Typographie de P.-G. Delisle (p. 119-130).

IMPRESSIONS.



Vous tous qui fléchissez sous le travail pénible des villes, fuyez, si vous le pouvez un temps, les brûlants tourbillons de poussière qui vous aveuglent !

Parias de la multitude, prolétaires de ces grandes agglomérations étiolées que l’on appelle cités, artisans, hommes de tous les métiers, esclaves de toutes les professions, plumitifs blêmis des bureaux, désertez le pavé en feu de vos rues, et volez à la campagne, ne fût-ce que pour vingt-quatre heures !

La campagne, c’est le séjour de tous les enchantements ; c’est le pays des resplendissants couchers de soleil et des superbes levers de lune ; c’est le rendez-vous des artistes aériens qui font entendre et jettent incessamment vers le ciel les harmonieuses combinaisons de leur incomparable musique ; c’est l’endroit où la forêt s’épanouit mystérieuse, prêtant la fraîcheur de ses ombres à la cascatelle qui bruit et soupire à ses pieds.

La fleur s’y pare de ses brillantes couleurs. Elle y exhale, en vous souriant, les parfums les plus pénétrants de sa corolle. Les émotions les plus douces et les plus pures y descendent sur l’âme comme une rosée embaumée, et l’homme sent le besoin de tomber à genoux devant le spectacle grandiose de toutes ces merveilles qui roulent paisiblement sous le souffle de Dieu !

J’ai assisté il y a quelque temps à l’un des plus beaux couchers de soleil qu’il m’ait jamais été donné de contempler.

Je voudrais en balbutier les prodiges.

Le petit sentier qui mène à la falaise un peu plus bas que l’Église, et se dirige vers l’occident, est bordé de grands arbres dont la ramure épaisse se réunit à la cime et forme, au-dessous, un véritable tunnel d’où l’ombre ne sort pas.

Ce jour là, il y avait eu un orage formidable ; mais sur les cinq heures, la grande lutte des éléments s’était terminée. « Les clairons forcenés de l’espace s’étaient tus, » dirait le Maitre !

Le soleil, dont les rayons avaient été interceptés par d’énormes nuages, pareils à de vastes lambeaux de draps mortuaires, s’étalait avec majesté !

Il s’était baissé jusqu’à l’ouverture du passage d’arbres. On eut dit l’œil d’un titan y plongeant un regard.

Je parcourus d’un pas rapide, l’enthousiasme au cœur, l’espace enflammé qui me séparait de mon poste ordinaire d’observation.

Le fleuve coulait silencieusement. Un souffle à peine sensible en ridait les flots qui avaient l’air d’envoyer au soleil une infinité de sourires que le grand astre se plaisait à iriser.

Il me semblait que toute la poésie des Orientales tenait dans ma tête. Au fond de mon imagination, ces vers du poète m’apparaissaient en lettres de feu :


« L’astre-roi se couchait. Calme, à l’abri du vent,
La mer réfléchissait ce globe d’or vivant,
Ce monde, âme et flambeau du nôtre ;
Et dans le ciel rougeâtre et dans les flots vermeils,
Comme deux rois amis, on voyait deux soleils
Venir au-devant l’un de l’autre. »


Des larmes d’admiration inondaient ma figure ; car en présence d’une scène semblable, il ne reste à l’âme qu’un moyen de traduire l’exaltation de ses facultés : pleurer !

Le soleil descendait lentement. Il dansait maintenant sur la crête des Laurentides dont il poudrait d’or la luxuriante chevelure.

Tout autour, se déroulaient des nuages aux réverbérations multicolores, suspendus comme des tentures somptueuses dans le palais d’un monarque.

Un peu plus haut, les reflets devenaient plus pâles ; mais les nuages y épuisaient toute la gamme des nuances et des formes les plus fantastiques. C’étaient des pics abrupts à l’aspect sombre, des chutes immenses à l’écume blanchâtre, des montagnes de granit, de quartz, de neige que la lumière faisait étinceler.

Les coquettes habitations de la rive Nord, que le regard peut suivre jusqu’à une assez longue distance, semblaient pousser vers Québec, une course de brebis blanches ; au fond de la forêt qui commençait à se chausser d’ombre, la locomotive bruyante laissait derrière elle une épaisse colonne de fumée dont les spirales se perdaient dans l’espace.

Une heure après cette solennité, il ne restait de toutes les splendeurs qui m’avaient ébloui… que de la nuit…

Triste image de la gloire qui décline et s’effronde dans l’oubli.

Mais sur un autre point de l’horizon, la lune se balançait radieuse… Symbole de l’Espérance qui doit toujours verser son doux rayonnement sur l’âme que les blessures de la vie ont flétrie !

Par delà les merveilles de ce monde, il y a Dieu ! Au-dessus des amertumes de l’existence il y a la prière qui est un endroit rapproché de Dieu ! je priais !…


On peut s’accorder à discrétion, la jouissance d’un coucher de soleil ou d’un lever de lune, et ça ne coûte pas cher.

Il y a bien parfois quelque grosse tempête qui en dissipe les charmes, mais les orages ont aussi leur sauvage grandeur ; elle vaut bien la peine d’un quart d’heure d’admiration.

Je voudrais parler des levers du soleil ; malheureusement, c’est l’astre-roi qui me voit lever chaque matin et… je n’y mets pas tant d’éclat.


On peut ramasser bien d’autres miettes de bonheur à la campagne.

J’aime les grèves ! Le murmure des flots captive mon oreille. L’ombrage des bosquets me fascine avec la mystérieuse solitude qui y séjourne ; la note suave que l’oiseau laisse tomber en passant me ravit et me remue.

Tous les jours après un bon déjeuner, je descends la falaise avec un livre de Victor Hugo ou de Lamartine.

Je dois avouer que je ne suis pas encore assez poète, pour planer au-dessus de la prose d’un repas frugal ; je m’accommode facilement d’un bifteck avant de partir pour le pays des rêves.

Je les aime les grèves de Lotbinière ! Comme elles sont belles avec leurs sables mouvants, leurs graviers que l’on dirait pailletés d’argent. J’y cours chaque jour, admirant l’intéressant phénomène de la marée qui couvre et abandonne successivement le rivage.

Il y a çà et là de belles touffes d’arbrisseaux qui vous invitent à savourer une de ces sublimes prières dont Lamartine a bien rempli ses méditations.

Rien n’empêche de graver sur l’écorce des arbres une date… un nom béni… tout un monde de souvenirs.

Sur de petites pierres, je burine une lettre… deux lettres… trois lettres… et je les lance à la mer, où elles disparaissent en ricochant.

Ne soyez pas surpris lecteur, si quelque vendredi, la pointe de votre couteau heurte un fragment de roche portant ces signes cabalistiques… Mais… je m’arrête… Me voici sur le chemin d’une confidence…

Je raffole des bains, surtout quand la mer est calme comme de l’huile. Je me précipite dans les flots avec une indicible ivresse ; j’y fais bravement le plongeon, et j’en sors tout ruisselant de perles humides et rafraichissantes.

Et combien d’autres plaisirs dont la variété est vraiment inépuisable !

Au sein de toutes ces joies, je trouve de plus à la campagne, un régiment de cousines dont les tendresses me confondent.

Il m’est arrivé un jour d’avoir une légère indisposition. Toute l’institution était sur pied. J’avais beau leur chanter comme la Duchesse dans « la Fille du Tambour Major » : « j’ai ma migraine, mes vapeurs… » ça va se passer… Ce fut un assaut en règle. — L’une m’arrivait avec une dose de camomille ; l’autre s’avançait avec une potion de tisane, une troisième me présentait je ne sais plus quelle décoction… c’était une vraie démonstration à donner envie d’être malade toute sa vie. La convalescence fit des pas de géant. Je parlais déjà de me baigner. Il fallait les voir… c’était une opposition formidable, un siège puissant… Mes cousines se récriaient ! le temps de la canicule ! c’est malin… je me sentais des ardeurs de scier tout le bois du canton !… mes cousines me prophétisèrent que le sang allait me monter à la tête… que je serais foudroyé… à table, on me servait un peu de tapioca… c’était si léger… et j’éprouvais la voracité de dévorer un rosbif. Et l’on allait ainsi, me dorlotant comme un mioche, moi… un colosse !…

Quelle bizarre institution que les cousines !