Les Amours de Tristan/Plaintes d’Acante

Les Amours de TristanP. Billaine, A. Courbé (p. 161-185).


PLAINTES
D’ACANTE.

STANCES.



VN iour que le Printemps rioit entre les fleurs,
Acante qui n’a rien que des ſoucis dans l’ame,
Pour fleſchir ſes deſtins faiſoit parler ſes pleurs,
      Humides teſmoins de ſa flame ;
Et ſe repreſentant les rigueurs d’vne Dame,
      Sembloit vn morceau du rocher
Sur lequel ſes penſers le venoient d’atacher.

Quand par l’eau de ſes pleurs ſon cœur fut alegé
De l’humeur qui tenoit ſes puiſſances contraintes ;
D’vne parole baſſe, & d’vn teint tout changé,
      Il ouurit la bouche à ces plaintes,
Par qui ſes paßions ſont aſſez bien dépeintes,
      Car ignorant qu’on l’eſcoutoit,
Il diſoit à peu prés tout ce qu’il reſſentoit.


Soleil, depuis le temps que portant la clarté
Tu diſpenſes par tout la chaleur & la vie,
Viſitant l’Vniuers, voy tu quelque Beauté
      De qui l’eſclat te face enuie
Comme font auiourd’huy les beaux yeux de Siluie ?
      Et deſſous l’amoureuſe loy
Cognoy tu quelque Amant plus mal traité que moy ?

Depuis que ie la ſers, les Cieux m’en ſont teſmoins,
Les ſoupirs & les pleurs ſont mes ſeuls exercices ;
Mais l’ingrate qu’elle est, rebute tous mes ſoins
      Et ſe rit de tous mes ſupplices,
Et le reſſentiment de tant de longs ſeruices
      Ne ſçauroit porter ſon orgueil
À tourner ſeulement les yeux vers mon Cercueil.

Cruelle, à qui mes maux ne font point de pitié,
Et que par mes deuoirs ie rens plus inhumaine ;
Obiet, dont mon amour acroiſt l’inimitié
      Et qui vous moquez de ma peine,
M’ayant reduit au point d’vne mort ſi prochaine,
      Au moins, ſi vous ne me pleignez,
Conſiderez un peu ce que vous deſdaignez.


Ie ne ſuis point ſorty d’vn vulgaire Paſteur
Que l’on ait veu couuert de honte & de diſgrace,
Et ie me puis vanter ſans pareſtre menteur
      Que ie ſuis de fort bonne race ;
Mon Pere ſi fameux au meſtier de la chaſſe
      A ſouuent en ſes premiers iours
Estouffé de ſes mains des Lions, & des Ours.

Lors qu’vn nuage eſpais de Monſtres furieux
Vint deſſus nos troupeaux faire tant de rauages,
On luy veid employer son bras victorieux
      À dißiper ces grands orages.
Combatant pour ſauuer avec nos paſturages,
      La liberté de nos Autels ;
Il acquit en mourant, des honneurs immortels.

Auec aſſez d’ardeur ie marche ſur ſes pas,
Où la Gloire m’apelle en m’offrant ſon image :
N’y l’objet du peril, ny celuy du trespas,
      Ne font point paſlir mon viſage.
Et la valeur en moy croiſſant auecque l’âge,
      Ie n’ay jamais rien redouté
Si ce n’eſt ſeulement voſtre inhumanité.


Nagueres dans vn Antre en ces lieux retirez,
Où ſouuent en ſecret i’entretiens ma triſteſſe,
Cherchant de mes moutons qui s’eſtoient égarez,
      Ie pris les Fans d’vne Tigreſſe :
La Mere les ſentant, m’ataignit de viteſſe ;
      Mais non de ſes ongles malins,
Car d’abord, ſes petits en furent orphelins.

Il ne m’en reſte qu’vn, que ie veux vous offrir,
Quand ie l’auray nourry tant ſoit peu dauantage.
À peine il peut marcher, & ne ſçauroit ſouffrir
      Que rien l’importune, ou l’outrage ;
Ses yeux clairs & perçans teſmoignent ſon courage :
      Mais mon ſoin l’a rendu plus doux,
Et ne l’a point treuué ſi ſauuage que vous.

L’autre iour vn Centaure eſpouuentable à voir
Preſſant vne Beauté d’vne rare excellence,
Au plus ſecret d’vn Bois, ſe mettoit en deuoir
      De luy faire vne violence :
La Vierge me veid ſeul punir ſon inſolence,
      L’infame eſprouua mon couroux,
Et peut-eſtre ſe ſent encore de mes coups.


La Nimphe contre vn arbre atachée en ces lieux,
Parut toute honteuſe apres cette victoire ;
Se voyant expoſée à nud deuant mes yeux,
      Son corps poßible eſtoit d’yuoire :
Mais ſoit qu’elle fuſt blanche, ou bien qu’elle fuſt noire,
      La belle ſe peut aſſeurer,
Que ie la deſtachay ſans la conſiderer.

Depuis que de vos yeux l’ardeur me vint ſaiſir,
Mon ame qui touſiours languist dans la ſouffrance,
Pour les autres Sujets n’a point plus de deſir
      Que vous me laiſſez d’eſperance :
Et ie voy des Beautez auec indifference,
      Que de leur celeſte ſejour
Les Dieux ne ſçauroient voir qu’auecque de l’amour.

Au reſte auec l’honneur d’estre nay genereux
Et de ſçauoir lancer & le dard & la pierre,
Ie m’imaginerois eſtre bien mal-heureux
      Si ie n’eſtois bon qu’à la guerre,
Pour reſpandre touſiours du ſang deſſus la terre,
      Et que mes ieunes ſentimens
N’euſſent iamais faict place à d’autres ornemens.


Ie n’ay pas ſimplement cette noble fierté
Qui protege par tout vne foible innocence :
Mon eſprit que vos yeux priuent de liberté,
      N’est point priué de cognoiſſance :
Ie ſçay le cours des Cieux, & cognoy la puiſſance
      De cent racines de valeur
Qui peuuent tout guerir excepté ma douleur.

Ie vous pourrois monſtrer ſi vous veniez vn iour
En vn parc qu’icy prés depuis peu i’ay fait clore,
Mille Amans transformez, qui des loix de l’Amour,
      Sont passez ſouz celles de Flore :
Ils ont pour aliment les larmes de l’Aurore.
      Dieux ! que ne ſuis-je entre ces fleurs,
Si vous deuez vn iour m’aroſer de vos pleurs !

Vous y verriez Clytie, aux ſentimens ialoux,
Qui n’a pû iuſqu’icy guerir de ſa iauniſſe ;
Et la fleur de ce Grec dont le boüillant couroux
      Ne peut ſouffrir vne iniuſtice :
Vous y verriez encore Adonis & Narciſſe
      Dont l’vn fut aimé de Cypris,
L’autre fut de ſon ombre aueuglement épris.


Ie vous ferois ſçauoir tout ce que l’on en dit,
Vous contant leurs vertus & leurs metamorphoſes ;
Quelle fleur vint du lait que Iunon reſpandit,
      Et quel ſang fit rougir les roſes,
Qui großiſſent d’orgueil dés qu’elles ſont écloſes,
      Voyant leur portraict ſi bien peint
Dans la viue blancheur des lys de voſtre teint.

Piqué ſecrettement de leur eſclat vermeil,
Vn folastre Zephire à l’entour ſe promene ;
Et pour les garantir de l’ardeur du Soleil,
      Les eſuente de ſon halaine :
Mais lors qu’il les émeut, il irrite ma peine ;
      Car aymant en vn plus haut point,
Ie voy que mes ſoupirs ne vous émeuuent point.

Là, mille arbres chargez des plus riches preſans
Dont la Terre à ſon gré les mortels fauoriſe ;
Et ſur qui d’vn poinçon ie graue tous les ans
      Vostre chiffre & vostre deuiſe ;
Font en mille bouquets eſclater la ceriſe,
      La prune au ius r’afraiſchiſſant,
Et le iaune abricot au goût ſi rauiſſant.


La, parmy des Iaſmins plantez confuſément,
Et dont le doux eſprit à toute heure s’exhale ;
Cependant que par tout le chaud eſt vehement,
      On ſe peut garantir du hâle ;
Et ſe perdre aiſément dans ce plaiſant Dedale
      Comme entre mille aymables nœux
Mon Ame ſe perdit parmy vos beaux cheueux.

Vne Grote ſuperbe & de rochers de prix
Que des Pins orgueilleux couronnent de feüillage ;
Y garde la fraiſcheur ſouz ſes riches lambris
      Qui ſont d’vn rare coquillage :
Mille ſecrets tuyaux cachez ſur ſon paſſage,
      Moüillent ſoudain les imprudens
Qui ſans diſcretion veulent entrer dedans.

D’vn coſté l’on y void vne petite Mer
Que trauerſe en nageant, vn amoureux Leandre.
De rage, autour de luy l’onde vient eſcumer
      Et luy, taſche de s’en deffendre ;
Aperceuant Hero qui veille pour l’attendre,
      Et d’impatience & d’amour,
Bruſle auec ſon flambeau ſur le haut d’vne Tour.


Aux niches de rocher qui ſont aux enuirons
On void touſiours mouuoir de petits perſonnages ;
Icy des charpentiers & là des forgerons,
      Qui trauaillent à leurs ouurages.
Et force moulinets faicts à diuers vſages,
      Qui font leur tour diligemment
À la faueur de l’eau qui coule inceſſamment.

Vne table de marbre où ie vais me mirer
Alors que ie n’ay pas le viſage ſi bleſme,
Pourroit bien de beau linge & de fleurs ſe parer
      Quand la chaleur ſeroit extréme,
Si vous vouliez venir y manger de la creſme
      Et des fraiſes, que cherement
Ie ne fais conſeruer que pour vous ſeulement.

Vous n’y trouueriez pas de ſuperbes aprets
Comme ceux que merite vne Beauté diuine :
Mais vous pourriez à l’ombre au moins, y boire frais
      En des vaſes de Cornaline ;
Et vos yeux, en vingt plats de Pourcelaine fine
      Pourroient confronter à ſouhait
La blancheur de vos mains auec celle du lait.


Cette colation ne ſe paſſeroit pas
Sans qu’on vous fiſt oüir quelque douce harmonie :
Philomele ſans doute ayant vû vos apas,
      Voudroit flater leur tirannie :
Et mettroit en oubly la brutale manie
      Qui cauſe ſes afflictions,
Pour dire vn air nouueau ſur vos perfections.

Vn grand baßin de Cedre artistement graué
Dont l’ordre est merueilleux autant qu’il est antique,
Vous feroit admirer quand vous auriez laué,
      Les traits d’vne hiſtoire ruſtique ;
Monſtrans ſous quelle forme & par quelle pratique,
      Vertumne autrefois ſçeut charmer
Celle qui comme vous, ne pouuoit rien aimer.

Il semble que Pomone eſcoute auec plaiſir
Les ſubtils argumens qu’il tire de ſa flame ;
Et que cét amoureux, cache vn ieune deſir
      Souz le teint d’vne vieille femme :
Tandis qu’il exagere auec beaucoup de blâme
      Ce courage dénaturé
Pour qui le pauure Yphis mourut deſesperé.


Cependant qu’il luy tient vn ſi charmant diſcours,
Les arbres les plus droicts ſe courbent pour l’entendre ;
Vn Ruiſſeau qui l’eſcoute en areſte ſon cours
      Et prés de lui ſe va répandre :
Bref vn pinceau ſçauant, à peine euſt pû pretendre
      Dans le tableau le plus exquis
L’honneur que ſur ce bois le couteau s’eſt aquis.

Ie vous le donnerois dans l’accompagnement
D’vne corbeille vnique en ſa rare maniere ;
On ne la compoſa que d’oſier ſeulement,
      Mais fuſt-elle d’or toute entiere,
L’art en ſeroit d’vn prix plus cher que la matiere,
      Tant vn Ouurier industrieux
La voulut releuer d’entre les curieux.

Obſeruant les treſors que le Verger produit
Qui peuuent ſatisfaire au beſoin de la vie :
Vous iriez les remplir, & des fleurs, & du fruit
      Dont alors vous auriez enuie ;
Et lors, auec l’Amour dont vous ſeriez ſuiuie,
      Mes penſers au moins, baiſeroient
Le ſable & le gazon que vos pieds fouleroient.


Parmy les arbriſſeaux d’vn Bois que vous verriez,
Ie vous enſeignerois vn nid de Tourterelles :
Les deux petits y ſont, que vous enleueriez,
      Car ils n’ont point encore d’ailes ;
Et puis, il est fatal à tous les plus fidelles
      Des animaux & des humains
De mettre leur franchiſe entre vos belles mains.

Apres nous irions voir par diuertiſſement
En vn lieu tout couuert de Thim & de Meliſſe,
Des mouches dont le ſoin ſert d’auertissement
      Pour le menage & la police ;
Employant tout ce temps dans l’aimable exercice
      De tirer la manne du Ciel.
Et dérober aux fleurs de quoy faire le miel.

Vous auriez le viſage & le ſein tous voilez
Pour les conſiderer auec plus d’aſſeurance :
Car paroiſſans des Lys à des Roſes meſlez,
      Les abeilles par innocence
Pourroient bien ſe tromper à cette reſſemblance,
      Et ſans crainte de trop oſer,
Vous faire quelque iniure en venant vous baiſer.


Vous leur verriez en l’air former vn bataillon
Si toſt qu’entre leurs camps la guerre ſe commence ;
Leur petit Roy volant, qui n’a point d’aiguillon,
      Vous enſeigneroit la clemence :
À vous dont le couroux a tant de vehemence,
      Et dont les yeux, ou le penſer
Ont touſiours quelques traits qui me viennent bleſſer.

De là, pour menager vn temps ſi precieux,
Viſitans d’vn eſtang la pareſſe profonde,
Lors que l’on ſent leuer vn Zephir gracieux
      Et baiſſer le flambeau du monde :
Vous pourriez comme luy vous aprocher de l’onde,
      Et par vn miracle nouueau
Faire voir à la fois deux Soleils deſſus l’eau.

S’il vous plaiſoit d’aller par ce frais Element,
I’aimerois d’auirons vne nacelle vuide :
Bien que l’Amour me tienne en ſon aueuglement,
      I’oſerois vous ſeruir de guide
À faire tout le tour de ce Christal liquide,
      Où les Diuinitez des eaux
Dorment deſſus des lits de ioncs & de roſeaux.


Vos yeux qui lanceroient des feux de tous coſtez
Leur feroient außitoſt entr’ouurir la paupiere ;
Et voyant tout à coup luire tant de clartez,
      Cela leur donneroit matiere
De croire qu’en voulant gouuerner la lumiere,
      Quelque autre ieune audacieux
Dans le char du Soleil ſeroit tombé des Cieux.

Puis, voyant tant d’apas & de perfections
Leur troupe autour de vous viendroit faire vne preſſe :
Teſmoignant plus de ioye & d’admirations
      Qu’en ces flots voiſins de la Grece,
Thetis, au temps paſſé ne fit voir d’alegreſſe
      Auec ſa maritime Cour
À la natiuité de la mere d’Amour.

Apres auoir monſtré par cent traits complaiſans
Que l’on doit adorer vos beautez & vos graces ;
De leur plus beau poiſſon vous faiſans des preſens,
      Elles ne ſeroient iamais laſſes
De vous venir offrir des lignes & des naſſes :
      Si vous n’en faiſiez du mespris,
Vous qui prenez ſi bien les cœurs, & les eſprits.


Vne chaſte pudeur dont l’eſclat est ſi beau
Semeroit voſtre teint d’vne viue peinture,
Voyant tant de Beautez prés de voſtre bateau
      Le corps nud iuſqu’à la ceinture,
Et ie vous ferois rire apres cette auanture
      Voyant de quelle agilité
Ie ferois le Forçat en ma Captiuité.

Mais ie n’auray iamais tant de contentement ;
Mon ame à qui les maux ſont ſi fort ordinaires,
Parmy ſes deſplaiſirs, ſe flate vainement
      De ces douceurs imaginaires :
Les Astres tous puiſſants & qui me ſont contraires,
      Ne voudront pas ſe relaſcher
À m’accorder vn bien ſi ſenſible & ſi cher.

Que me ſert-il d’auoir tant de fruits aſſemblez,
Tant de chévres, de beufs & de troupeaux à laine,
Et d’eſtre poſſeſſeur des raiſins & des bleds,
      De ces monts & de cette plaine ?
Si vostre cœur s’obstine auecque tant de haine
      À ne m’accorder iamais rien,
Puis-ie proteſter que ie n’ay point de bien ?


Soit que l’Aſtre du iour blanchiſſe l’Orient,
Soit qu’il ſeme le ſoir du ſafran dans la nuë,
Inceſſamment les pleurs aux ſoupirs mariant,
      Ie me plains du coup qui me tuë :
Tout ceſſe en l’Vniuers, mais mon mal continuë,
      Et la rigueur de mon deſtin
Ne ſe modere point le ſoir ny le matin.

La nuit humide & froide incitant au repos,
A beau ſe preſenter d’Eſtoilles couronnée ;
Pour donner quelque tréve aux funeſtes propos
      Que ie tiens toute la iournée.
Tous les autres humains changent de deſtinée
      Portans les marques du trespas,
Mais moy ie ſuis plus mort & ſi ie ne dors pas.

De l’esprit & du corps errant de tous coſtez,
Ie ne fay que me plaindre en cette inquietude ;
Car touſiours mon penſer me dépeint vos Beautez
      Auecque vostre ingratitude.
Dieux ! faut-il qu’vn Obiet ſoit ſi doux & ſi rude
      Ne m’engageant à l’adorer
Que pour prendre plaiſir à me deſeſperer ?


Si quelquesfois mes yeux ne peuuent reſister
Aux pauots, dont le ſomme acompliſt tous ſes charmes ;
Morphée ingenieux à me perſecuter
      Les tient touſiours trempez de larmes.
Il me vient effroyer auecque des alarmes
      Que ie ne ſçaurois ſoutenir ;
Las ! ie fremis encore à m’en reſſouuenir.

Ie vous voy ce me ſemble auec la maieſté
Qu’vne douceur tempere en voſtre beau viſage,
Me dire d’vn accent plein de ſeuerité
      Berger, ton ſoin m’eſt vn outrage ;
Ie ne puis t’eſcouter, ny te voir dauantage,
      Tous tes ſoupirs ſont ſuperflus,
Va-t’en loing de mes yeux & ne retourne plus.

Surpris d’estonnement & ſaiſi de douleur,
I’accuse vos rigueurs & le Ciel d’iniustice ;
Et ne voulant plus viure apres vn tel mal-heur,
      Ie cours vers vn grand precipice
Pour terminer mes maux par vn dernier ſuplice ;
      Et croy me lancer de ſi haut
Que d’horreur, en tombant ie m’eſueille en ſurſaut.


D’autre-fois, comme il plaiſt à la noire vapeur
Qui s’eſleue touſiours de ma melancolie ;
Vn Riual m’aparoiſt ſous ce voile trompeur,
      Qui dans vn iour que l’on publie
Sous le ioug d’Himenée auecque vous ſe lie,
      Sans que cela vous touche fort
Si le iour de ſa feſte, est celuy de ma mort.

Embrasé de cholere en cette extremité
Il m’eſt auis qu’à l’heure au combat ie l’inuite ;
Pour l’empeſcher d’atteindre à la felicité
      Qui ſembloit deuë à mon merite.
Mon bras du premier coup heureuſement s’acquite
      Du ſoin de m’en rendre vainqueur,
Et l’ayant terraßé, ie lui mange le cœur.

Puis apres cét excez, ie me ſens tout glacé
Craignant que ce duel ne vienne à vous déplaire :
Ie veux tout à l’inſtant ſuiure le trespaßé
      Pour adoucir voſtre cholere.
Mais ſur ce mouuement, le Soleil qui m’eſclaire
      Me monſtre en me réjoüiſſant,
Que voſtre Nopce eſt vaine & mon bras innocent.


Ainſi perſecuté des cruautez d’Amour
Mon eſprit ſe conſume en des peines ſans nombre :
Si mon dueil au matin commence auec le iour,
      Il croiſt le ſoir auecque l’ombre.
Et i’ay touſiours l’humeur ſi chagrine & ſi ſombre
      Que ſur la Terre & dans les Cieux
Ie ne voy point d’obiects qui ne bleſſent mes yeux.

Außi tout eſt ſenſible à mon affliction ;
Là bas dedans ces prez l’herbe en eſt preſque morte :
Ces troncs ne ſont ſechez que de compaßion
      Des deſplaiſirs que ie ſuporte.
Les vents en ſont muets, & d’vne aimable ſorte,
     Echo taſche à m’en conſoler
En chaque ſolitude où ie vay luy parler.

Les Nimphes que Diane attire dans les bois
Abhorrant des mortels les prophanes aproches ;
M’ont voulu demander la rigueur de vos loix
      Pour vous en faire des reproches ;
Et celle d’vn ruiſſeau qui coule entre des roches
      Admirant l’excez de ma foy,
Murmure du meſpris que vous auez pour moy.


S’il faut qu’en vous aimant, ie commette vn forfait,
Nos Bois & nos Hameaux ſont pleins de mes complices ;
Qui m’aßiſtent touſiours de penſée, ou d’effet,
      Soit me rendant de bons offices,
Soit adreſſant au Ciel de ſecrets ſacrifices,
      Afin que ceux de mon tourment
Soient acceptez de vous plus fauorablement.

Vn Berger ſi ſubtil à guider le pinceau
Que ſon art bien ſouuent a trompé la Nature ;
Vous obſeruoit vn iour ſur le bord d’vn ruiſſeau
      Pour me donner voſtre peinture :
Lors ſelon ſes ſouhaits, vos yeux par auanture
      Se conſeilloient à ce miroir
De tout ce dont vos ſoins augmentent leur pouuoir.

Vous auiez ſur la teste vn chapeau retrouſsé
Où deux roſes pendoient auec leur tige verte ;
Vous teniez vers l’eſpaule vn bras tout renuersé,
      Voſtre gorge eſtoit découuerte
Sur qui deux monts de neige animez pour ma perte,
      Ne vous ſouffrent de reſpirer
Que par des mouuemens qui me font ſoupirer.


Il a ſi bien tiré vos yeux & voſtre teint,
Que deuant ce tableau ie ſuis touſiours en crainte :
Mais quoy ie recognoy qu’vn mal qui n’eſt pas feint
      Ne peut guerir par vne feinte.
Et dans mon ſouuenir vous eſtes ſi bien peinte
      Que les traits dont vous me charmez
Me ſont mieux découuerts quand i’ay les yeux fermez.

Ie le garde pourtant auec autant de ſoin
Que vous pouuez garder voſtre Brebis cherie :
Quelque part que ie ſois, il n’en eſt iamais loin ;
      Soit que i’erre dans la prairie,
Soit qu’à l’ombre d’vn bois ie tombe en réſuerie,
      Soit que ſur vn lac eſcarté
Ie contemple des eaux la molle oiſiueté.

Il fut vn iour teſmoin des ſecrets qu’on m’aprit
Pour ſeruir d’antidote au trait qui m’empoiſonne :
Ce ſont quelques conſeils d’vne Nimphe d’eſprit
      Et d’vne fort belle perſonne.
La choſe fut ſi vaine, & vous eſtes ſi bonne,
      Que ie puis bien vous la nommer
Sans que vous la puißiez pour cela moins aimer.


La Mere de Mirtil, de ce diuin Garçon
Dont l’eſprit fut ſi doux & la valeur ſi rare :
Me voyant en langueur, me fit vne leçon
      Qui me parut vn peu barbare :
Voulant que de mes pleurs ie fuſſe plus auare,
      Et me rendiſſe moins ſoigneux
D’vn ſujet ſi ſuperbe & ſi fort deſdaigneux.

Tout ce qu’on void en vous luy plaiſt extrémement,
Mais bien qu’elle vous aime & qu’elle vous eſtime,
La pitié de mes maux la toucha tellement
      Qu’elle creut faire vn moindre crime
À tenter vn remede encor qu’illegitime,
      Qu’à laiſſer perir vn Parant
Pour le vouloir traiter comme vn indiferant.

Acante, me dit-elle, es-tu pas inſenſé
De viure de la ſorte en faueur d’vne Ingrate ;
Qui ſe rit de ta plainte apres t’auoir bleßé
      Dans la vanité qui la flate ?
Faut-il pour l’eſleuer, que ton esprit s’abate
      En faiſant ainſi triompher
Ce Marbre que tes feux ne ſçauroient eſchaufer ?


Tu ſçais comme la femme eſt d’vn ſexe orgueilleux
Dont la rigueur s’acroiſt trouuant l’obeïſſance ;
Ceux qui ſçauent aimer eſtiment perilleux
      De luy donner trop de puiſſance.
Ie t’en parle poßible, auecque cognoiſſance,
      Moy qui d’vn ſeul trait de mes yeux
Fis autre-fois languir vn des plus grands des Dieux.

Croy moy, relaſche vn peu de ces ſoins ſi preſſez,
Qui ne font qu’irriter cette humeur inſolente ;
Peut-eſtre ſes penſers parestront moins glacez,
      Si ta flame parest plus lente :
C’eſt dedans les amours vne adreſſe excellente
      Lors que l’on peut bien exprimer
Que n’eſtant point aimé, l’on ne ſçauroit aimer.

Mais ſi tous ces moyens ne te ſeruent de rien,
Il faut de ta memoire effacer ſon Image :
Ce ſeroit laſcheté de vouloir tant de bien
      À qui ne veut que ton dommage.
Montre que ſon erreur te fait deuenir ſage
      Quelqu’autre obiect außi charmant
Fera moins de mespris d’vn ſi parfait Amant.


Cloris il eſt certain, luy dis-ie en ſouſpirant,
Que cette paßion m’a rendu miſerable :
Ma peine auec le temps va touſiours empirant
      Et Siluie eſt inexorable.
Mais quoy ? ton apareil treuue vn mal incurable
      Ie n’en ſçaurois iamais guerir,
Et quand ie le pourrois, i’aimerois mieux mourir.

Mon ame eſt ſi portée à cherir ſa priſon
Qu’elle penſe touſiours à la rendre plus forte ;
Et ne ſçauroit ſoufrir que iamais la Raiſon
      Luy parle d’en ouurir la porte.
Ô prodige nouueau ! que i’aime de la ſorte
      Et que tant d’inhumanité
Ne puiſſe faire breche en ma fidelité,

Il ne m’eſt plus permis d’en faire moins de cas
Quoy que de cét excez mon eſprit aprehende ;
Et i’ay les ſentimens tellement delicats
      Pour les ſoins qu’il faut qu’on luy rende,
Que ie tiens qu’icy bas la gloire la plus grande
      Seroit celle de la ſeruir
Auſsi parfaitement qu’elle m’a ſçeu rauir.


Iuſqu’au dernier ſoupir ie veux continuer
De ſuporter les loix de ſon cruel Empire :
Deſormais mon amour ne peut diminuer,
      Pour voir augmenter mon martire ;
Car l’ombre ſeulement, du bon-heur où i’aſpire
      Me promet des contentemens
Qu’on ne peut obtenir auec trop de tourmens.

Acante en ces propos deſcouuroit ſon ennuy,
Lors qu’en l’interrompant, vn bruit le vint ſurprendre ;
Außi toſt ſe tournant, il veid derriere luy
      Daphnis qui venoit de l’entendre,
Et qui de cette amour ſi fidelle & ſi tendre
      Marqua les mouuemens diuers,
Qu’auec peu d’artifice il a mis dans ces vers.