Plan d’une bibliothèque universelle/V/VI

CHAPITRE VI.

CRITIQUES DES OUVRAGES DE NEWTON.
HARMONIES SUBLIMES DES PERTURBATIONS CÉLESTES.
MÉCANIQUE CÉLESTE DE LAPLACE.

Le livre de Newton se trouve placé dans notre catalogue entre celui de Galilée et celui de Laplace. Mais qu’on ne s’y trompe pas ; c’est ici une classification purement bibliographique ; le livre de Newton est seul, il n’a point de pair, il n’a point de rival, et la date de sa publication est restée jusqu’à ce jour la plus grande époque de l’histoire de l’esprit humain !

Une erreur cependant s’était fait jour dans l’esprit de Newton, et la rectification de cette erreur a suffi à la gloire d’un puissant géomètre.

Rien n’est plus simple que le mouvement d’une planète autour du centre qui l’attire ; mais quand au lieu d’une planète il y en a deux, la complication des mouvements et des attractions commence. Que si vous en supposez quatre, cinq, dix, vingt, toutes ces forces qui agissent en sens divers, tous ces corps qui troublent réciproquement leurs marches, finissent par jeter d’immenses perturbations dans l’ensemble du système, et l’on peut entrevoir l’époque où ce désordre toujours croissant entraînerait la chute de l’univers. Cette crainte entra dans l’âme du grand Newton ; il ne lui vint pas dans la pensée que Dieu, qui a tout prévu pour la vie d’un insecte, avait dû prévoir aussi quelque chose pour la vie des mondes. Dans la préoccupation où le jette l’enrayant spectacle des perturbations progressives du soleil et des planètes, il va jusqu’à entrevoir le moment « où la charpente de la nature réclamera le secours d’une main réparatrice ; » donec hœc naturœ compages manum emendatricem tandem sit desideratura[1]. Quelle conception étroite pour une âme si grande ! Voilà donc un Dieu qui aurait eu besoin de mettre deux fois la main à l’œuvre et de raccommoder les soleils qu’il avait allumés !

Eh quoi ! les cieux qui, du temps des prophètes, racontaient la gloire du Créateur, soumis aux lois géométriques ne raconteraient-ils plus que son impuissance ?

Frappé de l’observation de Newton, un géomètre français conçut le projet d’examiner, soit en détail, soit dans leur ensemble, les réactions et les déviations des planètes et de leurs satellites.

Le problème était immense ; il fut résolu par six volumes in-quarto d’équations et de formules analytiques. C’est de cette masse effrayante de chiffres que le génie de Laplace fit sortir la plus vive lumière qui eût encore éclairé le monde depuis Newton. Là fut établi géométriquement que toutes les irrégularités des astres avaient été prévues, qu’elles étaient périodiques, qu’elles entraient dans le système de l’univers, en sorte qu’à la fin de chaque grande période, c’est-à-dire après des oscillations d’une durée de plusieurs siècles, tous les astres qui composent notre système se retrouvaient à leur place, sans altérations et sans changements, comme aux premiers jours de leur création !

Voici donc une pensée conservatrice, une prévoyance divine, une cause finale géométrique, mise à la place du désordre apparent des planètes et du soleil ! quel poids dans la balance religieuse qu’une telle découverte sortie d’une école accusée d’athéisme !

Le livre qui la renferme n’a pas six lecteurs en Europe. Uniquement composé de chiffres, il ne pouvait ni trouver place dans notre catalogue ni manquer à notre travail ; c’était d’ailleurs la préface nécessaire de l’exposition du système du monde, ouvrage capital du même auteur, et que nous avons recueilli !


  1. Newton, opt. pag. 327, édit. de Lausanne.