Poèmes épars (Lenoir-Rolland)/Le géant
1858
Le géant
Il vint un géant à ma porte,
Un géant terrible et hautain ;
Son pied était lourd, sa main forte
Tordait les arbres du chemin.
Le colosse en vain me menace ;
Bannissant mon premier émoi
J’osai le regarder en face,
Et lui dis : « Que veux-tu de moi ? »
Le monstre, devenu pygmée,
À ces accents, tremble à son tour ;
Puis, son corps se change en fumée
Ondulant par le vent du jour.
Sa rouge prunelle est éteinte ;
Sa voix ne s’entend qu’à demi
« Où dis-je, en voyant tant de crainte,
« Où donc est ce fier ennemi ? »
Rien ne resta du géant sombre,
Qui semblait demander merci ;
Pas un point du ciel de son ombre
Ne fut un instant obscurci.
Ainsi s’écroulent les fantômes
Qui, souvent, arrêtent nos pas ;
Un souffle les brise en atomes ;
Narguons-les : ils n’existent pas.
Montréal, mai 1858.