Poèmes en prose (Vivien)/La Mendiante

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La Mendiante (ca 1909)
Poèmes en ProseE. Sansot et Cie (p. 25-29).

LA MENDIANTE



La plus belle des filles de la Norvège était une mendiante qui mendiait sur les grands chemins.

Elle se vendait à tous ceux qui passaient sur la route.

Il advint qu’on célébra devant le Roi la beauté de cette femme.

Et le Roi la fit appeler auprès de lui.

Mais la femme ne se rendit point à l’ordre royal,

Car elle aimait le vent et la poussière des grands chemins.

Le Roi la fit amener par la force.

Elle vint, mais en pleurant,

Car elle n’aimait que le vent et la poussière des grands chemins.

Le Roi mit sur les cheveux de cette mendiante la couronne royale.

La mendiante et la prostituée d’hier s’assit aux côtés du Roi, sur le trône.

— La Reine dit un jour à ses suivantes :

« Je suis lasse de porter le poids d’une couronne.

« Autrefois, le vent des grands chemins soufflait dans ma chevelure.

« Je dormais parmi le foin coupé, vivais selon le temps et l’heure,

« Et j’aimais qui je voulais. »



Lorsque tomba la nuit, elle se glissa hors de la couche royale.

On la chercha longtemps.

Et quelqu’un la retrouva, plus tard, morte sous le foin coupé.

Elle semblait endormie, la face vers le ciel.

On la laissa parmi le foin coupé.

Le vent s’était levé et bruissait à travers les arbres et le blé nouveau.

Et la morte dormait dans le foin coupé.

Le vent des grands chemins sifflait à travers sa chevelure.