Petites fantaisies littéraires/Texte entier

Typographie de P.-G. Delisle (p. 5-211).

INTRODUCTION.



Dans une notice qui précède les œuvres de Charles Baudelaire, le célèbre Théophile Gautier écrivait :

« À quelle existence triste, précaire et misérable, et nous ne parlons pas ici des embarras d’argent, se voue celui qui s’engage dans cette voie douloureuse qu’on nomme la carrière des lettres ! Il peut dès ce moment se considérer comme retranché du nombre des humains : l’action chez lui s’arrête ; il ne vit plus ; il est le spectateur de la vie. Toute sensation lui devient motif d’analyse. Involontairement il se dédouble et, faute d’autre sujet, devient l’espion de lui-même. S’il manque de cadavre, il s’étend sur la dalle de marbre noir, et, par un prodige fréquent en littérature, il enfonce le scalpel dans son propre cœur. Et quelles luttes acharnées avec l’Idée, ce Protée insaisissable qui prend toutes les formes pour se dérober à votre étreinte, et qui ne rend son oracle que lorsqu’on l’a contrainte à se montrer sous son véritable aspect ! Cette Idée, quand on la tient effarée et palpitante sous son genou vainqueur, il faut la relever, la vêtir, lui mettre cette robe de style si difficile à tisser, à teindre, à disposer en plis sévères ou gracieux. À ce jeu longtemps soutenu, les nerfs s’irritent, le cerveau s’enflamme, la sensibilité s’exacerbe ; et la névrose arrive avec ses inquiétudes bizarres, ses insomnies hallucinées, ses souffrances indéfinissables, ses caprices morbides, ses dépravations fantasques, ses engouements et ses répugnances sans motif, ses énergies folles et ses prostrations énervées, sa recherche d’excitants et son dégoût pour toute nourriture saine. Nous ne chargeons pas le tableau ; plus d’une mort récente en garantit l’exactitude. Encore n’avons-nous là en vue que les poètes ayant du talent, visités par la gloire et qui, du moins, ont succombé sur le sein de leur idéal. Que serait-ce si nous descendions dans ces limbes où vagissent, avec les ombres des petits enfants, les vocations mort-nées, les tentatives avortées, les larves d’idées qui n’ont trouvé ni ailes ni formes, car le désir n’est pas la puissance, l’amour n’est pas la possession. La foi ne suffit pas : il faut le don. En littérature comme en théologie, les œuvres ne sont rien sans la Grâce. »

Ces pensées, que le mouvement littéraire d’une grande nation inspirait à un poète illustre, surgissent également en présence des moindres manifestations de notre littérature.

Nos poètes, nos prosateurs, nos artistes, tous ces enfants de notre pays qui ont accompli les rudes labeurs de la pensée, savent ce qu’il en coûte de tortures morales, d’angoisses de l’âme, de serrements du cœur, pour arriver à l’enfantement pénible de l’Idée et la revêtir ensuite de ces délicatesses de la forme qui constituent son unique garantie d’existence.

Ceux qui ont lancé des volumes, savent que de douloureuses élaborations intellectuelles, ne leur ont pas ouvert pour tout cela les portes d’un eldorado.

Hélas l’homme de lettre enfantera-t-il toujours dans la douleur ?

On dirait que le fruit de l’intelligence, parce qu’il est plus beau, plus grand, plus noble que le produit de la matière, parce qu’il prime toutes les puissances de la création, parce qu’il laisse loin derrière lui toutes les merveilles dont l’émanation directe n’est pas de l’âme, a besoin de naître et grandir dans la souffrance.

Le tribut fatal de peine qu’il doit à la nature est en raison de la grandeur de son origine !

Les rigueurs inexorables de la vie réelle pèsent plus lourdement il me semble sur l’ouvrier de la pensée.

La multitude le voit et passe.

Que lui importent à elle, les stances harmonieuses d’une idylle, la musique d’une page bien écrite, l’expression raffinée d’un beau sentiment !… À quoi bon les plaintes de cet ostracisé des fastes sociaux, de ce banni des régions de la fortune !

La multitude le voit et passe… et, sauf quelque rare privilégié qu’un fugitif succès de vogue pourrait peut-être accidentellement rémunérer, l’homme de lettres roulera à jamais son éternel rocher de Sisyphe.

Que reste-t-il au malheureux que des aptitudes réelles ou des efforts illusoires inclinent à tenter la sombre carrière des lettres ? l’amour du Beau, l’amour de l’Art pour lui-même, l’amour de l’Idéal !

En France, l’écrivain peut compter sur une critique saine, éclairée, impartiale qui sera pour lui la récompense du travail, ou qui l’avertira sagement que son âme n’a pas été créée pour les sublimes efflorescences de la pensée.

Dans notre pays, la critique des choses de la pensée est à peu près nulle. La musique, la peinture, l’architecture tâtonnent sans guide à travers des méandres obscurs.

Les beaux-arts il est vrai n’ont encore fait entendre que de plaintifs vagissements, à part quelques rares exceptions qui ont dû s’envoler vers des sphères plus chaudes pour trouver le complet épanouissement d’elles-mêmes !

Quelques hommes de talent se sont érigés en tribunal littéraire ; mais, comme dans toutes les grandes œuvres qui commencent, les débuts sont lents et difficiles, et les résultats de la création de l’Académie de notre pays, ne sont pas encore bien tangibles.

Un grand journal, qu’un homme d’une initiative peu commune fondait il y a quelques années, a contribué à grouper ensemble un remarquable noyau d’hommes de lettres. L’action de ces travailleurs de la plume, s’est fait sentir déjà par tout le pays. Leur œuvre se poursuit plus belle et plus florissante que jamais.

L’Université Laval, avec ses concours, a, elle aussi, fait beaucoup pour la littérature de notre pays.

En dehors de ces trois sources, la plus désespérante apathie règne à l’endroit d’une production littéraire.

Les élucubrations les plus stériles s’étalent au milieu des œuvres marquées au bon coin, sans que l’on se préoccupe nullement de tirer celles-ci d’une déplorable et humiliante confusion.

Qui dira à tel écrivailleur qu’il n’est pas fait pour tenir une plume, que c’est un gâcheur dans le métier, qu’il ferait mieux un défricheur ?

Qui viendra prendre par la main, pour lui ouvrir les portes du Temple des Lettres, ce timide favori des Muses dont les premiers élans indiquent que ses essors futurs seront extraordinaires ?

Pendant les dix ou douze dernières années qui viennent de s’écouler, trois jeunes poètes de notre Canada ont fait un début remarquable. Quelques curieux, passionnés pour la découverte de nouveaux astres, ont aperçu au fond de notre firmament littéraire, ces météores dont ils ont signalé l’éclat.

La foule a passé outre sans lever la tête !

Le découragement est entré dans ces âmes pleines de poésie. Gingras a brisé sa lyre et vit en bon prêtre dans l’obscure retraite d’une paroisse dont il dirige les âmes pieuses ; Évanturel mange à l’étranger le pain que son talent aurait dû lui donner ici ; Prendergast, le mélancolique auteur des beaux vers du « Soir d’Automne » est allé demander à d’autres latitudes les encouragements que lui refusait son pays.

Et pourtant, tout ce qui porte le sceau de l’intelligence est beau !

Il est noble de n’être pas uniquement un peuple à cannelle et à chandelle. Encore, si le mercantilisme était chez nous une aptitude, et s’il nous avait irrémédiablement rivés à l’évolution progressive de la matière ! mais, il est bien reconnu que nous ne sommes pas un peuple-marchand, et que nous sommes plutôt doués d’une supériorité intellectuelle… Encourageons donc notre littérature !

Je connais plus d’un jeune littérateur qui dissimule précieusement dans le coin le plus caché de sa mansarde, de ces petites pièces fugitives d’une incroyable saveur ou d’une âpre amertume, selon les heures de joie ou de spleen qui les ont vu naître. Mon Dieu ! Pourquoi mettre au jour ces bons petits chefs-d’œuvre qui dorment déjà si bien dans un oubli qui du moins ne leur est pas hostile !

Il est de ces jeunes poètes à l’habit râpé, à l’escarcelle béante, dont le dernier gage maternel est allé pleurer tristement sur les poudreuses tablettes d’un mont-de-piété, qui font entendre des accents dont les rochers seraient remués. Qu’il y ait donc une charité littéraire ! qu’elle recueille ces infortunés ! qu’elle les réchauffe, qu’elle les vête, et la patrie comptera de nouvelles gloires !

L’industriel qui se fait habile, sort de son obscurité, reçoit le prix de ses efforts, et devient un facteur puissant de la prospérité publique. Seul, l’homme de lettres sera-t-il sans cesse condamné à s’éteindre dans les réduits glacés de l’indifférence ?

Que la société prenne garde ! Elle pourrait avoir à déplorer les funestes entraînements qui perdront cette âme dont elle n’aura pas voulu soulager la détresse — Lamennais a dit : « Quand, malgré ses efforts pour satisfaire aux besoins de la vie par des moyens licites, l’homme n’y peut parvenir, il lutte encore pour rester vertueux, il lutte plus ou moins longtemps ; puis sa tête s’aliène, il se retourne contre la vertu même, et se rue sur elle, et la foule aux pieds, et la traîne dans le ruisseau avec colère comme un agent provocateur. »

Quand passe un homme que les tourments de la pensée, et les tiraillements de l’indigence assaillent tour-à-tour, ces vers de « la chanson des Gueux » me bourdonnent involontairement dans la tête :

« On ne sait pas pourquoi cet homme prit naissance.
Et pourquoi mourut-il ? On ne l’a pas connu.
Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chance,
Partit comme il était venu.

La gaîté, le chagrin, l’espérance, la crainte,
Ensemble ou tour à tour ont fait battre son cœur.
Ses lèvres n’ignoraient le rire ni la plainte.
Son œil fut sincère et moqueur.

Il mangeait, il buvait, il dormait ; puis, morose,
Recommençait encor dormir, boire et manger ;
Et chaque jour c’était toujours la même chose,
La même chose pour changer.

Il fit le bien, et vit que c’était des chimères.
Il fit le mal ; le mal le laissa sans remords.
Il avait des amis ; amitiés éphémères !
Des ennemis ; mais ils sont morts.

Il aima. Son amour d’une autre fut suivie,
Et de plusieurs. Sur tout le dégoût vint s’asseoir.
Et cet homme a passé comme passe la vie :
Entrez, sortez, et puis bonsoir. »

Je me présente aujourd’hui devant mon pays avec quelques pâles bluettes écloses sous l’action bienfaisante d’un rayon de soleil, d’un souffle parfumé, d’un clair de lune, d’une étincelle d’amour tombée sur mon âme en des heures où la tristesse l’envahissait.

Ces fantaisies ont été publiées pour la plupart dans quelques journaux et revues, sous le pseudonyme de Frédéric Vatel. Après les avoir groupées en fascicule, je les soumettais à l’appréciation de l’Académie Royale du Canada. La section des Lettres Françaises qui avait à juger mes essais daignait leur accorder un sourire d’encouragement, et la narration intitulée : « Minuit moins Trois » méritait les honneurs d’une lecture publique en sa séance solennelle de 1884. Un accueil aussi bienveillant et partant de si haut, était assurément de nature à me faire persévérer dans la carrière que j’avais adoptée.

Les gens que la tourmente des affaires emporte de par le monde, passeront probablement sans soupçonner l’existence de ce pauvre petit volume qui ne saurait apporter de nouvelles combinaisons à l’agiotage.

Je ne m’adresse pas à eux.

Mon livre est l’œuvre d’un jeune homme. Il va droit à la jeunesse, à la belle jeunesse exubérante de sève, d’enthousiasme, d’aspirations folles… d’extases poétiques, de passions sublimes… L’idée-mère de ces pages, c’est l’idée qui porte la jeunesse jusqu’aux sphères embaumées de l’amour ! ce beau sentiment aujourd’hui si avarié, si contaminé par les flots envahissants d’une littérature sensuelle.

Pendant le voyage de la vie, l’amour sauvera la jeunesse des désespoirs cuisants, des amertumes brûlantes, des déceptions de toutes sortes, mais à condition qu’il s’épanouisse chaste et pur sous le regard de celui qui a dit : « Celui qui n’aime pas ne connaît pas Dieu, car Dieu est Amour. »

Si mon livre, quelque médiocre qu’il soit, fait tomber une larme, s’il élève une pensée jusqu’à Dieu, s’il ferme une plaie, s’il relève un courage abattu, j’aurai fait une bonne action.

Qui sait, un poète y trouvera peut-être le germe d’une inspiration féconde qui lui fera créer une grande œuvre — je me glorifierai d’avoir été la cause obscure, mais heureuse de ce nouveau rayonnement…

Le frêle brin d’herbe que le poids d’un insecte peut ployer, a sa mission dans le monde, comme la planète aux majestueuses proportions, qui parcourt avec ses satellites l’orbe tracé par le doigt de son créateur.


Georges Lemay.

DEUX RÊVES.

DEUX RÊVES.



Je n’aime pas les rêves, moi ; ils me font peur, surtout les plus beaux.

Celui-là m’avait transporté dans les régions les plus pures.

Ma sœur était tombée malade le matin ; mais avec la nuit, l’indisposition avait semblé perdre de sa gravité.

Je les laissai seules, elle, et ma mère au chevet, pour aller prendre quelque repos.

Je me vis aussitôt sommeillant paisiblement, sur les bords solitaires d’une mer sans limites.

L’onde était calme. Pas un souffle n’en effleurait la surface.

Quelques grands hêtres profilaient çà et là des ombres silencieuses qui semblaient demander à l’abîme les secrets de sa profondeur.

Un oiseau de passage dont l’aile glissait rapide, semait en fuyant, comme un souvenir de lui-même, sur le cristal de cette glace immense.

Un beau grand soleil, au fond du firmament bleu, sans nuages… Voilà tout…

Une nacelle avait émergé soudain de toute cette poésie. J’essayais d’en préciser les formes, lorsqu’une musique suave, divine, belle comme je n’en avais jamais entendue, vint frapper doucement mon oreille.

C’était l’harmonieux effet d’une combinaison de guitares, de harpes et de mandolines.

L’esquif léger s’approchait toujours. Les figures de quelques êtres incomparables commençaient à se dessiner.

Je les voyais bien maintenant.

Ils étaient six, revêtus d’habits étincelants.

Je pouvais distinguer leurs traits qui semblaient participer de la beauté des anges.

J’étais dans le ravissement.

La barque allait toucher le rivage quand ma mère vint m’éveiller…

« Frédéric, si tu veux recueillir les derniers soupirs de ta sœur, il est temps… après, Emma ne sera plus… »

Je descendis à la hâte. Il était deux heures. Elle mourut à l’aurore.

Je fus épouvanté de ce rêve d’ivresse qui avait coïncidé avec d’intolérables souffrances.

Je pleurai longtemps, amèrement, la perte d’un être que j’avais tendrement chéri.


Il y a de cela quelques années. Je faisais mon Droit dans l’une des universités les plus célèbres de…, ne relevant que d’un labeur incessant pour subvenir moi-même aux plus vulgaires nécessités de la vie.

Mais il y avait là, tout près, un cœur qui battait pour le mien, une pensée intime qui demandait à Dieu de me bénir, une aspiration sincère à côtoyer avec moi les rives tantôt fleuries, tantôt arides de l’existence. Cela me soutenait dans les moments de douloureuse amertume où j’allais tomber de lassitude, le cœur en larmes, le courage prêt à défaillir.

Elle m’aimait, et sa parole vibrante, qui débordait d’affection, m’enveloppait toujours d’un nouveau rayonnement.

Et la vie me revenait plus magnifique, plus ensoleillée que jamais.

Rosita était une brune radieuse. Il m’est impossible de décrire convenablement les excellences caractéristiques qui constituaient l’individualité de cette fleur.

Son sourire était fin, délicat, railleur à point, pouvant revêtir les nuances les plus insaisissables.

C’était sa royauté, aurait dit Marchal.

Son œil noir quand il vous fixait vous remuait profondément.

Une exquise sensibilité lui fournissait une intuition complète des choses dans leurs rapports les plus étroits.

Comme il faisait bon vivre près de Rosita !

Elle m’aimait, moi, triste déshérité de la fortune, n’ayant à lui donner en retour qu’une affection généreuse.

Elle me disait : « Sois religieux, aime-moi bien ; moi je prierai de mon côté. Le succès couronnera tes efforts, et nous serons heureux. » Et jamais nous ne descendions plus bas dans les abîmes de la réflexion.

Des partis sérieux, considérables, très graves, disait le monde, recherchaient avec avidité une ombre de cette tendresse que Rosita m’accordait avec profusion.

L’intérêt sordide, froid et calculateur, inaccessible aux délicatesses du cœur, indiquait ici quatre arpents bien plantés, un manoir formidable, là-bas un pilon doré, ailleurs quelques cents deniers à bonne enseigne…

Elle riait de tout, revenait à moi, et dissipait d’un mot toutes mes appréhensions pour caresser des projets dont elle adorait la hardiesse.

C’était sous le Grand Pin qu’elle me racontait dans sa candeur toutes les folies d’un monde qui ne comprenait rien à notre félicité.

Il était là le beau grand arbre, drapé dans sa majesté, debout sur les bords de cet océan de poésie rurale, où nous venions si souvent tous deux…

Le grand pin, ce confident séculaire de tant d’épanchements, ce témoin de tant d’amours, de tant d’illusions, de tant de tristesses, de tant de larmes qui tombaient mélancoliquement à ses pieds…

Le bruissement de son feuillage était doux comme le langage de deux âmes qui s’entendent.

Il s’inclinait à peine au souffle qui passait comme s’il avait eu peur de remuer les confidences dont il était chargé.

Tout en bas, le grand fleuve roulait ses ondes impétueuses : aux bords, des paysages féeriques qui semblaient solliciter le plaisir de se fixer en une aquarelle…

Tout cela, c’était le bonheur aussi parfait qu’il se pouvait atteindre dans un amour chaste et pur, s’épanouissant librement sous l’œil de Dieu.

Un soir, je m’étais couché heureux, souriant à l’image aimée qui me faisait vivre.

À quelques pas, il y avait grand bal. Des raisons importantes m’avaient forcé de décliner une invitation d’y prendre part.

Rosita s’y trouvait ; mais elle m’avait répété qu’elle m’aimait — que m’importait !

J’entendis les derniers accords d’une harmonie qui emportait ma bien aimée dans les tourbillons d’une danse entraînante.

Je pouvais à travers mes persiennes, voir défiler les couples enivrés.

Rosita m’apparut resplendissante, une fleur aux cheveux, l’œil fascinateur, avec un sourire d’ange.

Je dormis en paix, rêvant du plus délicieux avenir.

Mes études légales étaient terminées. Je venais d’être nommé attaché d’ambassade. Le succès s’épanouissait sur mes pas.

J’allais toucher au but de mes efforts.

Un ami vint m’éveiller en sursaut : « Frédéric, pauvre Frédéric… »

Cette parole fut comme un coup de foudre. Je compris tout. Rosita avait donné sa main. L’on fêtait les fiançailles.

J’avais le vertige.

La tête me tournait.

Je partis la même nuit sans que jamais on ait su là-bas ce qu’il est advenu de moi.

Si j’existe, je le dois à Rosita qui m’a toujours dit de ne jamais abandonner l’idée religieuse.

Mais je n’ai jamais aimé depuis, et voilà trente ans que ces événements se sont déroulés.

Et je n’aime pas les beaux rêves !



SOUVENIR.

SOUVENIR.



Dante, pourquoi dis-tu qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans les jours de douleur ?
Quel chagrin t’a dicté cette parole amère,
Cette offense au malheur ?

En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l’oublier du moment qu’il fait nuit ?
Est-ce bien toi grande âme immortellement triste,
Est-ce toi qui l’as dit ?

Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m’éclaire,
Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur,
Un souvenir heureux est peut-être sur terre
Plus vrai que le bonheur.

Alfred de Musset.

Je ne sais trop qui écrivit un jour, ces paroles empreintes d’une mélancolie suave :

« Comme on s’attache aux choses qui nous entourent, et comme la vue d’une pelouse, d’une allée de forêt, d’un coin de bois, rappelle au cœur toute une gamme de souvenirs gais ou tristes ! »

Je bénis Dieu de pouvoir reconstituer dans ma mémoire, ces collines, ces prés souriants, ces pampres qui se jouaient sur la véranda,


« Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux remplis de causeries, »


ces étapes fréquentes sous le grand pin, d’où nous regardions tous deux couler les flots du grand fleuve, sans songer qu’avec l’onde fugitive, s’évanouissaient aussi les enivrements de notre bonheur.

Il est bien loin ce temps-là qui m’a fait vieux ; mais je puis refouler l’infortune des âges, et retrouver l’endroit perdu des brumes du temps qui n’est plus, où mon cœur sentit s’oublier les heures.

Nous avons tous pénétré dans une forêt.

Nous en avons sondé les mystérieuses profondeurs.

Que ne dit pas la forêt, ce temple majestueux où s’est retiré le silence, pour qu’on aille à lui comme à Dieu dans son sanctuaire !

Il existe dans le silence de la forêt une analogie frappante avec le souvenir de l’âme, cette autre forêt aux feuilles jaunies, aux branches desséchées, aux tiges flétries.

Le silence de la forêt a quelque chose de la grandeur de Dieu.

La voix des arbres est tantôt douce, tantôt sévère, tantôt formidable comme le tumulte.

On revient de la forêt comme on revient de la prière, plus consolé, moins fatigué du poids de la vie.

L’homme qui tombe de lassitude va chercher dans la forêt, la pierre où il aime reposer sa tête brûlante.

Quand il s’est couché là, sous la sombre verdure, sa pensée flotte mollement comme un rêve à travers l’immensité des solitudes.

Il va dans le silence des bois, froissant ici un lit de feuilles qui jonchent la terre humide, là un rameau qui vient de perdre sa sève.

Il s’arrête ailleurs en face d’un arbre géant qui s’est effondré sur lui-même.

Le chant d’une fauvette, le murmure d’une source, une harmonie éolienne, puis le silence… le silence immuable comme la Divinité…

S’il est malheureux, orageusement balloté par les vagues de l’amertume, l’homme veut se souvenir.

Il y a là sous les cendres d’antan une étincelle qui lui garde un éblouissement, une flamme qui promet de l’embraser.

Laissez moi, laissez moi m’enfoncer à jamais dans les régions silencieuses de mon âme.

J’y cherche le souvenir, comme j’ai cherché le silence de la forêt, quand la foule jetait sa clameur et m’empêchait d’entendre.

Je veux les revoir ces illusions dorées qui gisent au milieu des décombres de mon cœur !

À moi ces espérances dernières que j’ai vues se tordre dans une convulsion suprême, contre les étreintes de ma mauvaise fortune !

À moi cet amour mémorable, l’idée de ma vie, cette femme que j’ai dû voir tournoyer dans l’abîme des événements fatidiques sans pouvoir m’attacher à ses pas !

C’est sur cette pierre que je veux me reposer de mes peines, et chanter avec le poète :

« À cette heure, en ce lieu,
Un jour je fus aimé, j’aimais, elle était belle,
J’enfouis ce trésor dans mon âme immortelle
Et je l’emporte à Dieu. »


Je la vois encore avec ses lèvres qui ne s’entr’ouvraient que pour sourire, ou pour pardonner.

Comme je les aimais ses grands yeux noirs, tout pleins d’affection.

Le matin sans qu’elle s’en doutât, je la suivais du regard, perdue dans son grand peignoir, ses cheveux déroulés, sa main active à travers un tourbillon de poussière qu’elle chassait au dehors.

Le soir, nous allions à la prière, à l’église du village.

La prière, nous la faisions pour remercier Dieu de la part de bonheur qu’il nous avait faite dans la journée.

Ensuite, c’étaient les promenades sans fin, les rêveries de l’âme, les beaux projets que je lui communiquais sans rire, et qu’elle écoutait avec tant de douceur.

Je la boudais quelquefois, mais pas longtemps. Elle ne m’en voulait pas.

Elle m’a dit une fois que j’étais jaloux. Je pris feu. Ma vieille dignité se révolta. Le portrait du mari ombrageux se dressa devant moi ; j’eus honte et je jurai que je n’étais pas si vilain.

Je crois qu’elle avait un peu raison. Je l’aimais tant ! Et les amoureux sont toujours un peu défiants, un peu jaloux, quoi !

Nous revenions à la maison… la maison dont je conserverai un impérissable souvenir, et nous faisions de la musique.

Elle au piano, moi à ses côtés ! Ça n’était pas Thalberg, ça n’était pas Liszt ; mieux que ça, c’était elle.

Je ne dis pas qu’elle jouait d’une manière irréprochable ; mais, c’est si charmant l’amour, qu’elle pouvait me faire accepter avec plaisir, je crois, la plus rude série de mauvaises croches.

N’importe : elle eût été artiste si elle l’eût voulu, et grande artiste, car elle en avait l’âme.

Tout cela n’est plus ; mais la forêt et ses mystères, c’est-à-dire mon âme et ses souvenirs ne périront pas, et je veux avant de finir, redire ces vers d’Alfred de Musset qui chantent dans ma tête :


« Jamais ce souvenir ne peut m’être arraché :
Comme le matelot brisé par la tempête
Je m’y tiens attaché. »


ENTRE DEUX.

ENTRE DEUX.



Gaspard n’en revenait pas.

Ces femmes sont incompréhensibles, s’écria-t-il en s’étalant confortablement dans le plus large fauteuil de mon cabinet.

Un gouffre, un abîme, un précipice, un… tout ce que tu voudras… la femme, c’est tout ça… c’est pire.

— Allons ! Une aventure !

— Et des plus cocasses ; j’en éprouve tout de même le vertige.

Et Gaspard, moitié sérieux, moitié plaisant, se mit à raconter avec verve une scène dans laquelle il avait fini par totalement se perdre à travers les mille et une évolutions capricieuses que la stratégie féminine la plus savante venait d’inspirer à celle dont il tenait un serment de fidélité sans bornes.

Je souriais.

Certes, il ne fait pas bon s’exposer aux hostilités avec ces condottieri en robe de satin.

Toutes mes idées sur la faiblesse apparente du sexe ont croulé depuis longtemps. Sous cette enveloppe fragile et délicate, qu’un souffle, il nous semble, pourrait emporter, la femme dissimula une force prodigieuse…

Gaspard était devenu rêveur.

La tête perdue dans les tourbillons de fumée épaisse qu’il exhalait de son londrès… il songeait.

— Elle s’est montrée, dit-il, à la hauteur de la situation la plus difficile qu’il m’ait été donné de subir.

Nous étions en présence. Marguerite entre lui et moi.

Deux amoureux à peu près également épris d’elle. Également aimés…

Je ne sais pas…

Pourtant elle me dit tous les jours, et m’a déclaré hier encore de la façon la plus péremptoire : « Gaspard c’est toi, c’est toi que j’aime. »

Je l’ai crue. Ce qui m’embête, c’est lui.

Il revient à Marguerite assez lestement, et sans tenir absolument compte d’une distance considérable qu’il parcourt avec une persistance charmante, mais singulière.

Oui, cela m’embête…

Il revient toujours…

Elle lui a donc gazouillé, à lui aussi, de sa voix la plus tendre, la plus caressante :

« Oui, c’est toi, c’est toi que j’aime. »

Ou bien, c’est une piperie ! Marguerite en est bien capable.

Dans tous les cas, il revient.

Abîme !


Il fallait ne pas abandonner le terrain, et diriger la manœuvre de manière à ne pas froisser les légitimes susceptibilités de deux hommes intelligents.

La tête m’en bout encore.

À sa place, il m’eut été impossible de relier deux idées. Marguerite a exécuté ça comme un petit tour de passe-passe… entre deux coups d’éventail… à travers un sourire.

La promenade à la gare de mon village, est comme tu sais, fort prisée, surtout à l’arrivée ou au départ des convois.

J’avais dirigé de ce côté mon landau, en compagnie de Marguerite qui m’avait elle-même proposé la course.

Nous étions là causant gaiement, plaisantant sur tout, jabotant à qui mieux mieux, lorsque arriva comme une bombe le personnage que j’attendais certainement le moins ce jour là.

Lui ! Mon rival !

Malédiction !

Le cœur me battait à me rompre la poitrine.

Cela s’était fait exprès ; il y avait affluence. La foule était là, bouche béante, promenant son regard ahuri sur elle, sur lui, sur moi !

J’étais horriblement agacé.

Faire disparaître l’impertinent, ça n’était pas chose facile.

Les expédients me manquaient.

Je voulais être fourbe, rusé, adroit, fripon, escroc, nihiliste, quoi, et c’était l’affaire d’une minute, je le faisais sauter.

Mais ça n’eût pas été gentil…

Je cherchais autour de moi, l’emplacement d’une trappe mystérieuse, un casse-cou pour y précipiter le manant…

Marguerite m’eut reproché cette incivilité…

Une bonne dose d’acide sulfurique par la figure, c’est la mode aujourd’hui : je n’en avais pas…

Pas poli, d’ailleurs…

Je roulais dans ma tête les projets les plus noirs.

Je devais avoir l’air terrible !

Je sentais bien le ridicule de tout ce drame. Comment faire ? Je fus tenté de m’aller cacher bien loin dans un massif d’arbres qui m’offrait asile, et d’y pleurer de dépit.

C’eut été gâter l’affaire ; je prenais infailliblement le dessous.

Je me redressai fièrement, et fus brave.

La physionomie de l’intrus qui me renversait si inopinément, avait atteint un degré de surexcitation assez voisin de l’hébétement.

Il subissait donc de son côté un stage douloureux.

Marguerite seule avait conservé sa belle humeur.

Elle ! Bah ! allègre comme toujours.

J’ai reconnu là dans sa plénitude cette puissance incroyable qui reste parfois à la femme pour se hisser à la hauteur de certaines circonstances.

Pas un muscle de cette figure de cire ne trahissait la moindre agitation.

Son œil fin se promenait le plus naturellement du monde, tantôt sur la foule qui regardait toujours, tantôt sur lui, tantôt sur moi.

Un peu plus sérieuse, moins expansive, elle me regardait distraitement.

Elle le contemplait à son tour, sans sourciller… je ne peux pas dire comment…

Je l’interrogeais d’une voix timide. Elle répondait comme à un monsieur qu’elle eût vu pour la première fois.

Crève-cœur ! Je n’étais donc plus intéressant !

Monsieur Chose laissait choir son petit verbe malencontreux, déconcerté, qui ne provoquait chez Marguerite qu’une moue de chatte.

Tant mieux !

Lui ne paraissait pas plus considéré que moi.

Je me sentais petit, pas du tout aimé, et j’attendais, affreusement torturé, le dénouement de cet incident qui menaçait de tourner au tragique…

Rien de fâcheux ne s’en suivit.

Marguerite arrangea, combina, tourna, contourna tout de la façon la plus gracieuse…

Elle avait décliné l’offre d’une place dans l’énorme tilbury de monsieur Chose, pour revenir à domicile avec moi.

Il se faisait tard.

Les salons étaient illuminés. Elle trouva naturel de nous inviter à passer la soirée ensemble.

Là encore, même tactique. Politesse exquise de part et d’autre, quoique teintée d’une préoccupation à peine perceptible.

Lui, je le dis sans animosité, sans jalousie, avait l’air abruti.

Moi, je parlais comme un étourdi.

Nous n’étions ni l’un ni l’autre dans une assiette bien confortable.

Marguerite était fort à l’aise.

J’attrapais bien une œillade à son adresse — à lui — sans trop savoir ce que cela pouvait comporter de signification. J’en rugissais. Elle me ramenait par un regard furtivement langoureux, langoureusement furtif.

Tout se passa ainsi jusqu’à la fin. L’heure de minuit nous força de déguerpir.

Je laissai Marguerite en lui disant qu’elle avait été admirable de discernement et de tact.

J’appris le lendemain que monsieur Chose avait exactement pensé de même ; nous étions partis satisfaits.

Elle était restée victorieuse…


Gaspard s’arrêta là.

Son front s’était rembruni.

Je regardais tomber les cendres qu’il secouait distraitement du bout de son cigare. J’étais devenu triste.

J’ai fait depuis cette affaire bien des réflexions sur la femme. On y perd sa tête, et son… temps. Essayer de descendre au fonds de son cœur, c’est s’exposer au vertige. La force de dissimulation qu’elle possède tient du phénomène.

Elle en jurera bien d’autres à bien d’autres Gaspards, sans jamais négliger les accointances que pourraient lui indiquer ses intérêts.

Ce qu’il y a d’étonnant à cela, c’est que monsieur Chose et Gaspard, recommencent imperturbablement la même bêtise.

J’accorde à Marguerite son brevet de diplomatie…




LE TRAVAIL.

LE TRAVAIL.



Je veux chercher dans le développement de la musique et de la littérature, l’efficacité de la loi du travail, cette obligation sublime que la mollesse de nos mœurs semble malheureusement trop disposée à circonvenir.

En musique comme en littérature, le travail fait jaillir le génie ; il en révèle les grandeurs aux mondes étonnés : il en consacre l’immortalité.

De même que le caillou garde en lui l’étincelle que le briquet n’en a pas tirée, l’homme recèle au fond de son être, l’aptitude merveilleuse que le travail n’a pas exploitée.

Ozanam a exprimé cette vérité dans une circonstance solennelle où l’on faisait la fête du travail, c’est-à-dire, l’un de ces jours bénis qui voyait se décerner à une jeunesse active, les couronnes laborieuses d’une année académique :

« C’est dans les lettres » disait-il dans son magnifique discours sur la « Puissance du travail, » que se fait mieux sentir le bienfait de cette loi si impatiemment supportée, qu’on apprend à l’accomplir avec amour, sans intérêt et dès lors sans relâche. Je sais que de complaisantes doctrines attribuent tout à l’inspiration, dont il faudrait attendre le souffle sans effort et sans art. Mais le souffle divin ne s’arrête que dans les âmes qui le retiennent par force ; l’inspiration ne sait point se passer de la volonté ; ce sont les deux moitiés du génie. Et si nous étudions ses ouvrages nous verrons que la perfection est laborieuse, et que les choses coûtent ce qu’elles valent. »

Le travail, c’est le levier le plus puissant que l’homme puisse manier pour soulever l’obstacle, quelque formidable qu’il se dresse.

La nature la mieux douée, la mieux organisée, la mieux servie par la réunion de toutes les facultés intellectuelles, ne se suffira jamais à elle-même, si elle n’appelle à son secours l’efficacité du travail : la médiocrité doit être son partage.

Un coup d’œil d’abord sur la marche ascensionnelle de la musique.


Que fait l’illustre Bach, le plus grand musicien de l’Allemagne ? Chaque nuit assiste à la multiplicité de ses efforts, à l’élaboration pénible et lente de ses idées. Il donne l’exemple de la soumission la plus héroïque à cette grande loi imposée à l’homme par la chute originelle.

Bach avait un génie extraordinaire. Pourtant, quand on lui demandait comment il était parvenu à la possession d’une si grande puissance d’invention, Bach répondait : « En travaillant beaucoup ; tous ceux qui voudront travailler de la même manière y parviendront comme moi. »

On s’est étonné de la prodigieuse exécution du virtuose violoniste le plus puissant du dix-neuvième siècle, Paganini ! Le secret de cette étonnante facilité résidait dans le travail.

« Quelquefois on le voyait, » dit l’un de ses biographes, « essayer de mille manières différentes le même trait pendant dix à douze heures, et rester à la fin de la journée dans l’accablement de la fatigue. C’est par cette persévérance sans exemple qu’il parvint à se jouer de difficultés qui furent considérées comme insurmontables par les autres artistes, lorsqu’il en publia un spécimen dans un cahier d’études. »

Le travail, c’est la loi de la vie : c’est la vie de l’art.

Chaque monument qui s’élève et commande l’admiration des intelligences, porte empreint en marque indélébile le cachet du travail.

Mais si le travail a ses assises d’amertume, le fruit du travail est toujours le succès. Il engendre l’amour de l’art, et « l’art seul peut donner la récompense des sacrifices qu’on lui fait. »

La démonstration de cette vérité se rencontre à chaque phase de la vie des musiciens célèbres. C’est par l’amour pur et désintéressé de leur art, c’est en lui sacrifiant leur existence qu’ils ont enfanté les grandes œuvres, aujourd’hui la source de tant de pensées généreuses et magnanimes.

Beethoven est atteint de surdité ! La maladie s’aggrave et finit par l’empêcher complètement d’entendre ses immortelles productions. C’était le supplice le plus terrible que Dieu put infliger à un musicien. Que fait le grand homme ? Il se replie sur lui-même, se retranche dans l’intimité de son âme débordante d’harmonie, et là, isolé de toute distraction extérieure, il donne libre cours au jeu de ses sublimes facultés. L’ennui, le dégoût, l’abattement, le désespoir tourmentent tour à tour ce génie créateur de la symphonie. Une fois… il s’est vu sur le point d’attenter à ses jours…

« L’art seul m’a retenu. »

Telle fut la parole que laissa tomber un jour le grand homme, dans un moment de douloureux épanchement.


Ces hommes sont rares de nos jours. La musique suit comme la littérature, le courant funeste de ce siècle ; elle aussi, tend vers un matérialisme abject, la gangrène de l’art.

Ce ne sont plus maintenant les opérations de l’âme ; l’intelligence est reléguée dans une sphère trop élevée pour la société actuelle.

La folle du logis, seule, se plie aux caprices de la multitude.

Il n’y a rien de stable. On compose pour distraire. On ne pense plus.

De là le grand nombre de ces œuvres stériles, vides de sens.

Quelques rares pensées apparaissent ça et là, mais délayées à outrance.

Félicien David s’est efforcé de réagir contre les tendances actuelles. Le torrent l’a emporté comme les autres, et l’on se demande, aujourd’hui que la tombe s’est fermée sur cet artiste, si les œuvres de David passeront.

Quand on voit tout Paris applaudir à la fille de Madame Angot ; quand on voit le Pinafore acclamé d’un bout du continent américain à l’autre ; quand on voit la foule se délecter aux compositions d’Offenbach, on peut dire que la décadence fait son œuvre.

Les maîtres ont été abandonnés par la masse. C’est le petit nombre des esprits supérieurs qui s’inclinent devant la pensée du génie.

L’abâtardissement écrase la foule. Son regard ne peut supporter la lumière. Elle traîne comme l’oiseau nocturne, une existence qui se repait dans la nuit.

Les couronnes de l’immortalité se décernent à la vélocité.

La vélocité ! Voilà ce que l’on veut de l’artiste. Celui-ci, pour jouir plus longtemps des caresses de l’opinion, crée pour ses doigts des compositions qui chatouillent un temps les organes par une rapidité brillante dans la succession des sons, mais ne laissent rien dans l’âme.

Le travail et l’amour de l’art constituent les deux routes qui mènent à l’idéal. Enlevez à l’intelligence ces deux forces, la stérilité se fait.

On ne travaille plus. C’est ce qui explique l’incohérence dans les idées actuelles de la musique et de la littérature.

On produit pour amuser : les arts sont tournés au gain ; partant, la pensée déserte le style.

En descendant le cours des âges, cette vérité trouve son application dans toutes les productions littéraires qui ont fixé les grands principes des langues humaines. C’est ce que nous verrons dans la seconde partie de cette étude.


Je prends au hasard, tant il est vrai de dire que les œuvres impérissables portent en marque indélébile le cachet du travail.

Là-bas, aux extrêmes limites de l’antiquité, on sait ce qu’il en coûta à Démosthènes pour devenir le plus fameux des orateurs grecs.

Il a été hué dans ses premiers essais à la tribune.

On le vit alors s’enfermer et se livrer au travail le plus opiniâtre, dans le dessein de rectifier cette prononciation vicieuse qui lui avait valu les sifflets du peuple.

On le perdait de vue des mois entiers.

Il se rasait à demi la tête pour ne pas céder à la tentation de sortir du souterrain qu’il avait choisi pour y déclamer, écrire, composer et méditer.

Je comprends après cela, le secret de cette verve, la beauté de ces images, cette véhémence, cette fougue qui ont immortalisé les Philippiques et les Olynthiennes, et toutes ces harangues fameuses dont il a érigé un si colossal monument littéraire.

Aristote, le Stagyrite, voulait tout savoir. Platon son maître, avait signalé cette curiosité avide en le nommant le lecteur.

Il avait étudié toute la philosophie ancienne, et possédait parfaitement la littérature grecque.

Son immense capacité de travail peut seule expliquer les vastes études qu’il a embrassées, car les ouvrages d’Aristote comprennent toutes les branches du savoir, alors accessibles à l’esprit humain, et comportent en outre les découvertes considérables dont il les a enrichies.

Toutes les productions glorieuses de la littérature latine ont été consacrées par le travail.

Ozanam indique en passant les études de Cicéron « poussées jusqu’aux derniers artifices du style, du nombre et de l’action oratoire. »

Viennent plus loin, dans un autre ordre d’idées, les pères de l’Église, dont on connaît les labeurs.

Il suffit de jeter au monde les noms de saint Bazile, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Jean Chrysostome, de saint Jérôme, de saint Augustin pour constater que nous ne devons pas à l’inaction, la fondation de notre grande théologie.

Et cette belle figure qui se détache si éblouissante sur le fond obscur du moyen âge, saint Thomas !…

Est-il possible de ne pas rester confondu devant cette intelligence, de ne pas se sentir écrasé sous le poids de ce génie ?

Le travail de cet homme est incroyable. Pourtant l’on est obligé de se rendre à l’évidence en face des dix-sept in-folio tombés de la plume savante du docteur angélique, où sont traitées de main de maître toutes les grandes questions politiques, sociales et religieuses.

Descendons au dix-septième siècle.

La Bruyère passe sa vie à écrire un livre, un seul, de fort peu d’étendue ; mais le travail qu’il y consacre fait de cet ouvrage le monument le plus parfait peut-être de la langue française.

Je ne fais que mentionner les noms universellement admirés d’un Bossuet qui a fourni tant de trésors à l’éloquence chrétienne, d’un Corneille et d’un Racine dont le théâtre traversera les siècles.

Et n’est-ce pas une délectation indicible que l’on éprouve à lire les harmonieuses pages du Télémaque !

Fénélon en a laissé, paraît-il, dix-huit manuscrits chargés de ratures. Le charme de ce style là ne se surpasse pas.

Et Buffon lui-même, cet écrivain exquis du siècle suivant, n’a-t-il pas défini le génie : « Une certaine aptitude à la patience ! »

L’auteur des « Époques de la nature » avait une conversation lourde, embarrassée, négligée, souvent triviale.

Un travail de quatorze ou quinze heures par jour a produit ces pages étincelantes où il nous éblouit et nous transporte jusqu’à la plus haute poésie.

Il corrigeait, raturait, recopiait, arrondissait ses périodes jusqu’au point de cette inimitable perfection qu’il leur a donnée.

J. J. Rousseau a laissé de curieuses révélations sur les efforts qu’il faisait avant d’arriver à la représentation convenable de sa pensée. Je ne puis résister au plaisir de citer au long : « Mes idées, » dit-il, « s’arrangent dans ma tête avec la plus incroyable difficulté. Elles y circulent sourdement ; elles y fermentent jusqu’à m’émouvoir, m’échauffer, me donner des palpitations ; et au milieu de toute cette émotion, je ne vois rien nettement, je ne saurais écrire un seul mot, il faut que j’attende. Insensiblement ce grand mouvement s’apaise, ce chaos se débrouille ; chaque chose vient se mettre à sa place, mais lentement et après une longue et confuse agitation… De là vient l’extrême difficulté que je trouve à écrire. Mes manuscrits raturés, barbouillés, mêlés, indéchiffrables, attestent la peine qu’ils m’ont coûtée. Il n’y en a pas un qu’il ne m’ait fallu transcrire quatre ou cinq fois avant de le donner à la presse… Il y a telle de mes périodes que j’ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tête, avant qu’elle fût en état d’être mise sur le papier. »

Si l’on jette un coup-d’œil sur l’histoire de notre petit peuple Canadien, on découvre que la même grande loi du travail a présidé de tout temps aux développements de sa littérature et de sa musique. Oui, Dieu merci, notre Canada possède une littérature et une musique.

Sa splendeur littéraire s’est affirmée naguère, par la création d’une société qui réunit la plupart de nos littérateurs dont la réputation a traversé les mers.

L’Académie Royale compte des hommes dont les travaux ont été applaudis par le vieux monde civilisé.

Notre pays doit-il ces œuvres aux encouragements de l’État ? Non ! Non ! Il les tient d’une initiative personnelle, d’un travail obstiné de la part de ceux qui ont aimé les lettres, sans perspective aucune de rémunération.

Notre littérature est issue d’efforts réitérés, constants, de sacrifices énormes prodigués à travers les circonstances les plus pénibles.

La première célébrité artistique qui fixe aujourd’hui l’attention des grandes villes de l’Europe, est une étoile qui s’est détachée de notre monde musical. Albani doit à un labeur excessif d’avoir éclipsé tant d’autres illustrations.

Enfin, il n’y a pas bien longtemps encore, un homme abandonnait nos rives, perçait le tourbillon fiévreux de la spéculation américaine, et arrêtait dans sa course vertigineuse pour lui arracher son admiration, un peuple qui ne rêve que fortune et bien-être ! Lavallée créait « La Veuve. » Cet opéra qui a obtenu un retentissement considérable sera bientôt l’œuvre musicale par excellence du continent américain. Voilà.

Inutile de vouloir se soustraire à la grande loi du travail, dont la première faute a entraîné la promulgation.

Cependant, quels que soient ses efforts, l’homme qui veut réaliser quelque chose de grand, est certain de rencontrer après tout, la récompense divine.

C’est là le côté consolant du sacrifice. Dieu bénit le travail ; et il n’est pas de joies plus pures, plus enivrantes que celles qui accompagnent un succès intellectuel.

L’homme ne fait d’ailleurs que suivre une loi imposée à tout l’univers.

Généralisons le principe, et suivons du regard le travail qui se fait autour de nous. La nature est en perpétuelle activité.

Elle se transforme chaque jour par une action incessante.

Le grain de sénevé qu’un souffle emporte par les mondes, va se déposer en terre et travaille à devenir grand arbre.

La fleur travaille à diaprer sa corolle.

Les petits oiseaux travaillent à bâtir leurs nids.

L’homme, ce roi de la création, ne saurait rester en arrière dans le plan général de la providence.

Il n’est pas fait pour traîner à l’exemple de certaines plantes, une existence de parasite ; il doit travailler.

C’est à cette condition qu’il sera grand.



MINUIT MOINS TROIS.

MINUIT MOINS TROIS.



C’était en décembre.

Je m’étais attardé à la ville de B…, où des négociations importantes avaient nécessité ma présence.

La nuit tombait sur la campagne comme un immense voile de crêpe.

On eut dit que la nature redevenait abîme.

Le vent commençait à souffler sur ce chaos.

La tempête s’élevait formidable.

D’énormes nuages, à l’envergure gigantesque, volaient pêle-mêle comme en une course frénétique, s’ouvrant çà et là pour laisser tomber des torrents.

Pas un fiacre n’eut osé s’aventurer dans les sentiers caillouteux qui se gonflaient de l’eau débordante des ruisseaux.

J’usai de témérité, et j’entrepris à pied, une route de dix milles avant d’arriver à domicile.

Après quatre heures d’une marche horrible qui me faisait envier les douceurs du bagne, les premières lueurs des lanternes de mon village se dessinèrent dans la nuit, blafardes et incertaines.

J’accélérai autant qu’il me fut possible cette marche de forçat, que je m’étais si volontairement et si brutalement imposée.

Les éléments semblaient s’être concertés pour me terrasser.

La pluie me flagellait impitoyablement.

Dérision amère… pour l’être qui se drape si orgueilleusement de l’appellation majestueuse de Roi de la nature !

Arrivé à la première lanterne dont un vent coulis agitait la flamme en tout sens comme une boucle de cheveux en feu, je tirai ma montre pour voir où j’en étais de cette course de damné.

— Tonnerre de Brest !

Minuit moins trois…

— Minuit moins trois ? demanda une voix à deux pas de moi…

Je fis un haut-le-corps. J’essayai de considérer un grand diable qui avait l’air d’être sorti là de sous terre.

Son galbe mystérieux se percevait à peine à travers les replis de l’ombre.

Un ample burnous le couvrait de la tête aux pieds.

Juste le temps de fixer les principaux traits de sa physionomie… il avait disparu comme un sylphe.

Une heure après, je me chauffais à un excellent feu de grille, bénissant la providence, et compatissant au sort du misérable qui m’avait presque fait croire à une apparition de réprouvé.


Cet incident ne laissa aucune trace dans ma mémoire. Cela s’expliquait le plus naturellement du monde… Coïncidence… voilà tout. Je n’y songeai pas longtemps.

Cinq semaines après, mon sommeil fut hanté par la vision la plus étrange.

Je fis un rêve… un rêve bizarre. Une forme fantastique s’était approchée, m’avait entraîné tout à coup par une fascination puissante sur le sommet d’une colline, et m’indiquait de là, la petite ville de B… à moitié perdue dans l’espace.

Cette chimère, ce spectre, ce fantôme, ce je ne sais quoi, c’était bien le sosie de l’homme de la lanterne, l’homme au large manteau, la tête enfouie dans un vaste capuchon, l’œil noir et fixe, le nez camus, la barbe ruisselante des averses de la nuit du trois décembre.

Il me fallut toute la quiétude d’un réveil normal pour me remettre.

La nuit emporta mes terreurs ; je me contentais d’appeler ça un cauchemar… un effet de mauvaise digestion…

Eh quoi ! rien d’étonnant à cela ! rêver d’une figure déjà vue et qui m’avait frappé.

Cependant la même vision se produisit les trois nuits subséquentes avec une persistance plus terrifiante encore.

La stupéfaction la plus complète se substitua à mon étonnement.

J’étais atterré.

Je n’osai faire part à personne de cet état de choses extraordinaire, de peur que l’on ne me plaisantât.

Je ne voulais être raillé, ni taxé de pusillanimité.

J’attendis.

La cinquième nuit, je fus tiré violemment de ma couche, transporté de nouveau sur l’éminence, l’être obsesseur prit une telle expression de rage et de désespoir en m’indiquant la ville, qu’il ne me fut plus possible de douter d’un avertissement impérieux.

Le lendemain, j’avais décidé de partir pour la ville de B…

Un train omnibus s’y rendait deux fois le jour.

J’aurais pu profiter du train de la matinée pour être de retour le soir.

Je m’installai dans celui du soir sans trop me rendre compte de cette détermination.

Les compartiments étaient bondés.

L’on se groupait par trois, par quatre.

La conversation était très animée dans tous les cercles. L’agitation la plus vive semblait régner dans les esprits.

On discutait décidément quelque sujet d’une gravité exceptionnelle

Il y avait là des avocats, des marchands, des médecins, des gens de tous les métiers qui ergotaient, péroraient, chicanaient, contestaient sur un diapason très élevé.

Il s’agissait d’une série de crimes sans précédent.

Un jeune banquier avait été lâchement assommé pendant la nuit.

Sa caisse avait été forcée.

Des valeurs considérables en avaient été soustraites, et l’audacieux criminel avait terminé son œuvre par l’incendie.

Les soupçons étaient tombés sur le comptable de l’établissement. L’autorité l’avait aussitôt arrêté, écroué, et condamné à subir son procès aux prochaines assises.

On en était ce jour là au procès, qui touchait à sa fin. Mais la preuve ne roulait encore que sur des présomptions. Les circonstances prêtaient flanc à mille conjectures.

Les uns paraissaient moralement convaincus de la non-culpabilité de l’incriminé.

Telles circonstances, de l’avis des autres, pesaient lourdement sur les épaules du prisonnier.

La plupart avouaient qu’ils n’y entendaient rien. Le train arriva à destination. Les passagers se dispersèrent. Moi, je suivis tout rêveur, presque inconscient, un flot de peuple qui s’écoulait vers le Palais, où le verdict de ses pairs, allait décider du sort d’un malheureux qui allait peut-être devenir victime de l’erreur judiciaire la plus monstrueuse.


L’instruction avait été épineuse et durait déjà depuis plusieurs jours. La procédure était volumineuse.

Les moyens de justification avaient été exploités avec toute la science possible par les avocats de la défense.

Il manquait un témoin important, indispensable pour établir l’alibi que l’on invoquait comme ressource suprême.

Le tribunal avait décidé d’en finir dans la nuit même, quelle qu’en fut l’heure avancée.

Une anxiété immense planait sur la foule.

Or attendait là, l’effroi dans l’âme, la pitié dans le cœur, l’issue de ces funestes complications.

Un pouvoir occulte, irrésistible, surnaturel s’empara de moi tout-à-coup et me poussa à travers les rangs serrés de cette affluence qu’un gendarme eut pu difficilement percer.

L’on pestait contre moi…

On maudissait le malotru… n’importe, je coudoyais comme un forcené. Je me frayais un passage à travers les invectives qui me brutalisaient. Un moment, j’entrevis quelques figures de jurés sur lesquelles se lisait une condamnation.

À tout prix je voulais voir le prisonnier. En trois bonds je fus sur ses talons. Un cri déchirant s’échappa de sa poitrine.

Ciel ! Grâce ! s’écria-t-il, voici l’homme qui peut prouver mon innocence.

J’avais reconnu le grand diable de la lanterne, le fantôme de mes songes…

Une grande clameur s’éleva de la multitude…

On voulut m’entendre.

Mon attestation arracha cet homme à la potence.

L’acte d’accusation portait que le meurtre avait été commis dans la nuit du trois décembre de l’année 18… sur les onze heures et demie. Or il était impossible que l’auteur du crime se fut en un si court espace de temps, transporté à l’endroit où je l’avais vu pendant la tempête.

Mon homme fut sauvé, et mon cauchemar… s’évanouit. Les oscillations lentes et sonores d’un pendule arrivèrent à mes oreilles.

Sur le cadran jauni d’une horloge séculaire, l’aiguille marquait…minuit moins trois…


Tout cela a-t-il été l’effet du hasard, ou de l’intervention d’un esprit ? Je n’en sais rien. Je ne suis pas prêt cependant à croire à une combinaison aussi prodigieuse qui ne trouverait sa cause nulle part. Je m’exposerai moins encore à me perdre dans les nuageuses hypothèses d’une dissertation sur le spiritisme.

Dans tous les cas, depuis cette singulière affaire,… je dors bien.




PENSÉES.

PENSÉES.



Quand le souffle de l’infortune a glacé son cœur, l’homme trouve dans l’amour et dans la musique, les régions de pur idéal, où s’oublient les heures et les amertumes.


La vie est un abîme où ne cessent de tournoyer des déceptions brûlantes, des ambitions méconnues, des trahisons amères ! S’il arrive à la lumière de flotter sur cette nuit, c’est Dieu qui l’envoie ; elle s’appelle : Espérance ! Elle émane de la Divinité elle-même. Vivez dans l’ordre, vous retournerez par ce rayonnement, vers les sources de l’éternelle béatitude.


En amour l’homme éprouve tant de bonheur à adorer l’objet de ses sympathies, qu’il oublie longtemps de se demander à lui-même s’il est bien payé de retour.


Selon moi, toute la beauté tient dans l’œil. Là se trouve le ressort principal qui fait jouer la physionomie.


C’est par le regard que se glissent les agissements les plus intimes de l’âme.


L’expression du regard est plus pure, plus raffinée que le langage parlé ou écrit.


Essayez d’analyser la candeur ou la mélancolie du grand œil bleu qui sur vous s’ouvre limpide, vous succomberez dans la tentative.


Quand vous êtes en présence d’une femme dont le regard vous remue profondément, ne perdez pas votre temps en observations esthétiques, dites lui ouvertement : Je vous aime ! Ça vous rendra plus heureux. Ce reflet d’infinie douceur qui s’épanouit dans son œil et vous séduit, n’est certainement pas l’expression de son indifférence.


Il est difficile que l’œil d’une femme ne la trahisse pas en face d’un observateur judicieux.


Il arrive souvent à deux personnes de s’aimer sans que jamais elles se soient rendu compte de l’espèce de plaisir qui les rapproche. Où se trouve le centre de cette mutuelle attraction ? Dans l’œil


Certains fleuves, en roulant leurs flots tumultueux, rongent à mesure les rives dont ils sont encaissés. S’il arrive aux fleurs de pousser trop au bord, le torrent les emporte, et elles s’en vont flétries, tournoyant dans l’abîme, pour ne sourdre jamais. C’est l’image du monde. L’âme virginale qui s’épanouit trop près des séductions sociales, est bientôt entraînée par elles, et tombe dans le vertige des passions.


Une opinion n’obtient de valeur qu’en raison de la position sociale de celui qui l’émet.

Elle est juste dans la tête du paria, comme dans celle du dignitaire qui l’énonce. La différence est dans le retentissement

Dans le premier cas, elle reste en deçà de la circonférence du cerveau qui l’a vu naître. Dans l’autre elle traverse les mondes.

C’est dans la nature ; les inégalités sociales sont dans l’ordre.


L’exemple est indispensable dans la société, il sert à éclairer.


Je crois qu’il n’y a rien de suave comme la prière. Elle épure l’imagination, élève l’âme, dégage le cœur de ses entraves matérielles, et met au fond de nous, le plus parfait bonheur qui se puisse atteindre ici-bas.


Le cœur de l’homme est si incliné vers les choses de la terre, qu’il est bien difficile pour ne pas dire impossible, de rencontrer des amours entièrement détachées de sensualisme.


L’amour que l’on a pour une jeune fille, diminue invariablement en raison des concessions qu’elle fait aux plaisirs.


Les poètes enveloppent le premier baiser de beaucoup de poésie ! jeunes filles ! prenez garde ! c’est le baiser fatal, parce qu’il est rarement le dernier. Ceux qui le suivent sont toujours plus dangereux, et le dégoût n’est jamais bien loin de la satisfaction. Après le dégoût, c’est le mépris, et souvent la haine a le dernier mot.


Le secret d’un amour chaste, constant, inébranlable, c’est l’austère dignité d’attitude dans les relations.


Jeune fille, cuirassez vous contre les perfides insinuations de la passion. Placez haut votre cœur, c’est-à-dire par delà l’abjecte volupté. Si jamais la fatalité dresse une rupture sur le chemin de vos illusions, il ne vous restera pas à pleurer les écarts des heures envolées.


L’élévation du cœur vers Dieu au sein des vicissitudes qui nous assaillent, procure toujours la plus douce quiétude.


L’espérance qui sort d’une larme est une prière. La prière est un endroit rapproché de Dieu. L’amour fondé sur la prière et l’espoir en Dieu, apporte à l’homme le plus parfait bonheur qui se puisse rêver en ce monde.

Je pleure, je prie, j’espère et j’aime.




IMPRESSIONS.

IMPRESSIONS.



Vous tous qui fléchissez sous le travail pénible des villes, fuyez, si vous le pouvez un temps, les brûlants tourbillons de poussière qui vous aveuglent !

Parias de la multitude, prolétaires de ces grandes agglomérations étiolées que l’on appelle cités, artisans, hommes de tous les métiers, esclaves de toutes les professions, plumitifs blêmis des bureaux, désertez le pavé en feu de vos rues, et volez à la campagne, ne fût-ce que pour vingt-quatre heures !

La campagne, c’est le séjour de tous les enchantements ; c’est le pays des resplendissants couchers de soleil et des superbes levers de lune ; c’est le rendez-vous des artistes aériens qui font entendre et jettent incessamment vers le ciel les harmonieuses combinaisons de leur incomparable musique ; c’est l’endroit où la forêt s’épanouit mystérieuse, prêtant la fraîcheur de ses ombres à la cascatelle qui bruit et soupire à ses pieds.

La fleur s’y pare de ses brillantes couleurs. Elle y exhale, en vous souriant, les parfums les plus pénétrants de sa corolle. Les émotions les plus douces et les plus pures y descendent sur l’âme comme une rosée embaumée, et l’homme sent le besoin de tomber à genoux devant le spectacle grandiose de toutes ces merveilles qui roulent paisiblement sous le souffle de Dieu !

J’ai assisté il y a quelque temps à l’un des plus beaux couchers de soleil qu’il m’ait jamais été donné de contempler.

Je voudrais en balbutier les prodiges.

Le petit sentier qui mène à la falaise un peu plus bas que l’Église, et se dirige vers l’occident, est bordé de grands arbres dont la ramure épaisse se réunit à la cime et forme, au-dessous, un véritable tunnel d’où l’ombre ne sort pas.

Ce jour là, il y avait eu un orage formidable ; mais sur les cinq heures, la grande lutte des éléments s’était terminée. « Les clairons forcenés de l’espace s’étaient tus, » dirait le Maitre !

Le soleil, dont les rayons avaient été interceptés par d’énormes nuages, pareils à de vastes lambeaux de draps mortuaires, s’étalait avec majesté !

Il s’était baissé jusqu’à l’ouverture du passage d’arbres. On eut dit l’œil d’un titan y plongeant un regard.

Je parcourus d’un pas rapide, l’enthousiasme au cœur, l’espace enflammé qui me séparait de mon poste ordinaire d’observation.

Le fleuve coulait silencieusement. Un souffle à peine sensible en ridait les flots qui avaient l’air d’envoyer au soleil une infinité de sourires que le grand astre se plaisait à iriser.

Il me semblait que toute la poésie des Orientales tenait dans ma tête. Au fond de mon imagination, ces vers du poète m’apparaissaient en lettres de feu :


« L’astre-roi se couchait. Calme, à l’abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d’or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l’un de l’autre. »


Des larmes d’admiration inondaient ma figure ; car en présence d’une scène semblable, il ne reste à l’âme qu’un moyen de traduire l’exaltation de ses facultés : pleurer !

Le soleil descendait lentement. Il dansait maintenant sur la crête des Laurentides dont il poudrait d’or la luxuriante chevelure.

Tout autour, se déroulaient des nuages aux réverbérations multicolores, suspendus comme des tentures somptueuses dans le palais d’un monarque.

Un peu plus haut, les reflets devenaient plus pâles ; mais les nuages y épuisaient toute la gamme des nuances et des formes les plus fantastiques. C’étaient des pics abrupts à l’aspect sombre, des chutes immenses à l’écume blanchâtre, des montagnes de granit, de quartz, de neige que la lumière faisait étinceler.

Les coquettes habitations de la rive Nord, que le regard peut suivre jusqu’à une assez longue distance, semblaient pousser vers Québec, une course de brebis blanches ; au fond de la forêt qui commençait à se chausser d’ombre, la locomotive bruyante laissait derrière elle une épaisse colonne de fumée dont les spirales se perdaient dans l’espace.

Une heure après cette solennité, il ne restait de toutes les splendeurs qui m’avaient ébloui… que de la nuit…

Triste image de la gloire qui décline et s’effronde dans l’oubli.

Mais sur un autre point de l’horizon, la lune se balançait radieuse… Symbole de l’Espérance qui doit toujours verser son doux rayonnement sur l’âme que les blessures de la vie ont flétrie !

Par delà les merveilles de ce monde, il y a Dieu ! Au-dessus des amertumes de l’existence il y a la prière qui est un endroit rapproché de Dieu ! je priais !…


On peut s’accorder à discrétion, la jouissance d’un coucher de soleil ou d’un lever de lune, et ça ne coûte pas cher.

Il y a bien parfois quelque grosse tempête qui en dissipe les charmes, mais les orages ont aussi leur sauvage grandeur ; elle vaut bien la peine d’un quart d’heure d’admiration.

Je voudrais parler des levers du soleil ; malheureusement, c’est l’astre-roi qui me voit lever chaque matin et… je n’y mets pas tant d’éclat.


On peut ramasser bien d’autres miettes de bonheur à la campagne.

J’aime les grèves ! Le murmure des flots captive mon oreille. L’ombrage des bosquets me fascine avec la mystérieuse solitude qui y séjourne ; la note suave que l’oiseau laisse tomber en passant me ravit et me remue.

Tous les jours après un bon déjeuner, je descends la falaise avec un livre de Victor Hugo ou de Lamartine.

Je dois avouer que je ne suis pas encore assez poète, pour planer au-dessus de la prose d’un repas frugal ; je m’accommode facilement d’un bifteck avant de partir pour le pays des rêves.

Je les aime les grèves de Lotbinière ! Comme elles sont belles avec leurs sables mouvants, leurs graviers que l’on dirait pailletés d’argent. J’y cours chaque jour, admirant l’intéressant phénomène de la marée qui couvre et abandonne successivement le rivage.

Il y a çà et là de belles touffes d’arbrisseaux qui vous invitent à savourer une de ces sublimes prières dont Lamartine a bien rempli ses méditations.

Rien n’empêche de graver sur l’écorce des arbres une date… un nom béni… tout un monde de souvenirs.

Sur de petites pierres, je burine une lettre… deux lettres… trois lettres… et je les lance à la mer, où elles disparaissent en ricochant.

Ne soyez pas surpris lecteur, si quelque vendredi, la pointe de votre couteau heurte un fragment de roche portant ces signes cabalistiques… Mais… je m’arrête… Me voici sur le chemin d’une confidence…

Je raffole des bains, surtout quand la mer est calme comme de l’huile. Je me précipite dans les flots avec une indicible ivresse ; j’y fais bravement le plongeon, et j’en sors tout ruisselant de perles humides et rafraichissantes.

Et combien d’autres plaisirs dont la variété est vraiment inépuisable !

Au sein de toutes ces joies, je trouve de plus à la campagne, un régiment de cousines dont les tendresses me confondent.

Il m’est arrivé un jour d’avoir une légère indisposition. Toute l’institution était sur pied. J’avais beau leur chanter comme la Duchesse dans « la Fille du Tambour Major » : « j’ai ma migraine, mes vapeurs… » ça va se passer… Ce fut un assaut en règle. — L’une m’arrivait avec une dose de camomille ; l’autre s’avançait avec une potion de tisane, une troisième me présentait je ne sais plus quelle décoction… c’était une vraie démonstration à donner envie d’être malade toute sa vie. La convalescence fit des pas de géant. Je parlais déjà de me baigner. Il fallait les voir… c’était une opposition formidable, un siège puissant… Mes cousines se récriaient ! le temps de la canicule ! c’est malin… je me sentais des ardeurs de scier tout le bois du canton !… mes cousines me prophétisèrent que le sang allait me monter à la tête… que je serais foudroyé… à table, on me servait un peu de tapioca… c’était si léger… et j’éprouvais la voracité de dévorer un rosbif. Et l’on allait ainsi, me dorlotant comme un mioche, moi… un colosse !…

Quelle bizarre institution que les cousines !




CE QUE C’EST QU’UNE MÈRE.

CE QUE C’EST QU’UNE MÈRE.



Perdue… s’écria le vieux docteur avec un accent de déchirement…

Le vieillard laissa tomber sa tête fatiguée.

Il pleurait.

Il avait jeté la sonde dans cette mer immense, la science.

Il en avait scruté les profondeurs. Ses regards suivaient depuis longtemps, sans jamais les perdre de vue, les évolutions de la connaissance humaine.

Il était une lumière.

Son génie, plus d’une fois, avait arraché à l’inexorable destinée, les victimes qu’elle indiquait à la mort.

Il avait séché plus d’une larme, consolé plus d’un foyer, relevé plus d’une mère navrée.

Cette fois, il entendait à deux pas, le râle tragique qui sortait de la poitrine d’un être aimé, — trop aimé peut-être, car, dans ses impénétrables décrets. Dieu souvent frappe ceux-là qu’un père idolâtre, — et il sanglotait.

Il avait vu déjà mourir deux des siens : pour la troisième fois sa vaste intelligence allait se heurter contre le secret de Dieu… le mystère.

Léontine s’éteignait doucement, doucement sous le regard humide de sa mère.

Cet ange de la douleur, qui flotte toujours au-dessus des fatalités, plus près du ciel que de la terre à cause de ses vertus angéliques, cette surnaturelle créature, en qui Dieu a déposé le germe de toutes les grandes actions, cette femme penchée sur toutes les amertumes comme sur tous les épanouissements de la vie, une mère, la sienne, veillait au chevet de sa fille, et priait.

Il y a des moments de l’existence, où la grandeur de certains spectacles, ouvre une porte sur les infinies béatitudes de l’éternité ; une de ces issues par lesquelles on ne peut plus douter de Dieu, c’est la sublime résignation d’une mère chrétienne.

Lorsque l’homme, ce roi de la terre, créé fort et prédestiné par Dieu aux lassitudes de la vie, tombe foudroyé par le malheur, un être débile, qu’un souffle pourrait emporter, une faiblesse incarnée, sur qui semble peser plus lourdement le fardeau de la grande expiation humaine, se lève, se dresse en face de toutes les tortures morales qui l’assaillent, et elle les terrasse… c’est la mère.

Sur le chemin de la Passion, une femme portait jusqu’au Golgotha son cœur déchiré par toutes les frénésies d’une populace en démence, c’était la Mère du Rédempteur…

L’homme de la science avait invoqué les secours de son érudition. La science lui montrait le désespoir.

La mère avait regardé plus haut, elle priait.

La supplication est une puissance.

Un sourire de contentement intérieur idéalisait la figure de Léontine ; c’était comme un dernier reflet de ses vertus. À son père, elle montrait la croix ; à sa mère, elle disait des paroles que les anges seuls peuvent inspirer ; à une sœur chérie, elle léguait les plus beaux exemples, à son fiancé qui avait obtenu de la voir une dernière fois sur ce seuil de l’éternité, elle assurait que la religion seulement, peut mettre dans l’amour un peu de bonheur.

La religion, voilà ce qu’elle avait cherché dans celui qu’elle aimait ! Elle savait que la Providence qui donne aux petits oiseaux de quoi bâtir un nid, n’abandonne jamais l’homme dont le cœur est tourné vers Dieu.

Gaston avait une intelligence supérieure. Il était bon, brave, honnête, et beau de cette beauté morale, qui fait que l’on oublie dans l’homme sa déchéance ; Léontine l’avait aimé sans se demander s’il était favori de l’opulence ou paria de la fortune, parce qu’elle obéissait à une inclination de son cœur. Quand elle avait appris du jeune homme que son heure n’était pas venue de se frayer un chemin à travers les égoïsmes de la société, elle avait dit : « j’aime, j’attendrai. »

L’amour n’est pas une dérision ; il a été mis au cœur de l’homme par Dieu lui-même, et ceux-là dont le cynisme glacé cherche à en étouffer les sublimes manifestations, sont maudits, parce qu’ils entravent la plus grande loi morale de l’humanité.

Léontine priait, espérait et aimait.

Non, jamais elle n’eut arraché au livre de sa jeunesse, une de ses pages d’inaltérable sérénité, pour la jeter au vent brûlant des préjugés du monde…

Le monde, hélas ! au lieu de briser des existences qui s’appellent, au lieu de combiner d’exécrables alliances, devrait bien plutôt apporter un peu de consolation aux foyers où sont entrés la déception, le dégoût, la désillusion, la haine et trop souvent l’adultère.

Léontine abhorrait le monde ; elle avait appris à planer au-dessus de ses scandaleux agissements, et lorsque Dieu vit qu’il était temps d’appeler à lui cette vierge selon sa volonté, elle n’éprouva qu’un regret, celui de ne pouvoir s’envoler au ciel avec ceux qui lui étaient chers.

Elle mourut au crépuscule, comme les derniers feux du jour. Avec la nuit, le deuil était entré dans cette maison…

Il y a dans la nature une indicible tristesse lorsque la nuit l’enveloppe de ses grandes ombres. Il s’y passe comme un étouffement de tout ce qui est.

La mort a ses ténèbres et ses angoisses. Quand elle déploie ses sombres ailes quelque part, c’est la désolation qu’elle répand.

Tout ce qui était autour de Léontine, tout ce qui vivait avec elle, tout ce qui l’avait aimée semblait ne plus respirer.

Les cœurs abattus par la douleur ne battaient plus.

Les fleurs qu’elle avait tant aimées penchaient leurs tiges vers la terre, comme si un souffle sépulcral les eut flétries en passant sur elles.

Les petits chantres ailés qu’elle avait sauvés de la froidure au retour des neiges, n’avaient plus de voix.

Une étoile d’or brillait à l’horizon. Elle avait l’air de sourire à la jeune morte en illuminant sa figure. Sans doute, un ange avait dû se glisser par le plus pur rayon de cet astre, pour cueillir l’âme de Léontine et la rendre à son créateur…

Quelques jours après cette catastrophe, deux ombres se dessinaient sur les dalles d’une chapelle solitaire. La mère et la sœur étaient à genoux. Leurs prières montaient à Dieu ! Chaque jour les ramenait au sanctuaire, et dans le silence des saints lieux, on pouvait entendre deux respirations égales, douces comme le bruit harmonieux qu’aurait fait un séraphin battant de l’aile.

Elles ne sortaient pas de là sans être plus consolées, plus fortifiées.

Le père de Léontine avait repris l’accomplissement de ses devoirs professionnels. Pour obéir au vœu de sa fille, il avait essayé d’être fort ; mais les meurtrissures que son cœur avait subies le courbaient fatalement à son déclin.

Il avait mis au service de sa patrie une activité étonnante, une initiative devenue indispensable.

La plupart des grandes questions sociales qui s’étaient agitées autour de lui, avaient reçu un éclair de son génie.

La gaieté naturelle de son caractère, avait toujours été une source de jouissances exquises pour ceux qui étaient dans son intimité.

Depuis l’événement terrible qui l’avait frappé, il était morne, sa pensée se perdait dans les plus sombres rêveries.

Il cherchait l’isolement pour exhaler plus librement la mélancolie de ses plaintes.

Ceux qui l’ont observé, ont vu souvent son œil se voiler.

Il buvait le calice jusqu’à la lie…

Un jour il fondit en larmes, et ces trois stances pleines de tristesse tombèrent de sa plume :


« J’y rêve bien souvent à mon bon cimetière,
J’y rêve aussi souvent à cette bonne bière,
Où blanchiront mes os.
J’aurai pour me pleurer les larmes d’une mère,
D’un enfant bien-aimé l’efficace prière,
Et l’éternel repos.

Ils sont là trois des miens, sous la terre durcie,
Ils sont là trois des miens ! sous la bise adoucie,
Je revois leurs cercueils.
Je les revois souvent ; toujours dans ma pensée
Leur souvenir me vient, bienfaisante rosée.
Souvenir de linceul.

Au ciel nous irons tous ! au ciel, notre patrie !
Ce qu’on voit en ce monde est peu digne d’envie ;
Au ciel nous irons tous !
Nous y vivrons en paix, sans crainte et sans alarmes,
Là, jamais de chagrins, jamais non plus de larmes,
Et nous prierons pour vous ! »


Ses dernières pensées sont là. Le cœur de Dieu a été touché, car le pauvre vieillard est allé au ciel « vivre en paix, sans crainte et sans alarmes, » et prier pour ceux qui sont restés.

Gaston était parti dans l’étourdissement de sa douleur. Il avait fui, bien loin, portant toujours en lui le brasier qui le consumait. Il avait cru dans sa fièvre que l’espace, les pays parcourus, l’éloignement, les distractions auxquelles il se livrerait en pâture, auraient pitié de lui ! La blessure de son cœur était trop profonde ! Un dernier refuge lui était ouvert, le cloître ! Il y entra.

L’amour brutal, la cupidité, le lucre, le veau d’or, n’eussent pas inspiré cette abnégation.

Ces événements s’étaient succédés avec rapidité. Le pauvre foyer venait d’être rudement décimé.

L’action providentielle a quelquefois de ces manifestations qui sont épouvantables.

La blonde et belle enfant qui chaque soir accompagnait sa mère, avait gardé précieusement au fond de son âme, le souvenir embaumé des vertus de sa sœur. La providence mit sur son chemin des jours de bonheur.

Elle aima, et fut aimée comme elle avait rêvé de l’être !


Le père était tombé.

Le vieux chêne battu par la tempête s’était effondré sur lui-même.

Le jeune homme que la virilité et la sève de son âge n’avaient pu soutenir, avait vu, son désespoir se frapper contre les murs glacés d’un monastère.

Une nouvelle affection avait sauvé la sœur de Léontine.

Quelqu’un restait pour supporter une condensation de malheur ! La mère !…

Le roseau frêle et délicat avait subi tous les orages ; la tourmente n’avait pu le rompre.

Cet héroïsme-là tient au surnaturel… Du sein des tourbillons de la foule, des clameurs bruyantes de la cité, une femme se détache chaque jour, et se dirige vers le temple !

C’est elle !

Sa tête a blanchi.

Il se dégage de sa figure, comme un rayonnement de la Divinité.

C’est une sainte.




ÉPISODES D’UNE
INSURRECTION AU NORD-OUEST.

ÉPISODES
D’UNE
INSURRECTION AU NORD-OUEST



Un petit peuple vivant paisiblement sur les bords de la Rivière Rouge se voyait, il y a quelques années, en butte aux persécutions d’une horde de pillards, lâchés sur les fertiles plaines du Nord-Ouest, je ne sais trop par quels complaisants pouvoirs.

Ces truands violaient impunément le sanctuaire du domicile, épouvantaient de pauvres femmes dont les protecteurs étaient loin, allaient jusqu’à braquer sur elles un revolver meurtrier pour leur arracher le dernier morceau de pain de la famille.

On les a vus, traversant nos champs ensemencés, renversant sur leur passage de faibles palissades qui ne pouvaient résister à de si vilaines bêtes, piétinant méchamment sur nos blés, semant partout le feu, au risque d’incendier nos villages, exécutant d’autres férocités encore, sous le très plausible prétexte disaient-ils, de modifier un peu la carte de nos régions.

Une quinzaine de braves s’insurgèrent, ayant à leur tête un tout jeune homme que son intelligence remarquable prédestinait au commandement. On l’avait spontanément reconnu chef. Les soldats étaient tous plus vieux que le capitaine : mais le souffle de pur patriotisme qui animait toujours ses harangues, avait passé sur les courages et l’on avait eu confiance.

Ce fut là le germe de la rébellion.

Le petit bataillon opposa une résistance énergique aux envahissements qui ne reconnaissaient plus de loi, et les terribles de la première heure furent bientôt mis en déroute.

On sait les funestes complications qu’entraîna la révolte, les haines implacables qu’elle soulevait plus tard, les gouvernements qu’elle jetait dans l’embarras, le deuil qu’elle mettait au cœur d’une nation dont le crime unique avait été de revendiquer des droits méconnus.

On a vu les passions se déchaîner contre le jeune commandant qui avait voulu conduire son peuple au triomphe d’une sainte cause.

Sa tête a été mise à prix.

Il a été hors la loi.

Cela ne l’a pas empêché de braver cent fois les balles de la canaille.

La fatalité des derniers événements a tourné contre lui.

Il traîne aujourd’hui une existence meurtrie par les ronces de l’exil.

Sur le chemin de ses amertumes, il lui arrive parfois de cueillir une fleur qu’y sème la sympathie ; mais l’arôme qui s’en dégage n’a pas assez d’enivrements pour lui faire oublier les parfums de sa patrie…

L’infortune a blanchi sa tête. L’illustre proscrit erre comme une ombre au milieu des solitudes qui ne lui sont pas hostiles, prêtant mystérieusement l’oreille à la grande voix des airs, comme s’il entendait un écho affaibli des harmonies natales.

Les siens ne le reverront pas, car s’il avait le malheur de faire une apparition dans son pays, Louis Riel tomberait sous le poignard de cinq cents fanatiques qui ont juré de venger la mort de Scott.


Après le transfert des territoires du Nord-Ouest par la Compagnie de la Baie d’Hudson, le pays s’étant trouvé un temps sans gouvernement, les métis formèrent une administration provisoire sous la présidence de Riel.

Les membres de cette organisation politique s’installèrent dans les fortifications de Garry.

Il y avait là huit cents hommes sous les ordres de ce pauvre Lépine, qui doit aux sympathies des Canadiens-français d’avoir été soustrait plus tard aux horreurs de la peine capitale.

La tâche imposée au jeune président était lourde.

Il avait à se défier d’une contre-révolution sourde dont les germes se développaient rapidement au sein de la population métisse anglaise ; il lui fallait créer une constitution temporaire pour la gouverne de son peuple ; des négociations très importantes qui allaient décider du bien-être futur de la nation, étaient sur le point de s’ouvrir avec les autorités canadiennes, et nécessitaient une sagacité rompue aux astucieuses subtilités de la politique.


Il y avait eu ce temps-là au collège de St-Boniface, une trentaine d’écoliers dont une belliqueuse ardeur enflammait les jeunes imaginations.

Ces pions voulaient se battre.

J’en étais, ne vous déplaise.

Le plus vieux avait quatorze ans, je crois. Nous offrîmes nos services à Riel qui laissa tomber sur notre requête un sourire plein de tristesse, comme s’il avait pressenti que l’heure des lugubres événements n’était pas loin. « Merci, pauvres enfants, » nous dit-il, « vous êtes bons et pleins de courage, mais il ne sera pas versé de sang ; quelques jours encore et la paix sera rétablie. »

Cela nous contrariait.

Chacun de nous avait arrêté dans sa tête une entreprise colossale : tuer un anglais.

Eh oui, bon Dieu ! moi aussi, je voulais occire mon homme !

Les Anglais ! Je me les figurais comme de grands diables encornés, tout noirs, méchants, laids, caraïbes, un peu anthropophages…

Mes idées sont bien changées sur ces gentlemen. Il y a eu depuis de sérieux rapprochements entre eux et moi, à tel point qu’aujourd’hui, j’en voudrais exterminer… mille.

Je dis cela sans passion, à travers le plus ineffable de mes sourires.


Quelque temps après l’infructueuse démarche qui fit tomber nos escopettes, un parti de soldats anglais s’avançait sur Garry, en longeant l’ouest de ce qui s’appelle aujourd’hui la cité de Winnipeg

La veille, il avait été rumeur de sac et de feu ! On devait incendier les principaux édifices catholiques, piller la ville, égorger tout le monde. Les nôtres s’étaient tenus prêts à toute éventualité. Un détachement de six cents cavaliers fut dirigé sur les agresseurs ; quelques fantassins suivaient derrière ; une cinquantaine d’hommes étaient restés sur les remparts. Nous étions, mes camarades et moi, apostés aux lucarnes de l’évêché, palpitants d’angoisse, attendant la terreur dans l’âme, l’issue de ce drame qui peut-être allait se dénouer par un massacre. Pas un détail de la manœuvre ne nous échappait.

Les anglais s’étaient arrêtés tout-à-coup… nos hommes continuaient de dévorer l’espace, quelques arpents à peine séparaient les armées.

Le temps était radieux — le soleil, superbe — le firmament, bleu, sans nuages. La plaine était recouverte d’un immense manteau de ouate pailleté de diamants étincelants : Vraiment, c’eut été dommage de rougir cette belle neige blanche du sang de nos braves…

Dieu ne le permit pas.

Personne ne fit le coup de feu.

Deux parlementaires anglais se détachèrent de leur escouade en agitant un pavillon blanc. Les combattants se réunirent en une imposante masse. Un quart d’heure après, une immense colonne s’ébranlait pour entrer dans le fort — les anglais s’étaient rendus et constitués prisonniers.

L’un d’eux plus turbulent que ses compagnons d’armes, proférait des menaces, jurait comme un forcené, frappait tous ceux que sa rage pouvait atteindre : c’était Scott.

Les autres, au nombre d’une centaine à peu près, furent enfermés dans de vastes salles.

Scott fut incarcéré pieds et poings liés.


Cette victoire du gouvernement provisoire avait eu pour résultat de calmer un peu les agitations. On ne songea plus à contester l’autorité de l’administration établie, et les choses allèrent assez bien pendant quelques jours.

Le collège avait repris ses classes avec plus ou moins d’entrain.

Nos régents nous mettaient quelquefois au courant des événements du dehors ; mais le plus souvent le mystère de leur physionomie, leur refus de répondre à nos questions, nous jetait dans une grande perplexité.

Il y avait dans l’air comme un souffle de mauvais génie qui nous accablait.

Il devait se préparer quelque chose d’extraordinaire.

Un soir il y eut des prières publiques. Un prêtre priait à haute voix devant le saint sacrement exposé. Des sanglots s’échappaient de la foule agenouillée. En sortant des saints lieux, quelques balles avaient sifflé à nos oreilles, puis tout était rentré dans le silence.

Quelques ombres se glissaient autour des fortifications.

Au dedans, le gouvernement s’était érigé en Cour martiale et délibérait déjà depuis deux heures, lorsque la terrifiante nouvelle nous arriva que Scott venait d’être condamné à mort.

Son existence avait été jugée dangereuse pour le maintien de l’ordre public, et l’on avait cru pouvoir en l’éliminant, détourner les désastreux orages d’une guerre civile.

L’agitateur orangiste n’en avait rien cru. Il s’était mis à rire bruyamment en écoutant sa sentence.

On le reconduisit à son cachot.

Une petite table portant des plumes, de l’encre et du papier fut mise à sa disposition, avec recommandation de tracer ses suprêmes volontés s’il en avait à manifester.

Puis, la porte de la cellule s’était refermée sans bruit.

Scott avait pâli.

On eut dit qu’un éclair venait de lui faire voir toute l’horreur de sa situation.

Le condamné fit entendre un cri de rage…

Quelques instants après, il laissait tomber d’une voix étouffée ces paroles navrantes : « O no, they will not kill me ! »…

Il passait minuit.

Un bruit confus, prolongé, retentissait par intervalles, à travers le silence des appartements endormis.

Huit cents hommes étaient à genoux, répondant au chapelet que récitait avec eux un vénérable oblat de l’évêché.

C’était poignant de voir ces guerriers implorant la miséricorde divine pour que l’éternité d’un homme ne fut pas maudite…

Je n’ai pas lu que la Révolution française en ait fait autant pour ses victimes.

Il y a parfois de précieux enseignements à tirer de l’histoire d’un peuple que la religion a civilisé.

Ces hommes ressentaient ce je ne sais quoi de formidable que le sens évangélique seul imprime aux objets auxquels il mêle sa grandeur.

À deux heures de l’après-midi, un grand rassemblement se fit auprès de l’un des bastions du fort.

L’exécution de Scott allait avoir lieu.

Le condamné parut un bandeau sur les yeux, escorté de six gendarmes.

Il fut laissé à genoux sur la neige durcie.

Un seul homme passa quelques instants auprès de lui, le ministre de sa religion, qui après quelques exhortations s’éloignait à son tour.

Le silence qui planait sur ce drame était lugubre.

Un soldat distribua au hasard les fusils, dont trois étaient chargés à balle, les autres à poudre.

En dépit des ordres les plus sévères, il eut été impossible, sans ce subterfuge, de trouver un seul homme pour fusiller Scott.

Personne ne devait savoir de quelles armes sortirait la mort.

À un signal donné, une détonation terrible se fit entendre.

Scott tomba la face contre terre. Il vivait encore.

On le transporta dans l’enceinte des fortifications, et à partir de ce moment, il devient impossible de dire ce qu’il est advenu de lui.

Les mystères les plus impénétrables ont enveloppé sa disparition.

Le procès de Lépine a révélé mille faits contradictoires auxquels il n’est pas possible d’ajouter foi.

L’histoire racontera sans doute avec une exactitude plus rigoureuse, ces événements dont je ne dois le souvenir qu’à une mémoire peut-être infidèle.


La dissolution complète du gouvernement survint presque aussitôt après cette tragédie.

Les fortifications furent abandonnées, et les métis rentrèrent dans leurs familles.

La désertion avait été complète.

Aussi permit-elle à Wolsely de faire une charge extrêmement triomphale sur les solitudes de Garry.

Le général y trouva un chien qui ne se gêna pas de lui aboyer au nez, et un vieux métis retardataire bourrant philosophiquement sa pipe.

Le chien fut battu, et le bonhomme mis à la porte.

On proclama cet exploit. Wolsely fut traité d’illustre parmi les vainqueurs des vainqueurs.

La presse obséquieuse battit de la grosse caisse, et lança cet énorme pavé de l’autre côté de l’océan, où les habitués de Downing Street… l’avalèrent. Sir Garnet fut décoré de je ne sais trop quel ruban.


L’heure néfaste avait sonné pour Riel. Il fut traqué comme une bête fauve.

Une douzaine de limiers au flair de dogue, soudoyés par la rage vindicative des loges orangistes s’acharnaient à sa poursuite. Quelques rares amis lui offraient asile ; mais une fois reposé de ses fatigues, il fuyait aussitôt.

On eut dit qu’un pouvoir occulte, une inspiration providentielle lui donnait l’intuition de l’imminence d’un danger. Combien de fois n’est-il pas arrivé aux mouchards de faire des perquisitions à travers des endroits qu’il avait laissés dix minutes auparavant !

On se demande comment la mort ne l’a pas frappé en mille circonstances périlleuses.

Eh quoi ! C’est un de ces phénomènes qui ne s’expliquent pas si l’on en veut exclure l’action de Dieu.

Quelqu’un priait, une femme ! C’était une Sœur de charité.

Beauté angélique, type idéal comme il n’en existe que dans les communautés religieuses, parce que l’ascétisme de la vie contemplative semble diviniser leur figure…

On apprit un jour que cette sainte vivait au milieu des peuplades les plus reculées de l’Ouest.

Un vœu secret pour la sauvegarde de son frère, lui avait fait accepter le long martyre d’une existence sacrifiée aux derniers êtres de l’échelle sociale.

Je crois fermement que Riel doit de vivre, aux prières de la pauvre religieuse.




FOLLE.

FOLLE.



La barque légère qui me permet quelquefois de pousser mes excursions maritimes jusqu’à une heure assez avancée de la nuit, nous portait doucement ce soir-là, M. le baron, sa femme et moi, sur les flots dociles de la marée descendante.

J’avais voulu faire comme à l’ordinaire cette course nautique en compagnie d’un français et de sa compagne, de braves gens, venus récemment d’outre-mer, qui avaient eu la bonne idée d’élire domicile à quelques pas seulement de mon habitation. Un commerce aimable s’était de suite établi entre eux et moi. Nous en étions je crois à notre vingtième voyage. La camaraderie la plus intime nous réunissait souvent. Cela leur faisait oublier un peu les souvenirs de la patrie, et me donnait, à moi, une occasion nouvelle d’entendre avidement ce beau langage dont nous avons si religieusement conservé la lettre, mais dont le mélodieux accent nous échappe au milieu des idiômes étrangers qui cherchent incessamment à l’absorber.

Nous avions vu tomber le soleil ; le crépuscule en adoucissait graduellement les reflets encore éblouissants. Les dernières teintes des paysages qui nous environnaient commençaient à se perdre dans la pénombre.

Bientôt nous fûmes entourés de ténèbres ; quelques pâles étoiles qui s’allumaient au firmament avaient l’air de verser en hésitant leur timide clarté.

Nous n’étions qu’à deux longueurs de rame du rivage.

La mer baissait toujours.

Nous touchâmes enfin au petit port qui nous avait vus quelques instants auparavant.

L’ascension de la falaise qu’il nous restait à gravir fut lente.

De chaque côté de la route, les arbres semblaient tendre vers nous leurs bras amaigris.

Il faisait une de ces nuits tièdes, très sombres, presque effrayantes, où les forêts revêtent les formes les plus bizarres, où le plus léger souffle se traîne comme un gémissement, où la chute d’une branchette fait croire à un cataclysme.

Je ne sais trop ce qui se passait en moi ; mais, j’avais le cœur serré. Tous les squelettes du monde seraient sortis de sous terre pour venir exécuter autour de moi une danse macabre que je ne me serais pas senti plus frappé de terreur.

J’avais peur ! Pourquoi ? Je n’en sais rien.

Je suivis de plus près mes compagnons qui s’avançaient silencieusement.

M. le baron, dis-je du ton le plus assuré, pour montrer que je n’étais nullement préoccupé, dites donc, croyez vous aux fantômes, aux revenants, aux…

— Mon Dieu ! De grâce ! S’il vous plait ! répliqua vivement mon ami, sans me donner le temps de finir…

Sa femme avait failli se trouver mal… Elle l’étreignait de toutes ses forces, tremblante comme une feuille… et je me demandais, la douleur dans l’âme, comment j’étais devenu si étrangement la cause du premier chagrin qui fût jamais survenu entre nous…

Je les accompagnais machinalement jusqu’à leur logis, — j’entrai dans le cabinet de travail de M. le baron. Il s’éloigna rapidement avec sa femme, me priant d’attendre son retour.

Tous deux se dirigèrent vers une pièce dont je pouvais facilement du regard embrasser l’intérieur. Une jeune fille d’une rare beauté s’y trouvait. Elle était assise et tournait distraitement les feuillets d’un livre. Elle leva mélancoliquement ses beaux grands yeux sur la baronne. Celle-ci la baisa avec effusion.

Le baron était triste, en proie à une douleur manifeste.

— Pauvre Berthe ! dit-il en prenant la tête de la jeune fille dans ses mains et l’embrassant follement…

Mon ami demeura longtemps dans cette attitude…

Tout-à-coup la jeune fille fit un léger mouvement pour se dégager de cette étreinte…

— Père, dit-elle, regardant fixement le baron… va-t-il venir cette nuit… le revenant…

— Non, non, ma Berthe, sanglota mon ami…

La porte fut fermée discrètement sur moi.

Hélas, bien involontairement je le jure, j’avais tout vu…

L’égarement se lisait sur cette physionomie idéale dont les derniers charmes achevaient de s’évanouir ; et, de plus, ô horreur, la moitié de sa chevelure était blanche…

Mille lugubres pensées tourbillonnaient dans ma tête.

Je ne savais pas si tout ce que je venais de voir était un rêve ou un tableau de cette froide réalité qui trop souvent ne trouve rien à épargner ! Jamais je n’avais soupçonné l’existence de cette malheureuse jeune fille que la Providence éprouvait si cruellement !

Le baron me retrouva dans une agitation extrême…

— Je vous ai fait mal, lui dis-je avec émotion…

— Assez… Sortons d’ici… dit-il, et m’entraînant au jardin attenant à la maison, il me fit pénétrer avec lui dans un petit pavillon couvert de verdure.

— C’est une histoire navrante, ami, continua le baron… mais, vous savez tout… il devient inutile de vous taire plus longtemps le récit d’un drame qui ne saurait d’ailleurs éveiller que vos plus sincères sympathies…


« C’était un soir, sur la Garonne, précisément comme tantôt sur votre beau fleuve, à peu près à la même heure, nous voguions ensemble en canot léger, ma femme, ma fille Berthe et moi.

Le même soleil il me semble illuminait les mêmes merveilles.

Il y avait des paysages féeriques partout, des aspects imprévus, des tableaux riants, que la lutte de l’ombre et de la lumière variait à chaque instant.

Au ciel, des clous d’or constellaient une voûte sans nuage.

En revenant à terre, des effluves rafraichissantes émanant de la nature assoupie, nous prédisposaient à une délicieuse langueur.

Peu à peu les ténèbres les plus épaisses nous avaient envahis.

Il était temps d’arriver à domicile. Un vent froid commençait à s’élever, et j’avais cru remarquer que Berthe se serrait plus près de moi, chaque fois que nous passions près de quelques formes fantastiques rendues menaçantes par les effets de la nuit.

Sa jeune imagination avait elle été ébranlée par ces apparitions étranges… je l’ignorais, pour mon malheur… et une fois rendu au foyer, sans tenir aucun compte de la pâleur de Berthe dont j’aurais dû deviner la cause, je me mis à conter de ces histoires terribles de fantômes, de vampires, de revenants que la tradition populaire traîne à travers tous les siècles, et que les enfants écoutent avec tant de frayeur avide…

La bise soufflait au dehors.

Berthe n’osait plus regarder aux fenêtres tant l’épouvante la paralysait.

J’eus beau essayer de la rassurer ensuite en lui prouvant qu’elle ne devait pas ajouter foi à ces récits absurdes, à toutes ces chimères qu’une imagination en délire pouvait seule inventer, elle n’en demeura qu’à demi convaincue et fut sérieuse et inquiète tout le reste de la soirée.

L’anxiété nous gagnait tous. Une impression décidément pénible était sortie de mes contes… ma femme me reprochait doucement de m’être appesanti sur les plus terrifiants.

Je ne savais que dire. Je sentais bien le malaise dont j’avais été la cause. Il fallait en prendre un parti. Je me mis à railler ma fille sur sa frayeur, et fis si bien qu’elle finit par sourire, disant qu’elle était folle après tout d’avoir peur.

Je crus que la nuit allait emporter toutes ces puérilités et nous nous séparâmes assez gaiement.

La chambre de ma fille était près de la mienne. Je pouvais entendre aisément la respiration de Berthe et courir à son secours si quelque cauchemar l’oppressait.

Elle dormait paisiblement.

J’avais sommeil, et bientôt je me reposai des inquiétudes qui me hantaient depuis quelques moments.

Je ne sais combien de temps dura ce repos ; mais, tout à coup, un cri déchirant, parti de la chambre de ma fille vint me transpercer le cœur.

Je me levai à moitié fou, la mort dans l’âme, présageant la plus effroyable calamité…

Toutes ses couvertures était au pied de son lit, sur le plancher, dans un désordre complet.

Berthe était méconnaissable… ses yeux étaient démesurément ouverts… sa bouche écumait… sa tête avait blanchi… Berthe, ma fille, ma bien-aimée Berthe était folle

J’aurais voulu tomber foudroyé. Dieu n’eut pas pitié de moi. Ma femme dans un accès de douleur me reprocha d’avoir tué sa fille…

Il me semblait que tout brûlait autour de moi. Ma raison s’en allait. J’eus une pensée pour Dieu, une supplication… et je fus sauvé, car j’allais me détruire infailliblement.

Ma femme revint à elle-même, et nous pûmes immédiatement porter à Berthe les secours qu’exigeait la situation…

Longtemps nous l’appelâmes tous deux des noms les plus caressants, mais inutilement. Elle ne nous reconnaissait plus…

Elle ne cessait de proférer toujours les mêmes paroles : « Il est venu le vampire, le revenant… »

Les plus célèbres médecins de la France furent consultés ; mais la science vint se heurter une fois de plus contre un de ces mystères effroyables que les aliénistes ont l’habitude de rencontrer si souvent.

Nous primes la résolution de traverser les mers, espérant que les distractions d’un long voyage sauveraient notre enfant ; mais la Providence est restée jusqu’ici sourde à notre appel.

Un jour viendra peut-être qui nous apportera ce bonheur ! J’en bénirai Dieu toute ma vie.

La folie de Berthe est douce ; mais chaque soir ses terreurs se renouvellent, et les mêmes paroles reviennent sur ses lèvres… »


Que s’était-il donc passé ? Hélas ! l’incident le plus insignifiant du monde. Tout simplement un chat, un énorme angora s’était tout bonnement introduit dans la chambre de la jeune fille, avait sauté sur le pied de son lit, en avait tiré les draps et les couvre-pieds, et s’était mis à jouer dans les replis de ces couvertures.

Berthe s’était éveillée en sursaut avec toutes les réminiscences terrifiantes des histoires de la veille, et le drame s’était passé…

Le baron pleurait.

C’était plus fort que moi. Je ne pus rester froid en présence d’une si grande douleur.

J’éclatai en sanglots…


Ô vous qui dirigez les tendres années de l’enfance, gardez vous de jeter dans ces âmes naïves, de ces histoires d’épouvante qui peuvent parfois entraîner de si funestes résultats.

Il est malheureusement d’habitude dans notre pays, de frapper l’imagination crédule de ces bons petits êtres, en la peuplant de mille et un fantômes sortis depuis tant de siècles de je ne sais trop quels cerveaux malades. On dit que c’est pour mettre un frein aux jeux trop bruyants des tapageurs ; ma foi, je crois que la férule en dépit de ce qu’elle a de barbare est encore préférable.

N’existe-t-il pas d’autres choses à mettre dans l’esprit des enfants que des contes de gnômes ou de loups-garous ?

Il me semble que l’histoire de notre pays renferme assez de glorieux épisodes pour qu’on y trouve de quoi remplir toutes nos jeunes têtes canadiennes.




UN DRAME DANS LE MONDE.

UN DRAME DANS LE MONDE.



La haute société de L… se portait en masse il y a quelques années, à une cérémonie qui liait pour toujours la destinée de l’une de ses jeunes filles les plus distinguées au sort d’un capitaliste puissamment riche.

Ce mariage s’était accompli avec une extrême répugnance de la part de la jeune fille.

Remarquablement belle, jeune, encore pleine de sève et de fraîcheur juvénile, elle eut préféré au spéculateur décrépit, un jeune homme moins opulent, mais qui l’aimât mieux.

Elle croyait aux joies possibles des affections profondes ; elle pensait que deux cœurs pouvaient se rencontrer, battre à l’unisson et oublier ensemble les lassitudes de la vie ! Illusions, lui avait-on dit, qui tomberont une à une au premier souffle, comme à l’automne les feuilles des arbres…

Ses aspirations avaient donc été brutalement brisées ; et, il s’était fait une fois de plus, une de ces unions monstrueuses qui comptent tant de victimes dans les fastes de l’humanité. La jeune épouse apportait au foyer un cœur dont l’or ne comblerait jamais le vide…

Quelques mois se passèrent, calmes et froids, sans intimité, lourds et monotones, lorsque la fatalité mit sur le chemin de la malheureuse jeune femme, un de ces êtres maudits dont l’enfer semble avoir pétri l’âme pour dresser des embûches à la vertu.

La société, qui avait applaudi à une combinaison disparate, avait cependant oublié de préparer le remède au mal que les plis de l’avenir pourraient bien réserver. L’épouse infortunée n’avait pas été habituée aux consolations divines, et cette jeune femme qui en avait vu d’autres faillir au devoir, entrait dans une carrière que des ressources purement humaines ne sauraient sauvegarder à elles seules.

Aussi la première occasion dût-elle entraîner une catastrophe.


Le temps des réunions mondaines était arrivé. Les bals des hautes sphères sociales se faisaient avec un éclat inaccoutumé qui avait attiré tout ce que la ville contenait d’étrangers de distinction.

Madame de X… fut lancée dans ces tourbillons de plaisirs étourdissants, où la grâce séduisante de sa personne et les qualités supérieures de son esprit ne manquèrent pas d’attirer l’attention des Lovelaces qui s’empressaient autour d’elle.

Son ingénuité ne vit rien d’anormal dans ce zèle.

Le capitaliste qui ne s’était pas fait millionnaire à poser au Don Juan, ne soupçonna pas que l’on pût aussi audacieusement faire le siège de la probité…

Mais… avec le temps, après une persistance diaboliquement fascinatrice, quelques indices se dressèrent outrageants, pour fouetter la figure du mari dédaigné. Des lettres anonymes l’avertirent que sa femme s’acheminait vers une trahison… Le malheureux époux blessé dans son honneur, fut atterré ; mais il se redressa fièrement. Un souffle de vengeance avait passé sur son âme.

Un soir on lui apporta un télégramme qui le mandait en toute hâte à la Bourse de New-York. Il fit immédiatement ses préparatifs de départ, embrassa sa femme, et sortit sans qu’elle se doutât le moins du monde de l’agitation qui le bouleversait.

C’était par une nuit de septembre. Il tombait une pluie fine. L’avenue D… était déserte. Les réverbères alignés le long des trottoirs projetaient une pâle lueur.

Quelques piétons attardés fuyaient çà et là… puis un lugubre silence planait sur toute la ville comme à la veille d’un grand coup de tonnerre.

Mais… en plongeant le regard jusqu’à l’extrémité sud de la rue, on pouvait distinguer un groupe de trois hommes dont les silhouettes se dessinaient dans l’ombre.

Ils étaient là, immobiles, en faction, les yeux tournés tantôt vers la porte d’un jardin attenant à une résidence de l’avenue, tantôt vers la façade elle-même de cette maison.

Les trois hommes attendirent pendant une heure environ sans qu’il se passât rien d’étrange.

Mais, quelques moments après, une croisée de l’un des étages supérieurs s’ouvrit doucement, puis une lumière en traversa trois fois la largeur, et tout redevint obscur…

Soudain, on put apercevoir le long du jardin, une ombre qui se glissait prudemment, s’arrêtait souvent, épiait les alentours.

Les trois hommes s’étaient penchés en avant et continuaient de regarder avec une fixité plus terrifiante.

Tout à coup un épouvantable craquement se fit entendre et un cri de rage retentit par tout le quartier désert de la ville…

Les trois observateurs se précipitèrent aussitôt…

Un homme venait d’expirer, écrasé par le poids énorme d’une pierre qui avait été placée au dessus de la porte du jardin…

— Je me livre à la justice, s’écria le capitaliste malheureux qui venait de se faire connaître des deux gendarmes dont il s’était fait accompagner, j’ai fait ce meurtre…

Les portes de sa résidence furent immédiatement enfoncées. On trouva son infidèle épouse évanouie sur le plancher.

L’épouvante l’avait presque tuée.


Le lendemain l’histoire de ce lugubre événement était dans toutes les bouches.

Tous les journaux racontaient qu’au moment de son départ pour New-York, le capitaliste avait rencontré sur son passage un de ses domestiques portant une lettre. Il l’avait aussitôt arrachée de ses mains. La missive lui ayant paru suspecte, il en avait rompu le cachet, puis l’avait remise au fidèle commissionnaire avec recommandation de la porter à destination.

Il était allé ensuite à la recherche de deux gendarmes qu’il avait amenés avec lui sans leur indiquer le but de ses démarches. Nous savons ce qui se passa. Ces fonctionnaires dûrent accomplir leur devoir. Le meurtrier fut conduit en prison et subit son procès quelques jours plus tard. Son jury l’acquitta.

Les cercles aristocratiques de L…, restèrent un certain temps sous l’effet d’une consternation générale.

Les salons se fermèrent. On ne s’abordait plus qu’en chuchotant. Les rapports étaient devenus plus contraints. Une part de la responsabilité de tous ces crimes, semblait peser sur ce monde frivole qui n’avait pas jugé à propos de compter avec les inclinations d’un cœur aimant, et l’avait violemment arraché à son principe de vie pour l’étouffer dans les froides splendeurs d’un mariage de convenance.

Mais bientôt, ce malaise disparut. Un train de vie plus étourdissant ébranla de nouveau le grand monde, et le drame de l’avenue D… s’effaça des mémoires…

Comme il arrive presque toujours après de semblables catastrophes, l’épouse malheureuse qui venait d’être frappée si terriblement, vit une barrière infranchissable de mépris s’élever entre elle et ceux qui naguère n’avaient pas assez de flatteries pour l’aveugler.

Les amitiés éphémères qui l’avaient entourée avant sa chute, s’évanouirent comme des fumées.

Nulle consolation ne lui arriva de cette société menteuse et égoïste dont les mirages l’avaient si fatalement éblouie.

Les hommes gardèrent pour d’autres leurs séductions.

À l’horreur du scandale les femmes ajoutèrent le venin de leurs calomnies.

Il n’y a rien là qui étonne. Le monde est ainsi fait. S’il arrive à une fortune de crouler, à une vertu de chanceler, à une gloire de se ternir, la société s’enivre d’une joie sauvage, et elle assiste à toutes les agonies avec son habituelle grimace aux lèvres.

Madame de X… eut le courage d’implorer la miséricorde de son mari avant de s’ensevelir à jamais dans l’un de ces asiles de sérénité et de prière qui seront toujours le refuge des grandes douleurs…

Son mari eut assez de grandeur d’âme pour pardonner.

Ce fut la dernière fois qu’il la vit avant qu’elle ne disparût pour aller expier au fond des paisibles retraites d’un monastère les égarements d’une vie que le monde avait broyée si froidement.

Elle fut accueillie avec toute la mansuétude que Dieu seul peut inspirer aux âmes qui abandonnent le monde pour le mieux servir.

Son séjour n’y fut pas long. Son âme, pure de toute tache s’envola à Dieu sur les ailes du repentir.

On n’entendit presque plus parler de l’infortuné capitaliste qui s’était retiré complètement de la vie publique pour vivre ses derniers jours dans les mélancoliques solitudes de sa pensée.

Son immense fortune fut employée à la fondation d’institutions de charité.

Il vécut quelques années sans jamais parler de ses malheurs.

On évitait de faire allusion devant lui aux incidents qui auraient pu lui rappeler ses heures de deuil.

Mais il était évident que les tortures morales les plus cuisantes ne cessaient de l’accabler.

Chaque fois qu’un équipage étincelant passait devant lui, emportant les clameurs bruyantes d’une nouvelle noces, le vieillard tournait la tête et pleurait.

Il mourut, délaissé de ses amis d’antan, n’emportant dans sa tombe que les regrets sincères de tous ceux dont il avait gagné les cœurs en se faisant bon et en soulageant leur misère.


Tous les mariages de convenance n’ont pas toujours ce dénouement tragique. Mais hélas, combien de douleurs secrètes, combien de scènes orageuses, combien de plaies saignantes ne sont-elles pas cachées par ces deux êtres, misérablement rivés l’un à l’autre dont une suggestion toute brutale, a déterminé l’union !

Le monde songe-t-il parfois à l’odieux de ce trafic, qui consiste à exploiter des jeunes filles pures, chastes, naturellement aimantes, éprouvant un immense besoin d’affection, pour les livrer au grossier sensualisme d’un homme riche qui moyennant sa fortune, a déjà laissé un peu partout sur le chemin de sa vie des lambeaux d’une jeunesse déflorée ?

Un homme se rencontre, pouvant disposer de ressources matérielles puissantes ; il se met à la recherche d’une de ces sensitives parfumées que l’affection maternelle éloigne toujours soigneusement des souffles empoisonnés ; il a trouvé sa proie ; des négociations s’entament ; ce roi de la Bourse est agréé — et le mariage est conclu. D’un côté, une fortune ; de l’autre, un de ces êtres que l’on dirait tombés du ciel, tant il y a de l’ange dans leur nature ! Où est l’équilibre ? Les millions valent-ils une parcelle du cœur ?…

Voilà des mains remplies, mais un cœur qui reste béant ! La femme a besoin d’aimer… Est-elle justifiable de forfaire à ses devoirs ? Non ! mais, après tout, si elle tombe, est-elle seule coupable ?…


 « Oh ! n’insultez jamais une femme qui tombe
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe ? »


Il n’est pas juste qu’une âme tombe dans l’éternité par la main d’un mari outragé !

L’homme qui tue son semblable est presque toujours criminel devant Dieu ! Mais, il existe au fond du cœur humain un étrange sentiment : c’est une haine implacable qui ne pardonne jamais à l’adultère son crime. Si la mort le frappe dans sa faute, la société ne le venge presque jamais ! C’est lui qui est le plus grand coupable, il mérite son sort.


« Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu,
Qui de nous n’a pas vu de ces femmes brisées
S’y cramponner longtemps de leurs mains épuisées
Comme au bout d’une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie où le ciel vient briller,
Qu’on secoue avec l’arbre et qui tremble et qui lutte,
Perle avant de tomber et fange après sa chute ! »


Laissons à l’amour sa liberté d’expansion et disons encore avec le poète :


« La faute en est à nous ; à toi, riche ! à ton or !
Cette fange d’ailleurs contient l’eau pure encor.
Pour que la goutte d’eau sorte de la poussière,
Et redevienne perle en sa splendeur première,
Il suffit, c’est ainsi que tout remonte au jour,
D’un rayon de soleil ou d’un rayon d’amour !


FIN.