous les dons, l’éleva et la dota comme on fait d’une enfant chérie. Il finit par croire à sa statue comme Pygmalion et par l’adorer. Que ce serait mal connaître le cœur humain, et même d’un poète, que d’argumenter de ce qu’à l’heure de sa mort, écrivant à sa femme, il lui recommandait encore ces poésies comme de son aïeule, et sans se déceler ! Il n’aimait donc pas la gloire ? Il l’aimait passionnément, mais sous cette forme, comme un père aime son enfant et s’y confond. Cette aïeule refaite immortelle, pour lui gentilhomme et poète, c’était encore le nom.

Il faut le louer d’une grande sagacité critique sur un point. Il comprit que cette réforme, cette restauration littéraire de Charles V, avait été surtout pédantesque de caractère et de conséquences, et que ce n’était ni dans maître Alain (malgré le baiser d’une reine), ni dans Christine de Pisan, qu’il fallait chercher des appuis à sa muse de choix. Il fut homme de goût, en ce qu’allant au cœur de cet âge, il déclara ingénieusement la guerre aux gloires régnantes, animant ainsi la scène et sauvant surtout l’ennui.

Mais M. de Surville montre-t-il du goût dans les fragmens de prose qu’il a laissés et qu’on cite ? Vanderbourg y accuse de la raideur, de l’emphase. Cela ne prouverait rien nécessairement contre ses vers. Surville avait l’étincelle : quelque temps il ne sut qu’en faire ; elle aurait pu se dissiper ; une fois qu’il eut trouvé sa forme, elle s’y logea tout entière. Qu’on ne cherche pas l’abeille hors de sa ruche, elle n’en sortit plus.

Et puis il ne faut rien s’exagérer : ce qui fait vivre Clotilde, ce qui la fait survivre à l’intérêt mystérieux de son apparition, ce sont quelques vers touchans et passionnés, ces couplets surtout de la mère à l’enfant. Le reste doit sa grace à cette manière vieillie, à une pure surprise. Tel vers, telle pensée qu’on eût remarquée à peine en style ordinaire, frappe et sourit sous le léger déguisement. Tel minois qui, en dame et dans la toilette du jour, ne se distingue pas du commun des beautés, redevient piquant en villageoise. Rien ne rajeunit les idées comme de vieillir les mots ; car vieillir ici, c’est précisément ramener à l’enfance de la langue. Comme dans un joli enfant, on se met donc à noter tous les mots et une foule de petits traits que, hors de cet âge, on ne discernerait pas. Quoi ? se peut-il que nos pères enfans en aient tant su ? C’est un peu encore comme lorsqu’on lit dans une langue étrangère : il y a le plaisir de la petite reconnaissance ; on est tout flatté de comprendre ; on est tenté de goûter les choses plus qu’elles ne valent, et de leur savoir gré de ressembler à ce qu’on sent. Mais ce genre d’intérêt n’a que le premier instant et s’use aussitôt. Je croirais volontiers qu’une des habiletés du rédacteur ou de l’éditeur de Clotilde a été de perdre, de déclarer perdus les trop longs morceaux, les poèmes épiques ou didactiques : c’eût été trop mortel. Déjà le volume renferme des pièces un peu prolongées ; car dans Clotilde, comme presque partout ailleurs en poésie française, ce sont les toutes petites choses qui restent les plus jolies, les rondeaux à la Marot, à la Froissart :

Sont-ce rondels, faits à la vieille poste
Du vieux Froissart ? Contre lui nul ne joste[14],
Ne jostera, m’est avis, de long-temps ;
Graces, esprit et fraîcheur du printems
L’ont accueilli jusqu’à sa derraine heure ;
Le vieux rondel habite sa demeure
À n’en sortir........

Est-il donc permis de le confesser tout haut ? En général, quand on fait de la poésie française, on dirait toujours que c’est une difficulté vaincue. Il semble qu’on marche sur des charbons ardens ; il n’est pas prudent que cela dure, ni de recommencer quand on a réussi : trop heureux de s’en être bien tiré ! Lamartine est le seul de nos poètes (après La Fontaine), le seul de nos contemporains, qui m’ait donné l’idée qu’on y soit à l’aise et qu’on s’y joue en abondance.

Pour en revenir à la méthode d’envieillissement et au premier effet qu’elle produit, je me suis amusé à l’essayer sur une toute petite pièce, très peu digne d’être citée dans sa forme simple. Je n’ai fait qu’y changer l’orthographe à la Surville, et n’y ai remplacé qu’une couple de mots. Eh ! bien, par ce seul changement à l’œil, elle a déjà l’air de quelque chose. Si on supprimait les articles, si on y glissait quelques inversions, deux ou trois vocables bien accentués, quelques rides souriantes enfin, elle aurait chance d’être remarquée. Il faut supposer qu’une femme, Natalie ou Clotilde, — oui, Clotilde elle-même, si l’on veut, remercie une jeune fille peintre pour le bienfait qu’elle lui doit. Revenant de Florence où elle a étudié sous les maîtres d’avant Pérugin, cette jeune fille aura fait un ressemblant et gracieux portrait de Clotilde à ce moment où les femmes commencent à être reconnaissantes de ce qui les fait durer. C’est donc Clotilde qui parle :

De vos doits blancs, effilés et légiers,
Vous avez tracé mon ymaige.
Me voyla belle, à l’abry des dangiers
Dont chasque hyvert nous endommaige !

Por ce doulx soing, vos pinceaulx, vos couleurs,

Auroyent, seulz, esté sans puissance,
Et de mes traicts n’auroyent seu les meilleurs
Sans vostre amour et sa présence.

Ainz de vostre ame à mon ame en secret
Ugne lumière s’est meslée ;
Elle a senty soubs la flour qui mouroit
Ugne beaulté plus recélée.

Vostre doux cueur de jeune fille au mien
A mieulx leu qu’au mirouër qui passe ;
Vous m’avez veue au bonheur ancien
Et m’avez paincte soubs sa grace.

Vous vous diziez : « Ce cueur sensible et pront
Esclayre encore sa pronelle.
Li mal fuyra : levons ce voyle au front ;
Metons-y l’estoile éternelle. »

Et je revys ; et dans mes plus biaulx ans
Je me recognois, non la seule ;
De mes enfans, quelque jour, les enfans
Soubriront à leur jeune aïeule.

Ô jeune fille, en qui le ciel mit l’art
D’embelir à nos fronts le resve,
Que le bonheur vous doingt[15] un long regard,
Et qu’ugne estoile aussy se lesve !

Et remarquez que je n’y ai mis absolument que la première couche. Mais, je le répète, dès que la poésie se présente avec quelque adresse sous cet air du bon vieux temps, on lui accorde involontairement quelque chose de ce sentiment composé qu’on aurait à la fois pour la vieillesse et pour l’enfance ; on est doublement indulgent. Dans Clotilde pourtant, il y a plus, il y a l’art, la forme véritable, non pas seulement la première couche, mais le vernis qui fixe et retient : ainsi ces rondeaux d’un si bon tour, ces flèches des distiques très vivement maniées. Le style possède sa façon propre, son nerf, l’image fréquente, heureuse, presque continue. De nombreux passages exposent une poétique concise et savante, qui me rappelle le poème de l’Invention d’André Chénier et sa seconde Épitre si éloquemment didactique. Dans le Dialogue d’Apollon et de Clotilde, celle-ci, ramenée par la parole du dieu aux pures sources de l’antiquité classique qui ont toujours été, à elle, ses secrètes amours, exhale ainsi son transport[16] :

Qu’est-ce qu’entends ? donc n’étois si fallotte
Quand proscrivis ces atours maigrelets,
Et qu’au despris[17] de la tourbe ostrogotte
Des revenans, démons et farfadets,
Dressai mon vol aux monts de Thessalie,
Bords de Lesbos et plaines d’Italie !
Là vous connus, Homère, Anacréon,
Cygne en Tibur, doux amant de Corinne !
Là m’enseigna les secrets de Cyprine
Cette Sapho qui brûla pour Phaon.
Dès ce moment m’écriai dans l’ivresse :
« Suis toute à vous, dieux charmans de la Grèce !
Ô du génie invincibles appuis,
Bandeaux heureux de l’Amour et des nuits,
Chars de Vénus, de Phébé, de l’Aurore,
Ailes du Temps et des tyrans des airs,
Trident sacré qui soulèves les mers,
Rien plus que vous mon délire n’implore !… »

Et Apollon, lui répondant, la tempère toutefois et l’avertit du danger :

Trop ne te fie à d’étranges secours ;
Ne quiers d’autrui matière à tes discours ;
Pour guide auras, telle soit ta peinture,
Deux livres seurs, ton cœur et la nature !

Or que dit Chénier (Élégie XVIII) :

........Les poètes vantés
Sans cesse avec transport lus, relus, médités ;
Les dieux, l’homme, le ciel, la nature sacrée
Sans cesse étudiée, admirée, adorée,
Voilà nos maîtres saints, nos guides éclatans.

La poétique est la même, et ne diffère que par la distance des temps où elle est transplantée. Mais on pourrait soutenir qu’il y a bien du grec fin à travers l’accent gaulois de Surville, de même qu’il se retrouve beaucoup de la vieille franchise française et de l’énergie de XVIe siècle sous la physionomie grecque de Chénier : ce sont deux frères en renaissance.

On sait l’admirable comparaison que celui-ci encore fait de lui-même et de son œuvre avec le travail du fondeur :

........De mes écrits en foule
Je prépare long-temps et la forme et le moule ;
Puis sur tous à la fois je fais couler l’airain
Rien n’est fait aujourd’hui, tout sera fait demain.

Clotilde, dans un beau fragment d’épître, rencontrera quelque image analogue pour exprimer le travail de refonte auquel il faut soumettre les vers mal venus.

Se veyons, s’épurant, la cire au feu mollir,

si nous voyons la cire s’épurer par la chaleur, dit-elle, les rimes au contraire ne s’épurent, ne se fourbissent[18] qu’à froid. Elle a commencé par citer agréablement Calysto, c’est-à-dire l’ourse qui a besoin de lécher long-temps ses petits,

Ses oursins, de tout point, naissants disgraciés ;

elle ajoute :

Point d’ouvrage parfait n’éclot du plus habile ;
Cuidez qu’en parle à fond : quand loisir m’est donné,
Reprends de mon jeune âge un fruit abandonné ;
Le revois, le polis ; s’est gentil, le caresse ;
Ainz, vois-je qu’est manqué, la flamme le redresse.

Mainte page ingénieuse nous offre ainsi, en détail, du Boileau refait et du Malherbe anticipé. On reconnaît qu’on a affaire à l’homme qui est surtout un poète réfléchi, et qui s’est fait sa poétique avant l’œuvre.

Lorsque l’élégant volume parut en 1803[19], avec son noble frontispice d’un gothique fleuri et ses vignettes de trophées, il ne se présenta point sous ce côté critique qu’aujourd’hui nous y recherchons. Il séduisit par le roman même de l’aïeule, par cette absence trop vraie de l’éditeur naturel qui y jetait comme une tache de sang, par la grace neuve de cette poésie exhumée, et par la passion portée çà et là dans quelques sentimens doux et purs. Ces regrets d’abord marqués sur les insultes d’Albion, sur les malheurs et les infortunes des Lys, devinrent un à-propos de circonstance, auquel l’auteur n’avait guère pu songer si, comme on l’assure, son manuscrit était antérieur à l’émigration[20]. Mais toutes les femmes et les mères surent bientôt et chantèrent les Verselets à mon premier-né sur la musique de Berton :

Ô cher enfantelet, vrai pourtraict de ton père,
Dors sur le sein que ta bouche a pressé !
Dors, petiot ; clos, ami, sur le sein de ta mère,
Tien doux œillet par le somme oppressé !

Ce ne sera pas faire tort à cette adorable pièce de rappeler que le motif, qu’on a rapproché souvent de celui de la Danaë de Simonide, paraît emprunté plus immédiatement à deux romances de Berquin, nées en effet de la veille : l’une (1776) dont le refrain est bien connu :

Dors, mon enfant, clos ta paupière,
Tes cris me déchirent le cœur…


et l’autre (1777), qui n’est plus dans la bouche d’une mère, mais dans celle du poète lui-même auprès du berceau d’un enfant endormi :

Heureux enfant, que je t’envie
Ton innocence et ton bonheur !
Ah ! garde bien toute ta vie
La paix qui règne dans ton cœur.

Que ne peut l’image touchante
Du seul âge heureux parmi nous !
Ce jour peut-être où je le chante
De mes jours est-il le plus doux…

Voila le meilleur du Berquin ; on y retrouve un accord avec cette stance de Clotilde :

Tretous avons été, comme ez toi, dans cette heure ;
Triste raison que trop tôt n’adviendra !
En la paix dont jouis, s’est possible, ah ! demeure !
À tes beaux jours même il en souviendra.

Mais l’art et la supériorité de Surville ne m’ont jamais mieux paru qu’en comparant de près la source et l’usage. La première romance de Berquin a pour sujet une femme abandonnée par son amant ; ce qui peut être pathétique, mais qui touche au banal et gâte la pureté maternelle. Chez Surville, c’est une mère heureuse. Et pour le détail de l’expression et la nuance des pensées, ici tout est neuf, délicat, distingué, naturel et créé à la fois :

Étend ses brasselets ; s’étend sur lui le somme ;
Se clot son œil ; plus ne bouge… il s’endort…
N’étoit ce teint flouri des couleurs de la pomme[21],
Ne le diriez dans les bras de la mort ?

Arrête, cher enfant !… j’ai frémi tout entière…
Réveille-toi ; chasse un fatal propos…

Et tout ce qui suit. Chez l’autre, on va au romanesque commun, à la sensiblerie philantropique du jour. En pressant Surville dans ce détail, on est tout étonné, à l’art qu’on lui reconnaît, de trouver en lui un maître, un poète comme Chénier, de cette école des habiles studieux, et, à un certain degré, de la postérité de Virgile.

Le propre de cette grande école seconde, à laquelle notre Racine appartient, et dont Virgile est le roi, consiste précisément dans une originalité compatible avec une imitation composite. On citerait tel couplet des Bucoliques où le génie éclectique de Virgile se prend ainsi sur le fait[22]. Pour ce trait si enchanteur de Galatée, on pourrait soutenir sans rêverie qu’il s’est ressouvenu à la fois de trois endroits de Théocrite. De même encore se comporte-t-il sans cesse à l’égard d’Homère. Ce sont des croisemens sans fin de réminiscences, des greffes doubles, et des combinaisons consommées : tres imbris torti radios. J’en demande bien pardon à nos Scaligers, mais le procédé ici n’est pas autre, quoiqu’il n’ait lieu que de Surville à Berquin. Simonide en tiers est dans le fond.

Le premier succès de Clotilde fut grand, la discussion animée, et il en resta un long attrait de curiosité aux esprits poétiques piqués d’érudition. Charles Nodier, dont la riche et docte fantaisie triomphe en arabesques sur ces questions douteuses, ne pouvait manquer celle-ci, contemporaine de sa jeunesse. Dans ses Questions de Littérature légale, publiées pour la première fois en 1811, il résumait très bien le débat, et en dégageait les conclusions toutes négatives à la prétendue Clotilde, toutes en faveur de la paternité réelle de M. de Surville. Après quelques-uns des aperçus que nous avons tâché à notre tour de développer : « Comment expliquer, ajoutait-il, dans ce poème de la Nature et de l’Univers que Clotilde avait, dit-on, commencé à dix-sept ans, la citation de Lucrèce, dont les œuvres n’étaient pas encore découvertes par le Pogge et ne pénétrèrent probablement en France qu’après être sorties, vers 1473, des presses de Thomas Ferrand de Bresse ? Comment comprendre qu’elle ait pu parler à cette époque des sept satellites de Saturne, dont le premier fut observé pour la première fois par Huyghens en 1655, et le dernier par Herschell en 1789[23]. » M. de Roujoux, dans son Essai sur les Révolutions des Sciences publié vers le même temps que les Questions de Charles Nodier, avait déjà produit quelques-unes de ces raisons, et elles avaient d’autant plus de signification sous sa plume qu’il se trouvait alors avoir entre les mains, par une rencontre singulière, un nouveau manuscrit inédit de M. de Surville. Si ingénieux que soit le second volume attribué à Clotilde encore et publié en 1826 par les deux amis, je ne puis consentir à y reconnaître cet ancien manuscrit pur et simple ; j’ai un certain regret que les deux éditeurs, entrant ici avec trop d’esprit et de verve dans le jeu poétique de leur rôle, n’aient plus voulu se donner pour point de départ cette opinion critique de 1811, qu’ils ont, du reste, partout ailleurs soutenue depuis.

Il n’y avait déjà que trop de jeu dans la première Clotilde, et de telles surprises ne se prolongent pas. Les Verselets à mon premier-né seront lus toujours ; le reste ensemble ne suffirait pas contre l’oubli. Quant à l’auteur qui a réussi trop bien, en un sens, et qui s’est fait oublier dans sa fiction gracieuse, un nuage a continué de le couvrir, lui et sa catastrophe funeste. Émigré en 91, il fit, dans l’armée des princes, les premières campagnes de la révolution. Rentré en France, vers octobre 1798, avec une mission de Louis XVIII, il fut arrêté, les uns disent à La Flèche, d’autres à Montpellier (tant l’incertitude est grande !), mais, d’après ce qui paraît plus positif, dans le département de la Haute-Loire, et on le traduisit devant une commission militaire au Puy. Il tenta d’abord de déguiser son nom ; puis, se voyant reconnu, il s’avoua hautement commissaire du roi, et marcha à la mort la tête haute. L’arrêt du tribunal (ironie sanglante !) portait au considérant : condamné pour vols de diligence. André Chénier à l’échafaud fut plus heureux.

Ni l’un ni l’autre n’ont vu sortir du tombeau leurs œuvres. L’un se frappait le front en parlant au ciel ; l’autre, d’un geste, désignait de loin à sa veuve la cassette sacrée.

Surville n’a pas eu et ne pouvait avoir d’école. On se plaira pourtant à noter, dans la lignée de renaissance que nous avons vu se dérouler depuis, deux noms qui ne sont pas sans quelque éclair de parenté avec le sien : Mlle de Fauveau (si chevaleresque aussi) pour la reproduction fleurie de la sculpture de ces vieux âges, et dans des rangs tout opposés, pour la prose habilement refaite, Paul-Louis Courier.

Sainte-Beuve.
  1. Tableau de la Littérature au moyen-âge, tome II.
  2. Si on me demande comment j’accorde cette opinion avec l’idée que la traduction, très admirée, de l’ode de Sapho pourrait bien être de lui, je réponds qu’il aurait été soutenu dans cet unique essai par l’original, par les souvenirs très présens de Catulle et de Boileau, par les licences et les facilités que se donne le vieux langage, par la couleur enfin de Clotilde, dont il était tout imbu. Un homme de goût, long-temps en contact avec son poète, peut rendre ainsi l’étincelle une fois, sans que cela tire à conséquence.
  3. Pour ceux à qui les conclusions de M. Raynouard et la rapidité si juste de M. Villemain ne suffiraient pas, j’indiquerai une discussion à fond qui se rencontre dans un bon travail de M. Vaultier sur la poésie lyrique en France durant ces premiers siècles (Mémoires de l’Académie de Caën, 1840).
  4. En 1594, l’avocat Loisel fit imprimer le poème de la Mort, attribué à Hélinand, qu’il dédia au président Fauchet, comme au père et restaurateur des anciens poètes. Cette petite publication, une des premières et la première peut-être qui ait été tentée d’un très vieux texte non rajeuni, est pleine de fautes, d’endroits corrompus et non compris. De Loisel à Méon inclusivement, quand on avait affaire même à de bons manuscrits, on paraissait croire que tous ces vieux poètes écrivaient au hasard, et qu’il suffisait de les entendre en gros. Un tel à-peu-près, depuis quelques années seulement, n’est plus permis.
  5. Continuation des Mémoires de Sallengre, par le P. Desmolets, t. VI, seconde partie. — Chapelain montre très bien le profit philologique qu’il y aurait, presque à chaque ligne, à tirer de ces vieilles lectures ; mais il se trompe étrangement lui-même quand il croit que son roman de Lancelot en prose (édition Vérard probablement), qui était pour la rédaction de la fin du XVe siècle ou du XVIe, remonte à plus de quatre cents ans, et va rejoindre le français de Villehardouin. Il est d’ailleurs aussi judicieux qu’ingénieux lorsque, sortant de la pure considération du langage et en venant au fond, il dit que, « comme les poésies d’Homère étaient les fables des Grecs et des Romains, nos vieux romans sont aussi les fables des Français et des Anglais ; » et quand il ajoute par une vue assez profonde : « Lancelot, qui a été composé dans les ténèbres de notre antiquité moderne, et sans autre lecture que celle du livre du monde, est une relation fidèle, sinon de ce qui arrivait entre les rois et les chevaliers de ce temps-là, au moins de ce qu’on était persuadé qui pouvait arriver… Comme les médecins jugent de l’humeur peccante des malades par leurs songes, on peut par la même raison juger des mœurs et des actions de ce vieux siècle par les rêveries de ces écrits. » Le bonhomme Chapelain entendait donc déjà très bien en quel sens la littérature, même la plus romanesque et la plus fantastique, peut être dite l’expression de la société. Allons ! nous n’avons pas tout inventé.
  6. « Pourquoi employer une autre langue que celle de son siècle, » disait le sévère bon sens de Boileau à propos de la fable du Bûcheron, par La Fontaine. Mais La Fontaine, dans ce ton demi-gaulois, parle sa vraie langue ; il n’a fait expressément du pastiche que dans ses stances de Janot et Catin. Mme Des Houlières et La Fare, s’il m’en souvient, en ont fait aussi en deux ou trois endroits.
  7. Il y fut fort aidé par Contant d’Orville et par M. Magnin, de Salins, père du nôtre.
  8. M. Paul Lacroix, à qui je suis redevable de plus d’une indication en tout ceci, me signale encore d’Arnaud-Baculard comme un des auteurs les plus probables de vieux vers pastiches. En sujets fidèles, on prêtait surtout des chansons à nos rois.
  9. Colardeau et bien d’autres. J’ai sous les yeux un petit recueil en dix volumes, intitulé Collection d’Héroïdes et de pièces fugitives de Dorat, Colardeau, Pezay, Blin de Sainmore, Poinsinet, etc. (1771). Je note exprès ces dates précises et cette menue statistique littéraire qui cotoie les années d’adolescence ou de jeunesse de Surville. On est toujours inspiré d’abord par ses contemporains immédiats, par le poète de la veille ou du matin, même quand c’est un mauvais poète et qu’on vaut mieux. Il faut du temps avant de s’allier aux anciens.
  10. Ici la réminiscence est manifeste et le contre-calque flagrant. Surville a été obligé, dans son roman-commentaire, de supposer que Voltaire avait connu le manuscrit. Ainsi, une pauvre chanteresse appelée Rosalinde chante devant son ancien amant, Corydon, devenu roi de Crimée, et qui n’a pas l’air de la reconnaître :

    Viens ça, l’ami ! N’attends demain !…
    Ah ! pardon, seigneur !… Je m’égare :
    Tant comme ici, l’œil ni la main
    N’ont vu ni touché rien de rare.
    Qu’un baiser doit avoir d’appas
    Cueilli dans ce palais superbe !…
    Mais il ne te souvient donc pas
    De ceux-là que prenions sur l’herbe ?

    Ce sont les derniers vers des Tu et des Vous :

    Non, madame, tous ces tapis
    Qu’a tissus la Savonnerie
    ..........
    Ces riches carcans, ces colliers,

    Et cette pompe enchanteresse,
    Ne valent pas un des baisers
    Que tu donnais dans ta jeunesse.

    Mais, chez Voltaire, le ton est badin ; chez Surville, pour variante, la chanteresse chante avec pleurs. Et dans les Trois Plaids d’or, tout correspond avec les Trois Manières, soit à l’inverse, soit directement, et jusque dans le moindre détail. Quand l’un des conteurs, Tylphis, se met à raconter son aventure en vers de huit syllabes :

    S’approcha leste et gai, l’œil vif et gracieux ;
    Réjouit tout chacun son air solacieux,
    Et, dès qu’eut Lygdamon son affaire déduite,
    Cy conte en verselets, sans tours ambitieux ;

    on a un contre-coup ralenti du ton de Voltaire :

    ................
    Les Grecs en la voyant se sentaient égayés.
    Téone souriant conta son aventure
    En vers moins allongés et d’une autre mesure,
    Qui courent avec grace et vont à quatre pieds,
    Comme en fit Hamilton, comme en fait la nature.

    Et surtout quand on en vient au troisième amoureux chez Surville, à la troisième amante dans Voltaire, et au vers de dix syllabes si délicieusement défini par celui-ci :

    Apamis raconta ses malheureux amours
    En mètres qui n’étaient ni trop longs ni trop courts :
    Dix syllabes, par vers mollement arrangées,
    Se suivaient avec art et semblaient négligées ;
    Le rhythme en est facile, il est mélodieux ;
    L’héxamètre est plus beau, mais parfois ennuyeux ;

    on a de l’autre côté cette imitation qui, lue en son lieu, paraît jolie, mais qui, en regard du premier jet, accuse la surcharge ingénieuse :

    Là, contant sans détour, ces mètres employa
    Par qui douce Élégie autrefois larmoya,
    Et qu’en France depuis, sur les rives du Rhône,
    À Puytendre Apollo pour Justine octroya.

    Géographie, généalogie, comme on sent le chemin à reculons et le besoin de dépayser !

  11. Dans le Dialogue d’Apollon et de Clotilde :

    …… Adonc par cettui je commence,
    Qui fut ensemble ornement de la France
    Et son flagel (fléau) ; c’est le roi d’Albion,
    Richard qu’on dit prince au cœur de lion ;
    Bouche d’abeille, à non moins digne titre
    Dut s’appeler. Comme il se dit d’un philtre
    Qui fait courir en veines feux d’amour,
    Tels, quand lisez le royal troubadour,
    Sentez que flue es son ardente plume
    À flots brulans le feu qui le consume

    Je crois sentir encore plus sûrement que Surville a entendu chanter d’hier soir : Une fièvre brûlante… La première représentation est d’octobre 1785.

  12. Un Charles d’Orléans femme, ce genre de substitution de sexe est un des déguisemens les plus familiers à Surville dans ses emprunts et imitations. Ainsi quand il imite les Tu et les Vous, on a vu que c’est adressé à Corydon et non plus à Philis ; ainsi quand il s’inspire des Trois Manières, au lieu de l’archonte Eudamas pour président, il institue la reine Zulinde, et on a, par contre, les chanteurs et conteurs Lygdamon, Tylphis et Colamor, au lieu des trois belles, Églé, Téone et Apamis.
  13. L’épreuve ne pouvait être que relative, et elle se marque aux connaissances imparfaites d’alors. Des personnes familières avec les vieux textes noteraient aujourd’hui dans Clotilde les erreurs de mots dues nécessairement à cette manière de teinture. Quand La Combe ou Borel se trompent dans leurs vocabulaires, Surville les suit. Roquefort, en son Glossaire, remarque que le mot voidie, voisdie, ne signifie pas vue, mais pénétration, prudence fine, ruse. Surville lit dans Borel que voidie signifie aussi vue, et il l’emploie en ce sens (fragment III, vers 17).
  14. Joûte.
  15. Donne.
  16. Je cite en ne faisant que rajeunir l’orthographe ; c’est une opération inverse à celle de tout à l’heure, et qui suffit pour tout rendre clair.
  17. En dépit.
  18. Au lieu de forbir, Vanderbourg a lu forcir, qu’il ne sait comment expliquer ; mais je croirais presque qu’il a mal lu son texte, ce qui serait piquant et prouverait qu’il n’y est pour rien.
  19. L’année même où parurent à Grenoble les Poésies de Charles d’Orléans, mais qui, bien moins heureuses que Clotilde, attendent encore un éditeur digne d’elles.
  20. Dans le séjour pourtant qu’il fit à Lausanne en 1797, et pendant lequel il préludait à sa publication par des morceaux insérés dans le journal de Mme de Polier, M. de Surville put retoucher assez la première pièce, l’Héroïde à Bérenger, pour lui donner cet air de prophétie finale :

    Peuple égaré, quel sera ton réveil ?
    Ne m’entend, se complaît à s’abreuver de larmes,
    Tise les feux qui le vont dévorans.
    Mieux ne vaudroit, hélas ! repos que tant d’alarmes,
    Et roi si preux que cent lâches tyrans ?…

  21. « Ô vous, petits Amours, pareils à des pommes rouges, » a dit Théocrite dans l’idylle intitulée Thalysies. On se croit dans le gaulois naïf, on rencontre le gracieux antique : ces jolies veines s’entrecroisent.
  22. Dans l’Églogue VIII, par exemple, au couplet : Talis amor Daphnim…, pour l’ensemble, Virgile s’inspire de la génisse de Lucrèce : At mater virides saltus ; de Lucrèce encore pour un détail, propter aquæ rivum, et de Varius pour un autre. Il compose de tous ces emprunts, et dans le sentiment qui lui est propre, un petit tableau original :

    Tous ces métaux unis dont j’ai formé le mien !

  23. Ton vaste Jupiter, et ton lointain Saturne,
    Dont sept globules nains traînent le char nocturne.

    Ces vers toutefois ne se trouvent que dans le volume de Clotilde, publié en 1826.