Poèmes (Canora, 1905)/Lorsque le vent de mai

(p. 87-89).


II


 
Lorsque le vent de mai, tout chargé de lilas,
Qui berce les grands lys sur les pelouses vertes
Et la glycine mauve au balcon des villas,
Glissait par la fenêtre ouverte
Pour baiser mon front triste et las,


En ces matins légers, où les fauvettes folles
Se poursuivent, sur les rameaux des églantiers,
Où, vers le soleil d’or l’alouette s’envole,
Où les vierges, par les sentiers,
Vont cueillir de blanches corolles,

 


Je fuyais bien souvent, dans l’ombre des massifs,
Ne désirant plus rien que l’oubli, le silence,
Laissant le doute naître en mon cerveau passif
Et ne gardant que la souffrance
Des baisers vains et fugitifs.


Des baisers sans amour et des paroles vides
Qui satisfont les sens ou l’esprit, non le cœur,
Et, tristement penché sur un ruisseau limpide,
J’avais baigné mes yeux en pleurs
Au cristal frais des eaux rapides.


D’où vient donc qu’au retour de ce même printemps,
Je sens frémir soudain et jaillir ma pensée ?
D’où vient qu’une chanson claire s’est élancée
Comme un hymne d’espoir, de mon cœur de vingt ans ?


C’est que vous êtes là, ma souriante amie,
Vous que je rencontrai sur la route de vie,
Comme vous y passiez, rêveuse aux cheveux bruns,
Heureuse des couleurs, des suaves parfums,
Heureuse d’écouter les voix de la nature.
Et vous m’avez souri de votre bouche pure,
Et vous avez posé votre main dans ma main,
Et vos grands yeux brillants éclairent mon chemin.

 

Ô compagne de rêve, ô chère Marguerite,
Par dessus l’univers qui clame et qui s’agite,
Que notre amour s’élève et plane à tout jamais !
Voyez-vous ces grands bois, ces vallons, ces sommets,
Ces plaines, ces hameaux et ces foules pressées,
Les choses du présent et les choses passées,
L’immensité des mers, l’immensité des cieux ?
Je les veux embrasser, d’un vol audacieux,
Et je leur veux ravir les choses les plus belles
Pour en édifier la demeure éternelle
Où notre tâche humaine et nos labeurs finis,
Seuls, devant l’Idéal, nous serons réunis.