Poèmes expurgés (Germain Nouveau)/Les Cartes

Germain Nouveau Valentines

Les Cartes


LES CARTES


C’était en octobre, un dimanche,
Je revenais de déjeuner ;
Vous jouiez au lit, toute blanche,
Vos cartes dans votre main… franche,
Qui commence à les retourner.

Vous faisiez une réussite ;
Est-ce pour voir si je t’aimais’?
Est-ce la grande, ou la petite ?…
Vous avez dit haut, pas très vite :
« Les cartes ne mentent jamais ».

Au fait, pourquoi mentiraient-elles ?
Elles n’ont aucune raison,
Vous me faisiez des peurs mortelles,
Et… fixant sur moi vos prunelles :
« Une femme dans la maison. »

C’était vrai de vrai, tout de même !
Je ne dis rien et me tins coi.
Mais je dus paraître… un peu blême.
C’était une femme que j’aime,
Je ne veux pas dire pourquoi.

Puis vous parlâtes de concierge,
Car vous voyiez mon embarras.
Ah ! je vous dois un fameux cierge !
Bien que l’autre soit encor vierge
De l’enlacement de mes bras.

J’aime tout autant vous le dire
Et jeter ma faute au panier,
Belle sorcière… de Shakespeare :
La vérité, c’est ton empire,
Je n’essayerai pas de nier.

Il me faudrait faire un mensonge,
Ce qui te déplaît tellement
Que j’en frémis lorsque j’y songe…
Le temps a passé son éponge
Délicate sur ce moment.

Ah ! si ce n’était qu’une femme !
Si ce n’était qu’une maison !
Mais j’aime avec la même flamme
Et la demoiselle et la dame
Sur tous les points de l’horizon.

Toujours à la piste, aux écoutes,
Au guet, partout, sans respirer,
Je les suis, sur toutes les routes.
Si je ne les désirais toutes,
Je ne saurais vous adorer !

Oui, quand ainsi j’ai vu la femme
Pour toutes sortes de raisons…
Et je ris bien au fond de l’âme,
Nous avons à Paris, Madame,
Tant de femmes dans les maisons !