Plan d’une bibliothèque universelle/V/II

CHAPITRE II.

DES LIVRES DE PHYSIQUE, DE CHIMIE, ETC.

On s’étonnera peut-être du petit nombre de livres que renferme ce chapitre de notre catalogue.

D’abord, nous avons dû en distraire toutes les œuvres mathématiques, dont la langue universelle n’est cependant accessible qu’à infiniment peu de lecteurs ; plus tous les livres spéciaux de physique, de chimie, d’anatomie, de zoologie, de botanique, sciences mobiles dont chaque progrès change le système, dont chaque système renouvelle les formes et dont, malgré nos richesses apparentes, nous ne possédons encore que les matériaux. Au point où nous en sommes, vingt ans, trente ans vieillissent une science. Que sont devenus les systèmes célèbres qui hier encore régnaient sur le monde savant ? Newton n’est plus le dieu de la lumière ; Franklin a perdu le sceptre de l’électricité, et Lavoisier celui de la chimie. Un fait nouveau suffit pour détruire les plus sublimes théories. Heureuse fluctuation, mouvement sublime, où chaque chute est un progrès et chaque destruction une lumière !

Voyez la chimie ! que d’expériences ingénieuses, que de découvertes inouïes ! Comme elle est riche pour le pauvre, comme elle est prodigue pour le riche ! Les anciens alchimistes voulaient composer de l’or, et ce secret, s’ils l’avaient découvert, aurait appauvri le monde ; la science nouvelle ne veut qu’étudier la nature, et cette étude lui révèle des formules qui sont la fortune des peuples. C’est une fée plus puissante, plus éblouissante que celles des Mille et une Nuits. Ses découvertes sont des créations, ses jeux sont des merveilles ; elle a des chars qui roulent sans coursiers, des vaisseaux qui voguent sans voiles ! elle fait le diamant avec du charbon, le sucre avec du charbon, de l’eau, et encore de l’eau, le saphir avec de l’argile, la lumière et la foudre avec une pierre d’aimant ; elle change en ténèbres les rayons du soleil, et dans un vase plein d’eau sa baguette magique trouve de brillantes illuminations.

Mais plus la chimie s’enrichit, plus le désordre augmente. Aucune théorie générale n’a remplacé les anciennes théories mortes sous le progrès ; chaque professeur fait sa langue, chaque école crée sa méthode, et l’unité européenne qui ressortait de la nomenclature de Lavoisier est remplacée par le chaos !

De tous ces faits il résulte que les sciences physiques n’ont qu’une vie transitoire qui ne permet guère de les introduire dans une bibliothèque universelle ; elles nous lèguent des noms qui effacent d’autres noms, des expériences qui tuent des systèmes ; et, chaque siècle, elles enfantent des milliers de volumes dont la postérité n’accepte que quelques pages !

Et en parlant de la physique, nous entendons encore la chimie, la minéralogie et la géologie, car ces quatre sciences, séparées dans les livres, n’en forment qu’une dans la nature.

Et cependant, malgré les observations qu’on vient de lire, cette section de notre catalogue ne restera pas entièrement vide. Nous avons recueilli trois ouvrages d’un mérite supérieur, et dont la destinée est de survivre aux révolutions de la science.

Les Lettres sur quelques sujets de physique et de philosophie, par Euler.

Les Lettres sur l’histoire de la terre et l’histoire de l’homme, par de Luc.

Le Discours sur les révolutions du globe, par Cuvier.

Ces trois ouvrages respirent la plus haute philosophie. Les deux premiers surtout sont empreints d’un sentiment religieux qui les fera vivre malgré le mouvement des systèmes et les progrès de la physique. C’est qu’il y a dans le sentiment religieux quelque chose de plus large, de plus puissant que dans nos théories les plus savantes ; la science n’explique que les causes secondaires, le sentiment religieux complète la science en l’élevant jusqu’à Dieu !